Dimanche 1er juin.
Détricoter — c'est tout qui vient. Il fait beau, contrairement à hier. On reste à la maison, deux lessives à étendre, l'aspirateur à passer, etc. Je ne sors que pour quelques courses — mais dans trois directions différentes : à Hanamasa le matin, quatre cents mètres plein Sud pour fruits et viande de bœuf, à Yoshiya après le déjeuner, neuf cents mètres plein Nord pour des yaourts, enfin à Miuraya vers 19 heures, mille mètres Est-Sud-Est pour du poisson et du beurre — y'en a ! « Et mon mot, alors, personne ne le connaît ? J'ai écrit mysogyne au tableau, puis, après réflexion, misogyne. — Le préfixe est utilisé négativement, et « gyne » c'est lié à un mot grec qui veut dire utérus. Je confondais avec hystérie, mais ce n'est pas pour ça qu'ils ont pouffé. Ni ce qui a provoqué l'intervention d'Aissatou. — M'sieur ceux-là qui veulent que la femme elle reste au foyer c'est des misogynes ? — Voilà, par exemple. Oui mais, a dit Dounia, il faut aussi la protéger la femme, oui mais, a dit Soumaya, rester à la maison toute la journée c'est abuser, oui mais regarde les films porno c'est abuser aussi, a dit Sandra branchée sur le secteur, moi j'dis il faut les interdire parce que c'est un manque de respect, et même moi j'vois, a dit Hinda qui ressemble à je ne sais plus qui, des fois t'as des films ils sont même pas porno eh ben même là t'as des scènes avec du sexe et tout, ouais moi c'est pareil, a repris Sandra, quand j'tombe dessus et j'suis avec mon père oh là là j'ai trop la honte, c'est pour ça maintenant quand il m'fait viens on va regarder la télé et tout moi j'dis non non, ouais, a dit Soumaya ou Imane ou Aissatou, au moins quand on est au bled on est pas obligé d'avoir la main sur la télécommande ou quoi que ce soit, au bled on peut regarder tranquille alors que ici c'est pas pareil on a toujours la main sur la télécommande des fois qu'y aurait du sexe ou quoi que ce soit, ouais moi en Égypte c'est pareil quand j'regarde la télé j'suis tranquille j'ai pas besoin de changer de chaîne tout l'temps alors qu'ici en France c'est même pas la peine tellement tout l'temps y'a des trucs bizarres vous voyez m'sieur ? — Oui.» (François Bégaudeau, Entre les Murs, p. 137-138 — et un petit merde à Sorin qui peut rester avec son Houellebecq et sa Carla tant qu'il voudra...) Ce soir, avons vu Je ne suis pas là pour être aimé (S. Brizé, 2005), film plaisant par son austérité même. En effet, me disais-je, dès trente ans tout le monde est plus ou moins coincé par ses relations antérieures (avec parents, enfants, amis, travail, etc.). Et le jour où une vraie rencontre — un événement — peut changer complètement le cours de la vie, il arrive souvent qu'on n'y donne pas suite, que le courage manque pour s'y risquer. Parce que rompre avec le passé n'est pas instantané : ça arrache, ça déchire, ça détricote. Parce que détricoter — c'est tout qui vient — nécessite beaucoup d'énergie, parce que la plupart des gens de votre entourage seront contre vous, parce que les chances d'échec... on sait ce qu'on quitte... et tout et tout... Mais je ne suis pas là pour raconter ma vie. Commentaires1. Le lundi 2 juin 2008 à 07:22, par Manu : Ai vu également récemment sur Wowow. Pas mal. |
Lundi 2 juin 2008. Ta mère ou une autre
femme tenant le rôle
de ta mère ? Nous étions déjà quelques-uns à l'avoir dit, à le dire depuis un an : ce gouvernement Sarkozy a des tendances nazies. Ce qui ne veut pas dire qu'il est Nazi (voir explication de texte sur pétasse il y a trois jours). En voici une preuve supplémentaire dans le Contre-Journal avec les questionnaires diffusés dans les écoles, soit en catimini auprès des enfants, soit imposés aux parents sous peine d'amende. On croit rêver — cauchemarder, plutôt ! Et c'est le spectre des fichiers juifs, la saga des délations que l'on revoit en arrière-plan. Sous prétexte de pédagogie ou d'ajustement budgétaire, ce gouvernement, impunément, produit cela — mais c'est un inconscient nazi qui le fait agir. Comment expliquer sinon que des fonctionnaires s'autorisent à inventer de telles questions : "Ta mère est née en France ?", "Ton père est né en France ?", "Quelle langue parles-tu à la maison ?", "Qui vit avec toi à la maison ? (ta mère ou une autre femme tenant le rôle de ta mère ?)", ou, aux parents : "À quelle heure rentrez-vous du travail ?", "Quelle langue parlez-vous à votre enfant ?", "Quelle est votre nationalité ?", "Quel est le montant mensuel dont dispose votre famille pour un mois ordinaire ?"... JAMAIS une démocratie ne devrait accepter de tels questionnaires. J'ai honte pour la France. J'ai honte d'être français. En fait, la question, le titre, vous avez remarqué ? On croirait que c'est encore une citation de Bégaudeau, tellement ça épouse le moule de la langue jeune, de la langue pour parler aux jeunes... Comme quand le loup prend la voix de la grand-mère pour montrer patte blanche... Plus anecdotique : on a sauvé le 14 juillet ! Une circulaire ministérielle (du gouvernement susnommé) voulait nous sucrer la réception démocratique de la fête nationale à l'ambassade. (Même si je n'y vais pas systématiquement, même si je snobbe parfois la garden-party, elle existe et je fais mon choix.) Sombre mesure budgétaire, avait-on prétendu. Mais tout le monde y voyait comme en plein jour le mépris du peuple — qui rime souvent avec l'amour des yachts. À part ça, j'ai plutôt pas mal travaillé, aujourd'hui. Des pages web à actualiser (de recherche en équipe, des choses pas encore accessibles), du courrier. Et puis un rendez-vous annulé, sinon je ne m'en sors pas. J'accompagne T. au métro, en fin d'après-midi, et j'achète mon dîner. Elle va discuter archives avec une bibliothécaire jusqu'à dix heures passées — revient pendant que je regarde Des Fleurs pour Algernon (Delrieu, 2006), adaptation quand même très moyenne. Commentaires1. Le lundi 2 juin 2008 à 03:57, par brigetoun : nou
n'avons pas fini d'avoir honte, et une des priorités affichées de la
"présidence française de l'Europe" sera d'amener les autres pays à
uniformiser et durcir les conditions d"immigration. Heureusement, mais
la honte n'en est que plus grande, l'enthousiasme des autres est très
relative. 2. Le lundi 2 juin 2008 à 07:29, par Manu : Mais c'est l'horreur, qu'est-ce que c'est que ce truc ??!!?? 3. Le lundi 2 juin 2008 à 08:02, par Berlol : Bah, pour l'instant, ça résiste parce qu'il y a encore suffisamment de gens avec de la conscience et de l'humanité pour dénoncer ces fichages mais quand on les aura remplacés par des emplois précaires en sous-nombre, ça sera nettement plus facile. Je pense qu'à ce train-là, si je puis dire (ou devrais-je dire : à ce charter-là), on y verra plus clair (dans l'épuration) durant le second mandat du président... 4. Le lundi 2 juin 2008 à 18:22, par patapon : Et si Badiou avait raison? Son expression de « transcendantal pétainiste » était un peu alambiquée, mais sur le fond, on pourrait p.e. lui faire crédit d’une certaine lucidité. Moi, je parlerais de « résurgence vichyssoise » (plutôt que de nazisme), mais trève de logomachie… car enfin, cette histoire (dont on n’avait jusque-là pas entendu parler), ça va commencer à se voir et à se savoir, et si les contre-pouvoirs font leur métier, le scandale sera énorme (je me demande au passage comment des gens de bonne volonté, comme Kouchner ou Rama Yade, vont accepter d’avaler cette couleuvre: en tt cas pour Kouchner qui depuis l’affaire des JO a l’air de chercher désespérément une porte de sortie, c’est l’occasion rêvée de claquer la porte). Mais le plus important n’est pas là. La machine mise en marche est lourde, très lourde, donc facile à saboter, et pour qu’elle fonctionne, il faut que des milliers de bonnes volontés ou de passivités s’y associent. Tu dis toi-même que ça résiste encore (quant à un deuxième mandat... refusons de prendre nos cauchemars pour des réalités !). Ce qui est intéressant pour l’instant, c’est donc précisément de voir combien de rouages refuseront de fonctionner. A mon avis, ça va faire pschitt! Suis-je trop optimiste ? 5. Le lundi 2 juin 2008 à 21:39, par brigetoun : un certain optimisme dans le commentaire ci-dessus, 6. Le lundi 2 juin 2008 à 23:12, par Berlol : Oui, un optimisme un peu difficile à avoir, pour moi. Qui suis un optimiste de nature. Mais là... Et puis Yade et Kouchner, ils ont déjà les mains très sales, depuis un an ! Ça ne te suffit pas, Patapon ? Tu peux encore les croire capables de quelque chose de "bien" ? 7. Le mardi 3 juin 2008 à 00:02, par patapon : A mon avis, quant ils se retrouvent avec Hortefeux (qui, dans l'habitus porcin et haineux, a tout, lui, du haut-fonctionnnaire vichyste) et autres, ils doivent se dire: bon sang, qu'est-ce que je fous ici !? Donc en l'occurrence, faire "qqch de bien", c'est claquer la porte, et j'ose croire (en incorrigible optimiste, je sais) qu'un jour ou l'autre, c'est ce qui va finir par arriver... 8. Le mardi 3 juin 2008 à 02:05, par Berlol : Un jour ou l'autre, oui. Mais avant ou après les premières déportations ?... 9. Le mardi 3 juin 2008 à 02:09, par patapon : Évidemment, le plus tôt serait le mieux... 10. Le mardi 3 juin 2008 à 23:39, par raoul de g. : Je
pense que Patapon a plutôt raison de parler de résurgences vichyssoises
que de nazisme. Le nazisme est aussi une esthétique (cf Nancy &
Lacoue-Labarthe) ce que notre pauvre gouvernement n'a pas le moins du
monde. Sauf celui de la vulgarité bling-bling. On me dira que c'est une
esthétique, sans doute, mais qui ne fait pas bcp d'émules et ne lie pas
les foules. 11. Le mercredi 4 juin 2008 à 01:06, par Berlol : Oui, oui... J'ai beaucoup réfléchi à ces distingos, entre vichysme et nazisme... De toute façon, nous les employons à titre prophylactique (voire apotropaïque) et de manière analogique. Il s'agit d'abord de faire mouche sur une cible visible pour que les esprits de nos contemporains se trouvent excités au point d'en arriver à "penser" par eux-mêmes — dingue, non ? —, après quoi le comparant devrait céder la place au comparé... pour lui faire quitter la sienne. Et comme cible, façon épouvantail, moi, je vois qu'Hitler fait quand même beaucoup plus peur que Pétain. |
Mardi 3 juin
