Journal littéréticulaire
version non expurgée
 
Littéréticulaire : adj. (de littéraire et réticulaire), propriété d'un texte où s'associent, aux valeurs traditionnelles et aux figures classiques du texte littéraire, les significations et effets de sens provoqués par les liens hypertextuels au sein d'un réseau (l'internet par exemple), qu'ils aient été voulus ou non par l'auteur.
Avril 2004

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Jeudi 1er avril 2004. Paradoxes sociaux.

Si la constitution du nouveau gouvernement français avait été communiquée quelques heures plus tard, on aurait pu croire à un poisson d'avril, tellement elle est... différente de l'opinion exprimée par les urnes dimanche dernier. Ce repli dans un dernier carré chiraquien est assez proche du principe du coup d'état, non ?

Si je n'avais posté hier cette info au sujet des sans-logis du parc de Ueno, on aurait aussi pu croire à un poisson d'avril, surtout à la lecture de Phil et de Dominique au sujet des constructions anti-SDF dans Paris. Que des nantis logés près de (la) République en arrivent là est aussi paradoxal (et honteux) que de voir la tolérance dans un Japon réputé ultra-libéral...

Poisson soluble : dès aujourd'hui, la TVA japonaise est incluse dans les prix. On ne la verra plus mais elle sera toujours là. Ce qui permettra plus tard au gouvernement de l'augmenter. Contre la bêtise : écouter les entretiens de Benoîte Groult dans À Voix nue cette semaine. Un régal. Et un rappel du recul de la condition féminine alors que le nouveau gouvernement contient encore moins de femmes que le précédent (sans doute sont-elles incapables d'entrer dans les jeux de compromission et de mensonge de l'équipe Raffarin 3).

"combien proche du Capitole se trouve la roche Tarpéienne"
, rappelle dans un tout autre contexte Jean-Luc Benoziglio (La Voix des mauvais jours et des chagrins rentrés, Le Seuil, mars 2004, p. 29).

Finalement, T. qui refusait de le voir en DVD a accepté ce soir de voir Wasabi à la télé... Au moins n'était-ce pas elle qui, volontairement, mettait le film dans la machine ! Tout ça parce qu'elle n'aime pas beaucoup Ryoko Hirosue, l'actrice japonaise, assez casse-pied, il faut le reconnaître. Mais comme le film lui donne justement un rôle de casse-pied, ça passe. Oui, enfin presque. On peut ici comparer la vision de la société japonaise avec celle que donne Lost in translation : où Sofia Coppola montre avec diversité et sans jugement, le couple Krawczyk-Besson fait dans la caricature débile limite indécence (Laurent Ziliani va même jusqu'à parler de xénophobie, à la fin de l'article de Plume Noire). Quant à l'action du film, la psychologie des personnages, la mise en scène, ce sont des choses qu'il vaut mieux oublier en tentant de se distraire entre les poses de pub qui viennent après 12 minutes de film...
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Vendredi 2 avril 2004. "Il fallait les remettre dans leur eau sale..."

Non, ce ne sont pas les paroles d'un socialiste français constatant que la composition du nouveau gouvernement est largement faite des composés du précédent. D'ailleurs, vous avez entendu comment Chirac nous l'a jouée ? Anthropologue : les Français n'ont pas la culture du dialogue ; paternel : les pauvres petits ont été secoués par la précédente équipe, il faut que la nouvelle pense plus à eux... "Allez Raffy, fais tourner plus vite la moulinette !" (ça, c'était ce matin, en conseil des ministres).

Journée boulot.

Vers 18 heures, on sort pour aller voir Orphée de Cocteau au cinéma à l'Institut franco-japonais. Ça doit être la troisième fois que je le vois. La salle est assez pleine, ce qui veut dire que Cocteau attire encore et que l'on a su le présenter. Justement, Jean-Marc Lalanne, rédac-chef des Inrocks et auteur d'un livre sur Cocteau avec Philippe Azoury, est là pour le présenter, ainsi que d'autres films cette semaine. Il signale à juste titre au public qui n'est pas très au fait des modes littéraires françaises que la première scène, au Café des poètes, restitue (caricature, dirais-je plutôt) l'ambiance de l'existentialisme naissant, à la fin des années 1940. Il ajoute, ce que j'ignorais, que les scènes de passage dans les ruines pour aller chercher Eurydice ont été tournées dans de vraies ruines de bâtiments bombardés durant la guerre.
Maria Casarès, François Périer et Pierre Bertin sont excellents dans leur rôle, mais je trouve que, comme souvent, Jean Marais surjoue et pose, cabotin donc, tandis que Marie Déa se comporte comme une ménagère de magazine et que Juliette Greco ne sert à rien, c'est dingue comme elle est vide.
Les dialogues et les scènes d'intérieur sont d'une qualité nettement inférieure aux pièces de Sartre que Cocteau voudrait stigmatiser en faisant croire à sa poésie de pacotille (dans le film). Il n'en est pas dupe non plus car les phrases que le poète installé essaie de voler aux ondes radio de la Rolls sont parfois celles du jeune poète mort. La fin du film, qui est une continuation du mythe, propose une déconstruction de la tragédie : en remontant le temps, la Mort et son acolyte réinstallent Eurydice et son mari dans leur confort petit-bourgeois où ces derniers oublient tout ce qui ne leur est pas arrivé, tandis que nous ignorons ce qui arrivera à Casarès et Périer. Pour sauver leur amour, "il fallait les remettre dans leur eau sale", assène Heurtebise pour finir. Ambigu. C'est ce que Cocteau réussit le mieux, l'ambigu.
Heurtebise, nom adorable qui n'est jamais qu'un composé sur le modèle d'ouvre-boîte, mais qui sonne autrement aux oreilles de T. ; ça la gênait même, m'a-t-elle dit, car elle entendait teletubbies...

Cette présence "normale" des morts sur Terre, qui boivent du café, conduisent des voitures et sont sensibles au charme d'une ménagère en robe de chambre, ça ne vous fait penser à rien ? Au dernier Echenoz, bien sûr ! Dans ses entretiens sur Au Piano, celui-ci s'est bien gardé de parler d'Orphée de Cocteau.

Après le dîner, nous sommes allés nous promener sous les cerisiers, entre Iidabashi et Ichigaya, puis jusqu'à Yasukuni, le temple maudit ou révéré, c'est selon qu'on est démocrate ou nationaliste. Si la floraison n'est pas tout à fait pleine (まだ満開じゃない, mada mankai dja nai), les groupes de salariés buvant plus qu'ils ne mangent, eux, le sont. T. est effarée de constater que cette digne admiration des fleurs, commencée sous l'ère d'Edo alors que les distractions n'étaient pas si nombreuses, ne soit plus qu'un cadre social permettant de prolonger les relations de bureau au détriment des amis, des amours, des familles.
Le destressage hanamique en vient à corrompre l'épure esthétique du pétale impassible.
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Samedi 3 avril 2004. 満開 !! 満開 !! 晴れ !!
(En fleurs ! En fleurs ! Soleil !)

Hystérie partout, ce matin
dans les rues, les transports
Oyez ! Oyez ! Braves gens !
Oyez les pétales tomber !

Après être allé chez le coiffeur (fallait, oui...), je passe par Sotobori-dori, l'avenue entre Iidabashi et Ichigaya, le long du canal des anciennces douves impériales. Les cerisiers qui bordent le canal sont "en fleurs", ce qui peut durer plusieurs jours car on leur voit encore pas mal de boutons. À chaque seconde, des pétales s'en détachent. Tout le monde en sourit d'aise. Le sol en est jonché. Je fais quelques photos (dont celle-ci où l'on voit aussi le JR et des barques) et je glisse la carte-mémoire dans ma poche...
Je vais à Akihabara, au magasin LAOX, pour donner mon appareil photo à réparer, ou changer, on ne sait pas encore... Je n'en ai pas parlé durant le voyage en France mais lors du colloque à Censier (le 19), le zoom s'est mis à faire un bruit de roue dentée qui ripe tout le long de sa course. Et le surlendemain, c'est la patte de courroie que j'ai trouvée désoudée en sortant l'appareil de mon sac ! Ça fait beaucoup pour un appareil de moins de trois mois ! T. a insisté par la suite au téléphone pour qu'on me le change plutôt que de le réparer... Réponse lundi, quand le bureau de Nikon sera ouvert.

À 16h30 à l'Institut, suite du cycle thématique Cocteau avec Peau d'âne de Demy (1970). Bien qu'ayant le DVD (Cf. Journal du 21 janvier), voir le film sur grand écran est autrement agréable ! Je me demande qu'est-ce qui est le plus réjouissant, dans ce film. Le mariage comique mais émouvant du féerique et du pop par quelque chose d'intello qui tient à Cocteau ? La distanciation ludique réussie (alors qu'elle l'est beaucoup moins dans Perceval le Galois, par exemple) ? Le jeu impeccable des acteurs : Deneuve superbe de retenue limite perverse, Jean Marais moins cabotin qu'avec son mentor, Perrin très jeune et pourtant exactement dans son rôle, mais surtout, surtout Delphine Seyrig en fée hésitante (oxymore, non ?), espiègle et empruntée à la fois ?
Le thème de l'inceste, sur lequel insistera par la suite Jean-Marc Lalanne en soulignant l'intérêt de la reprise du conte par Christine Angot l'an dernier, est traité symboliquement : il reste de l'ordre du désir, pour le père comme pour la fille, du fait de l'intervention magique de la fée, ferme sur ce sujet. C'est savoureux quand on connaît l'engagement féministe de Delphine Seyrig dans les années 60 et 70 (où l'on retrouve l'Ainsi soient-elles de Benoîte Groult, citée cette semaine), ce que Demy ne pouvait pas ignorer (mais qui n'aurait peut-être pas été du goût de Cocteau).
J.-M. Lalanne est incroyable ! Après le film, il répond à toutes les questions, avec simplicité et beaucoup de détails, sur Cocteau, sur Demy, sur Deneuve. On a l'impression qu'il y a dans la salle des cinéphiles japonais de premier ordre, allant jusqu'à faire des comparaisons de haute volée entre Demy et Lang. Qui nous fatiguent. D'ailleurs, il fait trop chaud dans cette salle, et sec. Faudra que je le dise aux responsables...
On écluse un peu plus tard une bouteille de cidre, accompagnée de crêpes, pour compenser, se réhydrater. Car on a une excellente crêperie, dans Kagurazaka, Le Bretagne !
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Dimanche 4 avril 2004. Vers le mauvais temps.

Humeur morose par mimétisme météorique.
Descente de dix degrés. La grenouille s'est pétée la gueule en glissant du barreau trop haut où elle s'était mise hier et avant-hier. Ça lui fera les pieds, et à nous des angelures. Au ping-pong avec Manu de 11 heures à midi. Il gagne 3 parties sur 5 mais je le bats de 2 points au total... Match nul, pourtant on a bien joué.

Déjeuner en bas de l'avenue qui monte vers le quartier d'Aoyama, dans un restaurant italien où nous avons nos habitudes. Au moment de commander, une serveuse nous demande en français si nous sommes Français... Étonnement. Amusement. On discute un peu. Elle a passé de nombreuses années en France, avec ses parents, y est allée à l'école. Revenue au Japon, on ne sait pas depuis quand, elle est maintenant en troisième année à l'université d'Aoyama, où j'ai d'ailleurs enseigné de 1994 à 1999, et elle fait dans ce restaurant son petit job. Il y a quelques mois, j'ai demandé naïvement à une étudiante de l'une de mes classes quel pourcentage d'étudiants ont un petit job ; étonnée, elle m'a répondu qu'ils en ont TOUS. J'aurais dû lui demander quel pourcentage en ont deux, question plus pertinente dans le Japon d'aujourd'hui.

Sommes passés au magasin Tower Records, pour moi pour chercher le disque de The Streets, mais introuvable. Comme j'ai lu qu'un autre album allait sortir à la mi-avril, j'aimerais bien bien écouter le premier, car les deux ou trois morceaux que j'ai pu entendre depuis deux ans m'ont beaucoup impressionné (Let's push things forward, par exemple). Ma façon d'envisager l'entente cordiale...
Et cette photo prise du parking du Salon du livre il y a deux ans, qui ressemble un peu à la pochette des Streets.

Dans l'ambiance sale temps, finalement c'est tout à fait le moment de préparer le plan des cours sur La Route des Flandres pour samedi prochain. Dix séances, dix explications de texte, une à peu près toutes les vingt-huit pages (dans la nouvelle édition de la collection Double)... La matière est tellement dense et intriquée qu'il n'est pas question de chercher des passages édifiants ou séparables. Il faut tailler dans le vif  – et le garder vivant.
T. rentre toute déçue de la tournure que prennent les choses à son centre de sport. Deux des meilleurs moniteurs vont s'en aller, n'acceptant pas les nouvelles conditions de travail imposées par le groupe Konami, propriétaire de ce centre. Le laminage d'un club d'élite pour en faire un club de quartier va se poursuivre. Des stagiaires peu expérimentés seront pris à leur place. Le centre de sport deviendra le lieu de vente de programmes de training ou d'amaigrissement payants en sus de l'abonnement de base. Un truc bien juteux. Konami : un ami con.
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Lundi 5 avril 2004. De Tok à Nag...

