Littéréticulaire : adj. (de littéraire et réticulaire), propriété d'un texte où s'associent, aux valeurs traditionnelles et aux figures classiques du texte littéraire, les significations et effets de sens provoqués par les liens hypertextuels au sein d'un réseau (l'internet par exemple), qu'ils aient été voulus ou non par l'auteur. |
Jeudi 1er juillet 2004.
Aux aurores ! Non, je n'étais pas levé aux aurores pour je ne sais quelle très spéciale activité destinée à fêter dignement cette entrée en un mois de chaleur et de pré-vacances. L'enjuilletement est général : pas un prof ici qui ne dispose ses troupes en vue de l'affrontement des feuilles d'examen ; pas un non plus qui se passerait de climatisation dans sa classe. Pour autant, ce n'est pas encore la lourde chaleur qui occupera tout le volume de l'air d'ici quinze jours. Pour aller améliorer son français en France, il faut déjà très bien le parler... C'est ce paradoxe un peu cruel que je viens encore une fois de vérifier aujourd'hui. J'allais déjeuner quand une étudiante me tend dans le couloir quelques feuilles imprimées. Ce sont des copies de courriels entre elle et une responsable universitaire française qui s'occupe de son accueil dans quelques semaines. Je lis les messages, d'ailleurs très courts, qui confirment la réservation d'une chambre en résidence universitaire. Alors que tout va bien, l'étudiante me fait comprendre avec ses mots à elle qu'elle angoisse à donf. Quoi, elle ne veut plus de la résidence ? C'est déjà si dur à obtenir !... Non, elle me montre le tout début du message de sa correspondante. Elle voudrait comprendre et savoir de quoi on l'accuse, alors qu'elle n'a même pas encore décollé du Japon !... Ah oui... Le message commence par : "J'accuse réception de votre demande de...". Certes, les étudiants ont tort de s'arrêter au premier sens que donne leur dictionnaire, électronique ou papier, sans aller jusqu'à quelque vieille expression figée. Cependant, les personnels des universités françaises pourraient comprendre qu'au niveau qu'ont les étudiants, et qui justifie tout de même que nous les leur envoyions, il serait plus judicieux de dire par exemple : "J'ai bien reçu votre demande...", où le mot "bien" apporte une confirmation sans avoir besoin de dictionnaire. Si loin de Nohant, c'est d'où je suis qu'on la nomma Chaque jour à regarder l'orient Dans quel espoir de jours fastes Avec l'aube on lui choisit Aurore Pour ses parents comme pour elle Comme pour sa statue ou pour nous Par-dessus industries et guerres C'est la même lune qui seule se lève Une pensée très émue, tandis que je regarde monter l'astre, pour Cerisy où je retourne en songe souvent et où s'ouvre aujourd'hui le colloque consacré à George Sand, dans un décor qui lui sied merveilleusement. Il y a un an, je m'apprêtais à y aller et je ne savais pas encore quel bonheur ce serait. Et dans un an, je m'apprêterai à y retourner... De ma chambre de l'Orangerie, je me souviens très bien avoir regardé la lune éclairer le parc après une journée meschonnière. Il avait fait chaud dans le buisson poétique mais le drame caniculaire était encore à venir. Et ce soir, je sais des amies qui, là-bas, verront peut-être cette même lune sortir des arbres, comme je viens de la photographier. La mécanique céleste n'a que faire de nos émotions. Pourtant... "Un globe de feu paraissait à l'horizon. D'abord Rose prétendit que c'était la lune qui se levait, mais ma mère pensait que c'était un météore et croyait voir qu'il se dirigeait rapidement sur nous. Au bout de quelques instants on reconnut que c'était une sorte de fanal qui venait effectivement de notre côté, non sans faire beaucoup de zigzags et témoigner de l'incertitude d'une recherche. Enfin on distingua des bruits de voix et le pas des chevaux. Ma mère voulut encore se persuader que c'étaient des voleurs et que nous devions fuir et nous cacher dans les broussailles pendant qu'ils pilleraient la patache ; mais Rose lui démontra que c'était au contraire des gens charitables qui venaient à notre secours, et elle courut au-devant d' eux pour s'en assurer." (George Sand, Histoire de ma vie, p. 339-40 ; cette anecdote biographique est peut-être une des origines des chapitres centraux de La Mare au diable...). |
Vendredi
2 juillet 2004. Formulation à choix multiple. Qu'est-ce que je pourrais lire après avoir fini Pars vite et reviens tard ? J'erre au milieu de mes livres en attente, cherchant celui qui fera le bon raccord. C'est par un courriel ami que je trouve l'attache vitale car, tout de suite, dès les premières lignes d'un livre qui n'existe pas encore, je suis saisi et emporté vers d'autres aventures. Les huit premiers chapitres du prochain livre de Martin Winckler, Les trois Médecins (sortie papier le 20 août), sont à télécharger sur son site ; j'en imprime quelques pages et garde les autres pour ce soir, ou demain... (J'ajoute que j'ai La Maladie de Sachs sur une étagère à un mètre de moi depuis plus d'un an mais que je ne l'ai pas encore ouvert, peut-être la semaine prochaine... — les chemins par lesquels on arrive aux livres sont imprenables.) Heureusement que les italiques existent, sinon on croirait que j'ai la maladie de Sachs. D'ailleurs, je ne sais même pas (encore) ce que c'est ! Mes premières heures de reprise du japonais ne sont pas encore bien structurées. J'essaie, pour l'instant, durant une à deux heures par jour (et ça passe vite) de comprendre des documents administratifs de la fac en améliorant mon utilisation du nouveau dictionnaire électronique (voir lundi dernier). Pas question d'utiliser la notice de l'appareil, entièrement en japonais ! Mais l'habitude des logiciels et des appareils électroniques fait que je trouve assez vite les fonctions étendues : recherche de kanjis à partir du nombre de traits, puis liste de ses combinaisons dans le vocabulaire, avec les lectures (prononciations), puis possibilité de traduire en français ou en anglais, et de rechercher plein texte pour expliciter un terme à l'intérieur d'une notice. La chaîne complète ! Je cherchais des kanjis, comme ça, dans le shinkansen, en réécoutant l'hommage à Danielle Collobert, déjà écouté, mais mal, durant le même voyage il y a deux semaines. Cette fois, je comprends beaucoup mieux ce touchant portrait et l'intérêt de cette oeuvre qui aurait totalement disparu, n'était la persévérance de quelques-uns, tel François Bon, à vouloir qu'on la réédite. Quelques extraits suffisent à faire entendre la beauté du travail sur la langue, sorte de qualité qui n'est pas faite pour briller en société mais pour se demander ce qu'on fiche sur terre en attendant d'en partir. Où ma route quitte celle de Collobert, c'est qu'en attendant d'en partir, je refuse d'en faire un drame. Enfin... je me comprends... Mais si je veux être précis (et honnête), il vaut mieux rectifier l'expression "refuser d'en faire un drame". En disant "je refuse...", on se donne le beau rôle de celui qui maîtrise, alors qu'en réalité on ne maîtrise ni ne choisit rien. Il s'agirait plutôt d'une nature, d'un être-au-monde que l'on se découvre et qui est tel ou tel, qui nous plaît ou pas, mais qu'il est presque impossible de modifier. Il faudrait proposer une formulation à choix multiple, du type : "avoir un tempérament, un caractère, une nature à ne pas [réussir à / vouloir / pouvoir / pouvoir s'empêcher d'] en faire un drame" (et que chacun barre ses mentions inutiles). Irrémédiables différences que l'on [doit / peut / essaie d'] accepter d'un très petit nombre de personnes, et tolérer pour un cercle plus large de relations. Et voilà qu'on entre en gare de Tokyo... Où il fait plus frais qu'à Nagoya. Enfin ! Soirée tranquille avec T. — que j'avais juste aperçue une heure samedi dernier !... |
Samedi
3 juillet 2004. Aigrette de mots. "Du 3 juillet 1804. Arrêt du Conseil [général de Fontainebleau] inféodant à perpétuité l'île d'Aix, près La Rochelle, à présent déserte, au sieur De L'Angeray, à charge de bailler chaque année "six aygrettes rendues vives" au Château de Fontainebleau." "masques craquelés et vermillonnés des vieilles reines et des vieilles duchesses coiffées d'aigrettes, de plumes, aux regards écarquillés (écaillés) d'oiseaux" (Claude Simon, Les Géorgiques, 1981, p. 58) La vingtaine d'emplois du mot "aigrette" chez Claude Simon m'a étonné dès le début. En se focalisant sur le faisceau de plumes typique de l'échassier, Simon en fait un idiotisme jaillissant de signifiance. Buffon (1806) avait dessiné un singe aigrette. Fallait voir le toupet ! Faisant mon heure de japonais, je tombe sur l'expression 申し訳ありません (moushiwake arimasen), textuellement : "je n'ai pas d'excuse". Où l'on rencontre une fois de plus la performativité allusive et radicale de la langue japonaise : alors que le français formule une demande explicite, "veuillez m'excuser", sous-entendu "cela dépend de votre bon vouloir", sinon je crains que "vous m'en teniez rigueur", le japonais ne demande rien dans sa parole proférée car la demande est évidente du fait seul de la position d'infériorité prise en disant qu'on n'a aucune excuse, reconnaissance d'une faute que l'on ne ferait pas l'erreur de formuler devant n'importe qui. On demande parfois d'être excusé alors que l'on n'est pas en tort : "Excusez-moi, mais mon train était en retard". Est-ce de là que l'on a pris l'habitude fautive de dire "Je m'excuse" ? Inversement, trop de gens ont pris la mauvaise habitude, surtout au Japon, de demander pardon en permanence. Tous leurs mouvements, actions ou paroles sont ponctués de paroles de rabaissement et de soumission, paupières battantes, une main cachant la bouche et regardant leurs pieds. Ces tics fatigants provoquent chez l'interlocuteur une vague conscience d'être de trop, d'être un vivant empêchement de vivre pour cette pauvre créature fébrile. Les pires sont bien sûr les gens qui demandent à la fois permission et pardon pour ce qu'ils vont faire sous vos yeux sans que vous ayez le temps d'acquiescer : un bras tendu dans la foule, main coupant l'air sèchement pour indiquer que l'on va forcer le passage, voire vous bousculer, vous couper la gueule, dirait mon beau-père ; appel de phare ou signe de remerciement d'un conducteur qui vous coupe la route alors que vous avez priorité ou que vous êtes déjà engagé ; étudiant régulièrement en retard et qui présente chaque fois ses excuses sans daigner donner d'explication, sous-entendant que, client de l'université, il n'a que faire de votre pardon réel. Le premier kanji de l'expression, 申 (saru), est aussi le signe zodiacal chinois du singe, d'où les simagrées mondiales de 2004. Autant voir de vraies pitreries de marionnettes, cela nous rapprochera encore un peu de George Sand... Serait-ce parce qu'il est malin comme un singe que l'homme a cet irrépressible et hypocrite besoin de pardon ? Salut,
Attention le ô est long dans ton expression d'excuse. "moushiwake arimasen" ou "môshiwake arimasen" sont donc de meilleures transcriptions. De plus, le premier kanji n'est pas celui du singe, mais celui du verbe : dire "môsu". Verifie la position de la barre verticale, a egale distance par rapport a la partie centrale pour "dire", alors que sa partie superieure est moins longue pour le "singe". Le sens general est donc : je n'ai pas/je ne trouve pas d'excuse a vous dire/formuler. A+ 2004-07-05 01:37:28 de Le potager Cher pote âgé, OK pour le "ô" dans la transcription, je le corrige. Par contre, pour le kanji, le dictionnaire est formel : c'est le même kanji "môsu", dire, qui se lit aussi "saru", et qui sert, entre autres, au signe zodiacal. Ou alors mon dictionnaire est fautif... Pour ce qui est du sens, je crois que j'avais bien compris. J'aimerais aussi avoir ton avis sur la performativité, pendant qu'on y est ! 2004-07-05 07:07:15 de berlol D'accord, je reconnais mon erreur. Errare cucurbitum est. Ma mémoire flanche de plus en plus... Je suis de moins en moins performant. Tu peux donc m'effacer. Pour ce qui est de la performativité, c'est un sujet fort intéressant. Comme tu le laisses entendre, le verbe "môsu" est un verbe de modestie, de déférence. On l'utilise pour dire : transmettre un message/une parole, raconter, etc. ; c'est-à-dire, s'exprimer vers quelqu'un de supérieur, quelqu'un qu'on respecte. Dire que les Japonais ne ressentent pas les choses comme nous, je ne le crois pas. Les deux langues fonctionnent très différement où l'une s'exprime parfois plus directement, de façon très franche, que l'autre. Mais rien ne dit que dans l'esprit des personnes qui prononcent cette expression, il n'en est pas autant. "Je n'ai aucune raison (valable) pour me justifier / je n'ai pas d'excuse", c'est ça le môshiwake. Maintenant, je ne sais pas si l'on peut aller jusqu'à dire que les Japonais n'osent pas reconnaître leur tort. Un Japonais qui a tort ne dit rien, d'où le silence de nos étudiants. Même en français, la façon de s'excuser dépend de ton interlocuteur ; en japonais, c'est la même chose : plus on te sera proche, plus on s'ouvrira à toi. Y voir des pitreries est assez féroce. C'est un phénomène linguistico-culturel qu'il ne faut donc pas dégager de son contexte ; même si, il est vrai, cela devient solution de facilité. Je suis trop non performant pour continuer, dé-so-lé... 2004-07-05 12:05:35 de Le pote très âgé |
Dimanche
4 juillet 2004. Le tigre de Shibuya. Ça y est ! Je me suis décidé à enregistrer un par un tous les épisodes de Tigre en papier, en feuilleton sur France Culture. Lorsque j'en avais écouté le premier épisode, le 14 juin, il y a presque trois semaines, je n'avais pas accroché. J'avais la tête ailleurs et puis, lorsqu'on a bien aimé un livre, on a involontairement tendance à en snober une adaptation. Par contre j'avais cité July sur les résultats électoraux. Pas si loin d'Olivier Rolin... autrefois. Ils sont moins copains, aujourd'hui ; le portrait de July, sous pseudo, dans Tigre en papier n'est pas vraiment un cadeau... On avait passé quelques bonnes séances du GRAAL, l'an dernier (janvier-février 2003), à commenter ce livre. Gros dossier de presse, retour sur 68, les engagements et les dérives consécutives. Le fil du récit passe entre document, autobiographie et composition spatialement et temporellement tournoyante sans les séparer, pris dans le ciment de la voix ; au point que selon certains le soliloque fatigue et n'est pas respectueux de l'interlocutrice, confinée sur son siège de voiture, jeune bécasse écervelée... Mais ce n'était pas mon avis, même si je pensais que la fille de Treize aurait dû défendre un peu son époque contre ce vieux radoteur... Et puis il y avait eu la visite de Rolin en personne, en mai-juin 2003, invité par l'Institut franco-japonais de Tokyo. J'étais allé le chercher à l'aéroport, puis l'avais revu deux ou trois fois en dehors des activités officielles. J'étais même avec lui sur la scène de l'Institut pour lui poser des questions et présenter l'homme et l'oeuvre au public japonais. Mais jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas entendu parler d'une édition en japonais. Frileux, les éditeurs... Le dernier soir, un dimanche, avec T., on était allé dîner des tempuras tout en bas de Kagurazaka-dori, chez Shimakin. Le patron, à qui on avait dit que c'était un écrivain français en visite, nous avait offert de ses oeuvres, des 切絵 (kiri-e), petits tableautins de geishas faits de papiers multicolores découpés et collés sur un carton. La meilleure reconnaissance à laquelle il a eu droit au Japon, je crois ! Je ne sais pas à quoi ça a tenu, mais il y a eu quelque chose de raté, dans la visite d'Olivier Rolin au Japon. Enfin, il ne faut pas être pessimiste, une traduction sortira peut-être un jour... Sur le site d'Amazon, intéressante réticulation : "Les internautes ayant acheté des titres de Olivier Rolin ont également acheté des titres de :Le tigre, c'était moi, ce matin à Shibuya, pour la reprise du ping-pong avec Manu. Faut croire que d'avoir joué à la fac mercredi m'a évité de perdre la main. Manu a tout de même gagné deux manches sur cinq, donc pas de déshonneur. Et puis on a explosé deux balles ! Ça, c'est pas tous les jours que ça arrive ! Après, mangeant nos spaghettis, on se demandait ce que notre ami Bikun allait faire. Étant à la croisée des chemins, il doit se choisir un destin. Alors Bikun, qu'est-ce que tu fais ? Écris-nous ! Et puis on discutait de ce Journal-ci aussi, reprenant certains sujets : les formules d'excuses en japonais, les allusions à Cerisy, ou encore le déjà célèbre : "T. ma T. sera comme une reine son père tenant sa traîne" (mardi dernier). Manu était tout chiffon que je n'aie pas répondu à son commentaire du 14 juin, justement, quand il trouvait supérieure la scène décrite dans L'Herbe à celle du Tricheur... Gomen ne ! De fait, j'y avais pensé. Mais j'y avais renoncé parce que j'ai l'impression que si l'auteur d'un blog répond tout de suite après un commentateur, il referme le blog sur celui-ci et sur lui-même, alors qu'il faudrait justement laisser l'espace des commentaires ouvert pour que d'autres que l'auteur du blog s'exprime (et envoyer un courriel privé au commentateur — Voilà, c'est ça que j'aurais dû faire avec Manu !). Et que, s'il a à le faire, l'auteur du blog réponde publiquement dans un de ses messages suivants ! Façon de réticuler un peu plus, au passage. Je remarque, en effet, encore une fois, que dans tous les blogs que je visite, l'usage des liens hypertextes est très rare. Les gens n'auraient-ils qu'eux-mêmes à l'esprit ? |
Lundi
5 juillet 2004. Ration géante de frites. Déjeuner avec Arnaud, de retour de voyage de soutenance de thèse. Étonné que ce soit fini — et avec tous les honneurs ! Au Saint-Martin où je n'étais pas allé depuis un mois, Yukie me gâte par une ration géante de frites... (pendant que T. n'est pas là...) Vais grossir en écoutant bouche bée le récit d'Arnaud, comment tel rapporteur a critiqué, comment tel autre membre du jury a loué son travail. Finalement, les historiens semblent être plus curieux et studieux que les japonologues ? Ou ce n'est qu'une impression d'auditeur externe... Et ma thèse à moi, elle en est où ?... Avant cinq heures, passant à Ebisu Square Garden, sur le chemin de la Maison franco-japonaise, je me décide à faire quelques photos des statues de Botero qui sont là jusqu'au 11 juillet. Trouvant qu'elles égaient plutôt bien l'ensemble architectural déjà hybride de ce quartier, je me rends compte qu'elles donnent aussi un excellent résultat photographique. Au moins de mon point de vue. Je ne sais pas ce qu'un professionnel en dirait. Au GRAAL, moins Franck, plus Michaël, dernière séance avant vacances d'été : on débat ardemment des ouvrages de l'automne. On arrête finalement comme suit : d'octobre à mi-novembre avec Passage à l'ennemie de Lydie Salvayre et de mi-novembre à fin décembre avec Colonie de Frédérique Clémençon (Minuit, 2003). On a repoussé à plus tard Volodine, Vargas, Louis-Combet, Winckler et quelques autres. Il faut ensuite en finir temporairement avec L'Herbe de Claude Simon. J'ai choisi de lire un passage dans lequel Louise raconte la lutte entre Pierre, vieil homme obèse, et Sabine, presque vieille femme ivre, quand Pierre découvre que Sabine cache du cognac dans un flacon de parfum, luttant ensemble, titubant tous deux comme un couple de Botero dansant un tango. Louise, séparée par une cloison, entend tout. Son oreille voit. Elle raconte ça à son amant indigne. Indigne parce qu'il n'est pas capable de l'emmener quand elle lui demande de l'emmener tout de suite. Il ne sait pas comprendre ce que tout de suite veut dire. Ça veut dire sur le champ. Mais comme il ne comprend pas, elle reste dans le champ, après lui, avec l'herbe, la pluie, le train... "[...] parce que c'est tout de même assez comique et même complètement absurde d'être obligé, de se croire obligé de s'exprimer d'une façon cohérente quand ce que l'on éprouve est incohérent, ainsi moi, par exemple..." (Claude Simon, L'Herbe, p. 207, et suite p. 261) ... car le paysage cité le 14 juin, pris dans L'Herbe (1958) et dans Le Tricheur, semble jouer un rôle encore non décrit pas les commentateurs simoniens ; il revient ici faire la clôture du récit : une dernière aigrette de stridence, de tristesse peut-être, avant la paix nocturne, Louise acceptant son destin comme le narrateur de La Modification de Butor (1957) se résignant à aller dire à sa maîtresse romaine qu'il allait la quitter alors qu'il avait pris le train à Paris avec la ferme intention de refaire sa vie avec elle... (D'où l'importance d'un tout de suite). "[...] le bruit assourdissant maintenant, la locomotrice traînant une longue aigrette d'étincelles qui s'éteignit, tandis que les rectangles lumineux à la queue leu leu passaient maintenant, déchiquetés, derrière le rideau d'arbres, le pont métallique grondant encore, puis le bruit décroissant, s'amenuisant, s'éteignant, laissant de nouveau place au silence, à la paix nocturne où claquaient encore, de plus en plus espacées, les dernières gouttes, puis, quoi qu'il n'y eût pas un souffle, tout un arbre sans doute comme s'ébrouant, frissonnant, toutes ses feuilles déversant une brusque et ultime pluie, puis quelques gouttes encore, groupées, puis, un long moment après, une autre — puis plus rien." Des bruits courrent
: une place toute chaude l'attend pour octobre.