2008. Copies au sec. Ouhh, mais quel sale temps, ce printemps ! Encore de la bruine fine et froide quand je quitte Tokyo, qui nous bat les vitres pendant que je corrige des copies au sec dans un bolide lancé à 300 à l'heure, qui semble cesser quand je débarque à Nagoya somnolent puis reprendre tandis que j'arrive au bureau. C'est un fait avéré maintenant, on en parle entre collègues et on doit statuer sur la marche à suivre dès demain : les nouveaux étudiants sont moins bons cette année, et ce dans plusieurs universités puisque T. corrobore. On cherche des raisons dans des changements de programmes, de fonctionnement scolaire, de comportement qui seraient intervenus il y a une douzaine d'années. L'enquête commence... « M'sieur on peut parler des attentats ? — Pour quoi dire ? — Ils arrêtent pas d'dire que c'est les islamistes, alors qu'en fait on sait même pas. — Y'a quand même de grandes chances, non ? Mohammed-Ali et Soumaya sont montés au créneau au quart de tour, entrelaçant leurs vociférations. — Pourquoi ils disent c'est les islamistes ? tant qu'y'a pas d'preuves on sait pas ils ont qu'à s'taire c'est tout y'a pas moyen. — Et alors qu'est-ce que ça change ? Mohammed-Ali s'était échappé du peloton vindicatif. — Ça change qu'ils savent pas c'est tout. Soumaya a recollé sa roue. — Même le 11 septembre ils savaient pas. Imane est entrée dans la course. — Moi j'étais contente le 11 septembre. Et moi content de pouvoir en découdre. — 3000 morts t'es contente ? Mohammed-Ali est reparti. — Eh m'sieur faut voir tous les morts les Américains ils font en Palestine et tout. — Oui, enfin admettons, mais on peut pas éternellement rester dans la spirale de la vengeance. — Mais les Américains ils tuent des musulmans, c'est normal les musulmans ils s'défendent. — Même en tuant n'importe qui ? Brouhaha contradictoire mais je n'écoutais plus que moi. — Voilà, moi j'm'appelle Pepita, j'ai vingt-quatre ans, j'habite en banlieue de Madrid. J'ai deux enfants en bas âge, j'travaille à Madrid, alors je m'lève à six heures pour prendre le train de banlieue. Et aussi il se trouve que l'année dernière j'ai manifesté contre la guerre en Irak, et contre mon gouvernement allié des Américains pour envahir un pays illégalement. Bon, donc comme tous les matins je prends mon train de banlieue, j'pense à tout ça, à mes enfants, à la guerre et à tout ça, et boum je suis morte. Comme par un sortilège, mes mots avaient fabriqué du silence.» (François Bégaudeau, Entre les Murs, p. 179-180) Enfin, le temps m'ayant manqué pour lire la presse littéraire ces derniers jours, je ne découvre qu'aujourd'hui l'excellent article de JDW sur Lutz Bassmann. Un des meilleurs depuis la sortie des deux livres. * *
* « Fiat Lutz Post-exotisme. Volodine laisse écrire un de ses personnages, par Jean-Didier Wagneur (in Libération, 22 mai 2008) Le nom de Lutz Bassmann n’est pas inconnu aux lecteurs des romans d’Antoine Volodine. Il a été le protagoniste du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze (1998) et on a pu le croiser dans Des anges mineurs (1999). Incarcéré dans un quartier de haute sécurité, Lutz Bassmann est l’un des reclus exemplaires de la mouvance littéraire et révolutionnaire qu’Antoine Volodine a baptisée « post-exotisme ». Que sait-on de lui ? Peu de choses : militant de l’égalitarisme, il a beaucoup écrit en captivité : les Attentats contre la Lune, le Non-rire, Promenade en enfance, l’énigmatique Retour au goudron… Jusqu’à présent les textes de Bassmann n’étaient que des références dans la bibliographie des 343 œuvres du post-exotisme. La publication d’Haïkus de prison et d’Avec les moines-soldats le font accéder à l’existence. Identités. Le réflexe immédiat est de ne voir en Lutz Bassmann qu’un hétéronyme d’Antoine Volodine, mais le problème est que, en l’état actuel de nos connaissances, le contraire peut être aussi vrai. Volodine pourrait être lui-même fictif, rêve d’un autre écrivain dans une régression à l’infini, comme dans les Ruines circulaires de Borges. Aussi n’y a-t-il rien ici de la tentation toute romantique de mystifier le lecteur en lui offrant, selon l’expression, un écrivain supposé. Nous sommes devant quelque chose qui ressort de l’ontologie car le post-exotisme squatte depuis toujours la mystique bouddhiste et, à son contact, s’est affranchi du poids des identités. En conséquence, mieux vaut ne pas céder à la fièvre sécuritaire en demandant à Lutz Bassmann de nous présenter ses papiers pour entrer de plein droit dans le monde littéraire. Les Haïkus de prison racontent la vie carcérale, la déportation dans l’enfer des camps. C’est le quotidien des prisonniers politiques et des droits communs métissant leur existence de celle des autres. Lutz Bassmann les nomme : l’Anthropophage, le Bouriate, l’Idiot, l’homme du Secours rouge… et en décrit les travaux forcés et les jours sombres. Dans cet espace soumis à la loi d’exception, la résistance s’organise, la littérature sert à égarer les gardiens et à maintenir le contact dans la communauté des détenus qui a substitué par force à une avant-garde politique une autre : esthétique. La question du nom hante Avec les moines-soldats. Ce recueil d’entrevoûtes est agencé, selon la poétique du post-exotisme, en sept parties qui se font écho. Dans la première (« Un exorcisme en bord de mer »), un moine-soldat, Jean Schwahn, a pour mission d’exorciser une étrange villa balnéaire hantée et surmontée de fanions tibétains. La seconde et la sixième offrent deux versions d’une expédition similaire. « Crise au Tong Fong Hôtel » met le personnage principal, Brown, face à une situation énigmatique. Il lui faut se rendre à une date et une heure données face à un hôtel en ruines pour assister à un événement dont il ne sait rien et face auquel il doit improviser. La pièce centrale, « Un univers prolétarien de secours », raconte l’odyssée de Fuchs et de Monge à la recherche d’un monde où la fraternité et l’utopie révolutionnaire existent encore. Cette quête est encadrée par deux entrevoûtes exceptionnelles : « La plongée » qui, dans un autre niveau de réalité, décrit de l’intérieur de la prison les narrateurs et personnages du post-exotisme, et « L’oubli » qui atteint à la perfection d’un poème en prose. « Vain temps après » achève humoristiquement et désespérément le cycle des réincarnations de ces histoires que le lecteur pressent comme une seule, incessante. Ces exorcismes, interrogatoires, autocritiques, ont pour mission de nommer les démons. Dès la première page, on est aspiré dans le trou noir du post-exotisme où les contraires coexistent. Qui exorcise qui ? Qui rêve qui ? Qui manipule quoi ? Le monde de Bassmann est celui des derniers jours de l’humanité où l’Organisation cherche à étendre sa maîtrise : « Elle savait que l’humanité était fichue et elle ne nourrissait plus l’espoir de voir naître sur terre une société prolétarienne juste et fraternelle. Elle souhaitait sauver en urgence le peu qui restait encore à sauver, et, comme les outils utopiques du passé se révélaient inopérants et même absurdes, elle fondait à présent sa stratégie sur des forces obscures qu’autrefois elle avait dénoncées comme surgies d’esprits arriérés ou typiques de régressions féodales : les rêves, les imprécations schizophrènes, les transes chamaniques, le fakirisme.» Marx a dit que l’histoire se répète deux fois : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce ; c’est le sentiment des personnages, sommés de concilier ici, de manière paradoxale et dolente, l’action politique et le rêve. Cycle. On a souvent mêlé, non sans raisons, Pessoa au post-exotisme, c’est plutôt du côté du surréalisme qu’on en pourrait établir la parentèle. Chez Bassmann comme chez Volodine, l’univers inclut le rêve. Mais, là, la seule réalité reste une sempiternelle condamnation à un non-lieu, le bardo, état intermédiaire entre vie et mort, monde flottant entre mémoire et oubli. Il n’y a pas de sortie possible, ni même de tragique, car la mort n’est pas une fin, seulement le début d’un nouveau cycle de souffrances que l’exercice rituel de la littérature et l’amour fou ont pour tâche de différer. Ainsi du leitmotiv que Monge rumine dans Avec les moines-soldats et que l’on peut voir placardé en ce moment dans nos villes : « Seuls ceux que j’aime, Seuls ceux que j’aime, écoutez ! » (1) (1) http://www.lutzbassmann.org |
Mercredi 4
juin 2008. Délicats et sombres. Seule nouvelle vraiment positive du Soir 3 d'hier soir : Scarlett Johansson sort un disque de reprises de Tom Waits, intitulé Anywhere I lay my Head. Comme Marie Drucker ne le dit pas, il y a déjà pas mal de possibilités d'écoute en ligne. Voix grave, arrangements délicats et sombres ambiances, on n'en attendait pas moins d'une actrice qui s'est choisi comme pères spirituels Woody Allen, Bill Murray, Tom Waits, Barack Obama et Bob Dylan ! Je sens que mes hauts-parleurs vont s'en lasser avant moi. L'album a été enregistré à Louisiana, du côté du bayou faulknerien. Dans la conversation avec Scarlett, Debbie Harry (!) assure que la forte humidité des lieux affecte à l'évidence la tonalité de l'album. Nous sommes donc parés pour l'été japonais... Et puis ça me changera du Ralbum (Laureli / Léo Scheer) qui squatte la platine depuis deux bonnes semaines, au point que j'en parle la langue sans m'en rendre compte... Hier je me plaignais de la pluie mais quand j'ai vu cette superbe photo de l'ami Bikun au Népal, je me suis dit qu'à tout prendre j'allais garder mon crachin nippon. En même temps, ça fait envie, ce déluge ! Non ? La brillance... On se dit qu'on courrait pour aller se réfugier au restaurant d'en face, on y arriverait trempé et que ça serait guère moins humide à l'intérieur, avec des saveurs d'épices en sus, des conversations, des fumeurs qui se la coulent douce sur le perron, on rirait en se regardant tout dégoulinant d'eau et d'adrénaline, on se raviserait en voyant l'état de notre matériel, le sac, l'appareil-photo qu'on essaierait d'essuyer tant bien que mal, on nous prierait de nous asseoir... Un thé viendrait, ou un curry... La pluie s'arrêterait sans que ça n'émeuve personne, dehors l'activité reprendrait, la vache étique ne serait plus là. Merci, Bikun, cette photo m'a bien fait voyager ! Douche froide dans un courriel officiel : Mme Valérie Pécresse, Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, prononcera le 13 Juin à 13H30 à l'Université de Tokyo, Campus de Recherche de Komaba, une conférence intitulée : « Japon-France : l'enseignement supérieur et la recherche, un pont entre nous » (interprétation simultanée) Vous êtes cordialement invité(e). Plan du campus La conférence aura lieu au Convention Hall, bâtiment 6 (bloc A) Je suppose qu'il n'y aura que des apparatchiks de Todai, des grands profiteurs de la réforme japonaise qui sert de modèle à la française, et qu'ils vont tous s'entre-flagorner bien baveusement. Plutôt crever que d'aller leur donner ma caution ou mon oreille ! Finalement (puisque je me suis reconduit à l'auditif), ça n'est encore pas aujourd'hui que je vais traiter du Ralbum... Pour le cours de lecture & phonétique, expérience commencée, j'y reviendrai la semaine prochaine. Débat mouvant, tournant, relativement consensuel sur la question du mariage annulé pour mensonge sur la virginité dans le Ce soir ou Jamais d'hier soir. Marrant : je trouve toujours ça bien quand il y a Régis Jauffret. Peut-être parce que ses emportements sont les miens, parfois même quand je