Retour du soleil, mais avec les 12 ou 13 degrés d'hier.
Préparation de documents à copier sur le disque dur externe.
Envoi de ma valise par service de livraison (宅急便, takkyubin).
Déjeuner au Saint-Martin (poulet-frites, pour prendre des forces, comme dit T.).
Shinkansen de 14h50, arrivée à 16h35 (petit somme et lecture de Benoziglio).
En métro puis à pied, arrivée à l'appartement vers 17 heures.
Tri du courrier et rangements divers.
Séance de sport (reprise de la lecture de Roger-Pol Droit en vélo).
Courses au supermarché et dîner (excellentes fraises au dessert).

Remarques :
1. Se souvient-on, dans cette situation nouvelle de l'Espagne, qu'avec Femmes au bord de la crise de nerfs (Mujeres al borde de un ataque de nervios) Almodovar met en scène une jeune femme qui découvre que son petit ami est un terroriste chiite ?
2. On s'excuse, dit Raffarin qui ne parle d'ailleurs que de lui, et on continue en pire sauf qu'on va communiquer mieux... La France est dirigée par un déficient auditif et un autiste paranoïaque.
3. Plein d'étudiants français sont vachement heureux d'étudier à Londres où la vie est deux fois plus chère.

Ne pas oublier les merveilleuses fraises !

"deux pilotes : Montaigne et Nietzsche. Jamais l'un ni l'autre ne pensent sans se raconter. Leur singularité est partout présente, perceptible. Jamais pourtant ils ne se racontent pour le plaisir de l'épanchement. Ils ne cherchent pas à mettre leur vie sous le regard. C'est tout différent : ils regardent, et décrivent, et pensent avec leur vie. D'où une cerrtaine manière, pour eux, d'être toujours dans le tableau sans en être le centre, et une approche des choses et des idées heureusement trouble, et troublée, et troublante." (Roger-Pol Droit, Dernières nouvelles des choses, Plon, 2003, p. 74-75).

un certain moment pourtant (soulevée peut-être par une vague ou un remou propice ?), la chose parvint à s'élever jusqu'à la hauteur de l'un des hublots qui, sous l'eau, donnaient la nuit à la piscine ces allures d'aquarium hollywoodien ou de tardives lueurs d'orgie romaine.
Enrobant tout entier le globe dépoli, la ventouse l'ébranla et l'aspira si bien qu'elle finit par le desceller de la paroi, entraînant à sa suite le spot qu'il renfermait.
Moteur dans le suraigu, forts gargouillis et tourbillons de bulles, prédatrice et victime retombèrent en vrille au fond de la piscine."
(Jean-Luc Benoziglio, La Voix des mauvais jours et des chagrins rentrés, Seuil, 2004, p. 70)

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Mardi 6 avril 2004. Esprits ouverts et esprits fermés (paradoxe)

À 11h30, les professeurs de notre département de français accueillent les nouvelles étudiantes de 1ère année. Comme il n'y a que 6 garçons, j'applique le principe logique selon lequel si la majorité des hommes sont des femmes, alors la minorité des femmes sont des hommes...
Chaque année, on constate de nouveaux comportements. Cette fois, j'ai vu à plusieurs reprises que l'on mettait deux téléphones portables l'un en face de l'autre, comme pour les brancher ensemble mais sans qu'ils se touchent. Chacune des deux étudiantes appuie sur un bouton, à peu près en même temps, puis, dans la seconde suivante, regarde l'autre et s'exclame sugoï ou yatta (super ou ça y est). Ça veut dire que l'échange d'informations entre les deux appareils a réussi et qu'elles ont vu chacune apparaître le numéro de l'autre directement enregistré dans le sien.
Plus généralement, si je repense aux étudiants que j'ai connus comme ça, en groupes de nouveaux arrivants (appelés freshman, emprunt à l'anglais) depuis plus de dix ans, il est évident que ceux d'aujourd'hui sont incroyablement plus communicatifs. Et pas seulement en technique téléphonique. On vient voir les profs, on engage la conversation sur différents sujets, on sourit, on se bouscule, et on demande de répéter ou d'expliquer. Ceux des années 90 étaient timides, yeux baissés, attendant le moment de partir.

Je ne peux pas donner de détails, par discrétion, mais j'ai été témoin aujourd'hui d'un échange entre enseignants-chercheurs français en France et au Japon. Quoiqu'amical, le discours venant de France sous-entendait clairement (mais involontairement, peut-être) que les situations universitaires au Japon n'avaient guère de valeur aux yeux des universitaires français et que faire carrière, la vraie carrière d'enseignant-chercheur, s'entend, ce n'était évidemment pas faire carrière au Japon ! On pouvait y rester quelque temps, pour manger ou pour voir du pays, au Japon ou ailleurs d'ailleurs, mais le sérieux ne viendrait qu'en intégrant l'université française, LE lieu de l'excellence.
C'est quasi inconscient, je crois. Mais c'est clair. Le sentiment de supériorité de bien des chercheurs non pas français mais de France est une chose que nous devons connaître, nous, chercheurs français à l'étranger. Nous devons nous y faire. Je la sens presque à chaque fois, cette espèce de condescendance, notamment lorsque j'observe des universitaires français invités pour les congrès des sociétés de professeurs de français ou de littérature française. Nous organisons ces congrès dans des universités japonaises, l'un dans la région de Tokyo au printemps, l'autre dans une autre région à l'automne. Nous, cette fois, ce sont les Japonais et les Français qui enseignons le français ou la littérature française au Japon. Ces deux "nous", pour moi, sont intimement liés : je suis enseignant-chercheur français au Japon et collègue de Japonais effectuant le même travail, c'est donc une double communauté. Et c'est cette double communauté qui se trouve en quelque sorte dévaluée, dévalorisée, insultée, en fait, par une certaine portion de la communauté des enseignants-chercheurs français de France. Avec des avantages très intéressants : d'une part ils sont invités, ce qui autorise parfois leur attitude hautaine envers les Japonais comme envers les Français du Japon, d'autre part ils peuvent toujours s'en défendre et dire qu'ils n'ont jamais eu cette intention, ni ces allusions, ni ces sous-entendus, et même répondre en souriant que c'est nous qui sommes un peu invieux, ou un peu paranoïaques... (Mais envieux de quoi ? Je vous le demande !)
Pour un oui ou pour un non ne montre pas autre chose. Le fait que Nathalie Sarraute ait choisi l'échelle intime du règlement de comptes entre deux amis de longue date n'interdit pas d'y voir une structure, ce qu'on appelle une structure, c'est-à-dire quelque chose qui peut s'adapter à toutes sortes de configurations et sur différentes échelles.
Je crois qu'humainement les choses se sont améliorées par rapport à ce qu'elles pouvaient être à l'époque du colonialisme français triomphant, mais la situation quelque peu exangue de l'université française n'est pas incompatible avec un repli sur la notion d'excellence tout de même. J'invite lectrices et lecteurs à y réfléchir posément, qu'ils soient universitaires ou pas.


Bonjour,
Effectivement, l'Université est exangue, au point de ne même pas s'associer aux chercheurs du CNRS pour manifester. L'Université est morte et ce sont les professeurs qui l'ont tuée, dirait Nietzsche
Connais-tu l'article édifiant de ton confrère JF Spitz dans le débat de février 2000 ?
Oui, la plupart des universitaires sont envieux mais je pense que les situations dont différentes selon les Universités.
2004-04-06 14:09:28 de Fulcanelli 
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Mercredi 7 avril 2004. Fubuki, oui. Mais de sakuras !

 Des esprits attentifs m'ont fait remarquer que la photo d'avant-hier ne portait pas ma marque de copyright. Ce n'est pas un oubli : l'image d'un étal de fraises provenait d'un site web dont l'adresse était donnée sur l'emballage de cellophane. J'y reviens parce que cela faisait plusieurs années que je n'avais pas mangé d'aussi bonnes fraises !

Livraison de ma valise à 9 heures, plus tôt que je ne l'imaginais. Pour 1300 yens (un peu moins de 10 euros), cela m'a évité de rouler et de porter 27 kilos (on l'avait pesée...) sur plusieurs kilomètres et dans cinq transports en commun différents. Outre une partie de mes affaires de voyage et des livres achetés à Paris la semaine dernière (Agamben, Yves Simon, le catalogue de l'expo Miró, etc.), cette valise contenait plusieurs dizaines de CD et cassettes d'oeuvres littéraires lues, prêtés par Laurent pour que je les numérise pendant qu'il se la coule douce en année sabbatique en France...

Au bureau.
Ayant mis en ligne la compilation mensuelle du Journal de mars, je commence à y faire des ajouts qui ne seront pas repris dans les pages de U-blog. D'ailleurs, j'envisage très sérieusement de ne laisser sur U-blog qu'un mois du Journal et d'effacer les blocs les plus anciens au fur et à mesure que je les compile dans le site perso. De cette façon, je ne saturerai pas dans les 5 Mo alloués par U-blog, je renverrai toujours sur mon site perso pour aller en arrière pour ceux que ça intéresse, je profiterai des avantages du site de blog au jour le jour (visibilité, interactivité, etc.) et j'éviterai de laisser traîner ma production* dans un espace d'édition virtuelle certes attractif mais dont les conditions juridiques ne sont pas encore claires...

J'en étais à ces considérations quand un brouhaha retentit sous mes fenêtres. Des dizaines d'étudiants étaient réunis sur l'esplanade pour assister à l'attraction du jour : le club des cheerleaders de la fac qui faisait son numéro, pour montrer ses qualités et faire des recrues parmi les nouvelles étudiantes. Fort heureusement, il me restait un appareil photo sous la main (un Finepix 40i, et non pas le Coolpix 5000 rapporté samedi dernier chez LAOX), avec assez de piles dedans pour immortaliser la scène !

Le reste de la journée se passe en préparations de cours, rangements de documents et tri définitif de centaines de courriels dans Pegasus dont je peux enfin renommer clairement les dossiers, ce qui va me permettre de transporter l'ensemble de mon courrier électronique d'un ordinateur à l'autre sans avoir à perdre de temps (comme c'était le cas de plus en plus depuis deux ans...).
La température atteint les 19 degrés, la pluie... que dis-je, la neige de pétales (sakura fubuki) s'intensifie sous le soleil d'avril et j'écoute les Lundis de l'histoire (excellent cette semaine, sur le sacre de l'auteur), les Mardis littéraires (sans relief cette fois), Surpris par la poésie de lundi soir (j'en baîlle) et le Feuilleton (belle adaptation de la Vagabonde de Colette par Detambel, déjà signalée).

On a retrouvé l'avion de Saint-Exupéry ! Hmm... Intéressant... Mais j'aimerais mieux que l'on trouve un manuscrit inédit !

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* Production, plutôt qu'oeuvre(s), Cf. Jean Clément en fin d'interview.
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Jeudi 8 avril 2004. Les troènes de ma mort.

Journée au bureau, plongé dans un dossier de préparation de colloque (on y reviendra...) et dans l'actualisation de l'état administratif annuel de mes recherches (à compléter pour demain dernier délai, par formulaire en intranet).

Après le sport, où j'ai notamment commencé le deuxième Fred Vargas du coffret, je revenais en vélo à la maison, toujours le même trajet. C'est tout droit, il y en a pour quatre minutes... Longeant une rue assez passante, il faut à un moment que je traverse une petite rue, ou que je la prenne en tournant à droite, j'ai le choix. Mais à chaque fois que j'approche de cette rue adjacente, même roulant sur le trottoir à deux à l'heure, situation normale au Japon, je suis saisi de la même appréhension. Longeant les troènes serrés et hauts qui empêchent de voir si une voiture arrive par la droite : le danger d'être renversé, l'idée de ma mort. Je maudis régulièrement ces troènes, et je freine. Presque à l'arrêt, je descends le minuscule trottoir en me penchant en avant pour voir si une voiture arrive. Les troènes sont tellement proéminents, que même arrivé au trottoir de cette rue, on ne voit pas ce qu'il y a dedans.
Parce qu'une fois, une voiture a failli m'y renverser. Une voiture que j'avais vue, qui venait de la droite justement, qui était à l'arrêt mais qui allait s'engager sur sa gauche dans la rue passante, dont le conducteur avait regardé à gauche avant que j'arrive, une seconde avant, et qui regardait à droite la rue libre, commençant d'appuyer sur l'accélérateur en tournant son volant à gauche alors que sa tête est encore à droite, sa tête commençant de tourner de droite à gauche pour voir l'avant de sa voiture s'engager dans la rue à gauche mais sans voir encore ce vélo qui est encore plus à gauche, presque caché par les troènes, le passager avant, un collègue du conducteur sans doute, commençant à lui dire quelque chose, à essayer de dire quelque chose parce qu'il a vu, lui, avant le conducteur, puisqu'il n'avait pas besoin d'être aussi attentif et penché vers la droite que le conducteur, commençant d'essayer de lui dire donc qu'un obstacle est là, à gauche. Et une fraction de seconde plus tard, le milieu et l'arrière de la voiture coupant en biais la courbe que l'avant avait faite, la portière avant gauche de la voiture arrivait au niveau de ma roue de vélo et commençait à la pousser tandis que je mettais pied à terre. Enfin, pendant que le vélo tombait et que je perdais l'équilibre du fait du recul, le conducteur, s'apercevant enfin de la situation, réagit en freinant brusquement. Les deux passagers ouvrant les portières et sautant de la voiture presque avant que le vélo ait touché terre, comme pour aller le retenir, tandis que je rétablissais mon équilibre et m'apprêtais à les injurier dans ma langue...