2004-07-06 01:25:34 de le potager Pour avoir la frite, je conseille d'écouter Jean Christophe Bailly sur France Cul en dlalogue avec Veinstein voic 3 jours : de la pensée, une langue claire et précise, une vision du monde et de soi originale. Les tuiles détachées, Mercure de France. Reprise d'une séquence, lue ici même, concernant l'usage d'u nmot dans un livre de C.Simon : Pour< l'aigrette> signalée par P.R ( notre père, entendrait l'oreille de l'analyste que je ne suis pas), je singale que Jean Gnet a travaillé sur ce mot dans Uncaptif amoreux, Gallimard, 1986, livre poétique sur la mémoire de soi, Israel, les Palestiniens qui déplact la notion d'engagement, ce qui semble avoir échappé à notre ami petitpatapon confondant Drieu et Genet très abusivement 2004-07-06 08:02:43 de patrice Bougon OK, j'ajoute "Un Captif amoureux" à mon programme de lecture estival. On va voir si son aigrette étincelle ! Bailly écouté, enregistré. J'irai voir le livre en librairie (car ne suis pas tout à fait sûr que ça m'intéresse, mais faut essayer...) Quant à Patapon, je ne sais pas où il est... D'habitude, il répond... 2004-07-08 06:37:01 de berlol |
Mardi
6 juillet 2004. Nous avons été oncle ce matin... Y'a un oulipien qui laisse des commentaires de temps en temps dans la version U-Blog du JLR. Ses contraintes, c'est d'écrire son truc en moins de 46 secondes (l'âge de Perec quand il est mort) et avec des moufles (non, Perec n'est pas mort avec des moufles... En fait, j'en sais rien...). Alors forcément, l'orthographe en prend un coup... Souhaitons-lui une bonne continuation ! Ce matin, shinkansen en corrigeant des copies. Parmi des phrases dictées, au lieu de "Nous avons été en cours ce matin", une étudiante de première année a écrit "Nous avons été oncle ce matin". Ça m'a évité de dormir. Ceci dit, ça pointe bien l'un des problèmes des étudiants japonais : leur difficulté à entendre et discriminer les voyelles nasales. On y travaille... Après les cours, dans les 36°C ambiants, suis allé manger une glace avec David. Petit pot melon de Häagen Dasz (comment ça s'écrit ?... pas comme Nina Hagen, quand même ! Ça me mettrait mal à l'aise... Ah, en fait c'est Dazs, mais le pot melon n'est pas dans le site ! Sauf dans le site Japon, of course...). Paraît que des étudiants ont repéré notre manège, d'aller nous prendre une glace. Pas dur, parce qu'on ne se cache pas : il y a deux magasins où on trouve des glaces dans le campus et c'est toujours après les cours mais à des heures où les étudiants sont encore nombreux dans la fac. En fait, c'est qu'on s'entende bien et qu'on soit toujours en train de se marer qui semble les étonner ; plus que la glace, je pense. Il y a un cumul d'images toutes faites de prof et d'étranger qui ne correspond pas à la réalité qu'ils découvrent. Ou alors c'est de voir qu'après la trentaine, deux collègues peuvent encore être copains (ou coglaces). L'une des cafétérias de la fac s'appelle justement "Copain" et ce fut un choix des étudiants eux-mêmes il y a quelques années (malgré la nasale qu'ils prononcent généralement "Copan", surtout ceux qui ne font pas de français, c'est-à-dire la majorité), revendiquant par là comme une propriété de teenagers d'être copains, alors que les adultes se doivent de faire des tronches de six pieds (et beaucoup y excellent). "Nous sommes allés (car il y avait le baron R, la vicomtesse de Saint-M et Mme De M) nous asseoir devant le café de Paris et y prendre des glaces, — c'est-à-dire eux, moi ne prenant rien. Reconduit la marquise chez elle. Causé de verve, projetant mille éclairs. Sorti vers minuit. — ai trouvé une lettre follement mélancolique de Guérin, — répondu et ai porté, en robe de chambre et en pantoufles, ma lettre à la poste. Une nuit superbe, pure et d' un bleu pâle criblé d'étoiles d'argent. — le jardin qui est près de l'hôtel versait à flots dans la rue le parfum magnétisant des ébéniers. J'aime cette odeur d'orange qui me rappelle le château de Mesnilsauce et l'époque où je l'habitais. — écrit ceci, — bu un verre d'eau. Je me couche et vais lire. Un jour presque sans sensations. — pourquoi ne sont-ils pas tous ainsi ?" (Jules Barbey D'aurevilly, Memorandum deuxième, 14 juin 1838). |
Mercredi
7 juillet 2004. Liberté et surmenage. Ordre du jour (議題). 9h00-12H10 : deux cours de français. 12h30-13h15 : déjeuner à la cantine. 13h30-14h45 : préparation de réunion. 15h00-17h00 : réunion du Conseil de faculté (教授会). 17h30-18h45 : travail administratif au bureau. 19h00-20h30 : au centre de sport (vélo avec Larbaud, machines, bains). 21h-22h00 : préparation du dîner et dîner (pendant que tourne le lave-linge). 22h15-23h00 : copie des kanjis de la journée. 23h15-00h00 et au-delà : rédaction du journal avant extinction des feux. Il y a quelque chose de militaire dans ces dernières journées de cours. Côté profs, un ordre de marche forcée pour faire le tour de tout ce que l'on sait avoir mis dans l'examen ; côté étudiants, une tension vaguement agressive qui émule les meilleurs et tétanise les autres. La chaleur de juillet, bien installée maintenant, crée une toile de fond panique, comme s'il fallait se dépêcher de finir tout ça (le travail du semestre) avant que ça ne devienne insupportable et impraticable. Comme il y a une réunion dans l'après-midi, je commence à faire une liste des expressions administratives et académiques qui apparaissent fréquemment dans les documents (et qui ne servent strictement à rien dans la vie courante). Bien sûr, je ne vais pas donner un ordre du jour chaque jour. Mais au moins pour cette fois, aperçoit-on qu'il y a bien d'autres choses à faire que les cours eux-mêmes. Heureusement, certaines de ces activités peuvent se faire au bureau en écoutant Radio Nova ou France Culture, selon le degré de concentration désiré... Et la fenêtre sur le monde reste ouverte : de temps en temps, un courriel arrive et j'y réponds ou le mets de côté, c'est selon. Dans un des exercices faits en classe, il y a un caméraman indépendant qui dit avoir choisi la liberté de travailler avec qui il veut mais qui a un emploi du temps tellement chargé qu'il ne voit jamais ses enfants. On demande d'expliciter ce que signifie l'expression "être libre". Les étudiants n'y voient pas de difficulté : c'est déjà comme ça pour eux, leurs parents, leurs profs, bref tout le monde autour d'eux, sauf peut-être quelques vieillards à qui on fout la paix... La liberté bien intégrée dans la société d'aujourd'hui, c'est celle de choisir le contenu du surmenage qu'il faudra de toute façon accepter. D'où la radicalité du sollersisme qui orne mon site web : "Quelqu'un qui a tout son temps est un scandale permanent"... "Mais il voulait vivre, et il a vécu, noblement. Et moi aussi, je voudrais vivre enfin noblement, faire quelque chose de mieux que de courir l'Europe et de gâcher mon temps. Savez-vous que je me retiens de faire quelque chose de mieux ? Oui, j'ai... une espèce de vocation, moi aussi, et je n'aurais qu'à m'y mettre. Mais voilà, il faudrait lâcher toutes les autres manies ; il faudrait, en quelque sorte, renoncer au monde. C'est dur, quand nous avons tout sous la main." (V. Larbaud, A. O. Barnabooth, son journal intime, p. 122). Que fais-tu pendant
les quarts d'heure libres ?
