Je vais parler de l’utilisation de l’ordinateur dans l’enseignement du français. Surtout, je vais décrire l’efficacité de l’utilisation de la télématique à travers deux expériences. La première, c’est l’expérience que nous avons faite en 1992 sur le réseau Minitel, et dont le titre est «Cipango ou Le Cinquième voyage de Christophe Colomb». L’autre, c’est celle de Tokyo University High School intitulée Global Education Network Project sur Internet. Mon collègue, avec qui j’étudie l’utilisation de l’informatique, est un des professeurs responsables de ce projet. Malheureusement, c’est une expérience en anglais, mais qui est bien sûr possible en français. C’est pourquoi je vais vous la présenter.
D’abord, je vais parler de notre expérience
un peu précoce sur le réseau Minitel.
C’est grâce à François Debyser, directeur
du CIEP et à Tsutomu Nakagawa que certains d’entre vous connaissaient
très bien, victime du séisme Hanshin (à Kobé)
en 1995, professeur de l’université Kansei. C’est grâce à
eux que nous avons pu faire participer nos élèves et nos
étudiants, en 1992, à la création collective de la
fiction intitulée Cipango ou Le Cinquième voyage de Christophe
Colomb.
Si Christophe Colomb, qui avait réellement voyagé
quatre fois de son vivant, entreprenait un cinquième voyage et atteignait
le Japon qu’il convoitait, qu’est-ce qui se serait passé ?
Voilà le sujet de notre fiction collective. Nous, les Japonais,
élèves d’un lycée (celui où je travaille) et
les étudiants de 4 universités et 16 lycées français
et italiens ont participé à cette entreprise.
Après la première partie du voyage où Christophe Colomb est parvenu jusqu’au bord du Pacifique grâce aux lycéens européens et américains, les lycéens des seize établissements français et italiens se sont branchés avec les Japonais pour que le navigateur poursuive son voyage. Cette dernière connexion a eu lieu du 12 au 15 mai pour Cipango et a été suivie d’un forum télématique international ininterrompu de 24 heures en mai 1992 sur le thème « La Rencontre des Mondes ».
Chacun des quatre établissements japonais (Université
Kansei, Université des langues étrangères de Nagasaki,
Université de jeunes filles Konan, Lycée de jeunes filles
Caritas) a préparé une vidéocassette présentant
son école, ses participants, et décrivant le Japon à
l’époque de Christophe Colomb. Professeurs et étudiants ont
souhaité que la connexion soit une occasion d’intéresser
les élèves européens à la culture et à
l’histoire du Japon.
Le travail préalable de rédaction à
partir du canevas préparé par les enseignants japonais et
Francis Debyser a été fort utile aux étudiants pour
aborder la connexion. L’effort de chaque étudiant ou groupe d’élèves
était soutenu par une volonté réelle d’expliquer en
français les particularités culturelles du Japon d’il y a
cinq cents ans et d’aujourd’hui. Les enseignants assistaient les étudiants
selon leur niveau de français et leur donnaient des conseils pour
que les messages deviennent plus courts et plus compacts. Surtout à
notre école, les enseignants étrangers les ont beaucoup aidés
à écrire les messages.
Même si cette pratique de cours sous forme d’ateliers
de travail n’est pas encore très répandue dans l’enseignement
des langues au Japon, elle a été plutôt bien accueillie.
Lors de la connexion de mai, 1481 messages ont été
échangés entre les participants : un nombre record parmi
toutes les connexions effectuées et animées par le CIEP.
En plus des textes préparés à l’avance suivant le
canevas, des échanges improvisés, des discussions, des questions
et des mises au point sur la géographie ou les coutumes japonaises
laissaient à l’imprévu communicatif tout son attrait, sans
parler, au début et à la fin de chaque connexion, des échanges
de conversation libre que les étudiants auraient volontiers poursuivis.
Cipango a créé l’occasion de communiquer
en français en temps réel et de sentir que le français
est une langue de communication internationale. En effet, le français
est enseigné au Japon dans beaucoup d’universités et une
partie des écoles secondaires, mais l’intérêt est surtout
culturel et les étudiants n’ont que trop rarement l’occasion de
communiquer en français.
Au lycée, le français est enseigné comme moyen de
réussir au concours d’entrée à l’université,
les élèves n’ont donc pas beaucoup d’occasions de communiquer
en français.