La description d'un ralenti mémoriel détaillé aboutit presque toujours à une parodie de Claude Simon. La lente chute de Wack atteint d'une rafale allemande dans La Route des Flandres, le récit d'un assassinat avec description schématisée dans Le Palace, dit "récit de l'homme-fusil", ont, je crois, déjà marqué des générations de lecteurs. Et c'est chaque fois l'imminence de la mort qui rend impérieux ce besoin de détail, de décomposé du mouvement.
Bien sûr, je ne risquais rien, dans ce banal accrochage sans conséquence. Mais travaille alors en soi l'idée de ce qui aurait pu arriver si l'on avait été un peu plus vite, si l'on était passé un peu plus tôt, ne serait-ce qu'une fraction de seconde plus tôt...
Il y aurait quelques autres troènes de ma mort, désignant alors toutes les fois où le risque réel de mourir a laissé sa trace, son pli dans ma mémoire. Et une réaction chimique dans mon système de défense.
On pourrait en faire la liste, l'amorce d'une typologie. Mais les évoquer en série serait peut-être de mauvais augure...


Rue des six troènes
Ou passait la citroën
Haïku par dessus tête
2004-04-08 17:56:22 de bonbonze 
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Vendredi 9 avril 2004. Lumières d'avril

Juste quelques mots... pour éclairer ma journée.

Au bureau, les cours sont prêts. Grand ménage de paperasse périmée et mise en place des repères pour faciliter le nouveau cycle. En quelques heures, je bascule d'une année universitaire à l'autre avec une facilité déconcertante. Aucun regret.

Départ pour Tokyo (encore un Shinkansen 500, c'est-à-dire sans porte aux extrémités avant et arrière du train - et des dizaines de personnes se font chaque fois piéger... Lecture de la Mare au diable...). Directement à la Maison franco-japonaise pour écouter Pierre-Yves Beaurepaire parler de la franc-maçonnerie et des Lumières, très clairement. J'y retrouve quelques têtes connues... Des initiés ? Faudrait qu'on reparle des femmes : elles dirigent les Salons mondains, philosophiques et littéraires (du XVIIe au XIXe) mais elles sont exclues des Loges car elles ne sauraient pas garder le secret de l'initiation...

Félicitations à l'équipe de la MFJ : enfin un programme (imprimé, bimensuel) digne de ce nom ! Et la programmation qui va avec. Résultats probants de la nouvelle direction...

Retour vers T., enfin, vers 21 heures. Dîner rapide et préparation du cours de demain matin. Il s'agit de jeter une lumière crue (ou croyable) sur les premières pages de la Route des Flandres de Claude Simon. Mais je connais trop bien, il faut plutôt que j'élague dans mes connaissances. Coupes claires... mais pas trop.

"le soleil miroitant un instant sur la lame nue puis le tout - homme cheval et sabre - s'écroulant d'une pièce sur le côté comme un cavalier de plomb commençant à fondre par les pieds" (La Route des Flandres, p. 12, coll. Double chez Minuit)

Ça fond ! En route vers la pierre philosophale...

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Samedi 10 avril 2004. Il tenait une lettre à la main...

C'est par ces mots que commence le célèbre roman de Claude Simon. Si trop peu de lecteurs le connaissaient depuis sa parution en 1960, les agrégatifs de 1998 ont eu à s'y faire les griffes. Hubert de Phalèse les y avait aidés.
Autrement dit, le premier mot est un pronom. Sans antécédent. Premier mot, première violence faite à la grammaire. La seconde vient deux lignes plus bas : derrière le "Il" à la lettre, le narrateur voit passer "les taches [...] des chevaux", alors que ce sont les chevaux eux-mêmes qui forment des taches floues derrière le premier plan.
Sans cesse, le non-dit, le hors champ textuel est requis pour donner du sens au texte. Se jouant de la ponctuation et de la grammaire, le texte ne les rejette pas, bien au contraire, mais il les subvertit et entraîne le lecteur dans une participation sans fin et aux conséquences incalculables. Je parle du lecteur qui lit vraiment (je l'ai déjà dit...).
Pour mes étudiants, ces violences sont rudes. Tout ce qu'ils ont appris doit être tantôt élargi, tantôt inversé s'ils veulent profiter de la polysémie du texte et exercer leurs pouvoirs de lecteurs. Cependant, les horizons ouverts ce matin ne semblent pas leur déplaire...
Aurais-je enfin réussi à me remettre de l'échec relatif qu'avait été l'enseignement de Tu ne t'aimes pas de Sarraute au cours de maîtrise de 1992-93 ? L'impossibilité alors de faire qu'en un an les étudiants non pas comprennent telle ou telle partie du texte malgré les ellipses (donner du poisson), mais produisent eux-mêmes du sens grâce aux ellipses (apprendre à pêcher) m'avait laissé un goût amer...

Amères, c'est ce que n'étaient pas les fraises de lundi dernier, retrouvées ce soir dans notre supermarché de Kagurazaka ! Les ayant trouvées à Nagoya, je ne savais pas s'il y en aurait à Tokyo, où T. pourrait les goûter. Maintenant convaincue à son tour, elle a mené une webquête pour découvrir que cette "amaou ichigo" était littérallement de l'or pour les producteurs de Kyushu. En moins de cinq ans, les pionniers ont convaincu la plupart des producteurs d'autres variétés fraisières de l'île de s'y mettre, si bien que la qualité incroyable de cette fraise et sa relative facilité de production leur rapportent énormément. Voilà une fortune bien méritée, semble-t-il.
Ichigo, c'est la fraise. "Amaou", c'est "Akaï, Marui, Ookii, Umaï", soit "rouge, ronde, grosse, délicieuse", bel acronyme, non ? (Cf. les savoureuses vidéos promotionnelles...)

Quel rapport entre la Route des Flandres et les fraises amaou ? Aucun. Sauf qu'ils arrivent dans la même journée. C'est ça, l'incohérence du monde !
Entre les deux, il y a eu le déjeuner avec deux collègues au Saint-Martin. On a fini l'agneau sur les chapeaux de roues pour arriver juste à l'heure au Sang d'un poète, à l'Institut. Film de Cocteau de 1930, intéressant mais... comment dire... un peu chiant, aussi. Je vois bien le travail cinématographique sur les obsessions de l'auteur mais pas de tension dans la narration. Le discontinu l'emporte sur le continu. Ce qui ne sera plus le cas avec Orphée, vingt ans et une catastrophe mondiale plus tard.

"Attendez-moi ici. Je vais à la Préfecture de police et je reviens..., dit Orphée.
- On ne sait jamais si on revient de la Préfecture de police !..." répond Heurtebise.


Je me demande si un reportage photo sur ces fameuses fraises serait intéressant...En tout cas merci de nous les avoir fait découvrir!
2004-04-10 19:32:47 de Bikun
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Dimanche 11 avril 2004. - Quelle heure est-il ?... - Aucune ! (in Le Testament d'Orphée)

Ni ping ni pong, aujourd'hui.
Je me décommande pour rester un peu tranquille et Manu ne semble pas m'en vouloir ; avec toutes les heures sup' qu'il fait, il a lui aussi besoin de repos. Et de réfléchir...

Je ne réfléchis pas quand je vois qu'il est question d'une amie dans un courriel relatif à des "pensions de l'État" (onkyuu, 恩給) que le gouvernement japonais voudrait bien accorder à ses ex-contractuels des ex-universités-nationales sans qu'ils aient (eu) à cotiser, à condition toutefois d'en faire la demande avant... demain (pour info, voir le Journal du 22 mars). Comme elle n'est pas réveillée, je lui renvoie le courriel et je vais au ciné... Courriel d'une liste d'enseignants, me dis-je en tapotant ma Mare au diable sur le chemin de l'Institut... Elle aura déjà été prévenue par dix autres personnes... D'autres lui auront déjà téléphoné ou écrit cela depuis des semaines... Ses propres collègues l'auront mise en garde et aiguillée... Peu importe, une femme avertie en vaut deux (ou trois).
Mais sa réponse, reçue au retour du Testament d'Orphée, indique qu'il n'en était rien : elle ne savait pas à côté de quoi elle allait passer ! Elle va essayer de rattrapper le coup demain... À suivre...
Ainsi, par mél, téléphone ou tam-tam africain, il faut pour chaque chose qu'une chaîne aléatoire se forme et que personne ne manque à la tâche qu'il doit cependant se fixer lui-même. Si j'étais allé au ping-pong, rien ne dit qu'après j'aurais lu attentivement le courrier en question, ni que je l'aurais renvoyé à l'amie en question.
T. dit que parmi les Japonais, en général, la notion de solidarité n'existe pas... Elle exagère, je pense. Elle dit que le bénévolat (traditionnel ou réticulaire) ne leur vient pas à l'esprit.

Cet aléa résultant des décisions de chacun sonne drôlement en moi après le film de Cocteau, que je n'avais jamais vu. Au contraire de ce que je disais hier des faiblesses du montage et de la narration dans Le Sang d'un poète, Le testament d'Orphée est remarquablement construit sur la trame ambulatoire du chemin où l'on suit quelqu'un. Les trouvailles naïves mais plus neuves des passages en sens inverse (sortir de l'eau et monter sur la berge, reconstruire une fleur écrasée, reprendre et enrouler une photo que les flammes viennent de (re)composer), les relations ambiguës que les personnages entretiennent avec ceux qu'ils étaient dans Orphée, les dialogues d'un débat entre science et poésie de l'espace-temps, et jusqu'aux acteurs eux-mêmes, Cocteau bien sûr qui habite le film sans emphase, mais aussi ceux qui ne font que de brefs passages, Jean-Pierre Léaud adolescent en ouverture, Picasso et Aznavour après la mort du poète, tout concourt heureusement en un film poétique où glisse en filigrane le monde pop de 1960 : jeune femme coiffée comme Brigitte Bardot, motards de la gendarmerie nationale prenant en chasse une voiture américaine chargée de fêtards semblant aller vers Saint-Tropez.
Aucun monde n'empêche poète de l'être...

Les miroirs réfléchissent trop ! Par exemple, le Centenaire littéraire de Michel Bernard d'aujourd'hui. Il nous offre une image de la situation en 1904. La religiosité hystérique et guerrière de nos jours s'empare hélas du monde entier, et non de la seule France. D'où la faiblesse des politiques qui travaillent à la fois pour des circonscriptions délimitées dans lesquelles ils ont des pouvoirs bien définis et dans des espaces virtuels et symboliques indéterminés et planétarisés pour lesquels ils ne sont pas spécialement formés...

"Le progrès, la science, l’éducation devaient faire reculer l’ignorance, l’obscurantisme et la superstition. Le pouvoir civil devait soumettre le pouvoir religieux et l’exclure de la vie politique et de la société." (A. Boscus)
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Lundi 12 avril 2004. Que peindrons-nous ?

Préparation pour le nouveau cycle du GRAAL qui porte ce mois-ci sur La Mare au diable, le programme trimestriel étant sous le charme féminin, on y reviendra...

Quelle est donc cette importance que George Sand donne aux gravures de Holbein ? On a toujours le souvenir d'en avoir vu quelques-unes ici ou là, mais qu'en est-il exactement de ces figures de la mort au travail ? La recherche de la gravure du laboureur m'amène ici (Cf. Der Ackersmann) puis (Cf. l'agriculteur). Mais ces reproductions sont détachées des moralités que mentionne Aurore dans les Simulachres & historiees faces de la mort, ouvrage rassemblant une grosse quarantaine de gravures légendées qui fut publié en 1538 et dont elle devait avoir une réédition, j'imagine. Que l'on pense sérieusement à cette date : 1538 ! François Ier est roi de France, Rabelais, Luther et Calvin viennent de publier des ouvrages qui laisseront des traces, l'Amérique est découverte depuis 40 ans, l'Empire Inca vient d'être écrasé et Jacques Cartier arrive au futur Canada ; l'année suivante, l'Ordonnance de Villers-Cotterêt instituera la langue française langue d'État... Mais Aurore ne pense peut-être pas à tout cela. Elle ressent qu'une tristesse se dégage de la gravure et surtout de la relation imposée entre gravure et texte :
À la sueur de ton visaige
Tu gagnerois ta pauvre vie
Après long travail et usaige
Voicy la mort qui te convie.

Et elle n'est pas d'accord pour continuer dans cette tonalité : "Et nous, artistes d'un autre siècle, que peindrons-nous ?" Elle voit l'oeuvre négative et démagogique du pessimisme littéraire et journalistique et son accord secret avec la politique : "Le gouvernement d'aujourd'hui calme l'inquiétude des riches en leur faisant payer beaucoup de gendarmes et de geôliers, de baïonnettes et de prisons", et se demande : "n'y a-t-il pas d'autre chose à faire maintenant" ? En mêlant du biographique, de l'ethnologique et du folklorique, elle va alors travailler "à l'oeuvre de vie". Ce que j'appellerais l'optimisme objectif.

Et nous, coincés par les Sarkozy, les Raffarin, les Bush, les Poutine, les Ben Laden, leur ordre mondial policé, judiciarisé et concentrationnaire, que peindrons-nous ?