ne le sais pas, parce que je ressens une adhésion a posteriori. Adhésion a posteriori, ça devrait faire sourire, ça... C'est d'actualité, ça prolongeait logiquement Lignes de fuite, où le sujet est d'abord littérairement introduit. D'où que je peux aussi m'en sortir par là : « M'sieur on peut faire un débat ? — Et le brevet, on s'en fout ? — Les débats c'est mieux. — Oui, mais y'a pas de débat au brevet. Ils ont commencé à parler du mariage homosexuel, les filles n'étaient pas contre, les garçons totalement, dont Hakim qui a fait une grimace dégoûtée en donnant son opinion. Aissatou réfléchissait, Mohammed-Ali a dit que c'est pas comme ça qu'on fait l'amour, Sandra a dit qu'au bled les filles elles se faisaient sodomiser pour rester vierges au mariage, t'as vu, c'était n'importe quoi, les mecs ils faisaient style ils veulent pas des filles vulgaires et eux c'est des animaux, t'as vu. Les filles elles se font recoudre même des fois, a ajouté Katia, même embrasser en public c'est pas possible au Maroc, a dit Hinda qui ressemble à je ne sais plus qui et Sandra l'a regardée en prenant un air coquin allusif. — C'est pas comme en France, hein Hinda ? » (François Bégaudeau, Entre les Murs, p. 262-263) Commentaires1. Le mercredi 4 juin 2008 à 16:32, par patapon : Merci, cher Berlol, de nous signaler cet excellent lien sur le Japon. Il est en effet assez rare qu'en France, des observateurs jettent un regard aussi lucide sur les ravages de ce qui s'est fait ici avec l'approbation passive de tout le monde (sauf naturellement des universitaires). En France, est-ce que cela passera si facilement? Je me le demande. 2. Le samedi 7 juin 2008 à 02:41, par Philippe De Jonckheere : Tu
es en train de me dire qu'en plus d'être une comédienne admirablement
mauvaise, elle tente, avec ses airs outrés de blonde à opulente
poitrine de chanter du Tom Waits. Et dire qu'il y a une dizaine ou une
quinzaine d'années j'avais pensé qu'on ne pouvait pas faire pire que
Rod Stewart qui reprenait comme un pied "Waltzing Mathilda" et
"Downtown train", eh bien apparemment si, on peut faire pire. N'empêche
ça doit quand même être comique d'entendre un canard à grosses lèvres
tenter de chanter des chansons prise à "Franks Wild years", "Bone
machine" ou "black ryder", d'ailleurs je ny tiens plus je lance une
recherche dans Emule, mais rien que de taper "Tom Waits, Ecarlate
Chose" et je me gondole de rire. 3. Le samedi 7 juin 2008 à 03:12, par Berlol : Tu peux ne pas apprécier, notamment les 4 chansons à écouter sur MySpace (en suivant le lien que j'ai mis sur le mot "écoute"). Pour l'opulente poitrine, tu prends un peu tes désirs... parce qu'elle est tout à fait moyenne, comme poitrine. A mon goût, c'est beaucoup mieux que Rod Stewart ! (et pas seulement les lèvres et la poitrine) (je me demande d'ailleurs ce qui pourrait être pire que Rod Stewart...). Non, franchement, je vais acheter le disque, moi ! 4. Le samedi 7 juin 2008 à 03:48, par Philippe De Jonckheere : Bon
je viens d'écouter les quatre titres de myspace, et c'est bien pire que
tout ce que je pouvais imaginer. Elle est encore plus mauvaise
chanteuse que comédienne (et pourtant la barre était haute), elle n'a
pas de voix, elle chante faux, les intonations ne sont jamais en place,
dans "Anywhere I lay my head" on se demande si elle comprend le sens
même des paroles. Berlol, plutôt que d'acheter cette galette qui va
t'abimer durablement les oreilles, cours vite t'acheter de Tom Waits,
"Rain Dogs", Swordfishtrombones" et "Frank's wild years". Et là tout de
suite pour parer au plus pressé: www.desordre.net/musique/...
que je viens d'écouter pour me nettoyer les oreilles
après le massacre du vilan petit canard à grosses
lèvres siliconnées. 5. Le samedi 7 juin 2008 à 04:12, par Berlol : Et dire que je ne parviendrais jamais à t'en vouloir ! Mais nos goûts diffèrent, sa voix me plaît et tu es bien injuste en affirmant qu'elle chante faux... Hélas, je vais être totalement déconsidéré à tes yeux et tes oreilles ! Qu'y faire ? Te dire humblement merci pour le morceau mis en ligne (que je connaissais mais n'avais pas réécouté depuis fort longtemps). |
Jeudi 5 juin 2008. Mon angle
d'éternelle fermeté. Plus encore que les autres jeudis, une journée épuisante. Non pour la charge de travail — ce n'est pas l'usine — mais pour la posture de disponibilité communicative à conserver du matin au soir, inscrite autant dans le costume choisi (même si la cravate ici n'est pas obligatoire) que dans le demi-sourire de rigueur. Du cours de 1ère année où la moitié des étudiants rament de ne pas savoir prendre des notes ni réfléchir par eux-mêmes jusqu'au double séminaire de cinéma où je passe et commente la seconde moitié de La Sirène du Mississipi avant d'enchaîner avec Dédales (qui captive totalement la classe), en passant par le déjeuner durant lequel il faut discuter pédagogie de pied ferme en tentant d'avaler un immonde ramen. Aussi quand vient le soir et que passe un film à la télé de pure violence, je me soumets à sa loi déstressante. Tommy Lee Jones est seul à pouvoir éliminer Benicio Del Toro, The Hunted... (Traqué, W. Friedkin, 2003) et je le laisse faire en maudissant de mon trou les techniques commando et toutes les soldatesques. Après, je suis de nouveau disposé à recevoir de la littérature et je lis longuement Raymond Federman au lit, en lui demandant bien pardon d'avoir laissé François Bégaudeau lui griller la priorité au premier virage après Cannes. Une nouvelle écoute du Ralbum a sans doute aussi contribué à me remettre d'équerre, c'est-à-dire dans une perpendicularité parfaite au sens du gouvernement et de ses membres : même minuscule, mon angle d'éternelle fermeté leur va droit dans la figure. Merci donc à Olivier Mellano de nous réveiller d'Une bonne Droite — même s'il est invraisemblable et regrettable que sa chanson finisse par la « caresse » d'un romantisme qui ne « détruira » jamais rien. Merci à Emmanuel Tugny pour le superbe Construção et pour le petit côté Ange de Vider les villes. Merci à Éric Meunié dont l'impeccable Président Nucléaire me fait souvenir que mon « honte d'être français » lundi est d'abord le sien. Merci à Éric Chevillard car moi aussi « je voulais casser ma guitare » et « je crois que j'ai trouvé sur quoi » ! Merci enfin à Laure pour la fausse douceur de ses Ouvriers vivants et à François pour sa Peur, à la première écoute duquel j'avais su que c'était de lui avant de regarder le livret. « Quand je suis rentré en France pour la première fois après 11 ans d'Amérique, un jour, par hasard, je tombe sur Bébert. [...] Je suis assis à côté de Bébert, en face de sa mère. Elle me passe la soupière. Une soupe de petits pois qui sent bon. Je me sers. Je prends la cuillère et en la levant vers ma bouche, je remarque qu'il y a des initiales gravées sur le manche. Je regarde. C'est une cuillère en argent. MF. Ce sont les initiales que je vois sur la cuillère. Et tout à coup, je me rends compte que je tiens dans ma main une cuillère qui appartenait à ma mère. [...] Je suis resté encore un moment assis, ma main suspendue devant moi, les yeux fixés sur la cuillère. Puis, je l'ai déposée lentement sur la table. Je me suis levé. J'ai rien dit. Ils avaient tous la tête baissée sur leur soupe. Je suis resté debout un instant, puis je suis parti sans claquer la porte. J'ai senti le lourd silence derrière moi quand je l'ai refermée. [...] Pendant que j'écrivais ce passage, le téléphone a sonné. Ma fille Simone, de Boston. Elle me demande ce que je suis en train de faire. Je lui lis au téléphone ce que je viens d'écrire. Papa, tu vas pas mettre ça dans ton livre. C'est pas vrai ce que tu racontes là. T'as inventé toute cette histoire de la cuillère pour faire plus dramatique. T'as fabriqué ça. Personne ne va te croire. Surtout que tu dis tout le temps que tes parents étaient pauvres, alors comment ça se fait que ta mère avait des cuillères en argent ? Et puis c'est vachement sentimental ce que tu racontes. Même si c'est vrai, c'est trop mélodramatique. En plus, la rencontre par hasard avec Bébert, c'est pas croyable. Si j'étais toi, j'enlèverai ça tout de suite.» (Raymond Federman, Chut, p. 83-87) Commentaires1. Le jeudi 5 juin 2008 à 21:09, par brigetoun : c'est tout bon !de votre demi-sourire de rigueur à Chut et à sa façon de le lire - un petit bonheur pour s'éveiller |
Vendredi 6 juin 2008. Soudain, la
tuile. Centre de sport en matinée, habitude reprise. En plus, il fait beau, ce matin. Il y a maintenant une autre occidentale, jeune, qui vient au même horaire, déjà vue la semaine dernière, sans doute reste-t-elle plus longtemps que moi. Nous ne nous sommes encore fait aucun signe de salut ou de connivence quelconque. Je recule toujours le moment de ce genre de contact, non que je n'aime pas faire de rencontre ou que j'en redoute quelques conséquences, et d'ailleurs pourquoi souhaiterais-je rencontrer une Occidentale plutôt qu'une des agréables Japonaises du centre, n'était la barrière de la langue, mais parce que ces instants à m'occuper de mon corps et de mon livre, entre vélo sudatif et machines musclantes, sont de nature asociale, parce que je remballe ma sociabilité précisément dans ces horaires-là et que j'imagine que quelqu'un d'autre qui serait quelqu'un de bien devrait en faire autant. On a déjà bien assez de temps sociable forcé pour s'en garder un peu de côté pour soi seul, même paradoxalement au milieu des autres... Accessoirement aussi parce que je ne voudrais pas passer pour un dragueur lourd, ah oui vous habitez le quartier, et vous faites quoi, et vous êtes mariée, et vous allez rester longtemps au Japon, etc. — tout ça n'est pas dans mon tempérament. « La grande ironie, c'est que mes parents et mes sœurs seraient peut-être morts fusillés à Argentan en tant que collaborateurs, et non pas dans les camps de concentration en tant que juifs.» (Raymond Federman, Chut, p. 138) « Mon père, quand il voyait des cafards dans la cuisine, il les écrasait avec ses chaussures, et alors il me disait de ramasser la bouillie qui sortait des cafards avec une pelle et un morceau de journal et de la jeter dans le seau. Cette bouillie qui sortait des cafards qu'on écrasait, ça ressemblait à du sperme. Ça me dégoûtait.» (Ibid., p. 143 — je subodore l'anachronisme parce qu'il est peu probable qu'à cette époque l'enfant ait déjà connu le sperme...) « Moi qui suis totalement amoral, totalement perdu dans ma tête, moi qui aurais dû changer de temps il y a bien longtemps, comment puis-je être responsable envers ce que j'écris ? D'ailleurs, l'écriture responsable est toujours fausse, parce que la responsabilité est un mensonge. On se dit responsable, mais en fait, on prétend l'être. ceux qui ont exterminé ma famille se disaient responsables de débarrasser l'humanité de cette vermine. C'est comme ça que ces responsables appelaient les juifs. Vermine. Et pourquoi avoir un sens du devoir envers mes souvenirs ? Les souvenirs sont aussi faux. Se souvenir, c'est faire du cinéma mental qui fausse toujours l'événement original. Les souvenirs ne sont que des fictions.» (Ibid., p. 165) J'ai mis aussi des citations lues après, quand j'étais dans le train de Tokyo. Il danse, Federman, sur la corde raide, entre réalisme, lyrisme, sentimentalisme, fiction, autofiction, « merde de témoignage », etc., et il le fait excellemment. Soudain, la tuile, je me suis pris à penser à une comparaison avec le Weyergans de Trois Jours chez ma mère, parce que c'est plein d'allers-retours temporels, de digressions, d'explications, d'apostrophes, etc. Mais l'analogie ne tient pas cinq minutes. En effet, il y a quelque chose de radicalement différent entre mes deux lascars : l'un est cabotin et racoleur, l'autre pas. Je vous laisse deviner lequel ? Commentaires1. Le samedi 7 juin 2008 à 16:49, par mdr : L'intuition miraculeuse qui m'irradia que cette femme à qui je n'adressai pas la parole afin qu'elle ne pût me prêter la plus infime intention atrocement malsaine, et dont je n'entendis pas davantage la voix ni la langue dont elle usait, bien loin d'être australienne, américaine, sud-africaine, israélienne, ni même la rejetonne d'un couple africain allogène et vraisemblablement adonné à quelque tâche néo-coloniale, était européenne, fit jaillir malencontreusement un terrible soupçon: n'était-elle pas BLANCHE ? 