Littéréticulaire : adj. (de littéraire et réticulaire), propriété d'un texte où s'associent, aux valeurs traditionnelles et aux figures classiques du texte littéraire, les significations et effets de sens provoqués par les liens hypertextuels au sein d'un réseau (l'internet par exemple), qu'ils aient été voulus ou non par l'auteur. |
Pour tout commentaire,
on peut m'écrire à "berlol" chez "inter.net".
Jeudi 1er janvier
"Et, pour célébrer le premier jour de l'an, il l'embrassa sur le front." (Balzac, Eugénie Grandet). Dans l'après-midi, je me consacre à la confection des cartes de voeux. Matériel de calligraphie déballé, lente préparation de l'encre pour se concentrer, quelques feuilles d'entraînement pour styliser les caractères chinois classiques du singe, et c'est parti : une quarantaine de cartes postales que l'on met à sécher un peu partout. Selon son souhait, T. calligraphie la dizaine de cartes qui restent et met des tampons sur les 50. Après quoi, il restera à les adresser à qui l'on voudra... un autre jour. |
Vendredi 2 janvier
Avec A., notre voisin de palier, à Ikebukuro, pour chercher
une galette des rois. On fait toutes les pâtisseries de Tobu (Peltier,
Hédiard, Théobroma, Andersen, j'en passe et des meilleures),
pas l'ombre d'une galette. Passage à Yamaya pour une bouteille de
Volnay et une de Moët et Chandon, puis au sous-sol de Seibu : belles
galettes chez Lenôtre (1200 yens, pas cher !). Retour à la maison
et dîner. |
Samedi 3 janvier
Matin, plan de cours pour Colomba de Mérimée.
Tant de passages intéressants qu'il est difficile d'en isoler 10
pour les cours de l'Institut, qui commencent dans une semaine... RV devant Dalloyau, à Ginza, 12h30 pour retrouver T. et Kyoko
après les soldes chez Longchamp. On déjeune gentiment. On n'achète
pas la galette des
rois de Dalloyau, trop chère et sur laquelle ils ont mis des morceaux
de sucre rose ridicules et dans laquelle ils ont mis un parfum ou des morceaux
de fruits, enfin du n'importe quoi ! Là, franchement, je dis non !
|
Dimanche 4 janvier
Journée passée à rédiger Noël en pur Perth, à sauvegarder les programmes Tchekhov enregistrés sur France Culture (un beau cadeau), à envoyer des courriels avec un photo-montage en guise de carte de voeux et à rédiger un dossier technique pour le boulot. Ce soir, à la télévision japonaise (NHK3) et doublé en japonais, quatrième épisode des Misérables, série en 4 épisodes produite par TF1. Enfin Javert est mort... Se plaît à répéter la phrase d'un certain Baudelaire : "Javert m'apparaît comme l'Ennemi absolu". Or, renseignements pris, il apparaît que le Javert en cause, personnage d'un roman célèbre, n'est rien moins qu'un honnête policier dont l'unique délit est son zèle au devoir (sans commentaire !). (Lydie Salvayre, Passage à l'ennemie, Ed. du Seuil, 2003, p. 38). Pour le fainéant qui gère ce site,* je signale que
j'ai essayé pour ce journal des commandes comme "center", "tab" ou
"font color="#993300"", qui sont normales en HTML mais qui ne fonctionnent
pas ici. Donc je m'excuse auprès de mes nombreux lecteurs, mais on
ne peut pas avoir de texte centré ou coloré, ni d'indentation
en début de ligne à cause de cette indigence webizarre. Faudrait
peut-être que j'aille tenir mon journal ailleurs... drainant tous mes
lecteurs hors de ce site... ça, ça va faire réfléchir
mon Schwarzy ! ________________________________ |
Lundi 5 janvier
Enfin, les banques rouvrent – elles étaient fermées
depuis notre retour d'Australie – et je peux aller retirer du pognon. Car
on a une vie matérielle et des dépenses régulières.
Et ce n'est pas nouveau, si j'en crois le centenaire littéraire
que nous propose aujourd'hui Michel Bernard : "Il n'y a rien qui donne de
l'assurance, et je dirais presque de l'esprit, et l'aplomb de ses propres
idées, comme mille francs dans sa poche et à soi." (Paul Léautaud)
Un peu plus tard encore, je finis de rédiger le journal du 26 décembre et je le rends public. |
Mardi 6 janvier
Ai pas mal parlé d'aujourd'hui dans la rédaction du 27 décembre dernier. Ce matin, alors que je reprenais mes leçons de japonais, un copain m'envoie un mail avec l'adresse de ça : désopilant ! Du loufoque, mais qui cache du vrai... Incroyable ! Il y a 500 ans : |
Mercredi 7 janvier
Pendant que je pédale pour transpirer, au centre XAX, je
lis ceci : Elle me dit qu'elle est chercheuse d'or. Elle collecte la poussière
d'or des dentistes ; elle travaille pour le compte d'un type un peu louche
qui revend l'or à elle ne sait pas qui. Elle se promène en
France, dans le Sud surtout, elle sillonne la Provence en voiture de location
: étrange existence en dérive. [...] Dans la voiture, elle écoute
de la littérature, des kilomètres de littérature, dit-elle.