Pourquoi ce mot "trackbacks"? Sert à quoi ce machin?
2004-04-14 16:59:08 de http://france-japon.net
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Mardi 13 avril 2004. Bref passage... par Byzance.

Ayant traversé à grande vitesse quelques dizaines de kilomètres de tunnels, on s'est soudain trouvé dans le soleil. Tokyo sous la grisaille a laissé place à Nagoya radieux. C'est encore et toujours la présence massive du mont Fuji qui crée une zone de changement de climat aux environs de Shizuoka.

Fallait bien ça pour redémarrer les cours.

Aux cerisiers déplumés,
ouverture des cahiers
- et chaque année le même trac


Par bonheur, l'ouverture d'esprit des étudiants est patente. Je dirais volontiers qu'elle est palpable, mais je craindrais d'être passible de la commission du harcèlement sexuel...

Aujourd'hui, c'est Byzance !...
"[...] l'hostilité de la population à l'égard des chevaliers latins ne lui permit pas de régner bien longtemps : une émeute populaire le renversa. C'est alors que le doge Dandolo et les principaux barons occidentaux décidèrent de se partager l'empire byzantin. Le siège fut mis devant la ville, qui tomba le 13 avril 1204. Pendant trois jours, on vit des scènes de massacre et de pillage qui impressionnèrent les chroniqueurs des deux camps. Constantinople était ruinée pour longtemps, ses richesses séculaires dispersées par des croisés incultes"

Cela se passait il y a 800 ans...
Question : La barbarie a-t-elle cessé ?
OUI / NON
(entourez la bonne réponse et... essayez de l'avaler)


Viens donc voir passer le mont Fuji sur france-japon.net. Sortez les mouchoirs!
2004-04-14 16:55:25 de http://france-japon.net
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Mercredi 14 avril 2004. Un peu d'acharnement.

Pluies et brumes toute la journée. Mais joyeusement, grâce aux verts tendres et brillants des arbres. C'est un petit typhon, me dit T., le soir, au téléphone.

Au sport, lecture d'Un peu plus loin sur la droite de Fred Vargas. Dès le chapitre 3, on est déjà bien accroché, les détails comportementaux et les états d'âmes d'au moins trois personnages créent un décor riche où germe l'action principale. Ce souci, ce soin de composition, c'est une des marques de FV.

Pour le camarade PB de Morioka, défenseur de la déconstruction, ces quelques lignes tirées de l'éditorial de Lire d'avril :
"Nous sommes entrés, au début de ce siècle, dans l'ère de la déconstruction : les idéologies sont en déroute, les sciences humaines piétinent, les religions se radicalisent, les sciences proprement dites montrent les limites de leur pertinence, les techniques se développent sans que l'on comprenne toujours quels effets et quelles mutations elles entraînent... Bref, flotte dans l'air comme un désarroi de la pensée."
Ceci, dans le premier paragraphe de l'éditorial, signé François Busnel : un monsieur dont le nom apparaît une fois en haut, imprimé avec le titre de la page et une fois en bas à droite sous forme de signature manuelle numérisée, façon Bulletin des Notaires. Sans oublier la photo du coin haut gauche. Faut que les choses soient claires : le nouveau maître des lieux.
Seulement, s'il avait lu ne serait-ce que dix lignes de Derrida sur la déconstruction, il saurait que ce n'est pas le cocktail dépressif et quasi-spenglerien qu'il nous sert. Sans doute croit-il s'adresser à de fausses élites constituées par monsieur-tout-le-monde (définition de la démagogie) auxquelles on peut faire prendre le mot "déconstruction" pour le mot "désarroi", bel exemple de désinformation, en les accompagnant d'un clin d'oeil de connivence putassière (alors même que le Magazine littéraire publie un numéro sur Derrida...).
Sans doute veut-il noircir le tableau pour créer un contraste par sa seule présence, apparaître providentiel et annoncer le nouveau monde. Juste après, on lit en effet : "un vent nouveau souffle sur la littérature", "nous avons réinventé Lire", et le plus significatif quoique creux en apparence : "Se remettre en question permet de maintenir intacts l'exigence et l'élan nécessaires à une critique des profondeurs, qui est la véritable hygiène des lettres et que nous voulons solaire plus que scolaire". Allons bon, un hygiéniste, maintenant ! Sûr de la finesse de son jeu de mots à trois balles ! Tellement clean dans sa tête qu'il croit que faire la promo, découper des extraits et mettre des étoiles peut s'apparenter à une "critique des profondeurs"... Quelles profondeurs, d'ailleurs ? On n'en voit même pas le fond...
On se demandait s'il était possible de faire pire qu'Assouline... Seul avantage, Busnel arrive à concentrer sur une seule page les bêtises que l'autre délayait sur quatre ou cinq (il semble avoir eu de meilleures époques...).

Un peu plus d'acharnement :
Nouvel exemple (p. 17) de ce que j'appelle la connivence putassière, celle qui ajoute la bêtise à la démagogie, pour un public que l'on veut flatter en lui faisant croire à son intelligence innée, technique Raffarin, donc :
"Ils sont fous ces Nippons ! Après plus de vingt ans d'acharnement, M. Kazuo Kiriu, un Japonais passionné de Balzac, vient de recenser un à un tous les mots de La Comédie humaine ! Lexique en accès libre sur le site Internet de la Maison de Balzac (www.paris.fr/musees/balzac)."
Il se trouve que je connais bien M. Kiriu (Université de Saitama), il n'a rien d'un fou ni d'un acharné. De plus, son travail est déjà bien connu et le lexique est en ligne depuis près d'un an, sans compter le cd-rom balzacien publié plusieurs années auparavant, en collaboration avec une équipe internationale et CNRS. Du coup, pour une "nouvelle", c'est plutôt du resucé... Ce qui donne paradoxalement plus de prix à l'intention cachée derrière : le "ils sont fous" s'adresse, je crois, à tous les "Nippons" de ce genre, c'est-à-dire à tous les chercheurs, y compris français, susceptibles de faire des trucs fous, avec acharnement (dans un monde où la désinvolture, le mépris et la bonne conscience suffisent amplement pour occuper toutes les bonnes places).
Cette égratignure qui vise à taxer les chercheurs d'inutiles et de ridicules (axe du gouvernement Raffarin.2) peut être rapprochée de l'article "Voltaire, reviens... ils sont devenus fous" (p. 10), signé... François Busnel, again : il y amalgame grossièrement le soutien à Cesare Battisti des "intellectuels parisiens" (dont M. Busnel ne fait donc pas partie, j'en prends bonne note) et "une poignée d'entre eux [qui] s'autoproclame « parti de l'intelligence », c'est le signe d'une nouvelle trahison des clercs".
La poignée, comme il dit, c'était plusieurs dizaines de milliers, quand même... Et les élections sont passées par là... Et les chercheurs ont obtenu la tête de la ministre et gain de cause dans les premiers jours de Raffarin.3...
Au lieu de cette fougue de gommeux qui ne voit de changement que parce qu'il vient d'arriver, M. Busnel devrait avoir un peu plus de circonspection et tourner sept fois sa plume...

Je vais continuer ma lecture de la nouvelle formule de Lire. Il y aura nécessairement des choses bien. Busnel n'a pas tout écrit, quand même !
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Jeudi 15 avril 2004. Cubisme et tropisme.

Allez, ayons une pensée émue pour le centenaire de la naissance du cubisme et par exemple pour ces gros arbres à l'Estaque... Braque, fauve shooté au Cézanne. Quel mouvement, quel tempérament !

Ça me rappelle l'Estaque dans les films de Guédiguian. Quand l'Institut franco-japonais a acquis le coffret de ses films, l'an dernier, j'ai emprunté la boîte entière et me les suis tous fait en moins d'une semaine. Je baignais dans l'accent, dans la douceur un peu amère des personnages, et dans les situations sociales glauques.

L'ambiance du tableau me rappelle aussi les cinq mois d'été que j'ai passés à Ramatuelle, en 1983, je crois. Veilleur de nuit dans un hôtel isolé sur une colline, j'empruntais un chemin à travers le vignoble, tous les jours, pour aller de l'hôtel à la caravane que j'habitais, le matin, et de la caravane à l'hôtel en fin d'après-midi. J'avais chaque fois le soleil en face de moi et je le saluais mentalement. Il veillait sur moi le jour et je le suppléais la nuit. Je lisais Gracq, alors. Je n'y cherchais pas encore les tropismes mais il ne fait nul doute pour moi que le rapprochement avec Sarraute prit corps durant ces mois radieux. Tous les deux jours, je descendais à Saint-Tropez à pied, faire des courses, voir des gens.
J'étais arrivé dans cette région avec moins d'un franc en poche, finalement. Études suspendues en mars, par désintérêt, puis parti de Brive-la-Gaillarde avec des vendeurs de tableaux bas-de-gamme, j'ai essayé le porte-à-porte mais pas bien supporté la galère, la gagne, le mépris, les joints, les propos dans la camionnette ou dans les chambres partagées d'hôtels sans charme. Épris de liberté, je faisais l'épreuve d'un départ plus aliénant que le ron-ron fac-famille. Dommage que je n'aie pas pu voir la fin des Portes de la gloire, quand il passait à la télé le 25 ou 26 mars dernier, à cause d'un rendez-vous dans Paris, car je m'y retrouvais un peu. Ayant en moins d'une semaine consommé le peu d'argent que j'avais apporté au pot commun et n'ayant rapporté aucun contrat, je quittai l'équipe, fauché, le long de la Nationale 7, du côté des Arcs... Auto-stop jusqu'à Sainte-Maxime, puis jusqu'à mi-hauteur de la D98a par quelqu'un qui tournait sans doute dans le Domaine du Treizain. Et c'était le soir, mon sac de voyage me pesait, je commençais à m'inquiéter, et à avoir faim...

Comment je fus sauvé d'une misère certaine et peut-être pire, et comment je fus engagé dans un hôtel de luxe où je n'eus plus à m'inquiéter, c'est ce que vous saurez quand je serai disposé à le raconter...
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Vendredi 16 avril 2004. Jus de pipe.

Incroyable mouvement de l'écriture simonienne :
"Puis ils furent dans la grange, avec cette fille tenant la lampe au bout de son bras levé, semblable à une apparition : quelque chose comme une de ces vieilles peintures au jus de pipe : brun (ou plutôt bitumeux) et tiède, et, pour ainsi dire, non pas tant l'intérieur d'un bâtiment que, semblait-il, comme s'ils avaient pénétré (pénétrant en même temps dans l'odeur âcre des bêtes, du foin) dans une sorte d'espace organique, viscéral, Georges se tenant, un peu étourdi, un peu ahuri, clignant des yeux, les paupières brûlantes, stupide, gourd dans ses vêtements roides et pesants de pluie, ses bottes roides, sa fatigue, et cette mince pellicule de saleté et d'insomnie interposée entre son visage et l'air extérieur comme une impalpable et craquelante couche de glace, de sorte qu'il lui semblait pouvoir sentir en même temps le froid de la nuit – ou plutôt maintenant de l'aube – apporté, entré là avec lui, l'enserrant encore (et, pensa-t-il, l'aidant sans doute, comme un corset, à se tenir debout, pensant encore confusément qu'il lui fallait se dépêcher de desseller et de se coucher avant qu'il se mette à fondre, à se désagréger) et, d'autre part, cette sorte de tiédeur pour ainsi dire ventrale au sein de laquelle elle se tenait, irréelle et demi-nue [...]" (La Route des Flandres, coll. Double, p. 36)

Les soldats sont crevés, tout près d'avoir des hallucinations, gelés, mouillés depuis des heures ou des jours. Peut-on imaginer la sensation d'entrer soudain dans un espace clos, sec, odorant, relativement tiède, sécurisant, qui plus est éclairé par une femme en tenue de nuit ? Lorsqu'il dit/écrit "sorte d'espace organique", le narrateur se demande si la comparaison est bien motivée et si le lecteur pourra le suivre. Il va falloir "tenir" l'image et, entre les deux occurrences du verbe "tenir", photo mémorielle qui arrête l'action pour prendre le temps de la détailler, entrer dans son état d'esprit, d'abord par petites touches (étourdi, ahuri, clignant...), puis par une proposition que l'adjectif possessif (ses, sa) permet d'allonger jusqu'au "et" de relance, suivi d'un démonstratif d'évidence subjective (cette) que soutient une comparaison. Le piège rhétorique se précise : la description est mûre pour s'articuler lourdement (de sorte que) sur une "vision" duelle et intellectuelle, opposant le dehors et le dedans, craignant de "fondre" (mot utilisé aussi pour la chute de Reixach atteint d'une rafale de mitrailleuse) et succombant à la suggestion féminine où se (con)fond l'érotique et le maternel du corps féminin (extérieur érotique, intérieur maternel).