2. Le samedi 7 juin 2008 à 17:33, par Berlol : Pas mal, mdr ! (j'ai corrigé les fautes, lol !, pardon...) 3. Le dimanche 8 juin 2008 à 05:45, par Philippe De Jonckheere : Pas
très logique de penser que son air occidental ne sera pas aussi protégé
par quelque barrière de la langue, imagine qu'elle soit tchèque et tu
te diras que sans doute cela aurait été plus facile avec une Japonaise,
parce qu'en plus je soupçonne tu connaisses davantage de cette langue
que tu ne l'avoues, et sans doute bien plus que tu ne connaîtras jamais
de la langue tchèque. Pas clair tout ça. 4. Le dimanche 8 juin 2008 à 05:54, par Berlol : Bah, c'est-à-dire que le recours à l'anglais est (hélas) quasi systématique, entre étrangers. Mais une Tchèque, ça m'intéresserait, on aurait sans doute plein de trucs à se dire... 5. Le dimanche 8 juin 2008 à 08:05, par christine : peut-être la vraie question n'est-elle pas blanche ? ni tchèque ? mais : jolie ? |
Samedi 7 juin
2008. Sur les nullos de la e-poésie. Bientôt la fin pour Le Rivage des Syrtes : dernière séance du cours la semaine prochaine. Une fois les coups de canon rhagiens tirés, on peut se demander ce qui reste à voir. Et pourtant, ce n'est que le début du retournement des cartes, ou de la lente prise de conscience de ce jeu tout le temps triché par un Aldo qui n'a jamais vraiment été dans le coup. Ses copains de l'Amirauté l'approuvent, le fêtent (p. 220-222), mais après quelques jours, il se demande avec une touchante et stendhalienne naïveté comment il va déclarer en haut lieu ces faits qui sont peut-être de guerre (224). Naïf parce qu'il n'imagine pas que ça se sait déjà à Maremma et jusqu'à Orsenna (252). Naïf parce qu'il croit avoir le choix quand l'envoyé nocturne offre de simplement désavouer tout sens à sa croisière (228-237). Naïf d'avoir pensé Vanessa en dehors de ces affaires d'hommes... quand c'est elle qui l'a poussé, guidé, inséminé, brandi jusque devant l'ennemi — elle s'appelle « Aldobrandi »... (242, 249-250, 254). Et le voilà qui pleure (253) comme un enfant qui découvre que le monde n'est pas fée ! (Oui, il y a un emploi adjectif du mot fée.) Et qu'il a été, comme le lecteur, mené en bateau. Ou encore : qu'on lui a fait un petit dans le dos... « Je tiens à Orsenna plus que toi, Aldo, je l'ai dans le sang, le comprends-tu ? et plus que toi je suis soumise et docile, plus que toi je suis prompte à toutes ses volontés. Si tu étais une femme, tu aurais moins d'orgueil, ajouta-t-elle avec une douceur persuasive dans la voix, comme si quelqu'un d'autre soudain — un esprit d'évidence et de ténèbres — eût parlé par sa bouche : tu comprendrais mieux. Une femme qui a porté un enfant sait cela : qu'il peut arriver qu'on veuille — on ne sait qui, on ne sait vraiment pas qui — quelque chose à travers elle, et que c'est effrayant, et profondément reposant... si tu savais, de sentir ce qui va être vous passer sur le corps.» (Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, p. 254) Le déjeuner au Saint-Martin, quoiqu'agréable pour ce qui est du poulet-frites, ne me fait pas oublier que j'ai une oreille à moitié bouchée et qui siffle depuis le réveil, ni qu'il y a réunion du syndic de l'immeuble cet après-midi et que nous quittons ostensiblement les lieux pour ne pas en être. Après un rapide passage à Gakushuin pour une exposition où l'on trouve porte close et un abandon de trajet vers Ginza du fait d'interruption de la ligne Marunouchi, nous revenons dans le quartier, faisons des courses le plus simplement du monde à Miuraya, sans nous énerver, prenons un café glacé au Cozy Corner de Ramla. T. s'occupe ensuite des plantes sur le balcon (notamment changer la terre du citronnier, question de survie même si ce n'est pas la saison...) tandis que je reprends le courrier (et cet amusant rapide échange avec Philippe, un étage en ligne sur les talents vocaux de Scarlett Johansson, un étage privé sur les nullos de la e-poésie — mais surtout, je lui recommande d'avoir un téléphone portable). « Soudain Sarah surgit dans la grange. La voici donc dans cette scène maintenant. Et en ricanant, elle nous montre du doigt et dit : Ils jouaient au docteur, Raymond jouait avec le petit truc de Jacqueline. Raymond et Jacqueline tremblent de peur. Mais maman dit rien. Elle dit seulement : Chut. Et elle nous serre fort tous les trois dans ses bras. Elle a les larmes aux yeux quand elle nous dit : C'est la guerre. Je vous ramène à la maison. Papa nous attend. C'est la guerre, qu'elle répète, en nous serrant encore fort dans ses bras, mes sœurs et moi. Après... Federman, tu étais dond déjà un petit pervers quand tu étais gosse. Jouer avec le petit truc de ta sœur. T'as pas honte de raconter ça ? Pas vraiment. Tous les petits garçons veulent savoir ce que les petites filles cachent sous leurs jupes. Et je suis sûr que les petites filles veulent savoir ce que les garçons cachent derrière leur braguette. C'est normal. Federman, rien n'est normal avec toi. Peut-être que ta sœur n'aimait pas ce que tu lui faisais ? Peut-être qu'elle pensait que tu t'imposais ? Je sais pas ce que ma petite sœur pensait ou ressentait. Mais elle riait. Peut-être qu'elle ressentait ce que W. B. Yeats a si bien exprimé dans son beau poème Leda and the Swan. The Shudder in the loins. Mes sœurs n'ont jamais connu le frisson au bas du ventre. Cela leur a été refusé. Peut-être est-ce la vraie raison pour laquelle j'ai tant abusé de ce frisson, pour compenser le plaisir et la douleur que mes sœurs n'ont jamais connus.» (Raymond Federman, Chut, p. 185-186) Commentaires1. Le dimanche 8 juin 2008 à 02:15, par Philippe De Jonckheere : Non
que je me réjouisse de tes acouphènes, je les déplore, mais je ne peux
m'empêcher d'y voir l'explication la plus raisonnable qui soit de ton
engouement pour le petit canard aux lèvres siliconnées (Ah merde ça va
encore finir dans le filtre, vais être obligé de t'envoyer un mail). 2. Le dimanche 8 juin 2008 à 02:22, par Berlol : Non, tu vois, c'est bien passé du premier coup ! Parce qu'il n'y a pas d'anglais dedans... Pour les acouphènes, c'est passé. Je pense que c'était un peu de mousse de bain, peut-être. Pour le disque, je n'arrive pas à le trouver en magasin. Tes sbires ont déjà nettoyé le secteur ? 3. Le dimanche 8 juin 2008 à 02:26, par Philippe De Jonckheere : Pour
te dire aussi que ce que tu appelles la partie privée de notre échange,
pour moi elle n'a rien de privé, je peux dire publiquement que je
trouve déconcertant de nullité les tentatives assez vaines de Philippe
Boisnard et me demande même si je ne préfererais pas qu'on impose
l'écoute forcée de tout le disque du petit canard à opulente poitrine. 4. Le dimanche 8 juin 2008 à 02:28, par Philippe De Jonckheere : Ce premier message, oui, est passé, mais va quand même voir dans le filtre pour le second. 5. Le dimanche 8 juin 2008 à 03:09, par Berlol : Pour
ce qui est de préférer l'écoute de la belle voix de la belle Scarlett,
c'est une évidence. Et il n'y a même pas à me forcer... (Encore
faudrait-il que je le trouve, ce disque.) Et je laisse l'e-poesie à ses
super-calculateurs. 6. Le dimanche 8 juin 2008 à 03:59, par Philippe De Jonckheere : Ah
là c'est sûr question référencement, je viens de te faire une fleur. Et
si j'ose dire, ton ancien fantasme de pouvoir être lu par des millions
va enfin se réaliser. 7. Le dimanche 8 juin 2008 à 04:59, par Berlol : Tu sais, ton acharnement contre elle ne joue pas en ta faveur ! On va y voir l'exacerbation du rejet d'un désir inconscient : tu as très bien compris qu'elle est belle, bonne actrice et excellente chanteuse, et tu le refuses parce que tu ne peux pas la posséder, d'où cet excès de hargne... En revanche, moi je l'accepte tranquillement et suis résigné à ne jamais l'avoir. Tu te rappelles iconoclaste / iconophile ? Ben c'est un peu pareil, non ? 8. Le dimanche 8 juin 2008 à 05:56, par Philippe De Jonckheere : Psychologie de comptoir que tout cela. Non mais. 9. Le dimanche 8 juin 2008 à 06:12, par Berlol : Mouais... Bon, admettons. Et ce téléphone portable, ça en est où ? 10. Le dimanche 8 juin 2008 à 08:18, par christine : pas sympa de nous taire la partie privée de l'échange alors qu'elle fait le titre du post !... merci à "Phil qui sème honteusement le désordre dans le blog de son prochain" (!) de nous éclairer partiellement ! 11. Le dimanche 8 juin 2008 à 09:25, par Laure L : Moi
j'ai vraiment été déçue par ce disque dont j'attendais beaucoup (je ne
l'ai entendu que partiellement, certes). Pas vraiment concernant sa
voix, mais le manque d'inventité global des arrangements malgré les
moyens de studio évidents. J'en profite pour faire la retape pour un
disque qui vient de sortir, et que j'adore : Games over de Laetitia
Shériff (on peut en écouter des bouts sur le ITunes store et sans doute
ailleurs mais ma connexion Internet étant encore défaillante...) 12. Le dimanche 8 juin 2008 à 17:51, par Berlol : Oui, Christine. Quelqu'un qui voudrait suivre le fil de la discussion devrait d'abord passer chez toi, quand il a été question des sites de création en ligne,
F. soucieux de plateformes émulatrices (mais aussi rémunératrices, ce
qui n'est pas mon souci), JFP élargissant à la vidéo-poésie, toi
rappelant qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du web (et vous
avez raison, d'ailleurs on en a déjà parlé).