Elle a une mallette pleine de cassettes, un vrai magot de phrases enregistrées
: des voix d'acteurs, Trintignant lisant Proust ("J'ai écouté
la Recherche entièrement, de la première à la
dernière phrase en sinuant dans les Alpes"), Lonsdale lisant Beckett,
Huppert lisant Sarraute. C'est ce que dit la Mara de Yannick Haenel (Évoluer
parmi les avalanches, Gallimard, coll. L'Infini, 2003, p. 64). Elle ajoute
bretonesquement : "chercher de l'or, c'est aussi ne rien faire". Ça
me fait vraiment plaisir qu'on parle d'écouter de la littérature.
C'est aussi ce que je fais dans les transports en commun, dans les shinkansens
ou les avions. Je me souviens d'un voyage Tokyo-Paris l'an dernier en écoutant
les entretiens de Robbe-Grillet sur France-Culture, en août je crois,
je les avais enregistrés par internet avec Total Recorder et les écoutais
sur le premier modèle d'I-River,
jamais ces onze heures ne m'avaient paru aussi courtes ! Cela fait plus
de cinq ans maintenant que j'écoute de la littérature, des
lectures, des entretiens, des débats, des conférences. Mais
j'en entends si peu parler ailleurs ; c'est comme si en écouter était
moins bien que de lire de la littérature. Il y a un snobisme/terrorisme
de ceux qui ne jurent que par la Trinité fauteuil-livre-crayon. Si
je dis que j'écoute au lieu de lire, il y a une moue de l'autre, dénigrement,
puis sourire d'amusement hautain, condescendant de celui qui se sait supérieur.
Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui voient d'un mauvais oeil
qu'un "intellectuel" aille dans un centre de sport pour entretenir son corps,
transpirer gros en destressant, soulever des poids en soufflant ; ils ont
collé une fois pour toutes une image de nazi sur toute personne qui
veut éviter de se laisser décrépir comme eux... Oui, tiens, au fait, mes lecteurs, là, vous pourriez poster quelques commentaires de temps en temps. Dire ce que vous pensez de mes vannes niaises, des liens que je mets dans le texte, de la barre "veille-lendemain" que j'ai bidouillée ci-dessus pendant que l'autre fainéant de gestionnaire de site ne fait que répondre à côté de mes questions... |
Jeudi 8 janvier
Moi qui adore le mimosa depuis toujours et qui viens par ailleurs
de découvrir l'Australie, j'apprends aujourd'hui sur France Info
qu'il en est originaire
! qu'il n'était en France que depuis
moins de deux siècles ! Faudrait que je me fasse la Route
du mimosa, un de ces quatre. Des fois, on en voit à Tokyo,
ou un truc qui y ressemble, mais qui n'a aucune odeur. C'est chaque fois
la même déception. Par contre, les poussins d'or, là, je vous l'avoue, vous m'avez touché, Monsieur Ponge !... |
Samedi 10 janvier
Le froid devient plus piquant, mais toujours avec du soleil. On peut s'habiller comme on veut. À l'Institut franco-japonais, j'ai tout de même une
dizaine d'étudiants pour démarrer Colomba dès
9h30. Comme un acteur qui n'est pas tout à fait prêt pour la
générale, mon texte sort un peu dans le désordre, puis
j'essaie de revenir à plus de méthode dans l'approche du texte,
tout en ajoutant des digressions pour que l'on se figure l'époque,
les relations Mérimée-Stendhal, la nouveauté du tourisme.