Quand as-tu accroché le linge ? Non, plus sérieusement, je crois que c'est très vrai ce que tu écris et cites à propos de la liberté. C'est drôle parce que récemment, sur des forums, dans des lettres de distribution ou simplement en discutant avec des gens, c'est un thème qui revient souvent, cette fausse liberté, cette impression qu'on croit que tout est à portée, qu'on peut le faire dès qu'on aura le temps, qu'on n'a finalement jamais... Y aurait-il une prise de conscience ? Est-ce le bon moment pour une (r)évolution ? Si on en a le temps... 2004-07-08 02:41:01 de Manu C'est vrai que pour l'instant, on constate ça avec abattement et regret. La pression du consumérisme, des environnements professionnels et des regards moralisateurs des autres nous empêche de (ré)agir... Mais je suis quand même content de voir que je ne suis pas le seul. A+ 2004-07-08 06:29:44 de berlol |
Jeudi
8 juillet 2004. Et plonger dans mon futon. Derniers cours de langue ce matin, avec des étudiants très attentifs à tout ce qui pourrait les informer sur l'examen, qui aura lieu la semaine prochaine. Dans l'après-midi, dernier cours de maîtrise-doctorat avec sujet de dissertation pour l'été : "La femme sera vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente." Cette belle phrase de Françoise Giroud, en chapeau d'un des chapitres d'Un Siècle de femmes (V. Lesueur et D. Marny, au Pré aux clercs, 1999), est un vrai bonheur de disserteur, autant pour la suivre que pour la contredire. Comme ça fait trois mois que l'on travaille sur l'histoire des droits des femmes (de George Sand à nos jours, en France et au Japon), il était temps d'y mettre de l'humour et du paradoxe. Suite de l'après-midi à augmenter l'index du JLR avec les noms propres du mois de juin. Ça y est. En manière de pause, lecture de deux nouvelles d'un étrange recueil que Jean-Pierre Salgas recommandait dans sa sélection bibliographique de Roman français contemporain (ADPF, 1997 — ouvrage différent de celui-ci) : La Dame de Murcie de Noël Devaulx (1961). Le soir, après le dîner, je continue cette lecture étrange... jusqu'à tomber de sommeil. Et écrire ces quelques mots avant de plonger dans mon futon... Ajouté le matin suivant, pour ne pas couper le sujet : l'écriture de Devaulx est intéressante et rebutante à la fois. Rebutante, parce que passé le milieu d'un siècle où l'on a vu comment la langue elle-même devait s'engager, se remettre en cause, se déstructurer — et se restructurer d'une autre manière dans les meilleurs des cas (Beckett, Simon pour n'en citer que deux, mais qui viennent après Flaubert, Lautréamont, pour n'en citer que deux encore une fois, parmi ces expérimentateurs primordiaux) —, dans ce même temps, Devaulx emploie un français très policé, très conventionnel, qui met à la fois le lecteur et le narrateur à distance observable des choses narrées. Ce glacis, c'est celui que l'on trouve également chez Gracq ou chez Mandiargues ; il vous permet de lire ça tranquillement enfoncé dans votre fauteuil, car ces choses amusantes ou intrigantes que l'écriture fait jouer (ou fait jouet), n'atteindront jamais votre belle carapace. Là où son écriture est intéressante, et qui met un bémol au jugement précédent, c'est que des phénomènes étranges (c'est la troisième fois que j'emploie ce mot, à dessein) qui se produisent dans l'intrigue sont amenés dans une tension qui inquiète le lecteur, même ou surtout inconsciemment. Et cette tension est produite par l'écriture — ce qui fait qu'elle ne serait pas si conventionnelle qu'elle en avait l'air il y a encore cinq minutes : des perceptions anormales, des phénomènes paranormaux, des projections fantasmatiques sont à la fois bridés par une économie de mots pour le moins elleptique et dynamisés par le fait qu'ils sont souvent dans la phrase en position agissante, sujets des verbes, et peu complémentés. Le narrateur, qui est pourtant personnage agissant et percevant, si l'on en croit les cadrages narratifs, se trouve dans le mot à mot complètement agi et dépendant de phénomènes qui lui échappent. Si là encore on peut penser à Gracq ou à Mandiargues, ou plus récemment à Louis-Combet, ou plus anciennement à Nerval ou à Maupassant, cela me fait aussi penser à Robbe-Grillet chez qui il arrive que le narré (la diégèse) soit contredit presque systématiquement par l'écrit (la logique induite par la syntaxe). Ces premières impressions sur un auteur que je découvre et qui semble avoir réussi à traverser le siècle sans se faire remarquer feront peut-être sourire ceux qui l'auraient longtemps pratiqué. Leurs commentaires sont néanmoins les bienvenus pour éclairer ma lanterne. |
Vendredi
9 juillet 2004. Bidouillage de poudres. Note du matin. La lecture de JFM (dont le nom et la page seront indiqués dès qu'il m'en aura donné l'autorisation) me fait penser que nous devons être très nombreux (j'espère) à enseigner le français en bidouillant des rustines sur les défauts des méthodes et des dictionnaires. La détermination du nom, finesse essentielle du français, est peu considérée par les méthodes pour débutants. Ce subtil évitement de l'écueil par les concepteurs de méthodes fait que tous les apprenants s'y échouent cent fois par jour sans même comprendre ce qui leur arrive. Et quand ils le comprennent, il est parfois trop tard : ils ont pris le pli de dire "Je veux le café, s'il vous plaît." "Quand faut-il parler de cela à ses étudiants ? À quel moment de l’apprentissage ? Bien tard si on suit les manuels généralistes (tout du moins ceux que je connais). C’est plus étonnant pour les manuels faits au Japon, car la mauvaise conceptualisation de ce phénomène est cause d’incompréhension du sens exact des noms et donc d’erreurs et de maladresses répétées, incurables. Il s’agit d’un phénomène essentiel du français. J’essaie pour ma part d’en introduire une dose dès les premiers cours, par exemple avec « train ». Le train, un train ? D’un côté on penche pour l’interprétation « train-norimono » (moyen de transport) et de l’autre vers « train-véhicule » qui est situé dans un temps précis." (JFM)Hier, je rappelai justement à mes étudiants de première année qu'à l'examen ils auront à choisir parmi des petits mots. Cela leur a semblé presque insultant, dévalorisant, ce prof qui les cantonne dans les petites choses, alors qu'ils en ont apprises de si grosses, lourdes et brillantes. Mais ils sont revenus à de meilleures dispositions quand je leur ai montré qu'en fait c'est le petit mot qui permet dans chaque cas de préciser, voire de définir le gros. Ainsi dans l'exemple : "Est-ce que vous prenez du sucre ?" ou "Est-ce que vous prenez un sucre ? Ou deux ?", sous-entendu "dans votre café, thé, etc.", le choix du locuteur de dire "du sucre" ou "un sucre" indique et fait comprendre qu'il possède chez lui le sucre (comme principe ou idée de la chose) sous une forme précise : en poudre, à servir à la cuiller, dans le cas de "du sucre", en morceaux, à prendre à la main ou avec une pince, pour "un sucre". Il s'agit de deux choses différentes, de deux sens différents pour un même mot. Pourtant, ce qu'ils n'arrivent pas à faire dans le langage (parce qu'on ne le leur a pas bien montré), ils le font naturellement dans la vie : allant "au café" (le lieu), ils commandent "un café" (l'unité consommable) qui est fait avec "du café", en poudre ou en grains, parce qu'ils aiment "le café" (l'idée de la chose) et, là où on a le choix, ils ne se trompent pas en prenant bien du sucre en poudre pour du café chaud ou du sucre liquide pour du café glacé, ce qui est plus courant au Japon qu'en France. Je crois qu'en japonais ces différences sont elliptiques... Au fond, les difficultés que nous rencontrons ne seraient-elles pas la marque, même inconsciente, d'une sourde résistance, d'un effarement de la part des étudiants, qui constatent à quel point notre (inutile ?) souci de clarté complique et allonge les énoncés ?... Dans la réalité de notre monde, il y a donc des objets radicalement différents qui sont le sucre en poudre, le sucre en morceaux et le sucre liquide. Souvent, vous observerez dans les supermarchés que la classification est ambiguë : le sucre en poudre est à la fois avec les autres formes de sucre (morceau, poudre-glace, liquide, voire bonbons, etc.) et tout près d'autres aliments en poudre : farine, sel, etc. Cependant, pour des raisons de sécurité, la lessive en poudre n'est pas au même endroit. Il y a des limites aux catégories du langage. Et des paradoxes ! Faire comprendre l'usage de l'article défini dans ce poème de Prévert est un casse-tête qui nécessite avant tout une contextualisation (par l'imagination d'une scène induite par le poème) — et de ne surtout pas vouloir en faire une généralité pédagogique ! "Il a mis le caféBien-être en Colombie et au Japon. Note du soir. Dans le shinkansen et les autres transports du jour, j'ai écouté en continu 9 des 15 épisodes de Tigre en papier produits par France Culture. Ça tient bigrement bien la route ! Les acteurs animent bien le texte. Sans trop d'effets, non plus. L'ambiance musicale, qui semble prendre beaucoup de place au début, devient vite plaisante et colle parfaitement les séquences parlées en nous disposant aux rythmes changeants de la narration. Arrivé à Ebisu, en avance comme je l'espérais, j'ai pu faire un tour plus conséquent des statues de Botero déjà photographiées lundi. D'où de nouvelles photos, avec soleil et ciel bleu (environ 37°C, hmmm, ça me coule dans le dos pendant que je cadre !...). La plupart des gens ne s'y intéressent guère. Pour beaucoup qui se la pètent dans ce quartier d'affaires et de luxe, ces statues ne sont qu'une déco kitch de plus. Pour dégager les volumes et respecter leur caractère, j'essaie d'éviter de mettre les bâtiments dans le cadre. Impossible pour certaines statues. Assez réussi pour celle-ci. N'y a-t-il pas quelque chose de bouddhique dans le calme du visage, la courbe des sourcils, la moue des lèvres ourlées, et jusqu'au galbe de l'oreille ?... Pour bien faire, faudrait que j'y retourne tôt demain matin, quand le soleil sera dans l'autre sens. Mais en aurai-je le courage ? Suis allé ensuite jusqu'à l'hôtel Westin pour bénéficier de la fraîcheur et des toilettes, ranger mon matériel et me rhabiller, redevenir un universitaire, afin de pénétrer décemment, cent mètres plus loin, dans la Maison franco-japonaise. Je suis allé écouter Bernard Thomann, prof de l'INALCO actuellement missionnaire à la MFJ, qui s'interrogeait sur la fin de la "société de bien-être à la japonaise". Avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale, des mesures sociales, économiques, industrielles, accompagnées de discours le plus souvent teintés de nationalisme, ont vanté un bien-être "à la japonaise" reposant essentiellement sur la famille et l'entreprise, l'État évitant de s'engager directement dans la politique sociale. Certains hauts fonctionnaires ont d'ailleurs traversé sans encombre ces trois périodes, assurant une sorte de continuité. Principaux éléments de cette spécificité : l'absence historique de véritable compagnonnage au début de l'industrialisation, l'évitement des syndicats sauf à en faire des organes coopératifs, le concept de bonne mère bonne épouse (良妻賢母, ryousai kembo) pour maintenir la politique familiale. Le plein emploi, les salaires à l'ancienneté, certains désengagements des banques et l'internationalisation des entreprises japonaises font qu'il y a de quoi penser que ce modèle de "bien-être" vit peut-être ses dernières années, sans que l'on sache bien à quoi il laissera place. Intéressant, bien documenté, mais pas franchement optimiste. Faut le savoir... Commentaire
de l'entrée du samedi 10 juillet pas encore
postée. Il faut savoir que notre
rencontre ne fut pas fortuite puisque selon les lois des interactions,
plus
deux personnes fréquentent les mêmes lieux, plus
elles ont de chance de tomber
l’une sur l’autre. Pourtant, dans notre cas, il
s’agit d’une gageure. En
effet, ne sortant pratiquement pas (I can’t get a life) et
cantonnant mes
échappées à des missions efficaces
(cet après-midi, nous allions à la banque
pour retirer de l’argent car il faut bien manger), je me suis
fait la réflexion
suivante que pour arriver à nous rencontrer autant, tu
devais appliquer sur
tes sorties un indice factoriel dont je n’ose effectuer le
calcul (et je
ne compte pas les jours où tu te trouves loin de Tokyo pour
des raisons professionnelles.)
N’étant pas parano, je pense tout simplement que
nous sommes faits pour nous
rencontrer. Fi du hasard donc, mais quelque chose qui
relèverait d’une mécanique
quantique qui reste mystérieuse pour moi.
Tout ça pour dire que je me trouve à chaque fois très piteux devant toi, devant vous devrais-je dire, puisque tu es souvent accompagné de ton entière connivente, car je suis un très mauvais camarade : pas de coup de téléphone, pas de signe de vie, rien de chez rien quoi ! alors que nos lieux de vie ne sont distants que d’un ou deux km. C’est plus fort que moi. Je n’y arrive pas. Mais je compense par une culpabilité démesurée. Voilà. A notre prochaine rencontre… dans laquelle j’essaierai d’instiller un peu de volonté cette fois-ci, j’espère. 2004-07-10 11:38:01 de Onurb Noryep |
Samedi
10
juillet 2004. Jour de vacance. Peu à dire sur cette journée calme avec T., quelques courses, du rangement, un peu de lecture. Une bourrasque qui menaçait dès midi a fini par nous donner quelques gouttes vite évaporées. Dans Kagurazaka, avons rencontré Onurb, comme il prétend se nommer dans un commentaire du Journal d'hier. Ruhtra sur un petit vélo, suivant sagement son papa sur un grand vélo, les voilà qui passent devant Bishamonten, le temple principal du quartier, où se préparent entre parenthèse les fêtes estivales qui battront leur plein avant la fin du mois. Onurb nous annonce que son second enfant, Racso, a vu le jour le 24 juin ! En voilà une bonne nouvelle ! Ainsi seront-ils trois, voire quatre vélos à la queue-leu-leu d'ici trois ou quatre ans. Les croiserons-nous encore à Kagurazaka ? C'est une des bonnes choses que nous pouvons nous souhaiter... "Un jour que, sorti pour me promener le long des rives de l'Allier pour y chercher un peu de fraîcheur, je passai devant le verdoyant boulingrin d'une imposante villa, récemment bâtie dans un style d'inspiration néo-Renaissance, j'aperçus derrière le muret de pierres sèches qui en délimitait la vaste enceinte une femme de mon âge, qui, vêtue d'un maillot de bain dont ses amples rondeurs ballonnaient presque jusqu'à la rupture les pièces de lycra rose, chaussée de salomés de plastique rouge, ornées d'un nymphéa, feuilletait, tout en se désaltérant de thé glacé, un magazine féminin dans un transatlantique, au bord d'une piscine où folâtraient trois jeunes enfants sur un canot gonflable. Sans bien savoir pourquoi, je m'arrêtai. Passé quelques secondes, se sentant probablement observée, la jeune femme leva la tête au-dessus de son magazine, puis remonta ses lunettes de soleil jusqu'à la racine de ses cheveux blonds, que ramassait au sommet de son crâne un chignon approximatif, à la sculpture vaguement palmiforme. La vue de ses yeux, pourtant fort communs, et fardés selon un goût assez vulgaire d'épais linéaments trempés dans des tonalités criardes, eut un écho inattendu en moi : un coup me frappa subitement en pleine poitrine. J'en saisis aussitôt la cause : malgré les années et les bouffissures érythémateuses par lesquelles ces dernières en avaient remodelé les traits et gâté la carnation, je venais, précisément grâce à ses yeux, lesquels me semblaient être restés, en dépit des flots de chair qui battaient autour d'eux, parfaitement identiques à ce qu'ils paraissaient vingt-cinq ans plus tôt, teintés du même bleu lagon, lustrés du même orient, comme si la matière dans laquelle ils avaient été taillés était inaltérable, et l'eau qui les baignait, incorruptible, je venais de reconnaître dans le visage de cette jeune femme celui de Lucie Rivière." (Éric Laurrent, À la Fin, Minuit, 2004, p. 55-56). Revenu chez ses parents durant l'agonie de sa grand-mère, un jeune homme retrouve la mémoire de ses premiers émois... L'écriture surdétaillée de Laurrent pose ici et là, contrastivement, le corps âgé de la mourante et les jeunes corps de ses premières conquêtes. Tel raccourci, au lieu de paraître incongru et contestable, souligne la corporéité humaine, hélas tragiquement phasée. On n'est pas si loin de la grand-mère de Louise, dans L'herbe de Claude Simon... Cruauté
douce amère.
Sans fards, contrairement aux yeux de Lucie. Etrangement, je trouve ça presque réconfortant. 2004-07-10 18:24:00 de Oneiros Thanatos |
Dimanche