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Samedi 17 avril 2007. L'appareil-photo retrouvé et le O perdu

On annonçait 27 °C, ce matin, à la télé ! Pour la première fois de l'année, suis allé à mon cours à l'Institut en chemise, manches remontées. Et j'ai bien fait, d'une part parce que dans la salle de classe qui m'est attribuée il fait toujours chaud et qu'on ne peut pas ouvrir les fenêtres à cause du bruit des trains et des travaux de construction, d'autre part parce que l'explication de texte de Claude Simon nécessite le recours à des énergies paranormales qui finissent par mouiller la chemise. L'extrait commenté dans le Journal d'hier n'est qu'un petit morceau des 4 pages au programme du jour, et il faut expliquer comment Simon recourt à des motifs picturaux, chromatiques (jus de pipe), conceptuels (le moulage, le temps) ou autres (odeur âcre, espace organique) pour entrelacer les plans narratifs, pour passer d'une instance narrative à une autre, ou focaliser tel ou tel niveau de sensation du narrateur en ne livrant qu'au compte-goutte et presque comme à regret, en contrebande, les détails de la situation "réelle". De plus, il faut abandonner toute pudeur pour traiter dignement les passages érotiques et sexuels et leur donner tout leur sens ("moule poulpe pulpe vulve" quand c'est la quintessence, p. 39).

Déjeuner avec nos amis Christine et Thomas au Saint-Martin. Comme elle en rêvait depuis plusieurs semaines, T. a téléphoné au restaurant pour réserver une table et... son jarret d'agneau ! Je raconte comment je viens de récupérer mon Nikon Coolpix 5400. Renvoyé à l'usine il y a deux semaines (voir Journal du 3 avril), ils ont convenu que le grincement du zoom était un défaut d'origine et me l'ont changé. Reçu hier soir, quand je commençai mon explication de texte, j'ai remis mes réglages persos et ma carte mémoire de 128 Mo, et c'est reparti ! On parle aussi de vacances, par exemple d'aller ensemble en Australie (T. et moi en reparlons souvent)...

Ensuite, on va, T. et moi, à l'agence de téléphone portable AU. Encore une fois... Cette fois, parce que c'est l'articulation de mon téléphone qui grince ! Un maléfice m'a destiné une série d'appareils défectueux et je m'emploie, travaux d'Hercule contemporain, à les remplacer un par un. Visiblement, je ne suis pas le seul : l'employée de l'agence nous a tout de suite proposé un autre appareil en remplacement de celui qu'elle envoyait en réparation ; en dix minutes, mes informations préenregistrées ont été transférées dans l'appareil de remplacement, qui n'est pas aussi bien que le mien, mais bon, c'est pour une semaine...

À Ginza en métro pour aller chercher du bon pain de campagne chez Dalloyau. Mais Dalloyau n'a plus de pain de campagne pour aujourd'hui (il est 15h30 !). Après le ridicule des galettes des rois, je n'y étais pas repassé... Ça baisse.
D'ailleurs, maintenant, il n'y a plus de O à l'enseigne. C'est Dall yau... Ô décrépitude, quand tu nous tiens !
Dalloyau souffre, je le crains, de la concurrence de plus petites enseignes, comme Gérard Mulot ou Kayser, qui ont des segments de marché plus étroits et qui grillent littéralement les Dalloyau, Fauchon, Hédiard sur un petit nombre de produits, dont le pain. Et Kayser, au sous-sol de Matsuya où l'on va finalement acheter du pain, est redoutable : au moins 5 pains différents et très bons, dont la fameuse baguette Monge, que je n'ai d'ailleurs pas acheté rue Monge le mois dernier parce qu'il y avait une queue qui sortait sur le trottoir et que c'était un jour de pluie...

Un peu de lecture de Fred Vargas avant ces notes. Le chapitre 4 d'Un peu plus loin sur la droite était jubilatoire, et puis là, jusqu'au chapitre 10, ça patine un peu, c'est pas mauvais, mais c'est transitoire et psycho et socio, un peu comme les personnages qui patinent puisque leur recherche n'aboutit pas, mais quand même un peu pénible pour le lecteur... Bon, j'espère qu'en Bretagne, ça ira mieux.


Pour le pain, ma préférence va à Burdigala, Paul et Andersen.
Il y a aussi Kobeya Kitchen, Trois Gros, Bigot voire Taillevent...
Fauchon et Hédiard sont effectivement trop chers et pas meilleurs.
Quant à Dalloyau, je ne sais pas ce qu'ils foutent !
Outre de bonnes galettes des rois, ils avaient surtout les meilleurs (les plus fidèles à la recette originale) kougelhopfs, introuvables les dernières fois où j'y suis allé (dont pas plus tard que mardi dernier).
2004-04-18 02:02:13 de Manu

Le jarret de T.? !! Rien à voir avec ton texte mais, avec les beaux jours revenus, quand est-ce qu'on va lancer nos boomerangs? Et où? Faudrait qu'on étudie sérieusement la question... En attendant, j'envoie ce message qui, lui, ne revient pas. Quoique, avec les courriels, on reçoit souvent en copie son propre message!
2004-04-18 02:27:41 de http://france-japon.net

Je résume ton weblog d'aujourd'hui: manches remontées, toujours chaud, pipe, zoom, histoire d'O, jarret de T., travaux d'Hercule, une queue qui sortait, les personnages qui patinent!
Je propose aux fidèles lecteurs de faire un résumé chaque jour et chacun à sa manière en choisissant quelques mots relevés dans le texte. Qu'on se marre un peu... Non pas que ton blog soit ch... non, au contraire. Et interro écrite en fin d'année au restaurant St-Martin!
Manu, Bikun, François et les autres, ça vous dirait? (Heu... le restaurant est peut-être un peu trop petit pour accueillir tous les lecteurs de Berlol)
2004-04-18 02:38:25 de http://france-japon.net

Et dans le résumé, j'avais oublié le principal: Histoire d'O !
2004-04-18 15:14:17 de http://france-japon.net

oui ! Belle lecture entre les lignes ! Enfin, un lecteur qui se mouille et me sent bien !
2004-04-29 10:17:02 de berlol
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Dimanche 18 avril 2004.

Ce matin, T. a perdu sa mère.
Nous devons nous déplacer à Yokohama pour les cérémonies, durant un ou deux jours.


Sincères condoléances.
2004-04-19 14:12:44

Je m'associe de tout coeur a votre peine.
Didier
2004-04-19 14:23:25 de patapon
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Lundi 19 avril. Funérailles.

Hier, pas moyen de trouver un accès internet (n'ai pas fait de gros efforts en ce sens, en fait, on comprendra) et plus de boitier pour connexion à l'hôtel où l'on est descendus (Yokohama Prince Hotel, à Isogo, Yokohama-Sud) : "Attendre demain...", nous dit-on à la réception.

Première partie des cérémonies de funérailles, en fin d'après-midi. Surtout pour décider la marche à suivre d'aujourd'hui : heures et lieux de rendez-vous, préséances des membres de la famille dans les cérémonies, et surtout, puisqu'il faut le dire, celle du ramassage des os après la crémation.

aux sakuras
sayonara
aux azalées
s'en est allée

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Mardi 20 avril. Yokohama-Nagoya

Quoi qu'il en fût de la douleur et de la tristesse, une soirée libre à Yokohama s'offrait à T. et à moi. La question est sans doute la même pour beaucoup de gens dans de telles situations : a-t-on "le droit" d'en "profiter" pour passer un bon moment ? Comme nous ne sommes ni pratiquants ni convaincus d'aucune religion, la question ne regarde que notre conscience. Et notre conscience, ma foi, avait bien besoin d'aller se dégourdir les jambes.

Si pour moi Yokohama reste un lieu peu connu (j'ai dû y venir en tout une dizaine de fois, hors Festival du cinéma français) et donc touristique, il en va tout autrement pour T. : elle y habitait la maison familiale jusqu'à la fin de ses études, elle en a vu les transformations, elle y garde un univers de souvenirs que je ne peux imaginer, sauf en comparant à ce que je sais de Paris. Ainsi, la promenade dans Motomachi, le vieux quartier chic, ramène le souvenir des promenades que nous y avons faites ensemble, par exemple en 1996, avec les Meschonnic, mais aussi des souvenirs qui ne sont pas les miens, qui datent de quand j'allais au collège Émile Zola de Choisy-le-Roi alors que T. passait régulièrement devant ces boutiques chics, pour aller et venir de l'école ou pour faire des courses en famille.
La conversation abrite ce feuilleté temporel tandis qu'une nouvelle épaisseur se dépose.
Pour la faim, il y a le quartier chinois pas très loin de là. Pour le choix, c'est l'embarras ! Assez rapidement, tout de même, nous avons jeté notre dévolu sur Heichinrou, dont on connaît partout les manjus, surtout les niku-manjus. Le restaurant offre une cuisine très fine et variée, un excellent service et des prix raisonnables.

Ce matin, j'ai encore admiré la vue du port, certes industriel, qu'on avait de la chambre d'hôtel. Différent, mais aussi intéressant le jour que la nuit. Puis, je m'en suis allé vers mes obligations nagoyennes, laissant T. peu sûre d'elle-même, mais solide, je crois, rentrer seule au centre de Tokyo. Pour la première fois, j'ai pris le shinkansen de la gare de Shin-Yokohama (rien d'extraordinaire à cela, cependant), et n'ai vu ni le Fuji ni la mer, absorbé que j'étais dans la surprenante et excellente fin d'Un peu plus loin sur la droite de Fred Vargas : le retour imprévu d'une affaire criminelle du passé dans les marges d'une affaire bien présente, sans qu'elles aient de rapport direct, est très intelligemment amené et géré. Crédibilité maximum. Ça aurait aussi à voir avec le feuilleté des souvenirs, toujours co-incidents...
Sourire aux lèvres après les dernières lignes, je somnole une vingtaine de minutes. Puis j'écoute l'émission Répliques de samedi dernier sur l'intégration (avec Philippe Bernard et Emmanuel Brenner). Il faudrait que des millions de gens l'écoutent, cette émission du 17 avril, et pas qu'une fois ! Allez-y, allez-y ! Jamais entendu mieux qu'avec ces trois voix le couinement de la roue de l'intégration que voilent les affaires de voile : de l'intégration rendue binaire par le clivage entre République et communautarisme (binarisme qui arrange médias et extrémistes des deux bords), apparaît alors le système de racines historiques, politiques, culturelles, etc.
Finkielkraut trouve tout de même moyen de dire quelque chose contre la déconstruction et contre Derrida, brièvement, en milieu d'émission. Une digression qui mérite d'être écoutée et étudiée (pas comme Busnel dans Lire) mais dont il aurait pu se passer pour le sérieux de son propos, car du coup il ne cite qu'un seul philosophe, alors que les origines algériennes de Derrida ont peu à voir avec le propos.


Photo prise avec ton nouvel appareil?
2004-04-20 23:40:45 de Bikun

Mochiron !!
2004-04-21 17:04:25 de Berlol
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Mercredi 21 avril 2004. Quatrième aporie.

Je remercie sincèrement celles et ceux qui nous ont envoyé un petit mot de soutien. J'ai fidèlement transmis à T.

Cette situation, à la fois toujours attendue et toujours imprévue, attente craintive et imprévoyance innocente qui témoignent conjointement de l'affection pour ceux que l'on aime, m'a mis devant une nouvelle aporie, ou ce que je sens comme tel dans la difficulté de le formuler.
Depuis que nous utilisons l'ordinateur, et notamment l'internet, l'ensemble des activités qui en dépendent et en découlent, au moins dans la sphère où je me trouve, celle des lettres et de l'enseignement de la langue, a été inscrit dans les esprits avec un double signe problématique : une certaine marginalité de la nouveauté et un certain ludisme de la futilité. Ce double signe (margiludisme du nouveau-futile) fait partie, semble-t-il, de l'univers du virtuel informatique, sans le borner ni l'orienter puisque l'univers des ordinateurs et des réseaux est aussi un secteur économique d'un poids indéniable et une réalité socio-politique tout à fait sérieuse. En fait, l'univers du virtuel informatique, apparu au grand public dont je faisais partie dans les années 80, était plus fortement margiludique qu'aujourd'hui. En grandissant et en s'étalant dans tous les secteurs et sur toute la planète, il a acquis un statut sérieux aujourd'hui indiscuté. Cependant, il reste une trace de ce margiludisme dans les consciences de bon nombre d'entre nous au point que l'on peut se demander s'il est bien "sérieux", voire "respectueux" d'annoncer la mort d'un proche dans son blog ou son site perso. Blog et site perso étant, bien plus qu'un site commercial ou ministériel, ressentis comme des lieux-refuges du margiludisme, plus encore que le jeu vidéo qui est un marché, ce que blogs et sites persos ne sont pas encore (à ma connaissance et pour les usagers).
Or dans mon cas, qui est aussi celui d'un certain nombre d'autres personnes ayant site perso ou blog, sans être le cas de tous, l'écriture de notes journalières, constituant ce que d'emblée j'ai nommé Journal littéréticulaire, ce qui ne manquait pas de sérieux dans son dérisoire, est conçue dans une relation consubstantielle à mon existence, alors même que je ne consigne pas l'ensemble de mes activités et pensées (exhaustivité d'ailleurs impossible et pour tout dire puérile). Je ne dis pas que le sentiment margiludique est celui des autres, qui pourraient alors me ridiculiser ou me dénigrer, tandis que je serais convaincu et imbu du sérieux ontologique de mon entreprise (Cf. Rousseau, début des Confessions). Je dis que je suis moi-même habité par ces deux sentiments et que dans les heures qui ont suivi l'annonce de la mort de la mère de T., je me suis demandé si j'allais l'écrire ou le passer sous silence, ma conscience pouvant me fournir de bonnes raisons pour les deux solutions. Dans une telle situation buridanesque, rien ne vaut le recours extérieur. Interrogée, T. m'a donné son accord sans aucune réticence ; absence de réticence qui m'a laissé pantois puisque la pudeur est généralement de mise dans le deuil, sauf quand il se pare de mugnificence, ce qui n'est pas notre cas.
L'aporie mêlerait donc d'une part la pudeur et la réserve du deuil, venues d'une intimité qui ne devrait pas s'inscrire dans le margiludisme du nouveau-futile (devoir lui-même obéi, consenti sans avoir à être réfléchi, interrogé), et la nécessité d'inscrire l'information, son affect, ses conséquences et ses à-côtés dans une chronique qui a sans le dire et sans le vouloir vocation à rester comme témoignage de son temps d'une façon générale et comme reste de ma (notre) vie, déjà inscrite dans sa finitude, finitude le plus souvent impensée (même si dès 1995 je me suis demandé ce que deviendraient les pages web des personnes décédées, question à laquelle je n'ai pas de réponse, ne l'ayant pas cherchée, seule l'ouverture de la question m'important).

l'intime mort dans sa pureté taiseuse
je la respecte et je l'inscris
au coeur de la webuleuse inutile

(Pour les apories précédentes, Cf. les 10, 13 et 19 janvier 2004.)