À Marseille, il y avait déjà l'hôtel Beauvau,
mais pas encore de bateaux à vapeur pour faire la liaison régulière
avec la Corse. Mais bon, je ne vais pas le refaire ici... Si ça vous
intéresse, les inscriptions
sont encore ouvertes ! Mes cogitations d'hier m'ont fait souvenir que j'avais déjà
un peu abordé le sujet du statut de ce journal. Je revois quelques
entrées et je trouve que c'est en date du 20
décembre... Avec T. et un couple d'amis français, elle Beaux-arts et Archi, lui crash-tester, on a déjeuné au Saint-Martin. Eux aussi sont heureux de trouver à Tokyo, à deux pas de l'Institut, cette cuisine simple et efficace de petite brasserie française. Notre petit ornithorynque de 7cm fait fureur (une miniature en plastique achetée à Perth). Il va même tremper son bec dans mon verre de bordeaux... C'est dire l'ambiance ! Après la sieste... j'écoute la dernière émission d'À Voix nue avec Serge Doubrovsky. Même si mon projet n'est pas le sien et si ce journal réticulaire n'a (presque) rien d'intime, il y a quand même à se référer à lui ! Comme ça peut aussi intéresser mes collègues, j'envoie un petit message à la liste Litor. Première aporie : |
Dimanche 11 janvier
Comme un imbécile, j'ai écrit hier "première aporie". Maintenant, va falloir que j'en trouve d'autres... (heureusement, je n'ai pas dit quand...) Ping-pong, ce matin. On n'a pas eu notre table habituelle, déjà occupée. Du coup, j'étais gêné dans mes mouvements par la présence de murs plus proches que ceux de "notre" table. Manu était désolé de mes scores. Même nos piques récurrentes sur la nullité de nos voisins ou sur les poses érotiques que les mouvements pingpongesques des filles offrent à nos libidineuses pulsions étaient émoussées (déjà avec Bikun, on aimait bien regarder les filles et commenter grassement ; pulsion scopique partagée, plus pour l'amitié que pour tromper nos belles). Après une heure à jouer petit-bras malgré mes rubbers Butterfly, on plie bagages sans même avoir transpiré ! Le soir, T. veut manger de l'anguille grillée (unagi ga tabetaï, dit-elle) – parce que ça réchauffe. On retourne au restaurant, en bas de Kagurazaka, où l'on était allés le dernier soir avec Olivier Rolin (en juin dernier – là, ce n'était pas pour se réchauffer mais parce qu'ici il n'y avait que ça de typiquement japonais et ouvert le dimanche soir). C'est toujours aussi bon. Le patron ne semble pas se rappeler de nous... il avait offert à Olivier Rolin un petit tableau composé de papiers multicolores découpés et collés représentant une femme en kimono. Ça me fait penser que des filles en kimono, on pourra en voir tant qu'on voudra demain ! |
Lundi 12 janvier
Jour férié. Fête des vingt ans. La majorité : voter, fumer, boire. Toutes celles et tous ceux qui ont vingt ans dans l'année sont censés participer à des cérémonies en habits traditionnels, généralement dans leurs établissements scolaires, universitaires ou municipaux. Comme il fait bien froid, les kimonos rivalisent de couleurs joyeuses (voir les excellentes photos de Bikun en 2002) et sont rehaussés de cols de fourrure, de manchons. Certaines descendent de limousines louées pour l'occasion, en s'empêtrant les pieds par manque d'habitude (c'est parfois la première fois qu'elles mettent un kimono, "mettre" étant ici l'ellipse de deux ou trois heures d'efforts : coiffure, maquillage, noeud de ceinture, etc.). De leur côté, les garçons, qui peuvent maintenant fumer et boire en public, s'habillent en cadres moyens, en petites frappes, en "hostos", et rivalisent de vulgarité... Pour nous, c'est repos. Sont loin, nos vingt ans... |
Mardi 13 janvier
La nature réticulaire du journal réticulaire,
qui est d'être à la fois hypermédia, instantané
et réactif, produit un effet logique chez son auteur : il souhaiterait
compulsivement savoir combien sont ses lecteurs et il attend impatiemment
leurs réactions en ligne. Au point de souhaiter l'implémentation
d'un compteur de passages. Au point de les provoquer verbalement pour qu'ils
se manifestent. Il y a donc un risque d'addiction. Mais aussi un risque de
dérive générique car le propre du littéraire (puisque
l'on veut que le journal réticulaire soit littéraire) est d'exprimer
prioritairement par soi ce qui vient de soi, quand bien même il s'agit
du rapport à l'autre, au monde. Seconde aporie : Ce soir, suis allé écouter Emmanuel Todd à
l'Institut franco-japonais. J'en reviens. Beaucoup de monde. Propos très
intéressants (surtout pour ceux qui n'auraient pas lu "Aprèsl'empire",
ce qui n'est pas mon cas) et personnalité très agréable,
malgré les flatteurs qui l'entourent et pour lesquels il est complaisant
avec humour. Mais, comme disait, Vauvenargues, "si les hommes ne se flattaient
pas les uns les autres, il n'y aurait guère de société".
Ajouté le lendemain : |
Jeudi 15 janvier
M'est arrivé un vache de truc, hier soir ! (Et je ne dis
pas ça pour faire plaisir à Pinklady,
que je salue-t-au passage ! et qui, j'espère, continuera...). J'avais
déjà bouclé ce journal et j'ai allumé le chauffage
dans ma chambre. Je finissais de me laver les dents quand les plombs ont
sauté. Plus de son, plus de lumière et... plus de chaleur !
Bon, ça m'est déjà arrivé... je me dirige vers
le panneau électrique, dans l'entrée... dans le noir, j'essaie
de trouver le levier du compteur... l'ayant, je le relève... et là...
rien ! Je le refais deux ou trois fois : rien, rien, rien... Ce midi, suis allé au resto avec David et Alex. Il m'ont
parlé de jeunes profs qu'ils connaissent ici. L'un d'eux est au Japon
depuis quelques mois, en stage de formation, si j'ai bien compris. S'est
acheté une voiture de sport, a été arrêté
sur l'autoroute 100km/h au-dessus de la vitesse autorisée, permis
retiré, procès, peine de prison avec sursis, s'est fait voler
sa voiture et, son permis récupéré, a racheté
la même voiture parce qu'il avait déjà les pneus-neige
spéciaux, veut maintenant la revendre, etc., etc. |
Vendredi 16 janvier
Ce matin, un peu de navigation, magnifiques Seigneurs ! Dans L'album universel du 16 janvier 1904, j'admire la mise en page : aux rivières ajourées et à la triple jupe des belles de l'époque répond la recette des harengs frais sauce moutarde dont on n'a malheureusement pas le détail sur cette photo... Il y a 200 ans, c'était nettement moins drôle, si l'on
en croit la comtesse
de Boigne : "Nous savions qu’on préparait en France un bouleversement
et que Pichegru avait été placé à la tête
du complot... L’assassinat pour raisons politiques se présentait alors
à tous les esprits comme de droit naturel... Pichegru se conduisait
avec prudence et adresse. Ce n’est pas de sa part que venaient les indiscrétions.