Là-dessus, Philippe m'écrit, évoquant Boisnard comme exemple de ce que
je disais, et je suis d'accord avec lui. Sauf que nommer une personne
ne me paraît pas utile pour traiter la question, et même
contre-productif (pardon, Philippe !). 13. Le dimanche 8 juin 2008 à 17:53, par Berlol : Vas-y, Laure, copie-colle, qu'on rigole ! 14. Le dimanche 8 juin 2008 à 23:46, par Laure L : Tu l'auras voulu ! 15. Le dimanche 8 juin 2008 à 23:46, par Laure L : Ah, tiens, là je crois que ça a été filtré, quand même !... 16. Le dimanche 8 juin 2008 à 23:56, par Laure L : Tiens, c'est là : rougelarsenrose.blogspot.... 17. Le lundi 9 juin 2008 à 00:37, par Berlol : Merci !! (J'ai libéré le paquet du filtre...) En voilà, de la e-poésie !! 18. Le lundi 9 juin 2008 à 01:20, par Philippe De Jonckheere : Il n'y a pas de raison, je te fais cadeau des miens depuis ce matin: 19. Le lundi 9 juin 2008 à 01:35, par Berlol : D'accord,
il en ira donc du téléphone portable comme des commentaires de blog :
tu n'en veux pas pour toi-même mais tu passes volontiers par ceux des
autres 20. Le mardi 10 juin 2008 à 12:40, par cécile : On peut écouter en entier l'album Games de Laetitia Shériff sur deezer.com. 21. Le mardi 10 juin 2008 à 12:50, par cécile : en fait, pas "Games" le titre de l'album, mais "Games over" (normal, j'ai trois billets de retard). 22. Le mardi 10 juin 2008 à 15:52, par Berlol : Merci, Cécile ! Album bien intéressant, en effet. Compositions, voix avec une certaine originalité et pas mal de punch, non sans me rappeler PJ Harvey ou plus loin dans le temps Kas Product, avec un soupçon de Björk dans les trémolos et la palette de percussions. Même si je continue à préférer mes 4 morceaux de Scarlett, une certaine lourdeur des ambiances, sa voix posée bas. Si vous connaissez un bon désenvoûteur... 23. Le mercredi 11 juin 2008 à 12:05, par Philippe De Jonckheere : Cécile,
je n'avais rien fait pour te culpabaliser, tu pouvais très bien garder
l'anonymat sur cette affaire. J'ai entendu une fois dans un concert de
Régïs Boulard Laetitia Sherif chanter "Free Will and Testament" de
Robert Wyatt, c'était assez sublime. 24. Le jeudi 12 juin 2008 à 11:36, par Laure L : Berlol, les hommes préfèrent les blondes, c'est ça ? 25. Le jeudi 12 juin 2008 à 13:49, par cécile : Philippe.
Oups.. mais je jouais..... je faisais l'idiote !pour rebondir (aille je
recommence) sur l'échange précédent, je faisais des jeux de mots
(bêtes), c'était pour blaguer (mal). Je ne pense pas (à part pour
Rolland Garros, même si tout le monde se fiche un peu de le savoir) une
molécule de miette de ce que j'ai écrit si je devais le redire
sérieusement, ah mince. Mince. Pardon. 26. Le vendredi 13 juin 2008 à 01:35, par Berlol : Cher Laure, de ton île, on aimerait mieux du saucisson ou du fromage, si tu veux savoir ! Sinon, je kiffe pas spécialement les blondes. En revanche, j'ai réécouté Lætitia Shériff et ça me plaît beaucoup. Merci ! |
Dimanche 8 juin 2008. Signifiance
prise sur le fait. Moi !... Moi, j'avais raté la diffusion de Slogans et de Vociférations dans les Fictions de France Culture ! (Seuls ceux que j'aime,) Écoutez ! C'était le 11 mai ! Je comprends mieux... Me faire ça à moi ! Un volodinophile déclaré ! Un volodinomane avéré ! « Ils » ont attendu que je prenne l'avion, que je sois complètement décalé, dans l'incapacité totale d'être informé, histoire que le message secret ne me parvienne pas... et que je ne puisse pas exécuter ma mission : apprécier et passer l'info à d'autres. Perdu : c'est fait. Aller-retour à Ginza, je reviens avec trois polos de chez Motoki (moins chers que ce qui se vend à Matsuya Ginza), mais aussi avec une quiche aux épinards et deux parts de tarte aux fruits rouges de chez Kayser — T. aux anges. En revanche, je n'ai pas trouvé le disque de Scarlett Johansson. Peu après, pendant les fruits rouges et la chantilly, la télé diffuse le direct d'Akihabara... où plusieurs personnes viennent d'être poignardées au hasard : sept personnes décédées et une douzaine gravement blessées. Ni alcool ni drogue, le type de 25 ans était seulement désespéré, voulait en finir, avec préméditation. Aux infos du soir, témoignages et journalistes hésitent entre folie pure et haine de la société. Mais il est peu probable qu'on aille bien loin dans le sens du procès de la société... Sur le canal des Sentiers de la création, enregistrement et écoute partielle de cinq heures de gloses littéraires, Enjeux contemporains, enregistrés à la Maison des écrivains et de la littérature en janvier, si j'ai bien compris, avec Dominique Viart, Richard Morgiève, deux Emmanuelles, Pireyre et Pagano, Camille Laurens, etc. Globalement satisfaisant, à écouter en détail... Survol de blogs. Travail sur des pages web. Nouveaux échanges avec Philippe... qui sème le désordre, comme d'habitude. Lecture de Bailly, repris après Federman après Bégaudeau (et avant Lutzmann qui piaffe d'impatience). On comprendra mieux cette nature d'herbe envachée du lait dont je parlais l'autre jour. Mais il y a des démonstrations très réussies, belles de lyrisme retenu, comme la photo de Talbot, pas loin du Bachelard truellant du terre-à-terre. Ainsi de cette signifiance prise sur le fait qu'il serait presque possible d'attribuer à la vibrionnante activité blogosphérique. « La photographie dit qu'il y a du réel, elle n'en certifie pas l'existence, elle la prolonge : comme une ombre détachée. Il y a par conséquent une sorte d'ombre qui se souvient de ce qui devant elle était présent. La photographie présente sans fin le présent qui fut. Sa présence à elle n'est rien d'autre que cette discrétion d'une trace qui s'inscrit comme on se retirerait. Sans fin la photo dit « il y a » : il y a en moi ce qui était devant moi, que j'ai pris, en le laissant. Mais ce sont encore là des façons de parler qui peuvent devenir assez vite trompeuses, puisque la photographie, qui n'est personne, est muette : son "il y a" est un "il y a" de chute, comme celui de la pensée, de la rêverie. Ce qu'elle montre est hors d'elle et son intériorité n'est faite que de ce pur dehors auquel elle a dû, quelle qu'elle soit, s'exposer. Et ce que l'on pourrait dire, ici, c'est que c'est dans la mesure même où elle se condense dans cette exposition qu'elle rencontre son plan d'immanence ou son champ d'exactitude. Ce à quoi elle s'expose ainsi (le temps de cette exposition), c'est à la signifiance : le réel (la somme infermable de tous les référents possibles, la totalité champ / hors-champ, l'ouvert) est toujours en état de signifier, et dire cela, ce n'est là encore que reprendre d'une autre manière le « tout parle » de Novalis : le réel est ce fonds passif qui signifie, sur lequel ou contre lequel la photographie vient de poser, non comme un supplément (une ombre n'est pas un supplément) mais comme un voile. Le texture de ce voile est l'immobilité. Au flux fertile et mouvant de la signifiance est offert un temps d'arrêt, l'instant est extrait du flux et devient ce voile, cette "photo". Voile ou crible où la signifiance est prise sur le fait, en train d'agir comme agit un bain où toute existence, aussitôt qu'elle paraît, est trempée.» (Jean-Christophe Bailly, L'Instant et son ombre, p. 72-73) |
Lundi 9
juin 2008. Presque dans les allées
généreusement boisées. Temps pourri, ça recommence. En fin d'après-midi, on se tape même de l'orage grondant et tournant pendant près de deux heures. On croirait du bruitage dans un film... Ou une autre planète, avec des monstres, des aéronefs... Mais avant ça, on a eu des tombereaux de reportages sur le tueur d'hier, même par France 2 et TV5 Monde. Et plein de coups de téléphone pour divers sujets : quelqu'un de la bibliothèque de l'université de Tokyo, l'artisan pour changer des fenêtres à prix d'or, la voisine qui ramasse des infos sur un autre artisan, et même mon père depuis sa maison de repos pendant qu'on change les ascenseurs dans son immeuble. On a déjeuné en terrasse au Saint-Martin alors qu'il pleuvait à vingt centimètres de la table. C'était agréable. J'ai accompagné T. à la bibliothèque, histoire de revoir le campus, la porte rouge, les vieux bâtiments et quelques-uns construits depuis. Je me souvenais de promenades en amoureux il y a une douzaine d'années, nous nous cachions presque dans les allées généreusement boisées. Puis de séances littéraires dans le bureau d'un collègue anglophone vers l'an 2000. En l'attendant j'ai lu quelques pages de Bailly. Et pris quelques photos, moi aussi. Être éveilleur dans les 100 blogs ! (Quand je parlais hier de ce qui vibrionne...) À lire en musique — enfin moi, c'est comme ça que j'ai pu y passer un bon moment. Cent, ceci dit, ça fait beaucoup ; je trouve qu'il y a un peu de remplissage. Si j'en recommandais, je n'irais pas jusque là. Vingt ou trente suffiraient. « [...] ce que la photographie entraîne dans sa prise, ce n'est pas tant, même si elle fascine ou exaspère, l'exactitude (en vérité toute relative) d'une copie, que la révélation d'un état de réalité que le regard habituel laisse à l'état de dormance : la photographie, en fait, est vécue comme un facteur de révélation, comme une puissance d'éveil.» (Jean-Christophe Bailly, L'Instant et son ombre, p. 88) Pour nous défouler d'un gros dossier stressant en cours de constitution (je dirai quoi d'ici quelques jours), nous regardons encore une fois Kill Bill 2. Et la magie opère pendant le dîner. Commentaires1. Le lundi 9 juin 2008 à 10:54, par F : pas
100 en fait, doit y avoir 80 - mais quand même 20/30 non, moi ça ne
m'irait pas - c'est cette profusion joyeuse qui compte AUSSI, les
renvois de l'un à l'autre etc 2. Le lundi 9 juin 2008 à 13:21, par christine : e-veilleur
est mieux qu'éveilleurs, qui vous a un petit côté scientologie,
trouvé-je (j'avais d'ailleurs lu "veilleurs" : ai-je rêvé ou le e- est
il apparu après mon passage, F?) 3. Le lundi 9 juin 2008 à 13:47, par F : oui,
il y a d'abord eu "veilleur" avant le "e-", bravo de l'attention ! -
Netvibes propose une page "privée" et une page "publique" - sur ma page
"privée" je dois être à 130/140, avec une place importante aussi à la
veille informatique, que je n'ai pas répercuté dans la page "publique"
- il y aussi la rubrique des blogs que j'aime pas et que je surveille
quand même! (échange ma liste seulement avec qui me donne la sienne!)