11 juillet 2004. Voter au crayon à papier, c'est fiable ? L'étage de ping-pong, neuvième et dernier, où nous nous rendons dominicalement Manu et moi à Shibuya est couvert de 15 ou 16 tables où viennent s'arsouiller nuitamment des groupes de copains qui ne savent pas quoi faire d'autre à pas cher tandis qu'en journée ce sont le plus souvent de jeunes couples en formation qui peuvent ainsi commencer à s'exciter avant de traverser quelques rues et entrer dans un love-hotel où ils reprendront amorties et smashs sans table ni raquettes. Peu de sportifs, donc. Nos allures de pros et notre couleur de peau nous ont fait repérer depuis belle lurette ; on évite en général de nous adresser la parole, non par peur mais par prévoyance, comme on évitait autrefois de toucher les lépreux. Aussi quelle surprise quand le patron vient nous dire que nous pouvons changer de table car la 12 qui vient de se libérer offre beaucoup plus d'espace pour donner libre cours à nos folies ! Ce que nous acceptons avec plaisir. Avec le seul défaut que la table est orientée de telle manière que l'un des deux joueurs est à contre-jour... Sans que l'on sache bien pourquoi (concentration, compensation réflexe ?), il arrive souvent que celui qui a le contre-jour gagne. Euh... Bon. Tout ça pour noyer le poisson et dire que j'ai perdu... Je me suis bien battu, mais Manu a été plus offensif et plus constant. Comme quoi le Gatorade n'est pas nécessairement mauvais. Après le déjeuner pendant lequel on se montre nos dernières photos tout en déplorant le silence courriel de Bikun (car, c'était lui, normalement, le photographe !), je retrouve T. en son centre de sport, au 9ème étage où elle peut voir le Mont Fuji par beau temps, mais où présentement elle se restaure à son tour. Puis je vais faire quelques tours de pédale en compagnie de Larbaud (Ah, c'est beau, l'art de Larbaud !) avant de passer aux bains tant attendus. "[...] chaque jour, ou presque, je me suis découvert de nouveaux sens. Ma vie m'intéresse prodigieusement. Je me relève, je me déplie, je m'étends dans beaucoup de directions. On a été si longtemps assis sur moi... Un jour un brin d'herbe couché sur la terre s'anime, frémit, et lentement, se redresse. Je reconquiers mon enfance ; parfois même il me semble que je vais redevenir bon." (V. Larbaud, A. O. Barnabooth, son journal intime, p. 130). En fin d'après-midi, j'accompagne T. remplir son devoir de citoyenne pour des sénatoriales. Occasion de voir le cérémonial, les scrutateurs, l'intérieur d'une école primaire. T. donne sa convocation à un assesseur. Un appareil en lit le code-barre et aussitôt l'assesseure (ou l'assesseuse) voisine lui dit son nom qu'elle lit sur un écran d'ordinateur et demandant à T. de confirmer verbalement (mais pas de consultation de pièce d'identité, ça n'existe pas officiellement au Japon — et avec photo, il n'y a que le permis de conduire, qui n'est pas obligatoire). Ensuite T. se dirige vers des isoloirs sans rideau pour écrire elle-même sur un papier spécial le nom du candidat de son choix (avec un crayon à papier, pourtant il n'y a pas de gomme ici... et si les kanjis du nom propre sont mal tracés, le bulletin est invalide, voire lisible différemment...), puis elle glisse son bulletin dans l'urne, normalement. Enfin, troisième étape, vers d'autres isoloirs où elle vote pour un parti politique (dont elle écrit aussi le nom au crayon sur un bulletin qu'elle glisse dans l'urne). Logiquement, on vote pour le candidat (d'une part) et pour son parti (d'autre part), mais ce n'est pas obligatoire : il y a des candidats sans parti et l'on peut imaginer qu'il y ait des gens qui n'aiment pas le parti de leur candidat préféré (sans parler de ceux qui se trompent...) Historiquement, on a voté au Japon pour des individus avant que le système des partis politiques soit introduit, ce qui explique le double scrutin. Suite à ces observations, plusieurs types d'erreur et de fraudes sont envisageables. Mais la question qui domine à mes yeux est la suivante : C'est quoi, l'identité d'un citoyen japonais ? |
Lundi
12 juillet 2004. Jour de vacances. Tard le soir, je rédige ce journal en attendant le retour de T. et en écoutant Nicole Savy, Martine Reid et Michèle Perrot parler de George Sand ce matin dans les Lundis de l'histoire... Soleil et nuages sont au programme de la journée, avec moins de 30°C. Ça tombe bien parce qu'on a décidé, Arnaud et moi, d'aller nous promener à Kamakura, petite ville à une heure de Tokyo qui cumule les avantages d'une ancienne capitale, des collines truffées de temples et de la plage avec paillottes. Rien de plus facile : suffit de prendre place dans un train de la ligne Yokosuka à la gare de Tokyo, d'ouvrir un bouquin pour faire passer les kilomètres (sans pédaler, cette fois) (L'Ogre de Chessex, j'en parlerai plus tard) et de descendre à Kita-Kamakura, sur un quai on ne peut plus provincial. Sac au dos, nous longeons la route puis le Jochiji (entrée du temple en photo) pour atteindre le chemin de montagne que nous suivons une heure durant jusqu'au Daibutsu (par les pointillés qui traversent ici le "u" de Kamakura), grosse tête de Bouddha en bronze dans l'enceinte de l'un des temples les plus visités de Kamakura. Là, assis sur un banc ombragé, reprenant notre souffle et séchant un peu notre transpiration, souriant de voir des écureuils descendre le long des arbres, nous attaquons le contenu de mon sac à dos : un paquet de petits croissants au beurre et des cerises, à la grande surprise d'Arnaud qui n'avait pas vu ce fruit depuis longtemps. Il est midi. Répit repos repus, après une vingtaine de minutes, reprenons la route plein Sud jusqu'à la plage toute proche, fort sale où nous l'abordons, que nous longeons ensuite vers l'Est, vers la zone à peu près propre où les baigneurs s'installent, sans doute moins nombreux qu'hier. Un peu les mêmes jeunes filles qu'à Shibuya, un peu les mêmes dragueurs ou rabatteurs écumant le sable pour les baratiner, quelques familles avec peu d'enfants, pas de rugissements de jet-skis (la réglementation est passée par là). Agréable paillotte où l'on se siffle des Corona en faisant une sociologie illustrée de la plage, en prenant des photos, puis en envoyant à T. un courriel avec photo par téléphone portable (qu'elle a montré tout de suite à son père, étonné car encore peu accoutumé au portable, me dit-elle maintenant qu'elle est rentrée). Pour moi qui suis venu près d'une dizaine de fois sur cette plage depuis une douzaine d'années, aujourd'hui restera dans les annales comme la fois la plus agréable, par la conjugaison du climat et de la conversation. Mais on ne se baigne pas. Une autre fois peut-être... Vers trois heures et demie, on repart à l'orient le long de la plage, puis Nord-Nord-Est, la grande avenue qui remonte vers la gare de Kamakura, bordée de fast food qui en disent long sur la clientèle culinairement peu exigeante du coin. Plus près du centre-ville, j'achète de beaux abricots qui me faisaient signe d'un étal. Encore plus rares que les cerises ! (et pas chers). Le grand air nous a occis et j'ai besoin tout le temps du train d'allumettes à paupières... jusqu'à ma baignoire où je retrouve un peu d'allant... pour faire une petite sieste. "C'est le soir que commença son tourment." (Jacques Chessex, L'Ogre, Grasset, 1973 - prix Goncourt, p. 11) Salut,
Juste un mot pour dire que j'apprécie ton écriture fluide et précise. On reconnaît là le parfait littéraire. C'est ce style efficace qui me manque hélas. Le Japon est un pays bien étrange à ce que j'ai plus saisir. Enfin, étrange pour nous européens bien sûr. Au fait, où en est le prog nippon ? Cordialement 2004-07-12 18:33:13 de Fulcanelli Merci du compliment. Je t'ai mis un petit mot dans ton blog du 11. Pour le jap, ça suit son cours. Forcément, je ne fais pas 2 heures tous les jours, donc je me deale des heures d'un jour ou d'une semaine sur l'autre. Mais globalement, je respecte ma promesse. Pas de quoi en parler tous les jours... Un peu de temps en temps, quand ça vaut le coup. 2004-07-13 02:59:49 de Berlol Merci de ta note. Les honneurs ne sont pas mon objectif. Disons que c'est un problème matériel qui me taraude et je ne sais pas comment solutionner, n'ayant que des compétences littéraires et culturelle et encore, je ne me vois pas animer un atelier d'écriture. Sinon oui, je suis triste mais n'est-ce pas ma nature ? Au fait, le prog nippon signifie pour moi le rock progressif japonais. Ils ont été très fort là-bas mais ce n'est peut-être pas ton genre musical préféré Bonne continuation 2004-07-13 09:38:38 de Fulcanelli |
Mardi
13 juillet 2004. Bon anniversaire, Maman ! C'est la première fois que je peux faire un tel souhait par le web, grâce à mon journal. Ma mère ne le lit pas régulièrement, ni mes soeurs, mais je vais leur envoyer un courriel pour leur dire de venir voir ça. Ce qu'elles feront. Un jour... En effet, je pourrais faire plus, mieux, pour fêter l'anniversaire de ma mère. Par exemple, lui téléphoner, lui envoyer quelque chose, même par internet. Genre fleurs. Ou bourriche d'huîtres... (quoiqu'en cette saison...) Mais où ? À quelle adresse ? Ça tombe toujours le 13 juillet, fatalement, en plein milieu des vacances, et à cette date je ne sais jamais où est ma mère... Sur quelles routes ? Dans quel camping-caravaning ? Depuis qu'ils sont à la retraite, mes parents voyagent dix fois plus que moi ! (mais moins loin). Ah, ils ont bien de la chance de pouvoir bénéficier du système de retraite par répartition que financent leurs enfants ! — qui, eux, n'auront rien. "[...] comme j'entendais sans cesse parler d'opérations ainsi que de choses habituelles et ordinaires, je songeais, pendant très longtemps, je songeais très sérieusement à prier mon père de m'ôter le cœur. Et je voyais mon cœur apporté dans une bourriche par un conducteur de diligence..." (E. et J. de Goncourt, Journal, 1876) Matinée de courriel et de lecture de blogs. Même plus le temps de lire la presse... Ah, la presse, les médias ! Quels enfants ! Quelle rigolade ! Qu'une personne prétende avoir été agressée, prise pour juive, volée, battue et taggée, et, comme c'est possible, et que de toute façon la situation est critique côté sécurité (vite ! Sarkozy, président !), on n'attend même pas que la police fasse ses premiers constats : on diffuse, on fait monter la mayonnaise ! On en est au moment grave de l'humanité où tout ce qui est possible, plausible, est VRAI. J'entends maintenant que la version de l'agressée est mise en doute, que les caméras de contrôle n'ont rien enregistré, qu'aucun fonctionnaire de Garges-Sarcelles n'a parlé avec elle. Et sans s'excuser le moins du monde, médias et politiques profitent de l'occasion pour rappeler que la situation, etc. Pour les médias, c'est aussi une façon, comme une autre, de capter un peu du temps de cerveau disponible des gens, selon la belle formule du Lay qui tourne dans la Maison de maçon. Comme souvent, Pierre Marcelle, très juste : "Et c'est alors qu'il devient légitime et nécessaire de s'interroger sur certaine propension des plus hautes autorités (les ministres Raffarin, Perben, Villepin, et le chef de l'État Chirac lui-même) à réagir avec une hâte irresponsable au point d'en devenir criminelle, en ce qu'elle exacerbe les peurs communautaires. Si, peu de semaines après l'affaire d'Épinay, s'avérait qu'une fois de plus, il fut crié «au loup!» à mauvais escient quand il en est tant de bons, il sera temps de se demander à qui profite cet autre crime et les passions qu'il exacerbe." (Libération du jour) Ensoleillé et 36°C. Heureusement qu'on n'est pas allé à Kamakura aujourd'hui ! Quoique... Déjeuner au Saint-Martin avec T., gigot d'agneau et frites. La patronne nous offre deux belles tasses blanches au chiffre du Sans Façon, son autre restaurant, un peu plus sophistiqué, à deux pas d'ici, qui fête ses onze ans d'ouverture. J'y suis allé depuis au moins dix ans, ou neuf, depuis que j'ai participé aux jurys de DELF-DALF auxquels Jean Maiffredy, alors attaché pédagogique à l'Ambassade de France, m'avait proposé de participer. Entre deux sessions d'oraux, toujours un dimanche pour avoir les salles de classe de l'Institut, on allait en bande de dix ou douze pour sympathiser, manger et boire — devenir copains ? — au Sans Façon. J'ai fait ça pendant deux ou trois ans, occasionnellement. Et puis Jean Maiffredy est parti, j'ai décliné la proposition de son successeur de continuer, pour être libre le dimanche. Dans la rue, on voit passer notre amie Christine, avec une dame japonaise d'un certain âge. On lui fait coucou, elle nous le rend, mais n'entre pas. Plus tard, au téléphone, elle me dit qu'elle allait déjeuner au Sans Façon... On se demande si on ira à l'Ambassade demain, pour la réception du 14 Juillet. Beaucoup de monde, grosse chaleur, bouffe moyenne, tout le monde poussé dehors à 14h30... Année après année, la qualité de l'accueil baisse, pour le tout-venant, c'est-à-dire la réception démocratique du déjeuner. Par contre le soir, on dîne triés sur le volet, que du select, de l'utile. Autant dire que je n'y ai jamais été invité... (sans regret). Lecture de Chessex puis de Sand, la nouvelle édition de Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt (chez Bouquins). Belle préface de Nicole Savy qui contribue à désensabler Sand de l'ornière champêtre : "Car la peinture historique déborde très largement les portraits individuels. George Sand nous montre la misère du peuple des campagnes, le règne des militaires et des brigands, la cruauté des recruteurs qui ratissent impunément les pays voisins du leur pour nourrir les effectifs des armées prussiennes, l'arbitraire des souverains, la corruption du pouvoir, l'inexistence de la justice ; enfin le joug imposé à des nations, comme la Bohême, étranglées par un pouvoir impérial et catholique qui nie jusqu'à leur existence. Mais aussi, de l'autre côté, le bouillonnement des idées, la mise en marche des revendications de liberté et de justice, ce qui ne s'appelle pas encore droits de l'individu et droits des peuples à disposer d'eux-mêmes." (N. Savy, préface, p. 12-13). Quelle jolie
expression dans sa contradiction que "désensabler Sand de
l'ornière champêtre" !
Je n'arrive à imaginer une ornière chez Sand que gorgée d'eau ou de plantes aquatiques telles que le cresson... bref... tout sauf désertique et sableuse ! Ça m'a fait sourire ! Et mes hommages à Madame votre mère ainsi que les voeux qui vont avec... 2004-07-13 16:39:13 de Oneiros Thanatos Oui, Sand telle une belle cressonnière, vivante et toujours fraîche, ça c'est la vraie. Merci ! 2004-07-14 09:02:33 de Berlol |
Mercredi
14 juillet 2004. Résidus de démocratie. Pour T., c'était râpé d'avance : elle n'irait pas à la réception de l'ambassade. Ayant acheté des carrés de moquette de bureau en solde pour en installer chez son père et le patron de la boutique devant partir en Chine sous peu, il ne restait que ce matin pour demander la livraison à Yokohama. Déçue, un peu, forcément, de ne pas vivre ces purs moments de rock'n roll, elle a peut-être aussi un secret soulagement : chaleur sous les tentes, lourdeur de pas mal de gens et incertitude sur le couscous ne lui ont pas laissé que des bons souvenirs, les trois ou quatre fois qu'elle y est allée. Du coup, j'hésite... Vers 10 heures, j'appelle Christine, Arnaud et François. Tous hésitants. Bien, on est d'accord : allons-y ! On sera au moins en bonne compagnie tous les 5 (Christine vient avec Thomas)... À ce moment-là, je sais déjà qu'en France on a l'aveu de mensonge de la jeune femme volée-insultée-blessée-taggée et l'embarras des politiques (sauf certains comme Accoyer l'obtus — dont nous devrons nous méfier ; j'en préviens ici solennellement tous mes concitoyens). Mais on ne sait rien des inondations de Niigata, au Nord de Tokyo, sur la mer du Japon... Sans doute parce qu'ici on n'a pas vu une goutte de pluie ! À l'ambassade, ça commençait très fort : Arnaud refoulé à la porte pour port de bermuda (sur la page web en lien hier, il est précisé : "tenue de ville exigée"). Il m'a appelé quand on était déjà entré, un verre de champagne à la main. Je lui dis d'aller près de la station de métro, à Hiroo, et de s'acheter un pantalon ; il me dit qu'il va rentrer chez lui... Je le comprends... Et une demi-heure après, il m'appelle pour me dire qu'il a finalement acheté un pantalon et qu'il est dans le grand salon en train de causer avec d'autres chercheurs... Grand changement (sur l'air de "tout fout l'camp") : toute la réception est sponsorisée. Les noms des traiteurs, boulangers, glaciers, limonadiers sont affichés en gros sur les stands et la qualité est au rendez-vous. Excellentes quiches et tartelettes, barquettes de saumon fumé avec taboulé, ratatouille froide bien parfumée. Pas de gros trucs où on doit faire la queue (couscous, poulet et gigot d'agneau à la coupe, pommes rissolées, etc. — dommage, en un sens...). Et des desserts de toute beauté, en plus du goût exquis ! Par contre, pas assez de fromages, pas du tout de charcuterie et, conséquemment, trop de pain. Un petit discours sans contenu, qui ne sert qu'à introduire la musique, une Marseillaise sans paroles ! Bien sûr, je discute avec beaucoup de gens que je connais déjà. Et, grâce encore à Alain R. (Cf. 15 mai dernier), décidemment un homme d'ouverture, avec de jeunes chargés de mission du poste d'expansion économique ; on décide même de se revoir avant la fin de son stage de trois mois. Grosse surprise (pour nous qui ne nous tenons pas au courant des mouvements de postes) : notre conseiller culturel nous quitte et sera remplacé dès septembre. Voilà une nouvelle qui fera des heureux et des déçus ; André Siganos ne laisse personne indifférent... On va dire que je ne me mouille pas publiquement dans mon journal pour me protéger, mais c'est faux. J'ai bien vu d'une part que c'est quelqu'un qui ignore la modestie et d'autre part je ne suis pas allé jusqu'à lire ses travaux universitaires (mais qui les a lus ?) (ni lui les miens, à ma connaissance) ; par contre, je lui dois un accord sans réserve et des invitations de chercheurs pour les colloques Hugo et Sand alors qu'aucune grande institution universitaire ou association de professeurs n'était engagée dans la direction de ces colloques, c'est-à-dire une preuve de confiance qui n'est pas dans les pratiques de tous les administrateurs. Comme prévu, à 14h30, on a été poussé dehors... Jusqu'au shinkansen de Nagoya, en ce qui me concerne. J'étais crevé, j'ai littéralement dormi en écoutant les derniers épisodes de Tigre en papier (voir Journal du 9, faudra que je les réécoute...). Après, dans le métro, j'écoute Jean-Christophe Bailly sur France culture, dont ceci, où je me retrouve un peu... : "[...] le fond d'enfance, c'est ce qui permet de rester toujours attentif. Ou distrait, ça revient exactement au même. Parce que celui qui est au fond de la classe et qui regarde, disons, un oiseau qui passe dans le ciel ou un ouvrier qui répare un tuyau, on peut dire que d'une certaine façon il n'écoute pas le cours, mais d'une autre façon peut-être qu'il sombre dans une étrange méditation quant à l'oiseau ou quant à l'ouvrier. [...] s'évader, oui, je me rends compte de ça. Dans les réunions très sérieuses, j'ai toujours une sorte de propension à m'évader par la pensée [...]" (entretien avec Alain Veinstein, Du Jour au lendemain du 2 juillet). On s'est fait
mitrailler à l'ambassade! Par berlol!