Malheureusement Messieurs de Polignac agirent différemment. Ils firent
cent visites d’adieux, prirent congé de tout le monde, en se chargeant
de commissions pour Paris... Armand était aussi bête que Jules
était sot..." C'est justement ce 16 janvier que, pour augmenter les
chances de réussite du complot, Pitt et Artois envoyèrent
en renfort le général Pichegru, le
marquis de Rivière et les frères Armand et Jules de Polignac
à la tête d’une trentaine d’émigrés choisis pour
leur habileté et leur dévouement au roi. De la tricentenaire note de Puisieux relative à la frontière du canton de Vaud, je ne retiendrai que l'adresse servie à mon lecteur ci-dessus. Moi aussi, je vais redessiner mon emploi du temps et écrire aux autorités du Château en les appelant "Magnifiques Seigneurs !". Important ce jour. En fond d'écran de son téléphone portable, T. a mis une photo de Johnny Depp qu'une amie lui a envoyée. De plus, ce soir, elle a fait un misoshiru au watarigani (traduction : soupe à la purée de soja fermenté et au crabe très bon mais qui pue). Voilà ce que les historiens du siècle prochain auront à se mettre sous la dent ! |
Samedi 17 janvier
Aujourd'hui, je donne la parole à celui que je viens de lire et qui exprime une des choses les plus sensées de notre époque (l'audience de mon journal étant bien supérieure à celle du Monde...). J'ajoute que j'ai moi-même récemment été empêché par T. d'aller participer à un colloque aux États-Unis pour des raisons du même ordre que celles que vous allez lire ci-dessous. Allez, vas-y Giorgio ! Voir ci-dessous, le lien vers l'article paru dans le Monde. LE MONDE | 10.01.04
Les journaux ne laissent aucun doute : qui voudra désormais se
rendre aux Etats-Unis avec un visa sera fiché et devra laisser ses
empreintes digitales en entrant dans le pays. Personnellement, je n'ai aucune
intention de me soumettre à de telles procédures, et c'est
pourquoi j'ai annulé sans attendre le cours que je devais faire en
mars à l'université de New York.
Je voudrais expliquer ici la raison de ce refus, c'est-à-dire pourquoi, malgré la sympathie qui me lie depuis de nombreuses années à mes collègues américains ainsi qu'à leurs étudiants, je considère que cette décision est à la fois nécessaire et sans appel et combien je tiendrais à ce qu'elle soit partagée par d'autres intellectuels et d'autres enseignants européens. Il ne s'agit pas seulement d'une réaction épidermique face à une procédure qui a longtemps été imposée à des criminels et à des accusés politiques. S'il ne s'agissait que de cela, nous pourrions bien sûr accepter moralement de partager, par solidarité, les conditions humiliantes auxquelles sont soumis aujourd'hui tant d'êtres humains. L'essentiel n'est pas là. Le problème excède les limites de la sensibilité personnelle et concerne tout simplement le statut juridico-politique (il serait peut-être plus simple de dire biopolitique) des citoyens dans les Etats prétendus démocratiques où nous vivons. On essaie, depuis quelques années, de nous convaincre d'accepter comme les dimensions humaines et normales de notre existence des pratiques de contrôle qui avaient toujours été considérées comme exceptionnelles et proprement inhumaines. Nul n'ignore ainsi que le contrôle exercé par l'Etat sur les individus à travers l'usage de dispositifs électroniques, comme les cartes de crédit ou les téléphones portables, a atteint des limites naguère insoupçonnables. On ne saurait pourtant dépasser certains seuils dans le contrôle et dans la manipulation des corps sans pénétrer dans une nouvelle ère biopolitique, sans franchir un pas de plus dans ce que Michel Foucault appelait une animalisation progressive de l'homme mise en œuvre à travers les techniques les plus sophistiquées. Le fichage électronique des empreintes digitales et de la rétine, le tatouage sous-cutané ainsi que d'autres pratiques du même genre sont des éléments qui contribuent à définir ce seuil. Les raisons de sécurité qui sont invoquées pour les justifier ne doivent pas nous impressionner : elles ne font rien à l'affaire. L'histoire nous apprend combien les pratiques qui ont d'abord été réservées aux étrangers se trouvent ensuite appliquées à l'ensemble des citoyens. Ce qui est en jeu ici n'est rien de moins que la nouvelle relation biopolitique "normale" entre les citoyens et l'Etat. Cette relation n'a plus rien à voir avec la participation libre et active à la sphère publique, mais concerne l'inscription et le fichage de l'élément le plus privé et le plus incommunicable de la subjectivité : je veux parler de la vie biologique des corps. Aux dispositifs médiatiques qui contrôlent et manipulent la parole publique correspondent donc les dispositifs technologiques qui inscrivent et identifient la vie nue : entre ces deux extrêmes d'une parole sans corps et d'un corps sans parole, l'espace