1. Cet exemple montre que Cipango est une occasion d’intéresser les élèves européens à la culture et à l’histoire du Japon. On a communiqué à la fois en français et en japonais. Les élèves de France qui apprennent le japonais traduisent souvent les mots japonais en français.
-1140----Ven 15 Mai 1992-REIMS -08:28-
Konnichiwa* Kawasaki
-1141----Ven 15 Mai 1992-KAWASAKI-08:28-
> Orléans Nous vous avons envoyé un dessin de SAMOURAI.
Vous allez savoir ce que c'est que SAMOURAI et CHONMAGE.
-1142----Ven 15 Mai 1992-KAWASAKI-08:30-
> Reims Konnichiwa. Ogenkidesuka**?
-1143----Ven 15 Mai 1992-REIMS -08:30-
A Kawasaki genki desu***
-1145----Ven 15 Mai 1992-DEBYSER -08:31-
BONJOUR A REIMS ET A SELENE; MAX ARRIVE ET NOUS DEVRIONS TRAVAILLER
PLUS TRANQUILLEMENT AUJOURD'HUI
* : Konnichiwa = Bonjour
** : Ogenkidesuka = Comment allez-vous?
*** : genki desu = Nous allons bien.
2. Voici un exemple des histoires imaginés et aussi de représentation du Japon. On discutait du nom qu’on donnerait à un Italien que Colomb a rencontré à Nagasaki et nos élèves lui ont donné le nom « Momoco Polo » en imitant le nom de Marco Polo, parce qu’une de nos élèves s’appelle Momoko. Nos élèves sont très contentes que le nom qu’elles ont proposé soit adopté.
-1227----Ven 15 Mai 1992-KAWASAKI-09:14-
Alors, un homme s'est approché de Colomb en chantant. "O
sole mio! la la la..." Il ressemble à un Italien. Il parle
à Colomb. "Je suis Momoco Polo. Ma mère est japonaise
et mon père est italien, son nom est Marco Polo."
-1228----Ven 15 Mai 1992-REIMS -09:14-
Nagasaki était ouvert aux étrangers, c'est pour cela
que de nombreux navires, surtout Portugais, Espagnols et Hollandais, sont
envoyés pour christianiser le pays.
-1229----Ven 15 Mai 1992-NAGASAKI-09:15-
COLOMB A RENCONTRE UN MARCHAND ITALIEN, QUI EST NE EN CHINE. IL
S'APPELAIT "RIJUN". IL ETAIT PETIT ET GROS. SES CHEVEUX ETAIENT
LONGS ET NOIR, SES YEUX ETAIENT VERTS. IL AVAIT 30 ANS.
-1230----Ven 15 Mai 1992-PARIS FR-09:15-
SE REVEILLANT DANS UN PETIT RYOKAN, CRICRI DECOUVRE LA VILLE ET
SES HABITANTS,SOUS LES SAKURA NO HANA... [ndlr : fleurs de cerisiers]
-1231----Ven 15 Mai 1992-ORLEANS -09:13-
CC SE DIRIGE VERS UN PETIT MARCHE DE POISSONS. TOUT CE PETIT MONDE
PARLAIT JAPONAIS LORSQU'IL EST SURPRIS D'ENTENDRE DES MOTS QUI LUI SONT
TRES FAMILIERS : ON AURAIT DIT DE L'ITALIEN...
-1232----Ven 15 Mai 1992-KYOTO -09:15-
SOUDAIN DANS UNE DES RUELLES DU QUARTIER CHINOIS, CC ENTEND DES
MOTS ITALIENS. IL CHERCHE D'OU CELA VIENT. C'EST UN VIEUX CHINOIS SOUDAIN
DANS UNE DES RUELLES AVEC UN DES HOMMES DE CC
-1233----Ven 15 Mai 1992-MILANO1 -09:15-
CC est arrivé à Nagasaki. Dès qu’il descend
du navire il voit beaucoup de monde qui s'approche. Il s'agit des habitants
attirés par la caravelle.
-1234----Ven 15 Mai 1992-PADOVA -09:15-
Nagasaki est un village de pêcheurs. Quand il arrive il voit
les collines de l'île de Kyushu, le temple Kofuku. Il passe sur le
pont Megane Bashi il demande des renseignements à un pêcheurs.