2004-07-16 13:43:51 de Sir Reith Oubnaitch |
Jeudi
15 juillet 2004. Préparatifs pour un petit voyage. Matinée : partiels à faire passer. Après-midi : préparation pour l'Open Campus. Visitant ou revisitant des sites susceptibles d'intéresser (séduire) des lycéens en vue d'une inscription dans notre université l'année prochaine (dans le département de français, évidemment), je ramasse quelques adresses efficaces (en ligne ultérieurement). Au passage, je découvre des choses nouvelles que je mets dans une liste perso car peu capables de concerner les lycéens. Exemple : ces pages récemment en ligne au Louvre : le Tableau du mois, présentation, aventure du tableau, surprises. Tard le soir. Préparatifs, donc, pour un week-end chaud et sans doute passionnant à Kyoto... Mais faut-il écrire Kyoto ou Kyôto, ou même Kyouto ? Purisme, conventions, libertés interlinguistiques ont des arguments pour chaque ; et sur ce patron, il faudrait alors écrire partout Toukyou pour Tokyo, qui est souvent Tôkyô... On s'y perd. Comme j'ai toujours écrit Tokyo, à la française, sans allonger les voyelles, je vais continuer et suis donc obligé d'écrire simplement Kyoto. Qu'on n'y revienne plus. Pendant ce temps, U-Blog se délite... Mais pas le temps de m'en préoccuper. On verra la semaine prochaine ! Préoccupation plus importante : quel livre choisir ? Un seul, pour éviter la surcharge. Après parcours de tous les livres arrivés depuis plusieurs années et pas encore lus, mon choix se porte sur Quignard, Les Ombres errantes, premier volume des trois qui constituent pour l'instant son Dernier Royaume... Sera-ce à la hauteur de Kyoto ? |
Vendredi
16 juillet 2004. Kyoto-Nagoya-Kyoto. Matinée : dernière main au document web pour l'Open Campus. Après-midi : déplacement à Kyoto. Je rejoins T. dans le train qu'elle a pris à Tokyo et il reste moins de 40 minutes avant destination ; c'est vraiment tout près ! Alors qu'en voiture, il y en a au bas mot pour deux heures et demie (je l'ai fait, il y a deux ans, quand j'avais une voiture, dont je me suis débarrassé depuis...). Réunion de chercheurs (14h30-18h30). Sur Hugo. Victor. Dans un lien que j'ai mis au Journal d'hier, Jean-Marie Barnaud parle de Quignard en l'appelant l'intempestif. Je n'ai pas oublié que c'est ainsi que Meschonnic appelait Hugo, à moins que ce soit Jean-François Khan avant lui, puis ce fut le nom du dossier multimédia de France Culture, d'ailleurs toujours là. Lisant Quignard dans le train, je me demandais quelle était la pertinence de cette appellation. Sans doute cela se verra-t-il bientôt... "La scène où toute scène prend origine dans l'invisible sans langage est une actualité sans cette active." [...] "Le passé le plus lointain est le plus dense de l'énergie de l'explosion. Tout souvenir intense approche de la force." (Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 12-13) Soirée gastronomique et touristique entre collègues. Avant d'aller par les rues, nous dînons dans un excellent restaurant japonais, qui est aussi une maison du patrimoine. Sous nos verres, des grues en origami. Dans des demi-physalis (houzuki), une mise en bouche vite avalée. Avec moi, l'amour en cage devient barque que la grue barre sur l'onde laquée. Les rues. Flot de 480.000 personnes (estimation officielle) allant admirer les chars posés, allant boire à toutes les échopes de fortune. Nombreuses personnes en yukata, quelques kimonos. Avec la chaleur, l'alcool, l'excitation de l'acmé kyotoïte. Arrivant là en taxi, après le restaurant si calme, si posé, c'est l'électricité de l'air qui saisit. Et l'idée qu'Alex ne doit pas être loin. Appel au portable, discussion sur les lieux... Il est à cent mètres de nous, dans un café, avec R. — comment dit-il ? en ga aru... On se voit, juste pour dire qu'on s'est vu. Et l'on repart, chaque groupe finissant sur sa lancée. Dans le métro, les queues pour acheter des billets sont telles que le personnel a installé des tables pour vendre à la sauvette, presque, les billets simples, ce que nous faisons pour regagner notre hôtel. Ambiance humide aux relents de saké, sans heurts et sans cris. Onze siècles de vie religieuse et guerrière donnent à ces fêtes de purification une résonance terrible. J'y réfléchis un peu quand, après un bon bain, je reprends la voie Quignard. Sa scène où toute scène prend origine me fait souvenir combien j'ai peu de souvenirs : ça s'est bloqué quelque part, et tout continue à tomber dans le trou chaque jour ; nous en discutions il y a peu avec T. qui en a tellement, des souvenirs, qu'elle a film du tout passé. Ma carence est peut-être cause maintenant de ma régularité littéréticulaire : engranger pour les autres et pour soi, peser sur le trou noir pour un jour me ressouvenir, qui sait ? |
Samedi
17
juillet 2004. Gion Matsuri et Open Campus... Matinée : Gion Matsuri, la fête annuelle la plus importante de Kyoto. Une trentaine d'énormes chars à l'ancienne défilent dans la ville ; ils représentent des quartiers où s'est organisée, en une lointaine époque (mukashi mukashi...) la réponse à l'épidémie : on n'éradique pas, on négocie. Le fléau existe, il ne peut être anéanti ni apprivoisé. On peut juste le prier d'aller voir ailleurs, voire même lui délimiter un territoire. Gestion des forces symboliques à retrouver intacte dans Mononoke Hime, le film de Miyazaki Hayao. Pour l'histoire de chaque char, je sèche. D'ailleurs, il fait très chaud. Notre hôte nous a réservé des places assises au premier rang du défilé. Il doit y avoir environ dix mille personnes assises, sur 5 rangs de sièges pliables de chaque côté de l'avenue Oike (marqués reserved seats sur ce plan). Décorés de riches tissus, de nombreux tapis orientaux et occidentaux, surmontés de hallebardes, de bambous, de statues masquées et richement habillées, voire d'une mante religieuse, d'origine mystérieuse, les chars n'ont pas de direction ; leurs roues tournent sur leur axe, essieu simple, sans transmission ni suspension. Or il y a des virages dans le parcours, et les chars sont de quelques centaines de kilos à dix tonnes... Un préposé met un long bâton à bout plat devant la roue qu'il a en charge, quand la roue monte dessus, il relève vivement ce levier, ce qui fait riper la roue de quelques centimètres. Dans un virage, on active la manoeuvre à petite vitesse pour que ça tourne... Vers midi et quart, j'abandonne T. et mes collègues pour aller prendre le train, à l'autre extrémité de la technologie des axes et des roues (enfin, j'espère !). Après-midi durant laquelle je dois animer un atelier sur l'internet francophone dans le cadre de l'Open Campus. Quelques sites à visiter, avec des conseils d'usage, quelques blagues pour détendre l'atmosphère : le Louvre, les chemins de la lavande, le Tour de France, un superbe site de cuisine avec des recettes en images... Ces lycéens sont de l'autre côté du digital divide, comme on dit ici (la fameuse fracture numérique), ce qu'on vérifie en leur proposant d'écrire des cartes postales à partir d'un site de photos de Paris : ils et elles savent tous taper au clavier, utiliser le web, les adresses électroniques, etc. Bon à savoir, faudra pas leur en compter... Quoique... ceux qui ont choisi cet atelier sont peut-être justement ceux qui se sentent à l'aise avec l'ordinateur ; il y en aurait d'autres ailleurs qui ne seraient pas aussi modernes. Bah, on verra ça l'an prochain. Retour à Kyoto en fin d'après-midi. Mes collègues et T. ont rejoint Alex et R., ils assistent ensemble, dans la foule, aux fêtes de Yasaka-jinja. Difficile de les rejoindre. Même avec des téléphones portables, il y a des limites... On se retrouve dans un quartier plus calme une heure après. Pour aller dîner dans un resto chinois tranquille. "La deuxième guerre mondiale au coeur du siècle qui précède a dissous à jamais l'idée d'humanité dans l'humanité." (Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 37). C'était justement le sujet de mon intervention sur le radical "huma" dans Quatrevingt-treize, au congrès de printemps ! Pour prouver, chiffres en main, qu'il n'y avait pas de questionnement sur la nature ou l'existence de l'humanité chez Hugo parce qu'il vivait tout simplement avant que cela soit mis en question. Alors, Quignard intempestif ? Sans doute. Mais ici, au contraire, tellement opportun ! |
Dimanche
18 juillet 2004. Irréversibilité. Tourisme à Kyoto... Alex et R. nous rejoignent à notre hôtel et nous partons en bus, munis d'un passe d'un jour. Yasaka-jinja et Chion-in (d'où doit provenir cette photo de jardin... je finis par m'y perdre, moi, dans tous ces noms de temples et de sanctuaires...). Restaurant dans l'allée Nord qui entoure Yasaka-jinja, à 4. Averses et emplettes (on entre et on sort des magasins en fonction de la pluie). Puis bus pour aller dans le centre, repasser la rivière vers l'Ouest. Le centre de Kyoto doit une bonne part de son animation aux galeries marchandes. Mais il en est une plus étonnante que les autres, Nishiki-koji, où toutes les boutiques sont de spécialités culinaires. R. et Alex nous quittent pour aller à un autre rendez-vous. T. et moi allons plein Nord, continuant la galerie marchande, jusqu'au tombeau d'Izumi Shikibu, une bloggeuse du XIe siècle... Et très bon cheesecake chez Papa Jon's (à Shinkyogoku), juste en face. "Chaque oeuvre est comparable à un pan de roche s'écrasant dans l'eau ; chaque saison de même ; des cercles s'y propagent ; ils se perdent dans le futur qui s'y répète comme dans le passé qu'ils inventent ; ils sont perdus mais ils ne sont pas disparus [...]" (Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 41). Soir. Après le bain, repos des pieds. Lecture de Quignard. Retour inopiné du thème parfois jugé banal des ronds dans l'eau, ripples en anglais (Cf. JLR du 22 juin). De la discussion avec T., il ressort que ripples se traduit en japonais par hamon (波紋) — bonjour Philippe ! — alors que ni "ronds dans l'eau", ni "ondes" ni "propagation" ne portent en français cette idée de l'irréversibilité du temps qui se trouve dans ces termes anglais et japonais. L'irréversibilité n'est pas exactement celle du temps, dont on ne connaît pas bien la nature (ou matière, ou essence...), mais surtout celle de tout ce qui se produit, a lieu (tiens ! voilà l'espace !), y compris les événements, parfois tautologiquement dits irréversibles, même à l'échelle des relations humaines entre individus lambda... Un roi chinois, très ancien. Son épouse le quitte. Elle revient quelques années plus tard. Demande s'il accepte de la reprendre. Il lui sort le dès lors proverbe : 覆水盆に帰らず (fukusui bon ni kaerazu). Soit : l'eau renversée ne revient pas dans le bol, ou dans le vase. Dans Réversibilité, Baudelaire croit-il vraiment à la réversibilité définie par Joseph de Maistre ? Je n'arrive pas à m'y faire. |
Lundi
19 juillet 2004. Jour de la mer à la montagne. Il faut nous imaginer dans un univers vaste comme notre galaxie, Kyoto, où T. a dû venir une vingtaine de fois — moins de dix en ce qui me concerne —, toujours pour de courts séjours, souvent avec des obligations à l'encontre des velléités touristiques... Nous souhaitions cependant inviter notre hôte dans un bon restaurant, histoire de le remercier, certes formellement, mais en partageant joyeusement ces ripailles. Ayant tergiversé à partir d'informations prises dans le web, notre choix s'était finalement porté sur un restaurant du Nord-Nord-Ouest de Kyoto nommé Bordeaux (près, si l'on peut dire, de la station de métro Kitaoji, plus près du Koetsuji), normalement fermé le lundi, sauf si c'est un jour férié (ouf ! c'est le jour de la mer, umi no hi). Notre hôte le connaissait depuis près de dix ans et avait l'habitude d'y venir une ou deux fois par an — habitude semble-t-il tarie depuis deux ou trois ans. Cela nous fit plaisir tout en nous confirmant que ce devait être bon. Et ce le fut (nous choisîmes tous trois le canard). Mais comme il est difficile d'inviter quelqu'un dans sa propre ville ! Surtout quand cette ville est elle-même couverte de chausses-trappes culturelles, l'une des plus denses forêts de symboles en ce monde... Perceval se meut aussi dans symboles, dangers et bassesses. Son qui-vive est ouvert, il est à la fois disponible et combattif. Mais il n'a cure de tout comprendre ; il doit passer. Je le suis. Ni la digestion entamée ni le cagnard ne nous ont empêché d'aller visiter le Koetsuji, son intime et célèbre chemin d'accès, la modestie de ses constructions où l'on aimerait se retirer. Puis le Kamigamo, pour aller vers les proportions contraires, puisque tout y est grand. La chaleur étant terrible vers 15 heures, on en fait rapidement le tour et on retourne dans le refuge mobile à essence. Plein Nord jusqu'à Kibune (貴 船). Sur plusieurs kilomètres, la route qui monte étroite le long d'un torrent est bordée de restaurants et de salons de thé. Aux maisons en dur, côté montagne, font pendant d'éphémères terrasses en bois construites entre la route et le torrent. Ainsi profite-t-on pleinement de la fraîcheur qu'apportent l'altitude, l'ombre et l'eau. Ce désir d'être au frais pour boire un petit coup ou manger une nouille fait que fatalement ça bouchonne sur la route. Et les voitures ne peuvent pas partout se croiser ; il faut manoeuvrer et attendre... Après un demi-tour, on s'arrête pour boire qui un thé vert qui un café glacé à la Kibune Gallery. Je l'avais repérée en montant, cette boutique de poterie où l'on peut siroter en vitrine. Comme dans toutes les boutiques de poterie valables où je passe, quand c'est possible, j'achète quelque chose. Ici, une sorte de saucier en forme de coquillage, on peut aussi l'utiliser pour servir le saké. Passant du Nord à l'Ouest de Kyoto, on frôle le Ritz du Potager (blague entre nous, cherchez pas...), et on met le cap sur Sagano, plus exactement à Arashiyama, bord de rivière touristique et luxueux où l'on peut assister à la traditionnelle pêche au cormoran (ukai). Montés en barque à la tombée du jour, avec quelques Américains et Canadiens en vis-à-vis, nous assistons au passage des barques de pêcheurs. Dans un panier suspendu à chaque bateau, un feu de bois éclaire le travail des hommes et des cormorans. Tenus en laisse, les oiseaux plongent régulièrement. Quand l'un d'entre eux attrape un poisson, le pêcheur le tire par sa laisse, le monte dans la barque et lui tape gentiment sur la tête en l'inclinant pour qu'il redonne son poisson. Quel destin, quand même, que ce petit poisson toujours pris et jamais avalé ! |
Mardi
20 juillet 2004. Japon fondant. Après prolongation d'une nuit pour cause de bonheur, T. et moi quittions ce matin Kyôto, lieu de fondation du Japon classique. Les ères Heian et Edo sont les deux fantasmes essentiels du Japon contemporain ; pour s'en convaincre, il suffit de voir la télévision japonaise durant quelques heures : nul doute qu'un feuilleton relatif à l'une ou l'autre de ces époques y passera . Au niveau symbolique, celui de l'inconscient collectif, la concurrence entre Kyoto et Tokyo est une belle comédie qui permet de faire tourner le moteur de l'identité nationale et du nationalisme. Le nationalisme est l'effet turbo du sentiment national : on réinjecte les gaz et la puissance monte. "Tanizaki considérait que la position individuelle nocturne était l'autre pôle de l'ordre national solaire du Levant." (P. Quignard, Ombres errantes, p. 50). Moins humide, la chaleur semble moindre. Mais il n'en est rien : il a fait 39,5°C à Tokyo cet après-midi. À Chiba, on a atteint les 40°C. À Niigata et dans la région alentour, les eaux se retirent progressivement, après plus d'une semaine de pluies incessantes, alors même que la fin du tsuyu avait officiellement été annoncée ; les images télévisées des équipements collectifs sont surprenantes : des routes et des gares entièrement disparues, fondues, des fondations de ponts et d'immeubles mises à nue. Dans la boue pas encore sèche d'où les tripes des appartements, des maisons, des magasins font des reliefs inquiétants et familiers, on blanchit au désinfectant pour éviter les épidémies. Les gens qui ne sont pas affalés sur des futons de fortune dans un gymnase sont sans doute effarés par l'apparence de leur home sweet home. Envie de tout planter là et de prendre la route... Ola
!!! sa fait peur.... j'avais entendu parler des pluies au Japon mais je
ne
penais pas que c'était a se point la.... arg j'ai une copine
qui est la bas
en ce moment...