de ce que nous appelions autrefois la politique est toujours plus réduit et plus exigu. Ainsi, en appliquant au citoyen, ou plutôt à l'être humain comme tel, les techniques et les dispositifs qu'ils avaient inventés pour les classes dangereuses, les Etats, qui devraient constituer le lieu même de la vie politique, ont fait de lui le suspect par excellence, au point que c'est l'humanité elle-même qui est devenue la classe dangereuse. Il y a quelques années, j'avais écrit que le paradigme politique de l'Occident n'était plus la cité, mais le camp de concentration, et que nous étions passés d'Athènes à Auschwitz. Il s'agissait évidemment d'une thèse philosophique, et non pas d'un récit historique, car on ne saurait confondre des phénomènes qu'il convient au contraire de distinguer. Je voudrais suggérer que le tatouage était sans doute apparu à Auschwitz comme la manière la plus normale et la plus économique de régler l'inscription et l'enregistrement des déportés dans les camps de concentration. Le tatouage biopolitique que nous imposent maintenant les Etats-Unis pour pénétrer sur leur territoire pourrait bien être le signe avant-coureur de ce que l'on nous demandera plus tard d'accepter comme l'inscription normale de l'identité du bon citoyen dans les mécanismes et les engrenages de l'Etat. C'est pourquoi il faut s'y opposer. Traduit de l'italien par Martin Rueff Giorgio Agamben est philosophe, professeur à l'université de Venise et à l'université de New York. |
Dimanche 18 janvier
Inadmissible ! Sinon aujourd'hui, rien de spécial. Dimanche à buller
avec des copains, écouter de la musique (quelques disques récents
de Muslimgauze, si, si
!) et le soir, malgré le froid, aller dîner à Shibuya,
entre Spain-dori et Tokyu Hands, dans un resto abusivement français
mais bon tout de même, avec service très soigné : Les Vosges.
On a interrogé un serveur sur le nom du restaurant, la cuisine ne
nous paraissant pas particulièrement vosgienne. Il nous a dit que
le patron s'appelait Mori (forêt, en japonais, et qu'il y en avait
beaucoup dans les Vosges...). À quoi ça tient, hein !
Le temps passe |
Mardi 20 janvier
Je suis retourné Dans un exercice d'examen aujourd'hui avec mes étudiants,
il s'agissait de faire des questions polies avec un mot composé,
histoire de réutiliser du vocabulaire appris en classe et de savoir
formuler une demande en toute occasion. J'ai obtenu quelques phrases poétiques
comme : Encourageant, non ? |
Mercredi 21 janvier
Aux aurores, du fait du décalage horaire, j'ai écouté sur France Info la première de l'émission France Europe Info, en partenariat avec France 3. On y recevait pour débattre des prochaines élections MM. Jean-François Copé et Jean-Marie Le Pen. Copé habile volubile, brisant une à une les vieilles armes du Pen. Le cyclope plumé glissant dans la grotte de ses vieux discours sans trouver l'homme aux mille tours de phrase qui, lui, traverse le débat sans écoper sa barque. À les écouter, je me demande tout de même si les amateurs de bons gros slogans qui tachent que sont les électeurs FN comprendront cette tentative de mise au rancart, ou s'ils ne vont pas mieux encore se mobiliser pour sauver leur baleine échouée. Après un autre examen de mes étudiants, je reçois, comme en cadeau des fées, ma dernière commande de librairie, avec notamment le double DVD collector de Peau d'âne, film de Jacques Demy qui, si je ne me trompe, n'était jamais sorti en vidéo ; sublimes, Catherine Deneuve, Jean Marais et Jacques Perrin. Lorsque j'avais dit à T., grande lectrice des contes de Perrault, que ça allait sortir en DVD, en décembre dernier, après l'avoir entendu à la radio, elle avait voulu qu'on le commande tout de suite. Pendant qu'il fait bien froid dehors, ce sera un régal de nous le regarder... J'informe celles et ceux qui auraient lu le journal d'hier avant
que je n'y mette les liens qu'il est maintenant disponible dans sa version
achevée. Il m'arrive d'ouvrir l'accès alors que je ne suis
pas tout à fait satisfait (si l'on peut parler de satisfaction...),
ou quand j'ai trop sommeil pour continuer, en me disant que la nuit portera
conseil. Par ailleurs, à la métaphore, la litote, l'oxymore, et toutes les autres figures de style, il faudra ajouter et décrire les différents tropes que constituent les liens insérés dans le texte : si l'on pointe une image ou un texte, si la relation est pertinente ou impertinente, si le document visé est court ou long (le temps de le lire étant un retardement pour lire la suite de la page de départ), etc. Je nous laisse y réfléchir. |
Jeudi 22 janvier