et c'est un univers assez fascinant aussi pour ce qui concerne l'info,
ou de s'abonner aux agrégateurs eux-mêmes - mais au moins on a vision
synoptique et rapide - 4. Le lundi 9 juin 2008 à 14:48, par Berlol : Ça doit être parce qu'en une fois c'est
beaucoup... Question d'habitude. Ou alors parce que j'étais pas
de bonne humeur... 5. Le mardi 10 juin 2008 à 06:02, par brigetoun : y a même la petite vieille dans "et encore" et avec un beau profil anglais. Faudra que je suive tous les e-veilleurs, 6. Le mardi 10 juin 2008 à 07:24, par JFP : dites, hm, moi je suis un peu plus que rien depuis que j'ai enfin publié mon site perso ce matin (trop perso pour l'instant, sans parler de ces bon sang de fichiers quick time à reconvertir en flash, et plein de choses neuves à ajouter, mais ce n'est qu'un début et les choses vont évoluer en mieux maintenant que je sais à peu près comment ça fonctionne...) et puis j'ai les oeils qui me sortent de la teste de passer mes heures devant ce logiciel FTP au lieu de travailler pour ramener le biftèque à la maison et d'avancer mon roman, bref si ça vous chante, c'est le nouveau : http://www.territoire3.org |
Mardi 10 juin 2008. Demain, des
fesses aux mollets ! Depuis hier, T. est un peu patraque. Rien de grave, un truc digestif, mais ça ne m'incite pas à me concentrer sur le JLR. Départ à reculons et fin du livre de Bailly dans le shinkansen. C'est une impression que j'ai ou les gens se regardent plus qu'avant ? L'affaire du tueur d'Akihabara tourne au traumatisme national. Le journal et la télé décortiquent les messages que le désespéré a mis en ligne avec son téléphone portable, un véritable journal de suicide horodaté, avec des vraies pensées dedans, sur l'inhumanité de la société, le sentiment d'être volé de sa vie, etc. Pas de quoi l'absoudre des meurtres, rien ne le pourra, mais assez pour inquiéter même les plus dérégulants du système économique — parce que si ce genre de pathologie criminelle se développe, c'est quand même mauvais pour le système... Le beau temps améliore l'humeur. Et le teint. Avec les étudiants du cours de conversation, commençons à modifier l'article Wikipédia français de Nagoya. Avec les informations qu'ils ont collectées. Et discussion sur les sources, des sources fiables et vérifiables (ou very fiables). Que l'on vérifie donc, notamment pour la population. Riche et bien utile, tout de même, cette famille de mots : fier, fierté, se fier, confier, confiance, méfier, méfiance, défier, défi, fidèle, infidèle, fiente, fiduciaire... Tiens ! un pigeon est passé. Trouvez l'intrus. Je me demande même si « Fi ! » n'en fait pas partie. J'en fais. Forme de lutte active contre la maladie des étudiants qui copient bêtement tout ce qu'ils trouvent sans comprendre. Me paraît plus efficace que la prévention. Prenant notre courage à deux main, David et moi retournons au ping-pong. Une petite heure à foutre des balles n'importe où dans la joyeuse pagaille des cris d'entraînement des trépidantes cheerleaders dont nous ne sommes séparés que par un mur de tables repliées. Ça va tirer, demain, des fesses aux mollets ! Dînant, je mâchonnais du pain quand... ma couronne de molaire s'est détachée. Pfuuu !... Je ne pourrai pas aller la faire remettre avant lundi prochain. D'ici là, manger mou et à droite. J'aime pas la droite. « Je l'ai dit au commencement : presque immédiat a été le montage. Ce mot, d'ailleurs, faut-il le conserver ? Le montage, en effet, suppose une mise en relation volontaire résultant d'une décision. Que se passe-t-il quand la décision n'est pas prise mais s'impose de l'intérieur comme quelque chose qui survient ? Peut-on, doit-on alors seulement parler d'association ? Il me semble que non et que le terme de montage doit être malgré tout conservé, et pour au moins deux raisons. Tout d'abord parce que le terme "association" est vague et sous-entend une pure passivité. Or il s'agit d'action, la mise en relation s'impose avec une sorte de violence, ou du moins un effet d'irruption, il y a en elle quelque chose d'automatique et de tranché. Mais surtout parce qu'il n'y a aucune raison de séparer par un trait net les actes de production de pensée mettant en œuvre des processus logiques reconnus comme tels au moment du penser et les actes de production qui semblent procéder d'une dérive interne discontinue. Rien ici ne permet d'opposer un univers solide, fait de constructions, ou plutôt de constructibilité, à un univers de flux plus ou moins exposé à son auto-dissolution. Le cheminement, ou plus précisément encore, ce que dans le monde médiéval on appelait le ductus, soit le chemin conducteur de la pensée, se produit simultanément comme flux et comme articulation et, s'il y a bien alternance de moments plutôt articulés et de moments plutôt flottants, si l'on observe au long de ce long, de cet interminable cours, quantité de flous, de sautes et de surimpressions, il reste qu'avec toutes ces discontinuités internes la pensée se produit et s'exerce avant tout comme un continuum, et c'est pourquoi la comparaison avec le film, qui vient automatiquement, conserve sa validité lorsqu'il s'agit, comme dans le cas des deux images qui sont à l'origine de ce livre, de deux plans fixes qui sont associés.» (Jean-Christophe Bailly, L'Instant et son ombre, p. 122-123) Commentaires1. Le mercredi 11 juin 2008 à 05:33, par Luis Kiro Khadjba : Ça va tirer, demain, foutre des balles et des molaires n'importe où, des fesses aux mollets ! 2. Le mercredi 11 juin 2008 à 11:57, par Philippe De Jonckheere : Tu
ne sais pas à quel point cela me fait plaisir de lire que Bailly
retrouve grâce à tes yeux. Et tu sais pas à quel point ta
recommandation de lire "Images Malgré tout" de Didi Huberman est un
cadeau. Contents qu'on ait eu cette discussion. |
Mercredi 11 juin 2008.