Nul doute que la littéréticularité est une science appelée à devenir une discipline majeure. Sa récurrence dans ton oeuvre, ou plutôt devrais-je dire, ta régularité à la faire récurrer, y aura été pour beaucoup! Tes lecteurs auront eu le privilège de la voir éclore, d'être les premiers témoins de son émergence! Hum, ça sent ton prochain livre...
2004-04-23 15:41:51 de Sir Reith Oubnaitch
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Jeudi 22 avril 2004. La fée Jaoui.

Étant maintes fois retourné au centre de sport depuis le 23 février, je doute maintenant qu'il y ait deux sortes d'hommes, ceux qui s'essuient les jambes droites en pliant le dos et ceux qui plient chaque jambe pour garder le dos droit. En fait, il y a moi, avec ma façon d'équilibriste, et tous les autres qui se mettent tout le sang dans la tête. Ou alors, c'est culturel. Quant aux femmes, je n'en sais rien, je ne vais pas dans leur salle de bains.
Après mes trois cours de la journée et avec un léger mal de tête, j'entamai un troisième Fred Vargas, dans les 130 pulsations par minute en transpirant sur le vélo. Sans feu ni lieu commence dans le cadre et ça me déçoit. Alors que les deux précédents s'ouvraient sur un fouillis d'où émergeait progressivement l'intrigue principale, avec son contexte et ses harmoniques, ce troisième volume du coffret ne commence pas par cette errance de l'écriture, riche de promesses et quelque peu gaspilleuse, mais avec un sujet bien précis et un souci un peu lourd de reprendre les enquêteurs involontaires des volumes précédents, en résumant leur situation pour les lecteurs qui n'auraient pas lu les deux premiers épisodes...
J'y reviendrai.

Ce soir, comme il y avait Alien 3 à la télé, j'ai fouillé dans mes cassettes-vidéo et j'ai re-regardé Le Goût des autres. L'envie m'en est venue dans la journée, quand j'ai entendu sur France Info qu'Agnès Jaoui présenterait un nouveau film à Cannes. J'adore Jaoui. Si je n'avais épousé T., je serais allé draguer Jaoui. Mais bon, comme elle est déjà prise et moi aussi, il me reste les films. Quand elle joue et quand elle dirige, et quand elle fait les deux. Probable aussi qu'à Cannes, dans la tourmente des intermittents, elle ne restera pas sage Comme une image...
Et si elle venait à Yokohama avec son film, pour le Festival en juin ? Ça, ce serait grand !
Le goût des autres, c'est ce dont on dépend parfois, et souvent si on veut se renouveler ou si on s'y trouve contraint, par exemple par l'amour. Les sept ou huit personnages qui composent le film, pour lesquels le Castella beauf touché par la grâce, joué par Bacri, sert de relais alors même que les autres le trouvent antipathique, borné ou pitoyable, sont tous dans la dépendance du désir de quelqu'un. Ces dépendances, ici sans cuisine, plutôt entre théâtre et café, forment un réseau vivant et fluctuant, un groupe involontaire, qui ressemble à tous les groupes qu'on a pu connaître : sans bord et sans but et auquel on s'accroche. C'est excellemment vu et joué. Par dessus tout, ce qui fait la force du film, c'est le piège du mépris et comment on en sort, parfois. Castella méprise son polytechnicien, sa femme méprise sa belle-soeur et se croit décoratrice. Alors qu'il croit détester le théâtre, l'actrice dont il s'éprend le prend pour un beauf définitif, et se plante parce que rien n'est définitif. Les deux autres artistes qu'il rencontre le méprisent jusqu'à ce qu'ils le respectent parce qu'il s'engage avec eux. Ayant appris qu'ils étaient homosexuels, Castella qui croyait mépriser "les pédés", comme il dit imprudemment, devient sensible à la peinture de l'un d'eux (au vernissage, il est le seul personnage qui regarde vraiment les toiles, au lieu de bavasser).
Les rencontres de différentes classes sociales, de différents milieux et de différentes sensibilités commencent mal, en général, pataugent beaucoup et finissent bien, parce qu'elles ont reçu un petit coup de coude de Mme Plus, la fée Jaoui qui nous dit : ne jugez pas sur la mine et laissez toujours une seconde chance.


Cet hymne à la sensibilité à l'état pur, sans le fard des discours intellectuels pédants, et la grâce touchant un "prétendu" rustre, voilà ce qui m'avait, moi, touché dans "Le goût des autres. Le vin aussi, on le boit et on l'aime, ou on ne l'aime pas, qu'il soit "bien équilibré", "bien charpenté" ou je ne sais quoi d'autre. Castella manquait de mots pour décrire ses émotions mais il ne les ressentait pas moins.
2004-04-23 15:49:04 de Sir Reith Oubnaitch

"La fée Jaoui"... Encore un jeu de mots? Tu les collectionnes! (J'ai gagné un paquet de Bonux?)
2004-04-23 15:51:25 de Sir Reith Oubnaitch

Belle anagramme, ma foi, dans ce pseudo !
2004-04-24 02:26:42 de berlol
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Vendredi 23 avril 2004. La séance de cinéma la plus rapide du monde.

Ce matin, rangements et pliage de linge sec en écoutant Bob Dylan, puis Terranova, puis un récital de Chopin par Yoshihiro Kondo. Ça faisait un moment que j'avais envie de réécouter ces disques. Parfois, je traîne de ces envies sur des semaines. Parfois plus longtemps : ça doit faire au moins cinq ans que je veux racheter un disque de Zappa...
Au bureau pour régler les affaires courantes : préparation des cours de la semaine prochaine, médiation pour un colloque Sand en octobre à Tokyo, stockage des émissions avec Lacoue-Labarthe de la semaine. Et direction Tokyo.

En début de soirée, T. et moi passons à l'agence AU où je peux récupérer mon téléphone portable réparé, l'articulation ne couine plus (Cf. samedi dernier), avec en cadeau d'excuse bon d'achat de librairie de 1000 yens. Puis on va au cinéma de quartier pour la dernière séance de Chaos. On paie nos billets, on fait la queue. Après un quart d'heure on commence à entrer. Mais dans la salle, tous les sièges sont déjà pris, ou réservés par quelque vêtement ou objet. C'est quoi, ce binz !? On fait le tour et on se frotte les yeux : pas moyen de trouver deux places ! Alors qu'il n'y avait qu'une petite queue de 15-20 personnes dehors ! T. m'explique : beaucoup de gens qui ont un passe permanent pour ce cinéma étaient déjà là à la séance précédente, pour un autre film. Bon, on retourne à la caisse et on se fait rembourser, sans difficulté. De nouveau dans la rue, on remonte jusqu'au Saint-Martin pour manger un morceau et prendre un café. Voilà comment s'est déroulée la séance de cinéma la plus courte du monde. On verra Catherine Frot une autre fois...

Dans tout ça, faut que je prépare mon cours sur La Route des Flandres. Pour demain matin, commentaire des pages 60-66 (coll. Double). En voici un extrait aéré et coloré par mes soins, cette séance de lavage de linge est l'occasion d'une discussion entre les soldats le lendemain de leur arrivée dans la grange où ils bivouaquent en attendant les ordres. L'aération de l'habituelle forme romanesque dense de Simon en fait instantanément un poème :

laver un peu de linge
                  les doigts glacés
                            gourds
    frottant le savon sur le rebord piqueté de la margelle
                  où l'étoffe mouillée se collait
                            du même gris que le ciel
                  avec des poches d'air emprisonnées au-dessous
    dessinant des cloques des lignes des reliefs
                  d'un gris plus clair,
   
   
    en passant le savon
        il les écrasait
                  et ils s'accumulaient en plissements parallèles et sinueux
        un nuage bleuâtre se répandant dans l'eau quand il les rinça,
   
   
    des bulles bleuâtres se pressaient
                            s'agglutinaient
                            dérivaient
lentement
        se frayant un chemin méandreux,
        se glissant à travers la boue noire
                  piétinée par les bêtes
                            où l'eau s'écoulait d'une empreinte de sabot à l'autre
   
   
    mais à la fin le linge était à peu près aussi gris qu'avant,
   
   
    et Blum dit


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Samedi 24 avril 2004. Jus de chaussettes.

Cours, donc, ce matin. Ce passage offre une succession de genres : description du linge et de l'eau (Cf. mise en espace d'hier); conversation avec force ponctuation et didascalies ; paragraphe de distanciation de ce qui n'est qu'une banale discussion entre soldats ; conversation continué sur le boiteux et le type au parapluie sans plus aucun commentaire marginal ; paragraphe sur le cheval étendu et mourant dont un oeil ouvert renvoie la scène déformée comme un miroir convexe dans une peinture flamande ; reprise de la conversation sur le problème du cheval qui trottine ; toujours sans commentaires narratifs ; enfin, long paragraphe de distanciation ironico-lyrique qui enfile les comparaisons de plus en plus politiquement critiques, parfois hélas encore valables sous l'ère de Bush II :

"comme si les foules possédaient une sorte de don, d'infaillible instinct qui leur fait distinguer en leur sein et pousser en avant par une espèce d'autosélection – ou expulsion, ou plutôt défécation – l'éternel imbécile qui brandira la pancarte et qu'elles suivront dans cette sorte d'extase et de fascination où les plonge, comme les enfants, la vue de leurs excréments"

Dans l'après-midi, on va à Yurakucho pour des soldes spéciales de Seibu dans un hall d'exposition, ça nous permet de provisionner quelques vêtements d'été à bon prix. Comme on n'est pas loin de Ginza, on va au Salon de thé Henri Charpentier pour lequel on a reçu deux invitations du fait de je ne sais quelle fidélité à un autre magasin. Plus prétentieux, tu meurs ! Henri Charpentier a repris il y a un an un restaurant Kihachi qui se trouvait derrière Melsa, centre commercial en face de Dalloyau. Le rez-de-chausée a été transformé en hall d'entrée et d'attente, avec deux espaces de vente de gâteaux à emporter, le tout décoré comme une bijouterie Van Cleef ; le salon de thé est au sous-sol et l'on n'y descend que si le cerbère à oreillette et micro intégré vous y invite, dans un pur style club très fermé. L'escalier et le sous-sol sont décorés de rayons de bibliothèque, les appliques murales portent des macarons de roi-soleil et les présentoirs éclairent les gâteaux comme si c'était des diadèmes. La démesure s'arrête là : les fauteuils n'ont pas de dossier, comme si l'on ne voulait pas que les clients restent trop longtemps ; le café "normal", c'est du jus de chaussettes et T. le renvoie en demandant un expresso ; le darjeeling est fade, c'est normal, il y a moins d'un centimètre de feuilles de thé dans la théière ; les gâteaux sont justes bons, pas de quoi rivaliser avec Mulot ou Dalloyau. Les clientes qui commandent des crêpes flambées ont droit à un cinéma de première : chariot avec gazinière, poële cuivrée, présentation des crêpes comme on apporte le homard juste pesé, exhibition de la bouteille de Grand-Marnier en disant que c'est comme du Cointreau (si, si), flambage des crêpes façon prestidigitateur. Diamètre des crêpes : 15 cm.
Pour le café fadasse, le serveur très distingué a une théorie comme quoi le goût raffiné des gâteaux serait flingué (損なう, sokonau) par un café trop fort. Pour T., c'est déjà plus cohérent qu'au Prince Hotel de Yokohama où l'on prétendait simplement que le jus de chaussettes était une recette spéciale des hôtel Prince Hotel, ce qui était très décevant, comme explication.
 T. aime bien que les gens s'expliquent intelligemment, même si, en l'espèce, le café reste tout simplement dégueulasse.


http://gaougalinr.chez.tiscali.fr/forum.php?lng=fr&cat=Pub
Merci d'y laisser la description de ton site et l'adresse
A bientôt!
2004-04-24 18:20:07 de ClaudY
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Dimanche 25 avril 2004. Dimanche culturel.