Au pays du Solvant, Ce matin, j'ai écouté Le Masque et la Plume du 18 janvier sur France Inter. Bonne ambiance, ton plus sympa que bien des débats littéraires de France Culture (sauf le défunt et regretté Panorama). On découvre (enfin) le petit côté réac de Makine... la nullité globale de Ruffin... et combien Delerm est brave comme l'ami Ricorée... ça fait plaisir ! (mais ça ne les empêchera pas de vendre des 200.000 ou 500.000 exemplaires... où est le bug ?) Sur mon petit vélo immobile, dans la salle de sport, j'ai
repris la lecture de Yannick Haenel et suis tombé sur des phrases
qui me concernent autant que ceux que je viens de citer (tour de force) :
Si Évoluer parmi les avalanches consiste à passer d'un espace vide à un autre, sinon périr, Haenel se prend quand même quelques gamelles, ainsi des scènes d'amour qu'il tente de rendre cubistes en mélangeant des mots ; mais pour moi, ça ne rend rien. Cependant, je suis maintenant bien accroché aux phrases, puisqu'il veut que ce soit ça l'essentiel de la littérature. Et je vais le finir à la maison, plutôt qu'au sport (c'est une promotion, chez moi, pour un livre). |
Vendredi 23 janvier
François Bon n'est pas arrivé à Tokyo hier, comme prévu, suite à un incident qui l'a retardé, mais il arrivera cet après-midi... Il doit intervenir ce soir à l'université Waseda. En attendant, il faut penser au quotidien. Suis allé faire
des courses ce matin. Si quelqu'un veut connaître les prix des choses
de base, en voici : Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille Fée qu'on n'avait point priée parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une Tour, et qu'on la croyait morte, ou enchantée. Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept Fées. La vieille crut qu'on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents. (Charles Perrault, La Belle au bois dormant) Négligence ! Coupable négligence ! On a omis
de m'inviter pour la conférence de François Bon, de sorte
que même si j'avais voulu y aller, je ne savais pas où elle
se tenait. Je croyais être en bons termes avec les organisateurs mais,
soit que l'on n'a pas jugé ma présence utile (voire souhaitable),
soit qu'on a été désorganisés par le retard d'une
journée, on n'a finalement pas répondu à mon dernier
mail. |
Samedi 24 janvier
Cours sur Colomba, à l'Institut ; aujourd'hui, explication du début du chapitre 3, là où Mérimée a logé une véritable encyclopédie des discours rapportés : le discours direct (dialogue, quasi-théâtral), le discours indirect simple (comme appris à l'école, fidèle), la traduction recopiée de paroles de chansons, la note de bas de page extra-diégétique qui rapporte un savoir dictionnairique, et plusieurs types de discours indirect libre (le rapport de rapport de résumé de bribes, si, si ! quand la femme de chambre revient dire à Lydia la fin de la complainte programmatique du matelot ; puis le résumé de dialogues condensés, etc.). Montrant une habileté stylistique qui préfigure Flaubert, Mérimée fixe le seuil discursif au niveau de la doxa du "matelot au gouvernail", celui qui dit la vérité crue ; par exemple, à propos de Lydia, après que celle-ci est redescendue dans sa cabine : Belle fille, par le sang de la Madone ! (...) si toutes les puces de mon lit lui ressemblaient, je ne me plaindrais pas d'en être mordu ! Déjeuner avec T. et une amie, au Saint-Martin (incroyable
ragoût de chevreuil, ce midi !). On raconte l'autre grosse déception
d'hier : Vodaphone. Informés
par un ami qu'il existe un contrat familial assez avantageux, nous sommes
allés, T. et moi, dans une agence Vodaphone à Shinjuku. Là,
on nous a tout simplement jetés ! Je résume : le contrat proposé
porte le mot "famille" (kazoku, en japonais) mais les conditions exactes
du contrat sont d'avoir le même nom ou le même domicile. Or dans
notre cas, T. et moi n'avons ni le même nom ni le même domicile
officiel, pour des raisons professionnelles. N'en sommes-nous pas mariés
pour autant devant les lois japonaise et française ? Si ! Mais Vodaphone
s'arroge le droit de ne pas reconnaître cette loi et de restreindre
le concept de famille à une vision traditionnelle en totale contradiction
avec ses propres intérêts ; en effet, des personnes de la même
famille, séparées régulièrement par le travail,
ont plus de chance de consommer du téléphone ! Élevons-nous ! Si vous aimez lire Pierre Michon, si vous avez aimé son passage à Tokyo en mai dernier, si vous avez été sensible au personnage fébrile, vous aimerez ce dossier que nous offrent les librairies Initiales. Et si vous ne le connaissez pas encore, allez-y voir ! |
Dimanche 25 janvier
Encore une séance de ping-pong peu glorieuse pour moi, ce
matin. Tout avait pourtant bien commencé, les accélérations
et les amorties avaient l'air de bien venir. Mais vite je me suis senti comme
retenu, le poignet crispé, avec une petite douleur dans la main qui
date de ma valise trop longtemps portée au retour de Perth. Faut dire
aussi que Manu me faisait des services de nul, de la balle molle dont on
ne peut rien faire ! Y'a pas photo non plus pour François Bon, hélas !