Polyglossie irréversible. Jour de palabres. D'abord au cours de prononciation avec des étudiants en forme, puis avec un collègue au déjeuner, avec Andreas dans l'après-midi, avant une réunion où je reste carpe, puis avec David après sa réunion à lui, enfin, en point d'orgue dans un restaurant de Motoyama, avec Sophie, Benoît, Andreas et, un peu en retard, David et sa fille. Et chaque fois, nécessité de jongler avec des langues et des questions de langue, français, japonais ou anglais. En effet, nous vivons ici en permanence dans cette sorte d'espace multilingue, à la fois artificiel — puisqu'à quelques mètres de nous des familles japonaises vivent en monolinguisme autarcique complet — et tout à fait réel, nous sommes même rémunérés pour cela. De temps en temps, nous prenons conscience du fait que si nous étions restés chez nous notre vie aurait été radicalement différente (Monsieur de La Palice est un bon copain) alors que nous nous sentons physiquement et mentalement constitués maintenant par cette polyglossie irréversible, nourris et logés dans ce campement interculturel — même de guingois quand, c'est mon cas, ni l'anglais et encore moins le japonais ne sont effectivement maîtrisés (pour le français, je crois que ça va). Les relations non-contractuelles et non-professionnelles y sont pour beaucoup. Pendant plus de dix ans, je n'ai pas éprouvé l'envie d'apprendre le japonais ni fait de progrès en anglais, sauf peut-être quand j'avais ce collègue britannique à Waseda vers 92-93 qui aimait la même musique que moi à l'époque. Après la rencontre de T., j'ai été submergé de honte et d'incompréhension de moi-même en constatant mon blocage en japonais, surtout au su des énormes efforts et progrès qu'elle accomplissait. Depuis trois ou quatre ans, en revanche, le blocage est moindre, le souhait de progresser réel, mais c'est le temps qui manque, et tant pis si certains pensent que c'est de la mauvaise foi. « Ses valets étaient soigneux De le servir d’andouillettes, Et n’oubliaient pas les œufs, Surtout dans les omelettes.» (Bernard de la Monnoye, Chanson de La Palisse) « Nous, moines et soldats, n'avons pas une culture de la magie, que ce soit celle-ci, clairement marquée par le chamanisme, ou une autre. Nous n'accordons aucune valeur aux rituels qui font intervenir des artefacts, des bouts de tissu, des gestuelles bizarres ou ridicules. Nous confions nos destins à des puissances sûres, enfouies en nous-mêmes, redoutables, que des observations concrètes nous ont permis de mettre en évidence et de contrôler. Cela dit, nul ne nous empêche d'éprouver de l'indulgence envers les croyances des autres. Pour ce qui est de moi, j'ai toujours aimé l'esthétique de ces chevaux du vent qu'aujourd'hui encore les Tibétains suspendent peut-être autour des temples et des lieux sacrés, si le Tibet et ses habitants ont survécu, si, là-bas, ils n'ont pas sombré dans le néant, comme tant de peuples et de pays, comme la plupart d'entre nous. Je ne me sens pas véritablement ému à la vue de ces bouts de tissu, mais j'aime leur présence. Leur bariolage sans malice m'évoque des souvenirs d'enfance. Ils me rappellent des voyages.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, Lagrasse : Verdier, coll. Chaoïd, 2008, p. 14) Commentaires1. Le mercredi 11 juin 2008 à 15:24, par Bikun : C'est
une chance que de pouvoir vivre à l'étranger. Beaucoup de difficultés
certes mais aussi une stimulation quotidienne inégalable, une
"richesse" de vie qui, personnellement, où que j'aie vécu, m'a toujours
beaucoup plu. 2. Le mercredi 11 juin 2008 à 21:55, par brigetoun : et
j'en arrive à ne plus pouvoir rencontrer une allusion à Tokyo sans
penser à vous, que je ne connais pas - plutôt qu'aux japonnais que j'ai
connus, qui, eux, pour la plupart, me renvoient à la rue Saint Anne ou
à l'école spéciale d'architecture pour les plus anciens 3. Le mercredi 11 juin 2008 à 23:10, par Berlol : Étonnant, non ? Ceci dit, pour moi, vous êtes tout Avignon ! Voilà un effet "pervers", ou "fée" de la constellation littéréticulaire ! |
Jeudi 12 juin 2008. Quelque chose
de joli ? Enfilade des trois cours puis retour Tokyo. L'essentiel est a.i.l.l.e.u.r.s. Mais où ? Dans le frisson de cette branche d'érable l'âpre parfum de ce thé de Chine la renaissance que procure la douche ce sourire de l'étudiante qui soudain comprend le rouge charnu de la grosse tomate la colère de voir Sarkozy et Kouchner la fatigue de mon voisin de trajet le dernier rayon sur le Mont Fuji la joie de T. retrouvée... « Alors, il fait beau à Reservoir ? demanda-t-elle en le regardant crânement. — Pareil qu'ici, dit Brown. — C'est vraiment à l'intérieur des terres ? — M'en a tout l'air, dit Brown. — C'est une grande ville ? — M'étonnerait, dit Brown. Comme il n'était pas pressé d'aller à la recherche de son contact, il fouina un peu dans l'épicerie. Au-dessus des sacs de riz, une étagère supportait quelques livres et une pile de revues pornographiques d'occasion. La commerçante refusait de lui racheter son jeton inutilisé. Pour un dollar, il acquit un plan de Yagayane qui datait du début du siècle, ainsi qu'un morceau de fromage et un petit recueil de Shaggås intitulé Lettre au moine de la guerre. Il n'était pas grand lecteur et il n'avait jamais beaucoup apprécié la prose post-exotique, mais, parmi les articles proposés, cette Lettre avait l'avantage de ne coûter que cinq cents, beaucoup moins que les revues. — En dehors du bord de mer, demanda-t-il à l'épicière en tendant son dollar, est-ce qu'il y a quelque chose de joli à voir à New Yagayane ? — Quelque chose de joli ? répéta la marchande, ébahie. — Oui, je ne sais pas, moi... Quelque chose à visiter... un monument, une pagode... — Une pagode ? — Par exemple, oui. — Non, dit l'épicière. On n'a pas de ça à New Yagayane.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p. 53) Commentaires1. Le vendredi 13 juin 2008 à 10:36, par brigetoun : c'est bien les moines soldats, du moins je vais finir par le croire, me reste à aller les lire |
Vendredi 13 juin 2008. Soustraire
le peuple. J'accompagne T. à un rendez-vous médical à Shinjuku, ce qui me permet d'avancer ma lecture de Bassmann pendant l'attente. Vers dix heures et quart, nous sommes libres de nous promener dans des rues ensoleillées et pas encore trop peuplées. Puis au grand magasin Takashimaya où madame cherche un pantalon. Le reste de la journée se passe à la maison, entre le courrier, les blogs, les infos et... Gracq, pour le dernier cours demain. Le ministre de la santé japonais a annoncé qu'il allait déposer un projet de loi visant à interdire les emplois de type journalier tels qu'ils se sont développés dans l'archipel depuis plusieurs années (on vous appelle sur votre portable pour aller travailler à cinq cents kilomètres pendant trois jours ou trois semaines pour un salaire de 10 euros par jour — j'exagère à peine). C'est une réponse, certes surfante sur la vague d'indignation, à la légitime émotion publique qui suit l'étalage médiatique du mode de vie quelque peu déstabilisant de celui qui est devenu dimanche le tueur d'Akihabara... « L'éducation nationale a-t-elle besoin de ficher ses élèves ? » C'est la question posée hier dans Du Grain à moudre. Et pour servir à quoi et à qui ? Ajouté-je. Les trois questions sont abordées. Mais on tourne quand même pas mal autour du pot sans énoncer le risque ultime : l'exploitation des bases de données croisées de toutes les administrations, dans un avenir proche, par un pouvoir logiquement renforcé pour des questions de sécurité nationale... Ah, l'Irlande ! Devons-nous la maudire ou la remercier ? Le poids de Sarkozy fera toujours pencher ma balance dans l'autre sens... Quelle idée aussi d'avoir choisi un vendredi 13 pour un vote si important ! Le texte aurait-il été bon, la méthode qui consiste à soustraire le peuple européen aux décisions qui le concernent est mauvaise. Il était donc heureux qu'il restât un pays démocratique. Commentaires1. Le vendredi 13 juin 2008 à 10:10, par brigetoun : la remercier, sans illusion - et subir les commentaires stupides et méprisants des journalistes 2. Le vendredi 13 juin 2008 à 12:31, par Philippe De Jonckheere : Qui
plus est, le texte qui a été soumis au vote français en 2005, et auquel
j'avais voté oui, a par la suite été dépouillé de tout ce qui m'avait
finalement fait voter oui, donc, si j'avais été irlandais aujourd'hui,
j'aurais voté non. Si en plus cela doit déplaire au président des
otaries de droite, alors c'est tout bénéf. |
Samedi 14
juin 2008. On n'en resterait qu'au rivage de
l'événement... Finir encore une fois Le Rivage des Syrtes, c'est encore une fois sentir trébucher Marino et triompher Danielo. D'un vieillard l'autre, il n'en reste plus qu'un, Aldo le suivra. Et la balance d'exploser, dont les plateaux s'étaient chargés alternativement par ici d'immobilisme pacifiste, par là de bellicisme sanguinaire, et qui soudain n'a plus de contrepoids. Une fin pas très spectaculaire... qui aurait appelé un second volume ! Car quel lecteur n'est pas frustré de ne pas savoir, finalement, l'issue de cette guerre, le destin d'Orsenna, de Vanessa et d'où Aldo se confesse à la plume : d'un palais où il trône, d'une geôle où il croupit, d'un exil où il s'ennuie ? Hélas, il était bien prévu qu'on n'en resterait qu'au rivage de l'événement... (Même si le cours prétend aller au fond des choses, ce dont les étudiants me sont chaleureusement gré au moment de nous quitter, à midi.) J'ai eu beau lire et relire ce passage de l'accident de Marino (depuis plus de vingt ans), je suis chaque fois obligé de comprendre que ce dernier voulait éliminer Aldo mais que sa poussée l'avait entraîné dans le vide. Ironique et logique : celui qui prône l'inaction disparaît quand il essaie de faire quelque chose... « Je détournai les yeux, bizarrement remué, et regardai du côté de la mer. — Vous avez raison, dis-je. Il n'y avait pas de place pour nous deux, ici. — Non, dit-il d'une voix étouffée. Il n'y avait pas de place. Il y eut quelques secondes de silence. Tout à coup, j'éprouvai une impression de raideur dans la nuque, qui gagnait les épaules, comme si on y eût braqué le canon d'une arme, en même temps qu'une sensation brutale et imminente de danger me bloquait la poitrine. D'une détente je me jetai à terre, m'agrippant à la murette basse au bord même du vide. Quelque chose au même instant trébucha contre ma jambe avec un souffle lourd, puis bascula au-dessus de moi en raclant la margelle. Tapi contre la pierre, la tête dans les épaules, mon coeur se suspendit à un instant de silence surnaturel, puis, avec un bruit flasque, un corps gifla lourdement les eaux calmes.» (fin de Marino, p. 275) « ... Ne regrette rien, dit-il en me serrant la main de nouveau avec une émotion brusque, je ne regrette rien moi-même. Il ne s'agit pas d'être jugé. Il ne s'agissait pas de bonne ou de mauvaise politique. Il s'agissait de répondre à une question — à une question intimidante à une question que personne encore au monde n'a pu jamais laisser sans réponse, jusqu'à son dernier souffle. — Laquelle ? — « Qui vive ? » dit le vieillard en plongeant soudain dans les miens ses yeux fixes.» (p. 321) Commander des hommes ployés, comme le dit justement le tyran Danielo (p. 308), n'est pas sans rappeler le zèle et la veulerie des temps pétainistes. Mais Gracq n'a pas voulu de parallèle précis ; une parabole n'en a pas, elle est le degré le plus libre de l'analogie. D'ailleurs, on peut encore l'appliquer à aujourd'hui, avec des em-ployés. De fait, c'est sur le vide du pouvoir — ou la vanité du pouvoir pour lui-même — que s'achève le roman. Ou plutôt sur la faim, pour l'État, d'un destin autre que l'effondrement sur soi-même (au mépris total de la vie des populations, ce « remue-ménage d'inconscience pure d'une fourmilière sous un talon levé », p. 28). * *
