Table-ronde - Yamazaki - Pierssens - Liens - Nous écrire

L’hypertexte est-il
un produit instrumental ou cérébral ?

par Patrick Rebollar, Institut Franco-Japonais de Tokyo


 On a coutume souvent d’opposer la cérébralité et l’instrumentalité.
 Il y aurait ainsi d’un côté le logos, la connaissance, la pensée, image idéalisée par Rodin d’un homme nu qui réfléchit, par exemple, et à laquelle les littéraires s’identifieraient, consciemment ou non, et de l’autre côté la technique, la prothèse instrumentale qui supplée à l’incapacité avant de devenir parfois une forme d’esclavagisme, représentée, par exemple, par Chaplin dans Les Temps modernes.
Ce système d’opposition, tout caricatural qu’il paraisse, sous-tend la plupart des réflexions que j’ai pu entendre de la part de professeurs de littérature, en France comme au Japon, lorsqu’ils refusent de s’intéresser à l’ordinateur.

   Ce qu’ils oublient, c’est qu’ils sont eux-mêmes instrumentalisés à outrance. Leurs bureaux débordent de dictionnaires, de lexiques, de notices, d’articles et de fiches en carton classées dans des boîtes à chaussure. Leurs cours ou leurs notes sont remplis de références bibliographiques, ou de renvois croisés aux travaux de leurs maîtres et de leurs collègues.
  Or ces flèches et ces numéros de pages sur le papier, ces renvois, ne sont rien d’autre que de l’hypertexte à son stade manuscrit. Le lien entre deux éléments est mis en marche par l’énergie des neurones qui vont se souvenir de l’emplacement où le livre est rangé et l’énergie des muscles qui vont le prendre et tourner les pages.
  L’opposition entre cérébralité et instrumentalité n’existe tout simplement pas. La cérébralité, la pensée étant de toute façon nécessaire, il n’y a d’opposition qu’entre une instrumentalité traditionnelle et une instrumentalité nouvelle, dont la particularité est d’être électrique depuis quelques décennies, et électronique depuis une quinzaine d’années.

   Le premier effet d’une instrumentation électronique est d’accéder plus rapidement à des sources d’information et de les manipuler plus facilement. Ainsi des deux définitions de mots distribuées, tirées du cédérom du Petit Robert.
   La zone de texte désirée peut en effet être insérée automatiquement dans un document, puis remise en page dans ce document (ici sans couleur et dans une autre police de caractères).
   Le second effet des outils électroniques est la possibilité de diffusion pour la pédagogie ou l’auto-apprentissage. Ainsi du poème de Rimbaud, annoté et diffusé sur le web.
   Le troisième effet, et qui est de loin le plus intéressant, est l’effet de prolongement, ou effet heuristique : lorsque l’utilisation d’un outil apporte un supplément imprévu et utile qui lance la recherche dans d’autres directions. Par exemple, lorsque en suivant des liens de notes du poème, le lecteur se retrouve dans des citations de Balzac qui l’invitent à découvrir beaucoup plus largement la notion de « bourgeois ». Dans ce cas, l’hypertexte débouche sur l’intertextualité littéraire.

   Je me limiterais aujourd’hui à ces exemples. En conclusion, j’invite les chercheurs et les professeurs à développer l’hypertexte en tous sens et à diffuser leurs travaux, car si c’est bien par des instruments que nous pouvons effectuer ces opérations, c’est surtout notre esprit et nos connaissances qui peuvent être découverts par ceux qui en ont besoin ou envie.


Table-ronde - Yamazaki - Pierssens - Liens - Nous écrire