Après une petite séance de préparation de sa lecture-conférence
de jeudi prochain à l'Institut franco-japonais avec C., il s'est aperçu
qu'il avait perdu son appareil photo numérique... dans le taxi. Glissé
de la poche... Avec quelques dizaines de clichés réalisés
ce matin, durant la promenade qu'il a faite à Shibuya, par beau soleil.
Rageant ! Notes _______________________________________ * Prononcez les "ou" de transcription comme des "o" longs (et pas comme des "ou" de chou, hibou, caillou en français). Sauf dans "Marunouchi", qui est en fait "maru" (rond comme chou), "no" et "uchi" (jeté comme un éternuement). ** Traduit par Hilda Katou [ca1962], réédition par le Department of Asian Studies, University of British Columbia (Vancouver, Canada) de l'édition dans la revue Monumenta Nipponica, XXIII, 3-4, oct. 1968. |
Lundi 26 janvier
Tout à l'heure, une collègue japonaise m'a appelé
pour me demander si la conférence de François Bon à
Waseda
était bien ce mercredi. Elle le tenait d'un autre collègue de
Waseda qui le lui avait affirmé le matin même... Hum, hum...
ça circule bien, l'information... Cet après-midi, au GRAAL, dernière
séance consacrée Au Piano d'Échenoz. L'une des
choses les plus étonnantes, me semble-t-il, est que Max puisse tout
de même être reconnu par Bernie (p. 199-200). Cela confirme,
selon notre ami Laurent H., le malin plaisir qu'Échenoz prend à
contredire, à un moment ou à un autre, ce qui a préalablement
été établi (ici : que la chirurgie esthétique
effectuée au Centre, après la mort et avant le renvoi sur Terre,
empêcherait absolument d'être reconnu par qui que ce soit). Du
coup, les autres failles du système post-mortem, qui semblait d'abord
si sérieux et sophistiqué (mais qui boîtait déjà,
car qu'avaient à y faire Doris Day et Dean Martin ?!), nous étonnent
moins : la dépression de Béliard, sa convalescence aux bons
soins de Max lui-même, et qu'il enlève Rose quand Max allait
enfin la rencontrer : |
Mardi 27 janvier
Le restaurant Futabazushi
de Kagurazaka ne paie pas de mine, caché dans une étroite ruelle
juste au-dessus d'un Royal Host. T. m'en parlait depuis des années
mais à chaque fois que l'on y passait pour déjeuner, c'était
trop tard ou férié. Un peu par hasard, plus haut dans Kagurazaka, on a poussé
la porte d'une agence de téléphone portable AU (prononcer "éillou").
Précautionneusement, on a avisé une conseillère, souriante
et calme, pour discuter des modèles, des couleurs, des nouvelles
fonctions (radio FM,
guidage GPS, etc.). De fil en aiguille, on en vient aux contrats avec réduction
de famille, oui, oui, il y en a, bien sûr, et quand on n'a pas
la même adresse, bien sûr, c'est possible, cela arrive souvent,
et quand on n'a pas le même nom, si vous avez un certificat de mariage,
ça n'a pas d'importance, et quand il reste moins de trois mois
de visa, vous avez un permis de conduire ? Oui ? permis gold jusqu'en
Heisei 20 (2008 après J. C.), pas de problème... Pas de
problème !! À 18h30, à l'Institut franco-japonais, il y avait
deux films liés aux oeuvres de François Bon : Paysage fer et La douceur dans l'abîme.
Le premier, pas de problème, ça se suit comme du petit lait,
surtout pour quelqu'un qui prend des trains comme moi, on voit défiler
les paysages de Paris à Nancy, on se pose des questions sur ce qu'on
voit et revoit, sur un voir répétitif et variable, et c'est
bien, le ton juste, de temps en temps on y va, dans le film, discuter avec
des gens, relever leur identité, alors que dans mon cas, je n'y vais
pas, donc chez FB comme si c'était un fantasme de mes voyages, mais
souvent et un peu trop, ça finit sur le définitif de ce qu'il
n'y a plus, ce qui meurt et le presque rien qui en reste, l'accentuation
du côté sombre de la transformation actuelle du monde, comme
si elle n'était pas permanente et continue, comme si c'était
la dernière et qu'elle ne laissait derrière elle que dévastation...
Mais on comprend que pour une ou deux générations, c'est la
vie et la mémoire collective qui fout le camp. |
Mercredi 28 janvier
Pas grand chose à dire aujourd'hui... Pendant mon voyage en train, comparant mon défilé mi-urbain mi-rural mi-côtier avec celui du film "Paysage fer", j'écoutai une série d'émissions de France Culture sur l'histoire de la mondialisation (Chemins de la connaissance, du 12 au 16 janvier)... et ça m'a plombé le moral. "La mondialisation, pour les entreprises de mon groupe, c'est la liberté d'investir quand elles veulent et où elles veulent, de produire ce qu'elles veulent, d'acheter et de vendre où elles veulent et d'avoir à souffrir du moins de restrictions possible en termes de législation du travail et de conventions sociales" (Percy Barnevik, ancien dirigeant d'ABB, cité par Susan George). Une telle sauvagerie, dans ces propos. L'apologie de la loi de la jungle... Est-ce vraiment à ça que doit servir l'intelligence humaine ? Combien sont-ils, comme celui-ci ? De quelle planète sont-ils venus ? Ne peut-on vraiment rien contre eux ? "Mais voilà que cet ami du peuple et des petites gens
s'est octroyé une retraite de 88 millions de dollars en quittant la
direction du groupe en 1996. C'est ce qu'on apprend au début de cette
année. L'opinion est d'autant plus choquée que Percy Barnevik
a toujours assorti son travail de restructurateur d'une mission morale.