Ganbatte en tous cas.... 2004-07-20 17:51:04 de MeiMei aaa j'oubliais !! Tu vie au Japon ? ou tu es la bas dans le cadre dans un voyage... etc !! ;) ??? 2004-07-20 17:53:06 de MeiMei J'aime casser un peu les pieds : "sweet", pas "swet". En revanche, vu le climat décrit, un "home sweat home" serait de circonstance. Cordialement. 2004-07-21 09:38:32 de dan Au temps pour moi... Je laisse le commentaire et je corrige la faute. Pour MeiMei : oui, j'y vis. A vie, je ne sais pas, on verra. 2004-07-21 10:15:45 de berlol AAA la chance !!! J'espère qu'un jour moi aussi je pourrais aller au Japon mais pas en tant que touriste.... peut etre pas vivre toute ma vie la bas mais bon.... Mattane ^^ 2004-07-21 19:46:06 de MeiMei Je croyais que ton "swet" était volontaire, quelque part entre sweet, sweat et wet... Pourquoi pas "home wet home", mais on s'éloigne un peu de la sonorité de la phrase originale. "home wee home", c'est aussi souvent le cas au Japon, mais là on est hors-sujet... 2004-07-22 02:33:53 de Manu "Home swept home" ? 2004-07-22 03:18:48 de Manu Eh oui, c'est qu'il faut bien balayer, là-dedans ! Au fait, t'es libre dimanche pour le ping-pong ? 2004-07-22 05:04:42 de berlol |
Mercredi
21 juillet 2004. Je serai pas raccord ce soir... Avec quelques activités universitaires dans la journée et un passage au centre de sport (malgré la chaleur, j'ai pris plus d'un kilo à Kyoto !), je m'active pour compléter le Journal des jours précédents. J'en arrive, à l'heure qu'il est (tard), à avoir complété du 15 au 18 inclus (que les lecteurs assidus y retournent, merci). Mais je ne serai pas raccord ; manque le 19. Je m'en occuperai demain. David me dit, faut vérifier ça, qu'au consulat américain de Tokyo, pour les demandes de visas, les prises d'empreintes digitales ont commencé... Il n'y a certes pas la salissure de l'encre sur les doigts, mais le spectre du contrôle absolu, de la machinisation de l'homme par son incarcération dans le cadre même de sa liberté de vivre. On se rappelle que c'est l'annonce de cette mesure qui avait amené Giorgio Agamben à annuler publiquement son enseignement à l'université américaine. Dans ma balance, faite de toiles d'araignées très sensibles, les livres pèsent contrastivement. Quignard, lourd d'un côté, je suis heureux de remettre Larbaud sur le plateau adverse. Son ironie, et les détails naïfs d'une intimité de jeune homme m'aident à prendre sans réticence la lumière crue(lle) des Ombres errantes. "J'examinai la figure de Putouarey. Quoi, c'était l'homme qui m'avait fait cette confidence et dévoilé cette vie intime ? Vrai, il n'y avait pas de place pour cela dans sa bonne tête fière et railleuse, la barbe noire en avant. Mais les études non plus n'y avaient pas de place, les nuits (soufre et potasse !) passées sur les livres de chimie. Que la nature humaine est belle qui peut contenir cette folie, et cet équilibre, et ces contradictions ! J'acceptais Putouarey tel quel, et je sentis que, malgré ses travers et ses ridicules, je l'aimais. Nous avions envie de nous embrasser. Bête, que je n'aie pas osé ! Du quai, j'ai regardé le « Graf Wurmbrand » décoller. Le marquis était sur le pont, gesticulant ses adieux. « En Écosse à la fin d'août, hé ! ou bien pour la chasse de la grouse, chez Worley ? — Peut-être. Vous, avec le ruban de Saint-Machin de... » La sirène aspira nos voix. Et bientôt le marquis et son mouchoir ne furent plus qu'une création de mon imagination. C'est ainsi que je me suis séparé, ni content ni chagrin, de ce galant homme." (Valery Larbaud, A. O. Barnabooth, son journal intime, p. 155). Le voyage inutile et essentiel, type Fogg ou Barnabooth, a trouvé son équivalent actuel : la cartographie du monde des intersections longitudes-latitudes. Avec leur boîtier GPS en main, des centaines de passionnés font des voyages étranges pour chercher ces intersections et prendre des photos de l'endroit. Les photos sont centralisées sur un site de confluence mondiale. Et il y a encore beaucoup d'endroits non photographiés... Ça me tente ! Faut que j'en parle à T. |
Jeudi
22 juillet 2004. Infoehniment à venir. Enfin, je réussis à compléter le voyage à Kyoto en ajoutant le 19 ! Pendant que j'y suis, je supprime tout le mois d'avril du site u-blog, j'insère les commentaires dans l'édition mensuelle et j'ajoute les noms propres dans l'index. Quoiqu'il arrive sur u-blog, je suis prêt... Les records de chaleur continuent. Pour la première fois au Japon, j'ai entendu parler d'effet de foehn (フェーン現 象, フェーンげん しょう). Dans notre bâtiment de bureaux, les travaux ont commencé. Le renforcement des murs pour mise aux normes anti-sismiques devait commencer en août, quand on aurait eu fini les examens. On a dû rater des informations... Ça perce dans l'aigu les tempes et ça vibre grave au bassin — ça, c'est le fun ! Mais dans mon bureau, on entend moins fort que dans celui de David... Je bouquinais jusqu'à 20h30 en écoutant Radio Nova, éh bien, quand je suis parti, ça continuait ! Il y a quelques jours, j'ai reçu un petit recueil d'Henri Meschonnic, Infiniment à venir (Dumerchez, 2004). J'en extraie la citation suivante, incipitale d'ailleurs, spécialement pour JFM qui traitait récemment de "combien" ; ici, Meschonnic laisse libre le choix entre l'interrogatif et l'exclamatif, ce qui a pour résultat de faire vibrer la quantité : inconnue qu'on regrette, connue qui étonne. Contraste (mais) avec la tranquille (verbe au présent) affirmation finale. "j'ai eu combien d'enfances j'ai vécu combien de fois je suis mort combien de fois mais je continue de naître" (p. 13) Le rabat de couverture m'apprend que cette plaquette de vingt-cinq poèmes est consécutive à la visite de la salle des portraits de l'Historial de la Grande Guerre qui jouxte le château de Péronne (Somme). On comprend mieux ce qu'on lit, alors. "je ne peux plus compter mes visages je pose pour demain je suis infiniment à venir toute une famille de regards se serre dans mes yeux" (p. 35) Au musée, grâce à Henri, je retrouve mes jumelles... En
réponse au commentaire du 20, a priori, oui, ok pour le
tennis de table bleue
sur fond multicolore à dominante jaune-orangé...
2004-07-23 03:32:09 de Manu |
Vendredi
23 juillet 2004. Ombres (ab)errantes. Saine lecture sur petit vélo du club de sport, ce matin. Le petit Barnabooth a franchi un étage initiatique de plus vers la conscience de l'absurdité du monde... "D'un seul coup, toute la tristesse du monde me remplit. [...] Je ne pensais pas à Gertrude Hansker, mais à certaines doctrines philosophiques, vagues, et étroites à gêner notre plus petit mouvement. Par exemple l'idée que les hommes ne valent qu'en masse, que les grands civilisateurs sont des instruments, que les grands artistes sont l'expression d'un temps et d'une race. Et alors ceux qui ont vécu sans rien dire, avec des intérêts personnels, des questions d'argent et de famille, les milliards de muets ? Oui, eux, à quoi bon ? à faire de l'humus ?" (Valery Larbaud, A. O. Barnabooth, son journal intime, p. 161). Comme c'est beau, l'art de Larbaud ! Je me répète, certes... De quoi j'ai l'air, hein ? Je vous laisse à penser... — comprenne qui pourra. Déjeuner avec David, menu de hamburger fait-maison chez Downey 2, en fredonnant des vieux trucs de Distel... Dans le shinkansen, je reprends des pages de Quignard déjà lues hier soir, pour être sûr de ce que je vais écrire maintenant. Jusque vers la page 60 des Ombres errantes tout allait très bien. Il y avait certes ce ton sentencieux, avec plein de verbes au présent éternel, des aphorismes, comme on dit, mais aussi des choses très subtiles, des remarques, des anecdotes élevées au rang de vérités, etc. Et puis là, d'un seul coup, j'avais une sensation de remplissage, de n'importe quoi. Je cite. "Deux arts [i. e.: photographie et cinéma] anéantirent l'aura vivante des jeux de l'ombre et de la lumière au sein de la nature." (p. 61) — ridicule ! "Vie intérieure familiale, linguistique, de plus en plus homogène, civilisée, collective : l'hétérogénéité n'est pas le destin de l'homme. Homogénéité culturelle, historique, tel est le destin de l'homme. Hétérogénéité naturelle, originaire, tel est le destin de l'art. La fragmentation est l'âme de l'art. Aux êtres égaux interchangeables des régimes démocratiques correspondirent les individualités imprévisibles des mondes romanesques." (p. 62-63) — parle-t-il d'autrefois ? d'aujourd'hui ? Ce n'est pas la même chose ? Ça sort d'où, cette histoire d'homogène/hétérogène ? Total pipeau ! L'art ? Déjà que l'on a du mal à savoir ce que c'est ! Si en plus il a une âme ! Et même en tant que métaphore, "l'âme de l'art", c'est-à-dire l'essence de l'art (par exemple, en tant qu'il est vivant et éternel...), je ne crois pas que ça existe. Et je ne vois pas pourquoi ce serait "la fragmentation". Dans le même mouvement, l'artiste sépare, isole un fragment de quelque chose, ET le relie de façon inédite à d'autres choses. Il y a donc trois composantes inséparables : fragment, relation, création. Qu'une des trois manque et ça ne doit pas être un véritable artiste. Et même avec les trois... Entre Bernard Buffet et Pablo Picasso, seul Picasso est un artiste. Et puis, ça finit en beauté : en associant "démocratiques" à "être égaux interchangeables", ne dit-il pas que la démocratie produit des clones ? de l'humus, comme dirait Larbaud ! Mais Larbaud ne parle pas de démocratie (au contraire, serait-on tenté de dire...). Que Quignard ait ces idées (ou ses idées), OK, mais à quoi sert-il de nous les asséner, de nous les servir comme vérités, bulles sortant de la bouche d'un gourou ? Je ne suis pas d'accord et je le dis. Et j'en aurai d'autres à citer, mais ce n'est pas la peine. Encore une fois, je n'ai rien contre Quignard et il y a des pages anthologiques (ici et dans d'autres ouvrages que j'ai lus depuis longtemps, Petits Traités, les Tablettes de buis..., le Sexe et l'effroi, etc.), mais ça n'autorise pas tout ! Et si quelqu'un peut me prouver la valeur littéraire, ou même la valeur tout court du passage cité ci-dessus, je suis tout prêt à changer d'avis ! Allez-y, les commentaires, c'est fait pour ça. Après ça, j'écoutais une excellente émission de Joseph Confavreux, la Mesure du possible du 14 juillet sur France Culture, rediffusion du 31 mars sur "stages, stagiaires et insertion des jeunes dans le monde professionnel". Louis Chauvet, auteur du Destin des générations : Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle (PUF, 2002), y dit des choses très intéressantes, ressortant de ses enquêtes sociologiques, et, au détour d'une phrase... "[...] les nouvelles générations sont de plus en plus hétérogènes [...]" Je retrouve T. et nous sortons tout de suite pour voir comment ça se passe à Kagurazaka, la matsuri du quartier. Quand on a eu vu passer trois groupes de gamins et gamines se tortillant dans leur yukata sponsorisé, servis par une musique répétitive et indigente (voyez comme le flutiste s'amuse...), on est entré dîner au Hong-Kong Shokudo... À la différence des rites de Kyoto, spécifiques et signifiants, ces awa-odori (阿波踊り) qu'on nous sert à Kagurazaka sont importés de Shikoku et ne servent qu'à amuser les gens en leur faisant croire à un folklore vivant. On sait ce que les nationalismes doivent à ce genre de fabrications folkloriques. Moi, ça ne m'amuse pas du tout ! A
propos du passage de Quignard, en toute logique, j'en tire la
conclusion
suivante: ayant des destinées opposées, l'homme
et l'art sont/deviendront
distincts, incompatibles. L'homme ne peut pas/pourra plus
être artiste. Qui
d'autre alors ? Décrit-il la mort de l'art, du moins en tant
qu'oeuvre humaine
?
Je suis plutôt d'accord avec le fait que l'homogénéité nuit à la créativité, mais pourquoi cela arriverait-il par la faute de la démocratie ? 2004-07-24 16:37:35 de Manu Le pipeau et... la flûte: très bon! Tu es en forme! 2004-07-24 16:45:47 de Sir Reith Oubnaitch Et encore, Sir ! T'as pas tout bien lu... 2004-07-24 17:02:28 de Berlol |
Samedi
24
juillet 2004. Le bruit des glaçons. Je suis retourné sur le site du Degree Confluence Projet et plus je le parcours, plus je trouve ça fantastique. C'est non seulement une "aventure" au sens géographique et humain, parce qu'il faut vraiment aller quelque part, avec des cartes, du matériel selon le terrain et la saison, etc., mais c'est aussi un jeu de réseau, basé sur le désintéressement et le partage des connaissances. De plus, les textes écrits par les confluenciers (je forge le mot pour l'occasion) pour accompagner les photos sont souvent intéressants (difficultés de parcours, paysages, gens, informations sur les us et formalités, etc.). Si je m'y mets aussi, aurai-je le temps d'arriver à l'un des deux ou trois points non encore visités du Japon ? Plus modestement, on est sorti, T. et moi, faire des courses à Ginza. Près de la gare de Yurakucho, on a trouvé une boutique de produits de la région d'Akita. J'ai pris des petits gâteaux spéciaux pour Alex. On a acheté des poissons cuits et marinés venant de torrents d'altitude. Des racines de montagne comestibles. Des trucs rares. Il y a aussi des préparations complètes pour le nabé ; on verra ça cet hiver. Après, on a eu un choc parce qu'une boutique où j'allais depuis près de dix ans pour acheter du thé au jasmin en gros paquet, parfois des olives, des fruits séchés et des tablettes de chocolat suisse... a disparu. Remplacée par un magasin de tissus pour kimonos super chers. Sous le coup, on a erré dans Matsuya Ginza une heure ou deux avant de se décider pour aller au sous-sol chercher du pain chez Kayser, deux parts de quiche, et retour à la maison. En évitant l'awa-odori qui reprenait vers 19 heures à Kagurazaka... Ah si ! On a trouvé des baies de genièvre (Juniper Berries). Dans un magasin de produits de beauté où il y avait un coin d'herbes et épices pour tisanes... Donc, on va pouvoir faire de la choucroute. Mais pour ça non plus, c'est pas la saison... J'allais finir le récit de ces aventures en disant qu'il n'y avait pas de littérature aujourd'hui, quand j'ai entendu le bruit très agréable et sécurisant des glaçons qui tombent dans le bac. En effet, notre frigo a une fonction glaçons assez élaborée (je le dis avec un petit pincement de fierté) : on met de l'eau dans un récipient spécial qui s'encastre à l'intérieur de la partie réfrigérateur, puis une portion congrue de cette eau est pompée je ne sais où et, une ou deux heures après, les glaçons tombent dans un récipient de la partie congélateur. Éh ben, ça aussi, c'est un effet home sweet home ! (et sans faute, cette fois...). C'est gentil de
penser à nous. R. et moi sommes curieux de goûter
tes "gâteaux spéciaux".