Il faut absolument écouter le Carnet nomade d'hier, sur France Culture, consacré à Kyoto, abécédaire, superbe promenade sonore à la fois dans la ville actuelle et dans la culture traditionnelle. Attention ! Ça ne reste sur le serveur que jusqu'à samedi prochain. La suite est à venir, justement samedi prochain, encore à Kyoto, puis le samedi suivant à Tokyo. Je ne fais pas partie des inconditionnels du Carnet nomade et de Colette Fellous. Je trouve même parfois que ça donne facilement dans le copinage mièvre et l'intellectualisme de pacotille. Mais là non.
Pendant que vous y êtes, faites-vous Répliques que Finkielkraut a voulu consacrer à Saint-Just, dont Anne Kupiec et Miguel Abensour viennent de rééditer l'oeuvre. Vous entendrez comment les anachroniques tendances finkielkrautiennes et camusiennes qui consistent à juger de la mort du roi à l'aune des violences du XXe siècle, par exemple, sont d'un commun accord repoussées au profit d'une nécessité de comprendre l'homme du XVIIIe siècle souhaitant se libérer de l'institution monarchique, quelque difficile que cela puisse être quand on s'éclaire à l'électricité de centrale nucléaire et qu'on se déplace en aéroplane à kérozène.

Ce matin, Manu n'a pas assuré comme d'habitude, au ping-pong. Je l'ai pilé ! Quatre parties à une ! Il arrivait souvent Bikun s'en souviendra que je me plaigne d'un temps de latence entre la perception de la trajectoire de la balle et l'armement du bras en vue du coup, surtout dans mon champ visuel gauche à hauteur de torse et d'épaule. Aujourd'hui, la réponse était instantanée, comme si, selon Manu, j'étais passé sous Linux.
Pour une fois, Manu ayant quelque chose à faire pas loin de chez moi, nous sommes venus déjeuner à Kagurazaka, jetant notre dévolu sur une sushi-ya aguichante. J'ai pris un plateau de sushis uniquement composé de différentes sortes de thon : un régal !
Nous sommes tombés d'accord, Manu et moi, pour penser que sushi-ya-san était un des métiers les plus complets et conviviaux qui soient : dialoguant régulièrement avec les clients au comptoir, préparant devant eux leur commande dont la matière première est ostensiblement fraîche, maniant couteaux et crayon rouge avec la même dextérité rassurante. Évidemment, il y en a qui abusent de la naïveté de leur clientèle, de même qu'en la pâtisserie Charpentier d'hier on abusait du désir de luxe et de mondanité commercialisés.

Plus tard, je retrouve Brigite, Estrellita et Bill à l'Institut franco-japonais pour voir un film de jeunesse de Téchiné, Paulina s'en va (tourné en 1969 et sorti en 1975), fin de la sélection de l'Institut autour de Cocteau pour son aspect délibérément onirique. Mais outre le plaisir de voir très jeunes Bulle Ogier, Marie-France Pisier et Michèle Moretti, le film n'a guère d'intérêt, même pour les amateurs de la Nouvelle Vague. Louchant à la fois sur le Week-end de Godard (1967) et sur le Trans-Europ-Express de Robbe-Grillet (1966-68), mais sans la radicalité critique de Godard ni la perversité narrative de Robbe-Grillet, Téchiné fait là ses premières armes sans grande réussite. Heureusement qu'il n'a pas persévéré dans cette voie...
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Lundi 26 avril 2004. De l'art d'assaisonner les classiques.

Littéraire au carré : dans Sans Feu ni lieu, Vargas invoque Nerval. El Desdichado contiendrait la clé d'interprétation des crimes... Je parie pour une solution magique... S'il est très intéressant de savoir qui est le criminel, il l'est bien plus encore de savoir par quel moyen vraisemblable le poème peut jouer un rôle si déterminant, à l'instar de la phrase-clé du Mystère de la chambre jaune.

Paiement de notre abonnement à la SJLLF (Société Japonaise de Langue et Littérature Françaises) et des frais pour le prochain congrès, fin mai. Pour deux, ça nous fait plus de 40.000 yens ! Pour une association qui a d'abord refusé de discuter d'une protestation contre la destruction de l'université Toritsu par le maire de Tokyo, Ishihara (Cf. Journal du 10 février). Puis qui a fini par envoyer une molle protestation en janvier dernier, quand tout était fini. Qui, par ailleurs, ne s'est pas encore exprimée sur la disparition des universités nationales ni, par suite, sur les dévalorisations des statuts des enseignants étrangers, français notamment puisque c'est le champ de travail de cette asssociation. Est-ce parce qu'une association de professeurs serait, au Japon, plus proche d'un club (yacht club, golf club, touring club, etc.) que d'un syndicat ? Je (me) pose la question. Sans doute qu'à échéance, c'est près de la moitié des membres de cette association qui seront en délicatesse avec leur administration universitaire, qu'elle soit ex-nationale, ex-départementale ou ex-municipale. Peut-être se poseront-ils alors la même question ? Au-delà, quand l'exemple des réformes contaminera le domaine privé, l'autre moitié des membres entrera à son tour dans le questionnement et la précarité. Mais toujours trop tard !
C'est l'absence même du concept de mobilisation par solidarité que je dénonce ici. Car l'existence de ce concept dans un cerveau crée en amont une chose importante qui s'appelle : la vigilance.

À la gare d'Iidabashi, achat de mes kaisuken de shinkansen (kaisuken : sorte de carnet de six billets sans réservation, avec un tarif intéressant). Mais ils ne sont pas utilisables entre le 27 avril et le 6 mai, période dite de la Golden Week, ce qui m'oblige à prendre aussi un billet avec réservation pour demain matin. Comme dit T., cette ligne Tokyo-Osaka, c'est une vraie machine à sous pour la compagnie JR !

Jacques Derrida aux Matins de France Culture ! Au sujet du 11 septembre 2001 et du "concept du 11 septembre". On sera obligé d'aller lire le livre par la suite car les coupures répétées pour chroniques matinales sur sujets d'actualité dérangent le continuum d'une pensée qui ne peut être simple.

Préparation et GRAAL sur La Mare au diable. Le chapitre I s'intitule "L'auteur au lecteur". On y lit que la gravure d'Holbein est interprétée négativement et que cette interprétation de Sand profite au discours très rhétorique et très engagé qu'elle impose au lecteur (de 1846) : elle récuse les visions morbides du travail et de l'humanité, dénonce les romanciers de son époque qui font leur beurre en criminalisant les pauvres ; inversement, elle prétend mettre en valeur la force vive du travail, la fécondité des êtres et de la terre. Un vrai programme socialiste !
Du coup, il devient symptomatique qu'une édition pour la jeunesse de 1930, apportée par l'une des participantes, ne contienne tout simplement pas ce chapitre inaugural ! Le roman commence alors directement au Labour... et peut servir sans difficulté les intérêts des partis ultra-conservateurs. Tout comme certaines éditions de poésies de Péguy ont été utilisées dans les années 1920 par l'Action Française et jusqu'à la fin de la propagande vichyste avec la bénédiction de l'Église. De l'art d'assaisonner les classiques...


"Sous les pans du bizarre" de Rémi Schulz, narre une enquête centrée sur une série de meurtres de latinistes, meurtres qui semblent réglés par rapport aux "Bucoliques" de Virgile.
2004-04-27 17:02:57 de Bartlebooth

Merci de cette référence. Surtout avec les "Bucoliques", je me demande comment ça peut être utilisé ! Ça m'intrigue...
2004-04-28 06:14:15 de Berlol

SJLLF: J'ai décidé de me retirer de cette association pour les raisons suivantes:
1. Son absence de volonté réelle de défense du français et des disciplines connexes (littérature, FLE, linguistique, cultures francophones, etc).
2. Son absence de volonté de dialogue avec les autres associations (résultant aussi du 1.) comme, par exemple, la SJDF, dialogue qui pourrait déboucher sur des actions communes dans l'intérêt de tous (stages pédagogiques, organisation d'événements en commun,etc).
2004-04-29 04:13:49 de Sir Reith Oubnaitch
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Mardi 27 avril 2004. Ironie de Kieslowski.

On annonçait de fortes pluies, ce matin. Je me suis dépêché d'aller prendre mon train de 8h33. Mais à Nagoya, le grain était déjà passé. Le vent s'y est mis, il a cassé quelques branches et fait remonter les senteurs humides de diverses floraisons. En soirée, vent tombé, les exhalaisons sont d'une richesse rare, surtout les marronniers qui mêlent le goût d'amande et, bizarrement, d'encre. De sperme aussi, m'avait dit certaine amie... (cette perception concernerait-elle plus spécialement le beau sexe ? Seule mention sérieuse trouvée : tout en fin de ce document, dans la note 32).

Dans le shinkansen, j'ai achevé ma lecture de Sans Feu ni lieu et l'hypothèse que je faisais hier... était la bonne ! Magique, vous dis-je ! Certains comprendront. Mais la fin est trop rapide, cette fois. Comme bâclée. Malgré une intrigue intéressante, ce troisième volume des aventures des occupants de la maison pourrie est moins fouillé, moins drôle, sans aucune dimension de critique historique ou socio-politique. De ce fait, on s'approche du Club des cinq : une enquête collective, en marge de la police qui néglige les pistes qu'on lui offre. Les situations sont nommés et écrites froidement, au lieu d'être décrites de l'intérieur, ou mieux, ressenties, alors que cela arrivait plus souvent dans les deux premiers volumes. En conclusion, je pencherai pour un certain empressement de l'auteur qui n'a pas disposé du temps nécessaire à rendre son histoire réellement à la hauteur de l'usage qu'elle fait de Nerval, ce qui était pourtant un trait de génie. Fred Vargas sera invitée à l'émission Tout arrive après demain (sur France Culture) pour parler d'ouvrages plus récents.

Ce soir, je ne sais pas si j'ai bien fait : j'ai regardé le premier épisode du Décalogue de Kieslowski, Un seul dieu tu adoreras (dans le coffret de 4 DVD publié aux Éditions Montparnasse, acheté à Paris le mois dernier). Beau film, certes, mais qui plombe l'ambiance. C'est d'ailleurs sa simplicité et sa vitesse d'exécution qui rendent le scénario si efficace. Heureusement, je n'aime pas le patin à glace et je n'ai pas d'enfant.
Mais... c'est une parabole, me direz-vous, cela peut se produire autrement. Ah bon ! Cependant, plus que la foi ou l'agnosticisme, c'est l'accident qui est l'ennemi de l'homme ; l'opposition entre deux modes de la pensée humaine est dépassée par l'aléa de l'accident. C'est pourquoi, par dessus tout, l'accident est toujours à craindre : il n'a aucune intelligence et, s'il est explicable, voire prévisible, son arrivée dit bien qu'explication et prévisibilité sont inutiles, car elles sont dans l'emprise du postérieur, de l'après-coup, de la statistique. Le titre devient alors un point d'ironie. En effet, le film ne donne pas raison au premier commandement : il y a bien un homme qui fait du feu sur la berge du lac (ce qui en fragilisera la glace), on le voit dès le début, mais le père et le fils ont négligé de l'introduire dans leurs paramètres de calcul. Alors est-ce une tragédie, du fait de la présence de cet homme au regard énigmatique ? Un drame de la vanité pour excès de confiance en ses propres calculs ? Un drame social consécutif au divorce des parents ? Voire un film politique qui stigmatise les déplorables conditions de vie en cité ouvrière ? C'est alors l'indécidabilité d'un tout-à-la-fois focalisé sur ce point d'ironie qui en fait un excellent film. Et une sale soirée...


A voir son "rouge", et sa "double vie de véronique". Superbe réalisateur trop tôt disparu.
2004-04-27 17:06:39 de thomas
Pour tout commentaire, on peut m'écrire à "berlol" chez "inter.net".
 
Mercredi 28 avril 2004. Frictions interculturelles.

La télévision japonaise montre très souvent des gens qui mangent. Non pas des gens qui sont en train de manger, à table, dans un décor et un cadre plus large. Non : en gros plan, le fait même de manger. Et très souvent, en train de mettre quelque chose dans leur bouche, avec empressement, bavant un peu de sauce ou de jus qui dégouline des baguettes, se masquant juste un peu trop tard avec l'autre main tout en continuant de baver, et mimant des excuses avec des yeux rieurs, ou se penchant en avant pour jouer à implorer un pardon donné d'avance. Mais le nec plus ultra est de se brûler ! Car l'empressement d'honorer le cuisinier fait oublier que le plat est très chaud. On aspire alors fortement de l'air pour refroidir ce qu'on ne peut recracher, toujours en gros plan, ce qui est d'ailleurs le principe et la cause du ssslurrrrp bruyant avec le bol de nouilles. Je crois même que le plaisir de goûter est accru par le fait de se brûler. En tout cas, les émissions de cuisine comportent toujours une séance de dégustation dans laquelle quelqu'un se brûle, faisant rire les autres, plus distingués et plus prudents, car tout le monde n'est pas comme celui-là, tellement spontané, tellement amusant.
L'approche de l'été voit chaque année revenir ces publicités dans un milieu torride et transpirant, dans lesquelles un unisexe pressé, serviette autour du cou, verse de l'eau chaude dans un bol de nouilles (généralement nommé "cup noodle") et s'y attaque instantanément, se brûlant plusieurs fois de suite en buvant et avalant très vite le contenu...
Le téléspectateur est censé désirer cette situation, vouloir partager ce plaisir de se brûler la gueule. Enfin pas tout le monde ; il y a une cible pour chaque fantasme.