576, je sais que ça va faire plaisir à Manu et Bikun ! |
Jeudi 29 janvier
C'est au coeur invisible du gyroscope que le boomerang trouve la force de revenir. Si, lanceur, je veux me soustraire à son retour, le bout me rangue dans le dos. Le boomerang suppose la confiance en son retour. Sinon, il vous poursuit de toute sa portance. Certaines courbes peuvent s'étirer durant plusieurs minutes. Ulysse était un boomerang qui tourna pendant vingt ans. François Bon nous est revenu de Kyoto en pleine forme (on l'y avait lancé pour deux jours). Ce soir, à l'Institut franco-japonais de Tokyo, après avoir été présenté par son traducteur, M. Toshihiro Kokubu, il nous a proposé trois beaux moments de lecture : le début de Parking, puis, accompagnés de photos, l'ouverture de Mécanique et un extrait de son Rolling Stones, une biographie. Entre les lectures, des commentaires presque improvisés sur les premiers livres et leur impact, le début, à 15 ans, d'une valorisation du littéraire, sur sa façon d'envisager l'écriture, non pas autofiction mais nécessité de dire quelque chose du monde passé par soi, puis sur un projet qui mit près de 20 ans à se réaliser car il fallait revisiter ses propres années 60 et 70 au prisme des rock stars... Moi, je n'aurais jamais choisi les Rolling Stones ! Ils m'ont intéressé
mais ne m'ont pas fait vibrer. Question de génération, mais
aussi de sensibilité : leurs mines dans les magazines, leurs états
d'âme plastifiés, les foules (en/dé)chaînées
au déhanchement de Mick le glabre, trop peu pour moi. |
Vendredi 30 janvier
Atelier d'écriture avec François Bon. Grande première à l'IFJT ! Donc, ça commençait doucettement ce vendredi matin.
Une dizaine de personnes étaient volontaires pour une expérience
encore jamais tentée dans l'Institut franco-japonais de Tokyo. Chacun
se présente brièvement et François Bon propose d'abord
un exercice d'écriture sur le modèle pérecquien
des chambres dans lesquelles on a dormi (Cf. Espèces d'espaces).
Une demie-heure d'écriture, chacun dans son coin, à sa guise,
qui resté bien calé mais sans table dans les fauteuils de
la salle de cinéma où l'atelier se déroule, qui passé
dans la médiathèque en position studieuse, qui descendu dans
le hall d'entrée près de la grande télé qui
diffuse TV5... Là où j’ai le mieux dormi, tu vois, c’est sous la tente, sous la pluie battante, pendant les vacances d’été, à Millau, l’année de mes 18 ans. J’ai aussi le souvenir d’énormes couettes gonflées d’air au-dessus d’un étroit lit très haut, en Alsace, durant un hiver glacial. T’en rappelles-tu ? Une fois, j’ai très mal dormi sur un matelas d’eau ; les remous et la crainte de sa crevaison me faisaient venir des rêves de noyade et de chair de poule. Le plaisir qu’il y a à entrer dans un lit frais, aux draps bien tirés ; c’est comme l’anticipation d’un sommeil pur et profond. Justement, c'est l'heure d'y aller... |
Samedi 31 janvier
Cours sur Colomba, chapitre 4. Après l'étalage de discours rapportés de la semaine dernière, c'est ici un brillant exercice sur la connivence (ou son absence), le sous-entendu, l'allusion surtout. Du coup, Mérimée va chercher Molière. L'Anglaise cultivée, relevant la phrase du bel Orso ("si vous voyez quelque esprit dans ce [que le préfet] vient de dire, il faut assurément que vous l'y ayez mis"), s'étonne de la similitude, involontaire, semble-t-il, avec la célèbre scène de La Critique de l'École des femmes. Dans cette scène (III), on dispute sur la phrase suspensive d'Agnès arrivant sur scène tout essoufflée et disant : "Il m'a... pris... le..." (j'abrège, Cf. École des femmes, II, 5), afin de savoir si la suspension est ordurière (allusive) ou innocente (non allusive) : Uranie : – Non, vraiment. Elle ne dit pas un mot qui de soi ne
soit fort honnête ; et si vous voulez entendre dessous quelque autre
chose, c'est vous qui faites l'ordure, et non pas elle, puisqu'elle parle
seulement d'un ruban qu'on lui a pris. Dans la pruderie du siècle de Mérimée, cette allusion est comme un rayon de soleil qui entrerait par un hublot sale. |
©Berlol, 2004