2004-07-25 07:52:22 de LePotager Justement, j'ai oublié de te dire ce matin que j'avais bien aimé ce site également. Je me suis bien sûr attardé sur le Japon et l'Alsace. Ma région a deux confluents, mais vraiment de justesse: à la frontière avec la Lorraine pour l'un et avec l'Allemagne pour l'autre. Il en reste pas mal à visiter au Japon, surtout au large des côtes, notamment dans la région d'Okinawa. Bon courage ! Dis-moi, c'est quoi le nom du magasin disparu ? Tu m'y avais emmené une fois, non ? Il y avait des "Chivers" parmi lesquelles, justement, de la confiture de gingembre. 2004-07-25 15:18:29 de Manu C'était le magasin Sanmi. Il n'est pas exclu qu'il ait seulement déménagé... Gardons l'espoir. Ceci dit, avec le développement de Seijo Ishii et de Yamaya, il est possible que Sanmi n'ait pas résisté. Shouganai !... 2004-07-25 16:58:29 de Berlol |
Dimanche
25 juillet 2004. Deux logiques inconciliables. Que vaut-il mieux ? Gagner au nombre de manches ou gagner au nombre de points ? Au ping-pong ce matin, Manu a gagné 3 manches à 2 alors que j'ai gagné avec 3 points de plus au total. Deux logiques inconciliables se rencontrent là, celle des parties considérées comme des touts, des événements en elles-mêmes — quand on en a gagné une, on n'a plus spécialement de considération pour le nombre de points — ; et la logique du seul incrément — qui revient à nier les manches en tant qu'événements. On a parlé de Quignard aussi. De combien j'étais content des pages lues hier soir et ce matin, après l'avoir critiqué assez sévèrement avant hier... Je lui ai fait lire ceci : "Je date la mondialisation de la guerre sur la croûte terrestre à l'année 1853. Après le génocide des Indiens d'Amérique et leur "transportation" ("transportation" est un mot américain dont les Allemands puis les Turcs s'inspirèrent dans les décennies qui suivirent), après le génocide des Noirs d'Afrique, la ségrégation affichée démocratiquement et l'esclavage, les Américains tournèrent leur regard vers le reste du monde. Le commodore Matthew Perry déclencha les deux guerres mondiales durant l'été 1853 en baie d'Edo. Le duc japonais alerté par ses hommes observa avec anxiété les navires à roues américains qui jetaient l'ancre dans la rade. Le duc japonais adressa ce message à l'officier américain : "Nous ne souhaitons pas que pénètre sur notre territoire une humanité diabolique. Nous vous demandons de bien vouloir vous en retourner dans votre pays et y demeurer sous la protection vénérable de vos morts. Car, jadis, nous avons connu les Chrétiens et nous nous en sommes mal trouvés." En réponse, le commodore Perry, à la proue de son navire, fit crier par le porte-voix de son vaisseau au duc d'Edo : — Ou bien vous ouvrez vos frontières au libre-échange. Ou bien ce sera par la force que nous vous imposerons le droit. Ce que le commodore Perry appelait le libre-échange signifiait le commerce américain. Le commerce américain est assez proche de ce que les anciens Romains appelaient la Pax. On n'a jamais su ce que voulaient dire ces mots (libre, paix) ni en anglais ni en latin. [...] Les Américains tirent. les Japonais cèdent. [...]" (Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 87-88) C'était le 8 juillet... Dès l'année précédente, les Américains avaient annoncé aux autres pays occidentaux qu'ils allaient y aller... Parce qu'en fait, ils n'étaient pas les premiers... Et le Japon n'était déjà pas en bon état... Alors dater l'origine des deux guerres mondiales à ce moment, je ne sais pas si c'est pertinent. C'est original. Assez séduisant, en fait. Quignard simplifie l'historique en prenant du champ (la croûte terrestre) pour apercevoir une réelle ligne de force. Même si les Américains (et les autres) n'imaginaient pas que ce pays arriéré deviendrait une grande puissance occidentale en moins de 50 ans ! (Les termes entre guillemets sont doxiques.) La surprise de 1904-1905, le Japon écrasant la Russie, en dit assez long. T. soumise à la question en fin d'après-midi surfe trois petits coups sur le web pour nous dégoter quelques fortes paroles nippones de 1853. Du genre, les quatre bateaux qui nous empêchent de dormir... avec un jeu de mot phonétique intraduisible entre "quatre bateaux" et "quatre tasses de thé" (qui empêchent aussi de dormir) : joukisen étant à la fois une marque de thé célèbre à l'époque (上喜撰) et une désignation pour les bateaux à vapeur (蒸気船). Mais pas de citation originelle, plusieurs versions, les japonophones apprécieront : 太平の 眠りをさます 上喜撰 (蒸気船) たった四杯で 夜も眠れず Taihei no / nemuri wo samasu / Jôkisen / tatta shihai de / yoru mo nemurezu 上喜撰 (蒸気船) たった四杯で 夜も眠れず Jôkisen / tatta shihai de / yoru mo nemurezu アメリカが 飲ませに来たる 上喜撰 (蒸気船) たった四杯で 夜も寝られず Amerika ga / nomase ni kitaru / Jôkisen / tatta shihai de / yoru mo nerarezu (Note du journal de Yoshida Shôin, un bloggeur très connu à l'époque...). Je reviendrai un autre jour sur quelque accent baudrillardesque que Quignard sait prendre, avec modération. Mais d'où vient que je suis souvent d'accord avec lui sur les sujets éthiques et politiques, et que ses formulations me plaisent, littérairement parlant, alors que je cale dès qu'il aborde l'art et l'esthétique, trouvant en plus que c'est mal écrit ? Quelle est cette ligne qui passe entre nous ? et en lui ? ou en moi ? Sont-ce aussi deux logiques inconciliables ? "[...] L'art est la moindre feuille. La feuille la plus faible car la plus petite des feuilles qui poussent. Toujours la plus neuve et donc toujours la plus petite. C'est un reste de nature au sein de la culture. Il est naissance. En toute chose la naissance cherche à revivre. L'art ne connaît que les renaissances. La nature est l'origine. L'art n'est jamais plus grand que le plus petit des printemps qui rebourgeonne sa glu blanchâtre au terme de sa branche." (P. Q., Ibid., p. 96) |
Lundi
26 juillet 2004. L'imitation des animaux pourchassés. Journée de courrier et de corrections de partiels. Peu d'entrain (le train, c'est pour demain). Paradoxe médiatique : j'ai entendu dix fois que la victoire de Lance Armstrong était méritée mais que les Français ne l'appréciaient pas beaucoup (et quelques raisons à cela, toutes fumeuses). Je n'ai entendu qu'une fois, et presque incidemment, qu'il avait créé une fondation de lutte contre le cancer. Faudrait creuser ça au lieu de répéter toujours la même chose... Différence en fait entre l'information considérée comme une surface (extensible par l'arrivée de nouveaux événements mais quasiment sans passé) et l'information considérée comme un volume (avec une surface récente et une profondeur de passé) ; d'où deux métiers de journaliste. Le problème de l'info-surface dominante, c'est qu'on risque toujours de rater quelque chose qui nous concerne. Et de s'en rendre compte par un hasard dans l'info-volume. Ainsi, je n'ai appris qu'aujourd'hui la mort d'Hubert Selby Jr, le 26 avril dernier, en lisant le dernier numéro d'Art Press ! Ne suis sorti qu'un petit moment, dans l'après-midi, pour faire des courses et un tour à l'Institut franco-japonais (où j'ai lu Art Press). Ai quand même rencontré quelques collègues, ça fait plaisir (alors que je ne voulais voir personne). Et quelqu'un que je ne connaissais pas, qui fait une thèse de philo sur le geste ; j'ai demandé dans quel sens ; dans le sens où le langage est un geste et non le geste un langage. Mérite approfondissement. Un autre jour, sans doute. Voilà comment on se retrouve dans le JLR du premier coup sans rien avoir demandé... Vision radicale de Quignard : "Une espèce d'empire social et violent, technique, de grande amplitude, de longue durée, bavard, plein de déchets et de ruines, né de l'imitation des animaux pourchassés et de l'observation puis de la mise à contribution des phénomènes de la nature, s'est substituée peu à peu au règne biologique, erratique, de petite amplitude, immédiat, presque autonettoyant des espèces végétales et animales sur la terre." (P. Q., Ibid., p. 102) Expression forte, tendue, bien rythmée. Chaque mot peut être glosé et ouvrir la discussion. C'est un aspect de Quignard que j'aime beaucoup, celui que j'appellerai lumineux. Je me vois jour après jour aux prises avec une oeuvre imposante à laquelle je me confronte. Accords, désaccords, engouements, rejets, confiance, méfiance se succèdent dans une intimité de lecture qui n'est pas troublée par cette exposition littéréticulaire. L'habitude du GRAAL de discuter des oeuvres récentes, vivantes n'y est pas pour rien. Sauf que là, je suis tout seul, ils sont tous partis, excepté Manu (merci à toi) qui a commenté l'autre jour... J'ai
commencé ma quête. A quand mon entrée
dans le GRAAL ?
2004-07-27 03:50:35 de Manu |
Mardi
27 juillet 2004. Des titans se sont mesurés. Shinkansen, donc, ce matin, en écoutant l'excellente lecture-concert à deux voix de Dis pas ça ! de Lydie Salvayre (textes) et Serge Teyssot-Gay (musique), jouée au Festival d'Avignon et diffusée jeudi dernier dans Surpris par la nuit (France Culture, of course ; à écouter ici jusqu'à jeudi, à moins que ça reste sur le site... sinon, je peux faire des copies...). Les autres lectures de la semaine (dans la même émission), c'était moyen-moyen, ça dépend de l'humeur... Mais ça ! C'est toute l'acuité de Salvayre, juste, aiguë, comique ou tendre parfois, enveloppée et multipliée par la sauvagerie maîtrisée des guitares et des percussions, tantôt rock façon Velvet ou Led Zep, tantôt jungle alourdie. Des titans se sont mesurés ! Abordant divers sujets du consensus mou (inceste, télé, précarité, sécurité, etc.) sur le mode du projet de vie, Lydie Salvayre détourne des discours sociaux, à l'instar de Jean-Charles Massera ou d'Yves Pagès, pour en montrer le creux, l'absurde, l'ignoble. Les dix chapitres sont scandés par le "dis pas ça" de la bien-pensance et servis par le rock revenu à son essence inflammable : la rebellion, la contestation. Deux examens à faire passer dans l'après-midi. Suivis d'une petite glace avec David. Puis... Mémorable séance de ping-pong. Avec mon collègue du bureau voisin tout d'abord, puis deux autres collègues de la fac, joueurs réguliers que l'on a déjà vus à l'oeuvre. Échauffements bien balancés, services de cultures variées, jeu de près et jeu de loin alternent. Smashs et amorties. On a laché tous les coups et largement mouillé les maillots. Beaucoup d'étonnements réciproques. Il n'y a pas de mots... Deux heures ! Des titans se sont mesurés. Là, j'écris ça, et je file dans le bain et faire du stretching ! 23h. Après le bain, le dîner et quelques corrections de copies, je suis quelque peu courbaturé et je ne vois que le lit pour faire passer ça. Donc pas de Quignard ce soir, ça nous fera des vacances... |
Mercredi
28 juillet 2004. Étonnements (encore, à mon
âge...). Plusieurs sujets d'étonnement, donc, aujourd'hui. Littéréticulaire, en priorité. J'ai reçu une réponse de Nathalie Constans, m'autorisant à parler de notre échange épistolaire. Oh, rien de scabreux ! Il se trouve que j'ai défendu son livre, Malach-ha-mawis (L'ange de la mort), lorsque j'étais membre du jury du premier Prix de la Petite Édition organisé par Zazieweb, en 2003. Ça le méritait et ça le mérite toujours (voir texte et liens, ci dessous). Bon, et puis depuis, plus rien. Normal, en fait. Par ailleurs et sans rapport, ayant installé mon journal chez U-blog, j'ai visité d'autres blogs et en ai sélectionné un petit nombre que j'ai mis en lien dans ma colonne de gauche, dont celui de Bartlebooth, qui m'a paru intéressant et créatif comme peu le sont. Et Bartlebooth, que je ne connais pas plus que ça, a fait de même dans sa colonne de droite (chez lui, c'est à droite qu'on trouve les liens), après m'avoir honoré de quelques commentaires, notamment au sujet de Barnabooth et de Larbaud. Vous suivez ? Bon. Nathalie Constans parcourant les pages de Bartlebooth, qui se trouve être de ses amis dans la vie réelle, a ainsi retrouvé ma trace, lu quelques pages de mon journal et m'a envoyé un courriel pour me faire part de son agréable étonnement, ce dont j'ai été flatté et étonné à mon tour... Voilà, donc, ce qui se tisse sur le réseau, au quotidien, sur fond de littérature, entre des individus. "Sujet : Antigone... à la chinoise Date : 13/01/2003 12:04 De : BerlolRéticulaire, mais sans le littéraire. Quoique... L'évolution technologique est source d'étonnement, on le sait. D'effarement même. L'introduction en bourse de Google, cette semaine, attire tellement d'argent et génère déjà tellement de profits — on parle en millions de dollars — qu'il est difficile de se souvenir qu'il s'agit du bidouillage informatique de deux étudiants ayant imaginé il y a 6 ans (seulement) que l'on pouvait indexer le web d'une autre manière que ce que faisaient alors Alta Vista ou d'autres... Il y a quelques jours, j'avais vu une publicité à la télé japonaise. Quelqu'un visait un graphisme gris-noir abstrait, dans le coin d'une affiche de pub, avec l'écran photo de son téléphone portable... et se trouvait ensuite connecté à une promo ! J'ai eu plus de détails ce matin dans un journal télé : il s'agit d'une nouvelle technologie nommée QR kôdo (QRコード), élaborée à partir du code-barre, lisible par un certain nombre d'appareils téléphoniques, et permettant de stocker beaucoup plus d'informations que le code-barre. Pour un usage pertinent sur une affiche, il faut que le code QR se transforme automatiquement sur l'écran du téléphone portable en proposition d'information ou de promotion ciblée, ce qui n'est pas lisible par tous sur l'affiche — ainsi l'utilisateur pourra avoir la sensation d'être un privilégié, un élu, alors que les autres ne voient qu'un graphe sans intérêt... En français, on l'appelle le code-barre matriciel ; il existe depuis pas mal de temps mais n'a encore jamais pu être utilisé à des fins publicitaires à destination du grand public puisque les téléphones portables avec appareil photo viennent seulement d'apparaître dans l'Hexagone... Pour voir où en est le Japon, lisez ceci (en français), ça décoiffe ! Bien sûr, rien ne m'empêche d'imaginer un catalogue d'éditeur où un seul carré de code QR contiendrait les Chants de Maldoror ou le dernier François Bon, directement téléchargé et payé quand je le photographierais avec mon téléphone portable... Ethnologique. L'aporie de la crêche. Revenons sur Terre. Dans le quotidien. David racontait cela à midi : il met sa fille à la crêche parce que lui et son épouse travaillent. Ça semble normal, a priori. Mais la crêche génère des obligations telles que les parents doivent tout de même y consacrer beaucoup de temps : couches en tissu à nettoyer chaque soir (oui, vous avez bien lu, par hygiène et mesure de protection de l'environnement, cette crêche exige les couches en tissu !), réunions ordinaires et extraordinaires plusieurs fois par mois et diverses autres contraintes... Au point que l'idéal, selon le règlement de cette crêche, serait que la mère ne travaille pas, incitation reprise à différents niveaux de la société japonaise et qui tient presque du harcèlement moral. Nous, on se dit que si elle ne travaille pas, elle n'a pas besoin de la crêche. Surtout que c'est pas donné, ces crêches-là... Bref, David commentera, si ça lui chante (ou s'il en trouve le temps). Végétal enfin. L'autre jour, inspiré par un beau soleil matinal, j'ai planté dans un vieux reste de terre et de compost les pépins d'un trognon de pomme que j'allais mettre à la poubelle. Et cinq ou six semaines après, j'ai un truc de quarante centimètres de haut, auquel j'ai déjà coupé les feuilles basses et qui est en train de me préparer une floraison. Là, l'étonnement se transforme en question : est-ce que c'est un pommier ? Si un lecteur a quelques connaissances dans ce domaine, qu'il me dise si cette photo est celle d'un plant de pommier. Ou quoi, sinon ?... De toute façon, quoi que ce soit, on peut toujours continuer l'expérience. C'est un peu comme avec un texte : c'est sorti on ne sait d'où, ça pousse on ne sait comment, et le résultat étonne parfois. Surtout l'auteur. Bien sûr,
crèche=contraintes supplémentaires!