"Le soleil baisse à l'horizon ; il est déjà huit heures. Je me rhabille et grimpe l'escalier ensablé qui mène aux dunes. J'ai remarqué les trois garçons sur ma droite, sans doute des militaires venus se baigner ici après une journée d'entraînement. Ils se lèvent peu après moi. Ils empruntent derrière moi le long sentier désert qui traverse la lande. Je ne me retourne pas.
Ils se rapprochent de moi. Ils m'entourent. Un de chaque côté, un derrière. Les deux sur les côtés s'emparent de mes bras. Celui derrière moi remonte ma jupette, glisse sa main dans ma culotte et me l'arrache. Il introduit d'un coup sec sa verge dans ma chair. Il me soulève presque de terre au bout de son membre. Je dois continuer à marcher tandis que la terre chavire autour de moi. Après lui, les deux autres tour à tour jouiront en moi. Ils me prendront à la fois par-devant et par-derrière, imbibant de salive mon cul dont l'eau salée a resserré la peau. Je pourrai hurler. Personne ne m'entendra.
Mon sexe est chaud et humide, mes cuisses et mes lèvres crispées. Je suis en train de jouir en marchant. Je dois m'arrêter pour ne pas perdre l'équilibre. Je m'accroupis comme pour rattacher le lacet de ma chaussure de tennis. Les trois garçons me dépassent. Ce sont trois adolescents blonds, plus jeunes que je ne l'avais cru sur la plage. Ils sont absorbés dans une discussion sur les mérites comparés des planches de surf qu'ils portent sur leur dos. L'un d'eux saute sur le talus pour me doubler car le chemin n'est pas assez large. Ils ne me regardent pas."
(Catherine Cusset, Jouir, Paris : Gallimard, 1997, p. 40-41)

"C'est un de ces hommes qui pensent que les femmes devraient avoir des orgasmes à la chaîne et que tout le monde devrait jouir en même temps. Ma foi, c'est parfaitement normal et c'est ainsi que ça se passe parmi les jeunes, c'est si facile." (Philip Roth, Tromperie, en 1994 chez Gallimard, collection folio, p. 23 ; titre original de 1990 : Deception)

Entamée ce soir au sport, toujours en pédalant trente minutes, la traduction de Roth par Maurice Rambaud me gêne un peu. Autant je trouve excellent le rendu en français de l'anglais d'une "jeune fille tchécoslovaque" (p. 31-35), avec ses fautes de temps ou d'articles, autant je suis arrêté une phrase sur trois par un français trop développé, trop explicite (au sens français de ce mot) qui surtraduit l'anglais en le collant de trop près, ce qui parfois ne fait plus sens en français.
Des exemples ?
"Je crois que mon mascara, j'en ai bien peur, me coule sur la figure" (p. 23) : l'incise "j'en ai bien peur" est tout simplement impensable dans une conversation française du même niveau de langue. Autre exemple : "Je veux parler de jobs et autres trucs de ce genre" (p. 24) : pourquoi pas "et de trucs comme ça" ? En tout cas "et autres trucs" n'est pas naturel du tout. Un autre : "quand je me sens vraiment fatiguée et qu'une fois encore il y a un choc affectif" (p. 25) : jamais entendu dire "il y a un choc affectif" ; "et qu'encore une fois quelque chose me fout un choc" serait beaucoup plus normal...
Parfois, je ne comprend même pas ce que ça veut dire : "il y a bien longtemps, quand je vivais à la campagne, et avant que je passe beaucoup de temps en ville, je me sentais simple et je souhaitais être simple. Mais à force de lutter, cela meurt. J'étais extrêmement amusante dans le temps." (p. 29). Il faut que j'aille voir l'anglais dans l'original parce que ce "amusante", je ne saisis pas bien. Est-ce que c'est "bêbête", "naïve"? Ou "drôle", au sens de "spirituelle" ? Peu probable du fait du "simple" qui n'est d'ailleurs pas si simple à comprendre. Ou bien est-ce le fait de la voir qui aurait été amusant, et non pas elle-même. Et qu'est-ce qui "meurt" ? Est-ce d'être simple ou de vouloir l'être ? Et passer "beaucoup de temps en ville", ça veut dire quoi ? Ne serait-ce pas "maintenant que j'habite en ville la plupart du temps" ou "depuis pas mal de temps" ?
Bref, c'est pas clair du tout. Je serais très étonné que l'original soit aussi confus...
Si quelqu'un a le texte, à votre bon coeur !


Peut-être que l'original est confus. Monsieur anglais il dit "Les auteurs qui savent pas écrire tant pis pour eux, c'est pas au traducteur de leur donner du talent !"
Et sinon, je trouve le lien entre les deux parties du post terriblement bizarre.
2004-04-28 17:13:35 de Atae

D'accord avec toi pour dire "surtraduit l'anglais en le collant de trop près". Beaucoup d'expressions anglaises sont ainsi passées dans la langue française sans qu'on s'en aperçoive. Les jeunes Français vous soutiendront mordicus que "c'est bien français". Question: Que pensez-vous de l'expression?
"Tu sais quoi?" (You know what?)
2004-04-29 03:55:02 de Sir Reith Oubnaitch
Pour tout commentaire, on peut m'écrire à "berlol" chez "inter.net".

Jeudi 29 avril 2004. Début de Golden Week.

Ce matin, je complète le journal d'hier avec une citation de Catherine Cusset qui me paraît bien aller dans le collage "terriblement bizarre", comme dit Atae dans son commentaire sur U-blog. La pudibonderie ambiante semble gagner toutes les couches de la population. Et le politically correct qui voudrait faire croire que tout fantasme est à proscrire, alors que c'est sa proscription qui entraîne parfois des passages à l'acte regrettables. Vieux débat...

Déjeuner avec Alex et Rie au Tiger Café, près de Sakae. Plusieurs mois qu'on ne s'était pas vus, depuis qu'il a trouvé un poste à Kyoto. Dommage, parce qu'on s'entend vraiment bien. On s'extasie encore une fois devant la clarté architecturale du complexe Oasis 21, qui abrite un centre commercial, un échangeur de lignes de métro et une gare routière, sous un ovale de métal et de verre élevé à 10 mètres du sol et dont le dallage transparent contient de l'eau en mouvement.
Voyage pour Tokyo.
C'est le début de la Golden Week. Dès demain, ça va être la ruée vers les aéroports et les trains. Je crois qu'on va rester à la maison... Oubnaitch me pousse à faire du boomerang, mais on ne sait pas où. Avouez que le ping-pong, c'est quand même plus pratique, pour les villes surpeuplées.

Ça gronde chez les bloggeurs... Une fronde ? Oï, Oï, kill kill !...

Comme on a eu un deuil récemment, T. et moi avons beaucoup parlé de la mort, et notamment de la mort volontaire des personnes âgées. Aussi ai-je été sensible à la transcription bénévole, chez KotinosGhost, de morceaux de Michel Onfray consacrés à l'euthanasie, dans "Fééries anatomiques"  :

"L’euthanasie permet d’avancer sur le terrain de la déchristianisation du corps et des institutions qui s’en occupent, puis de progresser dans la construction d’un corps faustien."
[...]
"Parmi les critiques faites par les tenants des soins palliatifs aux partisans de l’euthanasie, on trouve cet étrange reproche : l’agonisant qui réclame de l’aide pour mourir ne respecte pas la dignité… de celui à qui il formule sa demande ! Un comble… comme si les contrats en pareil cas se constituent sans la liberté des parties prenantes, en l’occurrence celle de l’individu sollicité toujours libre de refuser et nullement contraint d’obéir… L’euthanasie comme crime éthique contre le vivant à qui l’on demande de la pitié, voilà une bien étrange façon de considérer la volonté du mourant !
Là encore apparaît cette idée que le palliatif place moins le malade au centre de ses préoccupations que le soigné obsédé par la triviale opération du salut de son âme. Si en pareil moment un membre du personnel hospitalier trouve qu’on lui manque de respect en lui demandant de l’aide à mourir, à quoi ressemble sa capacité à la compassion, au sens étymologique ?  Il ne souffre pas avec, mais pense à sa seule personne tout en souhaitant ne pas mettre en péril son paradis potentiel, fût-ce au prix d’un geste compassionnel que peut-être leur Jésus n’aurait pas renié – mais que l’Eglise condamne…
Quelle inhumanité d’interdire à un mourant, qui d’une certaine manière a tous les droits – il lui reste si peu à vivre -, de se réapproprier ce qui peut encore l’être ?"


En ce jour férié, je connais des Japonais qui tiennent à travailler. Ce jour est l'anniversaire de l'empereur du Japon de l'ère Showa, autrement dit Hiro Hito, que certains tiennent pour (co-)responsable de l'aventure guerrière du Japon des années 30 à 45 (1931 : invasion de la Mandchourie ; 1937: Guerre sino-japonaise ; 1941 : Guerre du Pacifique, puis Seconde Guerre Mondiale aux côtés d'Hitler dans l'axe). On comprend que certains ne commémorent pas, et tiennent à travailler. D'ailleurs, ce jour a été hypocritement rebaptisé "Midori no hi" (Jour de la Nature, ou de la Verdure), sans doute par métonymie avec les pissenlits...


Rester à la maison... éviter la cohue.
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/LAB/jr2000/espace/pages/anamorph1.htm

2004-04-29 16:36:28 de Sir Reith Oubnaitch

Cliquez sur mon nom. Chaque jour, le lien est différent.
2004-04-30 13:15:12 de Sir Reith Oubnaitch
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Vendredi 30 avril 2004. Sorties.

Trois sorties au programme, et correctement exécutées toutes trois... Quoique, pour la seconde, y'a à redire...

Ce matin, sortie numéro 1 : aller à l'ambassade retirer mon nouveau passeport. D'assidus lectrices et lecteurs se souviendront de la demande de renouvellement déposée le 3 février dernier. Avec délai allongé à trois mois ! Bon, il est prêt, il est beau. Maintenant, je vais devoir faire transférer sur ce nouveau passeport le visa et le re-entry que j'ai fait apposer sur l'ancien le 9 mars... Le total d'heures perdues sera assez effarant. L'ironie du sort, c'est qu'à l'ambassade, on m'a dit, toujours avec le sourire, que le délai était revenu à trois semaines, pour les passeports.
Pour me remettre de cette commotion, je suis allé au supermarché National Azabu qui est presque sur le chemin de retour au métro Hiroo, histoire de ramener de bonnes choses à T. pour quelques bons repas durant ces quelques jours fériés. J'ai pris du saumon fumé, des magrets de canard que je préparerai demain ou après-demain, des olives noires à la grecque, un camembert d'Isigny-Sainte-Mère...

Sortie numéro 2. Après le déjeuner, je repars en chasse pendant que T. se repose (elle a eu à se déplacer presque tous les jours depuis le décès de sa mère). Cette fois pour Philip Roth et pour du café. Je vais à Yoyogi dans une librairie qui possède l'un des plus grands rayons de livres étrangers, Kinokuniya, dans le centre commercial Takashimaya Times Square. Et là, déception : quatre malheureux volumes de Roth mais pas de Deception (Cf. Journal d'avant-hier)... Je me rabats sur deux poches : un Fred Vargas, L'Homme à l'envers, et sur Apprendre à finir de Laurent Mauvignier.
Faisant des photos sur le chemin, je vais ensuite à Yamaya, qui est assez loin du Sud de la gare de Shinjuku, vers l'Ouest, c'est-à-dire en longeant le quartier des hautes tours (Nishi-Shinjuku, près de l'hôtel Washington, comme on peut le voir sur ce plan). Là, je le dis pour les amateurs, il y a du café à 100 yens le paquet de 250 grammes. Il s'agit de la marque "Café Pelé" qui vient du Brésil et qui est emballé moulu sous vide comme on a l'habitude d'en trouver en France. Et il est très bon ! J'en ai pris 10 paquets ; à ce prix-là, il faut faire des provisions et éviter de revenir tous les quinze jours.

Sortie numéro 3 : cinéma à l'Institut. Dernier film de la sélection autour de Cocteau : Les Enfants terribles, de Jean-Pierre Melville. Presque personne pour cette dernière séance, coincée entre les jours fériés... Passées les premières scènes qui m'énervent un peu, avec cette fascination pour l'élève Dargelos qui m'avaient déjà fait fuir ce film plusieurs fois dans ma longue vie, la mise en scène de l'autarcie du couple frère-soeur devient passionnante, surtout par l'excellence du jeu des deux acteurs principaux. Il ne s'agit pas, comme on le dit dans la page web indiquée ci-dessus, "d'étranges liens [qui] se créent" entre le frère et la soeur, mais d'étranges liens qui ont de toujours existé entre eux. C'est la fin de l'adolescence et la nécessité de sortir du cocon autarcique de la chambre commune qui entraîne quelques problèmes : la soeur perd son mari le lendemain du mariage, ce qui la stoppe dans son envol et la rend jalouse de son frère qui aime et est aimé...


Je confirme pour le café!
2004-05-01 13:52:36 de Sir Reith Oubnaitch

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©Berlol, 2004