Il s'appelle Mitsubishi
-1235----Ven 15 Mai 1992-MAX -09:16-
A KAWASAKI: BRAVO MAIS JE DIRAIS PLUTOT L'ARRIERE GRAND-PERE; CONTINUEZ
L'HISTOIRE DE MOMOKO POLO: COMMENT EST HABILLE NOTRE METIS? COIFFURE CHOMNAGE;
LA COULEUR DE SES YEUX?
-1236----Ven 15 Mai 1992-NAGASAKI-09:16-
DANS SON ENFANCE, IL ETAIT ALLE EN ITALIE AVEC SON PERE. A LA MORT
DE CELUI-CI, IL DECIDE DE RENTRER EN CHINE. LA, IL ENTENDIT PARLER DU "CHIPANGO"
PAYS D'OR. IL EST ALLE A NAGASAKI ET A DECIDE DE CONSTRUIRE UN PORT RESERVE
AUX BATEAUX ETRANGERS, POUR PARLER DU "CHIPANGO" PAYS D'OR. IL
EST ALLE A NAGASAKI ET ACHE.
-1237----Ven 15 Mai 1992-MILANO2 -09:17-
..LA TERRE FERME. IL Y A BEAUCOUP DE BATEAUX DE MARCHANDS QUI HURLENT
ET QUI VONT ET VIENNENT DANS LES RUES PLEINES DE MONDE.
-1238----Ven 15 Mai 1992-PARIS FR-09:17-
ATABLE - AFFALE - DEVANT DU SAKE, CRICRI CRUT VOIR UN HOMO-SAPIENS,
ICI?... EN FAIT,C'ETAIT JUSTE UN POTE D'ITALIE. "EH TOI, T'ES QUI?"
La nécessité de comprendre et de réagir
rapidement et le fait de réussir à communiquer ont fait oublier
la crainte de l’erreur qui bloque si souvent l’expression. Cela a été
un encouragement d’autant plus grand qu’il était lié à
un plaisir. La connexion a été perçue comme une joie,
une façon plaisante, originale et même surprenante de travailler
en cours, tout en communiquant de façon authentique.
Les étudiants japonais ont été également
très contents d’avoir pu partager la même expérience
en temps réel avec des étudiants d’autres pays. Si certains
étudiants ont souhaité rester dans le rêve et la complexité
de la fiction, d’autres ont préféré reprendre les
messages et redonner une forme construite à ce cinquième
voyage de Christophe Colomb.
Cipango a servi de lieu de rencontres entre les
établissements : des établissements français
où le japonais est enseigné ont souhaité engager une
correspondance avec nos élèves japonais. La correspondance
se poursuit encore actuellement.
Mais pour les frais, c’est une expérience que
l’on ne peut pas faire sans subvention, parce qu’il a fallu 100 yens (5 francs)
par minute. C’est-à-dire en tout plus de cent mille yens (5000 francs).
Pour ce qui est des frais, Internet est tout à fait différent. C’est presque gratuit. Cela nous donne plus de possibilités. Nous allons le voir avec la deuxième expérience.
Est-ce que vous connaissez CU-SeeMe, procédé
inventé à l’université Cornell, aux Etats-Unis ?
CU-SeeMe transforme l’ordinateur en visiophone sur Internet.
Les lycéens de Gakugei ont échangé
leurs points de vue sur le Séisme ou sur leur vie quotidienne, avec
les lycéens de Jefferson Junior High School il y a deux ans. C’est
grâce au développement technologique que ces échanges
par visiophone sont possibles.
Nous allons le voir avec un enregistrement vidéo
réalisé dans la classe.
On entend assez bien, je crois. L’échange se
fait à 12800 bps.
Désolé que ce soit toujours les jeunes
filles qui donnent leur opinion. Ces jeunes filles n’ont appris l’anglais
qu’au Japon. Je suis étonné de leur compétence.
Le réseau internet a ouvert une nouvelle voie
pour communiquer avec les autres pays plus facilement qu’on ne pouvait
l’imaginer et nous donne beaucoup de possibilités autres que Cipango.
Pour finir Cipango, je citerais une observation
d’un élève italien : « C’est très
intéressant de voir des Américains écrire aux Japonais
en français.» (un lycéen de Padova).