Notre crèche, c'est pareil, et je crois qu'elles le sont toutes. Lessive tous les jours: 2-3 ensembles de vêtements, bavoirs, serviettes, couches... (au fait, les couches lavables sont en deux parties : notre crèche s’occupe de laver le tissu interne et les parents, la « couverture » qui le maintient en place) Au début, il a fallu préparer tout un tas de trucs: draps à la bonne taille, bavoirs aux normes, serviettes, couvertures de couches, le tout, ainsi que les vêtements, dûment étiqueté (à faire aussi à chaque nouvel achat)... et j'en oublie. C. a même mis sa mère à contribution à distance ! Pas tant de réunions que cela pour nous, mais bientôt des événements à préparer entre parents (fête sportive, bazar, fête de Noël, fête de séparation en fin d’année « scolaire » (owakarekai)). Concernant les couches lavables, la raison principale d’en utiliser, je crois, c'est le coût. Si les crèches optaient pour des couches en papier, l'adition en fin de mois serait encore plus salée ! D’ailleurs, on a fait les comptes, la crèche est chère certes, mais l’un dans l’autre, ils doivent tout juste s’en sortir financièrement (salaires, charges, repas, infrastructures, loyer…). Hugo passe quand même plus de temps éveillé à la crèche qu’à la maison ! Ils s’occupent bien de lui, lui font faire des choses qu’on ne pourrait pas lui faire faire dans notre appartement, fournissent, en incluant le très élaboré goûter, 2 repas par jour (c’est toujours ça de moins à cuisiner…) Voilà, bref, un avis mitigé ! 2004-07-29 09:27:51 de Manu |
Jeudi
29 juillet 2004. Ça nous l'a troué grave... Dans cette journée qui semblait devoir être d'une banalité affligeante (à pas pouvoir bloguer !), il nous est finalement arrivé une chose extraordinaire, à David et à moi. On avait passé la matinée à corriger des copies, chacun dans son bureau, attendant vaguement un typhon que la météo nous promet toujours avec deux jours d'avance. On était allé déjeuner chez Downey — j'ai mis un lien vendredi dernier — et c'était bon. Et puis en revenant on a rencontré cette collègue... De notre université, mais d'une faculté dont on ne peut même pas comprendre le nom. On se croise de temps en temps, sourire, deux trois mots, et c'est tout. Mais plus sympa, plus ouverte que bien d'autres. Aujourd'hui, on a discuté un peu plus, presque une heure, en fait, et au passage on a essayé de cerner sa spécialité, ce qu'elle enseigne. C'est souvent très difficile de parler réellement avec des gens, je veux dire dire des choses qui viennent de sous la couche de politesse dont est faite la majeure partie des relations sociales, au Japon en particulier (dépasser le tatemae 建前, pour arriver au honne 本音, voir la citation de Jean Pinquié le 10 février). Ayant mixé des études médicales fondamentales (?) et de l'étude des religions, elle est maintenant dans la psychologie mâtinée de holistique, ce trou de science, truc intraduisible qui coule comme une sonnerie dans des têtes en quête de leur part manquante. Elle étudie (avec) une collection de bouteilles remplies d'huile et d'eau diversement colorées destinées à soigner par l'aura, selon les théories de Vicky Wall (voir Aura-Soma), et marie ces couleurs avec les dernières études sur Kûkaï (alias Kôbô Daïshi) et les preuves fantasmatiques d'un peuple japonais antérieur à la déesse Amaterasu (selon des documents secrets du sanctuaire d'Ise). Nous, on est un peu sceptiques, forcément. C'est des trucs pour LePotager, ça ! Plus tard, je me suis demandé si cette spécialité existait dans l'université française, histoire de comparer, mais je n'ai rien pu trouver... Étrange association d'idées : pendant que j'écrivais ça, il y avait L'Exorciste à la télé... "L'individu est comme la vague qui se soulève à la surface de l'eau. Elle ne peut s'en séparer tout à fait. Et elle retombe très vite dans la masse solidaire qui l'engloutit. Elle retombe toujours dans le mouvement irrésistible de la marée qui la porte. Mais pourquoi ne pas se soulever encore et encore et encore ?" (Pascal Quignard, Les Ombres errantes, p. 118). |
Vendredi
30 juillet 2004. Comment se faire des ami(e)s aux States... "PMB : — Alors, ce mot "gender"... qui cherche à s'imposer chez nous, ou plutôt qui cherche à s'introduire sous la peau du mot "genre", qu'est-ce que vous en pensez, comme sociologue et, je dirais, comme théoricienne des sciences de l'homme ? NH : — D'abord ce que je voudrais dire, c'est qu'il est aussi prépondérant aujourd'hui que son acception artistique et littéraire me paraît faible. C'est-à-dire que, dans la vie quotidienne, en matière de repérage des films, des tableaux, des oeuvres littéraires, etc., je pense que les gens s'orientent énormément à travers les catégories de genres : est-ce qu'on a affaire à du roman populaire, ou à telle ou telle catégorie de films. En revanche, ceux qui étudient la production artistique utilisent très très peu cette catégorisation. Moi, je suis très frappée, même, de la réaction indignée de mes collègues souvent, ou des spécialistes d'art et de littérature, lorsqu'on amène la pertinence de la catégorisation en genre. Et alors, par rapport à ça, on assiste aujourd'hui, de façon tout à fait contrastée, à une sorte de sur-utilisation d'une nouvelle acception du mot "genre" dans le domaine des études féminines, disons, qui est donc la traduction, quasi-littérale, du "gender" américain. PMB : — C'est un problème de traduction, déjà. Qu'est-ce que vous proposeriez ? NH : — Moi, je suis très contre cette utilisation du terme "genre" dans ce sens-là et j'ai remarqué que lorsqu'on traduit "gender" par "différence des sexes", ça marche très bien ; c'est exactement ce que ça veut dire. Donc, je propose "différence des sexes"... PMB : — Ça marche très bien, mais les féministes vont vous dire : oui, mais par "différence", vous allez nécessairement définir le féminin par opposition au masculin, or nous, ce n'est pas du tout notre problème, nous voulons une définition pleine, entière, autonome, suffisante du féminin, comme identité sexuelle à part entière. NH : — Oui, alors ça c'est une immense naïveté de croire qu'on peut définir une catégorie autrement que par opposition à d'autres catégories. Et, surtout en matière de catégorisation aussi fondamentale que la question des sexes, qu'on puisse définir le féminin sans faire référence au masculin et réciproquement, ça, ça me paraît d'une immense naïveté... PMB : — Et puis c'est... NH : — Mais ça montre bien que derrière cette importation d'un certain vocable, il y a des enjeux idéologiques très très forts. En français, vous l'avez souligné, il y a énormément d'acceptions pour le mot "genre"... Donc déjà il y a une polysémie absolument fondamentale qui n'aide pas à la clarté de la chose, mais il y a aussi le fait que, quand on parle de "genre", on fait notamment référence à ce qu'on appelle "le genre humain". Or le genre humain se définit justement par la suspension des différences, et notamment des différences de sexe pour mettre en avant ce qui est commun à tous les êtres qui appartiennent à ce genre-là. Or "gender", au sens de "différence des sexes", au contraire, insiste sur l'affirmation des spécificités liées au sexe. Alors, c'est quand même embêtant d'avoir dans la même langue le même mot pour dire deux choses absolument opposées. J'ai une autre raison de ne pas l'apprécier beaucoup, c'est que l'on a encore une autre acception de "genre" qui est très connue par tout le monde, parce qu'on l'apprend à l'école primaire, c'est le genre grammatical, masculin-féminin, ce qui est évidemment l'acception la plus proche de notre fameux "gender". Le problème, c'est qu'en pensant que tout nom renvoie à un genre, il y a derrière ça, l'idée que tout nom renvoie à un sexe. Et donc, cette assimilation du genre grammatical et du genre au sens de la différence des sexes repose sur ce qu'on appelle le cratylisme, c'est-à-dire l'idée que le langage devrait être simplement le reflet immédiat du réel. Donc cette idée que l'on rabattrait systématiquement le signe sur le référent et que, lorsqu'un auteur serait une femme, il faudrait forcément le marquer en disant "une auteure", par exemple. Et je ne comprends pas que des êtres qui sont quand même hautement diplômés et qui sont censés avoir pour métier l'intelligence continuent à véhiculer de telles naïvetés. PMB : — Ce que disent les "Cultural Studies", c'est que même dans la science, il y a l'impact du vieux patriarcat, de la domination, et c'est à l'intérieur même des concepts, des mots qui nous servent à penser que s'est logée cette domination. Chassons-la ! NH : — Oui, alors bizarrement, on la chasse non pas en essayant de suspendre la question de la différence des sexes pour la neutraliser dans les espaces et les contextes où elle doit être neutralisée, et notamment dans le travail scientifique, mais au contraire, les personnes qui militent pour cette systématisation de l'approche en termes de genre veulent réaffirmer cette différence des sexes Ce qui me paraît une stratégie totalement absurde si on veut effacer les effets d'une domination masculine traditionnelle. Je suis bien d'accord que là, je défends la position qu'on appelle universaliste par rapport aux positions différentialistes. Mais la plupart du temps, l'utilisation systématique du terme "gender" et l'insistance sur la problématique du "gender" est quand même fortement portée par une position différentialiste en matière de féminisme. PMB : — Sur le fond, pour vous, la différence des sexes, si ce n'est pas culturel, c'est biologique ? si c'est biologique, c'est... NH : — La plupart des éléments de notre vie humaine sont des mélanges, assez difficiles à distinguer, entre une part de biologique, de naturel, etc., et une part de social, de culturel, etc. Alors bon, on peut passer son temps à démêler les deux et à voir ce qui relève du biologique et ce qui relève du social. Pour ma part, je pense que si on y passe autant de temps, c'est parce que derrière, là encore, il y a des enjeux idéologiques qui consisteraient à penser que si les choses sont simplement sociales, et non pas naturelles, disons, alors elles seraient plus faciles à bouger. Ce qui est une contre-vérité absolue puisque la vie humaine est faite avant tout de socialisation et que rien n'est plus difficile et long à bouger que les moeurs, les conventions, les institutions, etc. On le voit très bien dans le cas actuel de la procréation médicalement assistée : en quelques années, on a vu se révolutionner de façon fondamentale les règles de la procréation, qui sont quand même des règles biologiques. Donc ça, ça a pu bouger sans aucun problème, et ce qui demeure extrêmement problématique, ce sont les règles sociales de la procréation et de l'engendrement avec tous les débats sur l'adoption... PMB : — et le clonage... NH : — et le clonage... Bon, ce n'est pas parce que c'est conventionnel que c'est fragile, au contraire : c'est parce que c'est conventionnel que c'est extrêmement puissant. Et donc, du coup, il me semble que le problème dans "genre", c'est que ça fait soigneusement l'économie du mot "sexe", hein ! Que je propose, moi, de réintroduire dans le terme "différence des sexes". C'est-à-dire qu'il y a derrière cette toute-puissance du terme "genre" un déni de la dimension sexuelle de la différence des sexes. D'ailleurs, je pense que c'est une des raisons du succès de la problématique du "gender" aux États-Unis, c'est qu'il n'y a pas le mot "sexe". C'est tout à fait "sexuellement correct". C'est pour ça que je veux réaffirmer cette dimension de sexualité et réaffirmer par là-même que cette différence des sexes n'est pas seulement une question de rapport de forces ou de domination, mais que c'est aussi un rapport de désir et d'amour entre les sexes. Et je trouve pour cela que c'est beaucoup plus intéressant de réintroduire le mot sexe plutôt que de s'en tenir au genre..." (Extrait de l'émission Lexique de l'actuel, proposée sur France Culture par Pierre-Marc de Biasi (PMB) le 29 juillet 2004, avec Nathalie Heinich (NH) ; sujet du jour : "genre - gender"). Voilà. Il y avait ça de très important à faire savoir. Je parlerai de moi demain... J'aimerais
un jour rencontrer un(e) sociologue qui ne soit pas étroit
d'esprit. La seule
que j'ai rencontré en ce jour m'a "traumatisée" :
elle nous enseignait donc
la socio (très intéressant, au demeurant), mais
le seul problème est qu'elle
ne nous faisait étudier qu'un seul avis des choses : comment
donc pouvoir
voir quoique ce soit d'objectif, alors que cette science
prétend l'être ???
Paradoxal, n'est-il pas...
2004-07-30 17:01:47 de Panthère Y a francoise dolto ^^ 2004-07-30 17:05:22 de ousta Bah, faut pas désespérer, après une seule expérience !... Nathalie Heinich est très bien... 2004-07-30 17:05:55 de Berlol Merci, Scribe, d'avoir tapé ce que j'ai pris la peine d'enregistrer ce matin pour mes archives. Après avoir écouté l'émission, il m'a semblé à moi aussi que ça méritait d'être conservé. 2004-07-30 18:28:38 de antithese-fle Merci d'avoir tapé tout ce texte depuis l'écoute radio ! Effectivement, cette intervention pose une fois de plus le problème du différencialisme dans les sciences humaines aux Etats-Unis, fédération très largement dominée par des courants de pensée culturalistes et, plus généralement, différencialistes, sous des formes différentes mais homologues, dans beaucoup de sciences humaines. À force de vouloir poser le "respect de la différence" comme tout puissant -- quelle que soit cette différence --, les Etats-Unis perdent leur esprit critique devant ce qu'il faut critiquer (au nom de la différence qui doit être respectée de façon absolue) et introduisent chez eux, et chez les autres, un neo-appartheid des plus vicieux. Ce n'était pourtant pas, il me semble, le but originel des Cultural Studies. Reconnaître la différence sans en faire un absolu c'est se conserver le droit de critiquer, c'est-à-dire se conserver le droit de considérer toutes les choses ou les personnes comme essentiellement égales. Je pense qu'on ne parle pas assez du concept d'Égalité, en ces temps de néo-libéralisme et de sacro-sainte différence. 2004-08-01 11:43:22 de Arnaud en ce qui concerne NH, elle est gentille ou alors c'est du foutage de gueule : autrement dit, soit elle n'a jamais lu Cixous qui a tout de même ouvert un "centre d'études féminines" (et non féministe... La nuance est importante) en 74 et qui porte maintenant le titre : "Analytiques des différences sexuelles". Soit elle la connait par coeur et là cela s'appelle du (mauvais) plagiat (mais, j'aurais tendance à parier pour la 2nde possibilité). Depuis le MLF, Cixous se bat pour "la D.S." comme elle l'appelle (ce qui permet les jeux de mot sur Déesse et le cryptage D.S. d'une différence ni substantielle, ni essentialiste, ni seulement culturelle. Pour Cixous (et Derrida bien sûr, c'est pourquoi - NH étant à l'Ecole des Hautes Etudes - il est suspect qu'elle ne connaisse ni l'un ni l'autre, puisqu'on ne peut en lire un sans qu'il (elle) renvoie à l'autre) la D.S. est "la passante", celle qui ne s'arrête jamais de passer de l'un à l'autre et de l'une à l'autre (il n'y a donc aucun renvoi possible à des positions réifiées). Quant au terme "gender", pour Cixous ce terme est une ineptie, vu le travail d'abattage que les américains font avec... Pourtant, à mon avis, il y a des choses à y prendre, Mais ce serait trop long. Pour plus d'éléments, voir : "Du Féminin", collectif sous la direction de Mireille Calle-Gruber, France/Canada, PUGrenoble/Le Griffon d'argile, 1992 (épuisé normalement, mais on en trouve tout un stock pour les parisiens chez Mona Lisait, rue Saint-Martin). "Lectures de la Différence Sexuelle", collectif sous la direction de Mara Negron, Paris, Des Femmes, 1994. (avec des textes très clairs de Derrida et Cixous sur leurs positions quant à cette question). Sinon, on peut aller voir aussi du côté de : "De quoi demain... Dialogue", Derrida/Roudinesco, Flammarion, Champs, 2003. Série d'entretiens où tout un chapitre est consacré à la question de la D.S. "Politiques de la Différence". Pour ceux qui ne se sentent pas la force d'aller voir du côté des ouvrages plus théoriques du philosophe. Côté Cixous, encore et enfin, voir les actes du colloque de Cerisy : "Hélène Cixous, croisées d'une oeuvre", Galilée, 2000. Enfin, pour répondre encore à NH sur la question de la féminisation des noms : il me semble avant de parler du "québéquisme" : "auteure", que certains mots ont bien un féminin en français : maître/maîtresse, mais que leur usage diffère sensiblement, non ?! pourquoi maîtresse serait-il bon pour "maîtresse d'école" et pas pour "maîtresse de conférence", par exemple ?? Sinon, parce que passé un certain seuil hiérarchique, c'est tout de même mieux vu d'avoir une paire de couilles pour avoir le job ?? Même si dans les faits beaucoup de femmes sont maîtresses de conférence (et on sait les difficultés qu'elles ont à obtenir des postes de professeures... NH devrait en savoir quelque chose !!). Par ailleurs, ce mot de maîtresse (pour continuer sur ce mot), on se doute que, dans "maîtresse de conférence", il doit faire doucement glousser les pontes universitaires bien ancrés dans leurs petits confort intellectuel "normativé", car qui dit maîtresse... dit... un autre sens... "Vous voyez ce que je veux dire !" (pousser son voisin du coude avec un clin d'oeil appuyé en prononçant cette phrase à voix haute !). Bizarrement, le "maîtresse d'école" n'implique aucune tendance grivoise : ben oui, là la femme est à sa place, elle s'occupe des enfants. Alors, il n'y a pas de grivoiserie possible... (si ça ce n'est pas renvoyer un mot de vocabulaire à une position patriarcale impliquant une vision essentialiste des sexes, je ne sais pas ce que c'est...). Et cela marche comme ça pour toute une série de mots où le féminin (à la base) ne renvoie pas de façon EQUIVALENTE à sa valeur masculine (sans parler de la réciproque). Autres exemples : un pelleteur/une pelleteuse. Un gazinier/une gazinière... De même, pour finir, si, effectivement, un nom commun ne renvoie pas nécessairement au sexe de la personne (donc à une vision essentialiste), pourquoi le féminin employé pour les hommes serait-il moins universel que le masculin employé pour les femmes (si l'on pousse la logique jusqu'au bout !!) ?? Sinon parce que c'est toujours une vision patriarcale qui régente le fonctionnement de ces règles grammaticales. Complément bibliographique : Pierre Bourdieu, "De la domination masculine", Paris, Points-Essais, 2002. Colette Guillaumin, "Anatomie du politique", Paris, Côté-femmes éd., 1991 (doute sur la date de publication). Luce Irigaray, "Parler n'est jamais neutre", Paris, Minuit, ?? Francine Muel-Dreyfus, "Vichy et l'éternel féminin", Paris, Seuil, 1996. 2004-08-05 12:42:31 de Olivier (OAM) |
Samedi
31
juillet 2004. Le Saint-Martin sera ouvert tout le mois d'août. Sensation de fin du mois. Dans la fournaise de 68, on croyait que le nouveau régime de Bagdad serait moderne. Croyances à distance ; distorsions médiatiques. Quelques années plus tard, on allait penser que la Chine nous montrait le chemin de la liberté... C'est dire. Jour studieux. Cette fois, c'est à Hiroshima qu'un typhon balaie tout. Un coup à gauche, un coup à droite. Le prochain coup, on sera en plein dans le mille... T. fait de la traduction, scotchée à son écran d'ordinateur, pendant que je travaille à un programme de colloque. Après le déjeuner au Saint-Martin (qui restera ouvert tout le mois d'août, je dis ça pour les amateurs), je vais à la médiathèque de l'Institut franco-japonais, histoire de me dégourdir les jambes. Renonçant à emprunter aujourd'hui les Progénitures de Guyotat (qui sera de passage au Japon dans quelques mois), je parcours les dernières acquisitions en BD et m'assied avec Pyongyang de Guy Delisle, que je lis d'un trait en une heure (j'aime bien m'attarder dans les planches). Un peu drôle et un peu documentaire, mais tout dans la retenue, le graphisme de même, c'est-à-dire apparemment simple mais quand même très construit, je suis séduit par cette fausse légèreté qui se passe totalement du rocambolesque, mais qui laisse comme un goût de pamphlet politique plusieurs heures après. Aux infos du soir, je vois quelques images d'un match de football opposant le Japon à la Jordanie et ça me rappelle un truc hallucinant que j'ai remarqué il y a deux jours et que j'ai oublié de consigner. Je m'en étais rappelé hier matin en lisant LePotager qui pestait contre le star-system puis, après avoir corrigé des copies, lu Quignard dans le shinkansen et m'être focalisé sur la discussion "genre - gender", je l'avais encore oublié... Voilà de quoi il s'agit : zappant sur la seconde mi-temps du Real Madrid contre JEF United, sans intérêt, j'allais changer de chaîne quand je me suis avisé que les trois ou quatre gros-plans que j'avais vu entre les phases de jeu étaient toujours sur des joueurs à maillot blanc, ceux de Madrid. Du coup, je suis resté pour observer ça. Et sur plus de trente minutes que j'ai suivies, il n'y a pas eu un seul gros-plan sur un joueur japonais ! Au point qu'on pouvait se demander s'il y en avait parmi les 22. Sauf que de temps en temps, un Japonais flou passait dans le champ qui cadrait net un joueur du Real. Comment interpréter cela ? Logiquement la télé d'un pays a plutôt tendance à montrer un peu plus, un peu trop même, ses joueurs nationaux. Et là, c'est le contraire. Et le hasard ne peut être invoqué puisque c'était systématique... Faut-il imaginer un accord commercial secret entre médias ? Entre médias et équipes ? Ou ne serait-ce qu'une forme hypermoderne de l'hospitalité ?... |
©Berlol, 2004