* Pas de Saint-Martin ce midi, T. est rétablie mais elle craint encore d'avaler de travers. Rendez-vous avec un deuxième artisan pour poser des moustiquaires et/ou de nouvelles fenêtres. Il est bien moins cher que le premier sollicité. Attendons son devis. Ai raté à la fois Laurent (au Saint-martin) et Manu (à l'Institut). On diraît que je le fais exprès (mais non, c'est plus compliqué). Déjeunons finalement de udon dans un bouillon au miso — un délice. Puis lecture, sieste. Je parviens enfin à achever et à envoyer deux documents importants : mon projet de cours pour l'automne et une proposition pour un colloque l'an prochain. La journée passe... La sagesse ayant fait son effet, T. estime qu'elle peut sortir dîner, à condition de ne manger que la moitié d'une brandade. Ainsi soit-il ! Nous y retrouverons même (au Saint-Martin, bien sûr) un couple d'amis du quartier qui s'étonneront de nous voir ici le soir. Flânons ensuite dans Kagurazaka pour digérer. En profitons pour louer L'Heure zéro (P. Thomas, 2008), avec un scénario méticuleusement complexe et bien réalisé... alors que nous n'en retirons pas un grand plaisir. François Morel et Laura Smet sont plutôt bons mais ils n'ont pas le génie comédien d'une Catherine Frot ou d'un André Dussolier (dans Mon petit doigt m'a dit...). |
Dimanche 15 juin 2008. Qu'on lui
courre, furet, toujours après. Un petit dimanche sympa, entre tâches ménagères, marche au soleil voilé et lectures diverses. J'ai pris mon temps pour lire Jean-Pierre Balpe dans le Magazine du CIAC. Ne suis pas d'accord sur tout — qui le serait ? — mais remarquable exercice de synthèse. Survol historique finissant un peu en dépliant publicitaire. Bien des tabous écartés avec simplicité pour dire les choses franchement, notamment dans la première moitié à propos de l'édition traditionnelle et des métiers de la chaîne du livre (ou devrait-on dire du boulet du livre). Où je ne suis plus, c'est dans l'extension du domaine de la fiction. Je ne suis pas sûr que l'hypertextualisation ou la programmation ou le parcours aléatoire du web produisent de la fiction. Je ne suis pas sûr que la participation du lecteur par le choix de parcours — si je reconnais que c'est bien un jeu — produise de la fiction. Je ne suis pas sûr, surtout, que ces types de fiction, si l'on veut, puissent avoir jamais, à mes yeux, un quelconque intérêt (pour d'autres, je ne suis pas juge). Et pas parce que je serais vieux jeu ! Tentative de disqualification trop rapide pour être honnête. Ceci dit, la lecture de Balpe est avant tout stimulante et susceptible de produire de la discussion — si ça vous tente ! En tout cas, il n'est pas le seul à essayer de dire ce qu'est la fiction. Si toute mise en relation de fragments ne produit pas de la fiction, pour couper à travers bois, notre chance reste cependant qu'on lui courre, furet, toujours après, qu'il ne soit pas possible de définir la fiction, ni comme opposée à réalité, ni comme histoire impliquant clôture — le ferait-on qu'elle, poule aux œufs d'or, disparaîtrait. C'est ce que je crois — ou c'est parce que j'y crois. Commentaires1. Le lundi 16 juin 2008 à 22:16, par brigetoun : est-ce être vieux jeu de pouvoir s'amuser de tout et s(y intéresser mais garder une exigence de qualité, un autre niveau ? 2. Le mardi 17 juin 2008 à 01:41, par Philippe De Jonckheere : Je
pense que s'agissant de ce que Jean-Pierre Balpe avance, je partage ton
opinion de dire que tout n'est pas à bazarder par dessus bord, en
revanche sur la question de la fiction hypertextuelle (avec ses
composantes aléatoires) tu ne seras pas surpris de me voir y croire dur
comme fer. 3. Le mardi 17 juin 2008 à 08:46, par Constance Krebs : "Je ne suis pas sûr que l'hypertextualisation ou
la programmation ou le parcours aléatoire du web produisent de
la fiction" 4. Le mardi 17 juin 2008 à 11:06, par brigetoun : après avoir circulé avec chinois et jeu de go ce matin, je confirme qu'il faut y croire 5. Le mercredi 18 juin 2008 à 05:27, par Manu : Les livres dont vous êtes le héros, ancêtres de l'HTML !? 6. Le mercredi 18 juin 2008 à 17:18, par Berlol : Oui, c'était une forme d'interactivité. Ceci dit, vers 3 ans j'intervenais déjà dans mes cahiers de coloriage d'une façon très narrative... Tes enfants aussi, je suppose ? |
Lundi 16 juin 2008. Chantier dans
les chicots. Dentiste — ça faisait longtemps. Tellement que le nôtre a pris sa retraite ! Il nous avait recommandé un de ses collègues, plus ou moins d'un même groupe, je n'ai pas bien compris. J'y vais avec T. qui souhaite aussi se faire inspecter. C'est dans Marunouchi Building, près de la gare de Tokyo, au 11e étage. Entrée avec gardiens, ascenseurs chics. Une nouvelle génération de dentistes et de matériels. Avec des appareils-photo numériques pour montrer l'état d'un chantier dans les chicots, et peser avec le client les possibilités d'intervention. Il y a aussi une pièce isolée pour prendre les radios, avec des camisoles de protection pour les épaules, le buste, le dos, et le personnel sort de la pièce quand on envoie les rayons. Total : une heure et demie pour nous deux (j'ai lu Bassmann en l'attendant). Déjeuner au 5e étage de Shin Marunouchi Building (un passage souterrain relie les deux immeubles). Montés pour voir Le Rémois, il fallait que j'attende encore une demi-heure que le ciment fixe ma couronne ce qui nous a amenés à faire le tour des autres cartes de l'étage, au moins une vingtaine de restaurants, jusqu'à ce que T. reconnaisse une de ses anciennes étudiantes en passant devant le restaurant Omiya, où nous mangeons finalement, du poulet sauce béchamel. J'apprends que le père est un chef vu à la télé récemment, il cuisinait des noix de saint-jacques qui nous avaient fait saliver, que T. est déjà allée manger chez eux, que l'ex-étudiante est mariée avec un Français qui travaille dans un restaurant du niveau –1 du même bâtiment, etc. Après, nous restons au moins une heure au 4e étage, tellement les boutiques nous intéressent, ce qui entraîne quelques achats : un pantalon, un polo, deux paires de baguettes, un porte-crayon, une doublure de sac à main, des manjus à l'effigie du MaruBiru. On finit par dessert et café au rez de chaussée au nouveau café PG (de Pierre Gagnaire). Fiction, oui, y revenir... Mais pas ce soir. « Dans mon rêve, on ne voyait pas nettement si c'était une petite fille, dit Cuzco. Brown se racla la gorge. — Je pense que c'était tout comme, dit-il. — Dans mon rêve, j'avais l'impression qu'il s'agissait d'une araignée étrange, dit Cuzco. elle venait d'un au-delà inimaginable. Elle avait très peur. Brown hocha la tête. le jour éclairait l'océan. Il allait pleuvoir. Les vagues étaient magnifiques, sans régularité elles venaient se briser à leurs pieds, remuant des morceaux de tôle, des galets, des fragments de matière plastique, du mazout. Elles étaient principalement vert foncé et gris.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p. 77-78) Commentaires1. Le mardi 17 juin 2008 à 15:59, par Manu : J'ai beaucoup de clients dans ce quartier, dont un précisément dans le SMB, mais jamais eu le temps de profiter des restaurants et magasins, si ce ne sont les cafés du sous-sol. 2. Le mardi 17 juin 2008 à 17:49, par Berlol : Eh ben, voilà où on va se retrouver, et très bientôt ! |
Mardi 17 juin 2008. Permanence de
la fiction. J'écoute attentivement Valérie Mrejen dans le shinkansen. D'habitude, j'aime bien, mais cette fois, avec Alain Veinstein, ça ne va pas très loin (Surpris par la nuit du 2 juin). Ça me déçoit un peu des deux. Alors que Ping-Pong a l'air très intéressant, là n'est pas la question. Après moins d'une heure, je mets de la musique et je lis Bassmann. Ça m'a rappelé — j'ai oublié de le consigner avant-hier — que j'ai beaucoup apprécié les Affinités électives avec Bernard Comment (le 12). Il commençait par commenter If (chanson des Pink Floyd sur l'album Atom Heart Mother, 1970), en relation avec son adolescence, l'hésitation existentielle devant tous les possibles — situation sans doute incompréhensible pour les adolescents actuels qui ont beaucoup plus de contraintes que de possibles, et des rêves préfabriqués qui ne libèrent pas leur imagination. If I were a rule I would bend
Après deux cours (dont pas mal de sites web sur les spécialités culinaires de Nagoya), David et moi, en short, rejoints par Florian en pantalon, descendons au second sous-sol d'un gymnase pour la séance de ping-pong. D'autres joueurs sont là, ou arrivent après et tout ce petit monde manie plutôt bien la raquette, malgré le brouhaha des cheerleaders qui répètent, dont deux de nos étudiantes qui nous sourient, (agréablement) surprises que des enseignants fassent du sport... Amusant Ce soir ou Jamais d'hier avec Alain Chabat, Édouard Baer et, pour entretien et chanson live, Patti Smith. Rien que pour entendre ce qu'elle dit sur Bush (ici ou ailleurs), ça vaut le déplacement. Je reviens sur la fiction. Une tendance actuelle survalorise la fiction sans la définir, notamment en l'opposant par commodité à la réalité, dont la définition n'est pas non plus donnée. Quel est l'objectif de cette tendance ? Je l'ignore. Je reviens sur le mot, ce qu'il veut dire, sur ce qu'il ne veut pas dire. D'abord, reprendre ceci et ajouter :
— Say something ! Aussi bien nos sens nous trompent en permanence et tout est fiction, nous n'accédons jamais à aucune réalité d'aucune vérité. Et fiction deux fois car nos mots, encore après, nous trahissent ; ils sont incapables de restituer la vérité de la réalité de nos perceptions. D'après les réactions d'autrui, force est de constater le plus souvent que je ne réussis pas à exprimer ce que je voudrais. Le contraire, rare, est toujours une belle surprise. Ma réalité au monde et à moi-même, ce que j'en sais et ce que je parviens à en exprimer est en permanence de la fiction —ce qui n'en fait pas pour autant une œuvre, une fiction. Qu'on se le dise. — That was fuckin' trippy ! Commentaires1. Le vendredi 20 juin 2008 à 11:53, par Philippe De Jonckheere : Patti Smith rules, Man! |
Mercredi 18 juin 2008.
Ça devient franchement toxique. Dites, cette actu du livre, je ne sais pas comment vous faites, mais moi, ça me gonfle... Sans parler du Qui sommes-nous ? qui ne répond pas à la question et enfile les poncifs sur LE livre. Je vais faire un effort ; après tout, s'il y a 10 % d'articles qui peuvent m'intéresser, ça sera toujours ça de pris... Et puis c'est l'intérêt du flux RSS, tu as raison, François. « J’attache solidement mon prisonnier au poteau de tortures en lui laissant les mains libres, toutefois, avec dedans un livre de Pierre-Jean Rémy ou de Yann Moix.» (Éric Chevillard, 258) Après un cours, retour maison pour déjeuner et visionner un Ce soir ou Jamais de la semaine dernière (celui de mercredi 11). Sur les branchés. Le cœur de leur définition, j'appelerais ça la « (f)utilité ». Pas une tyrannie, assurément, sauf pour ceux qui voudraient en être sans en avoir les moyens (intellectuels, j'entends). Alors qu'amis et ennemis s'épuisent ou se méprisent par moult propos sur l'utilité ou la futilité des branchés de telle ou telle époque, voici un concept subsumant qui allie l'utilité du futile & la futilité de l'utile, comme yin et yang. Ainsi verra-t-on que tel air du temps, humé et capté par des quasi parasites, recyclé par des créatifs, réinjecté sous une autre forme par des vulgarisateurs, produit simultanément un éventail d'œuvres allant de la chansonnette périmée dans un mois à l'artiste qui incarnera 2008 à partir de 2050 en architecture comme en littérature (s'il y a encore une planète). Plus loin dans l'après-midi, The Science of Sleep (La Science des rêves, Michel Gondry, 2006). Quelques bonnes idées mais globalement un film ennuyeux. Je me demande bien ce que va faire l'étudiante qui l'a choisi comme sujet de mémoire... Mercredîner au Terrace du Hilton. Sophie, Chikako, Benoît et Florian, dont c'est la première participation. C'est la semaine de la cuisine thaïlandaise, on va et vient de la table au buffet, avec pour moi un souci de ne pas avaler trop de mixtures pimentées — c'est désinfectant jusqu'à la dose où ça devient franchement toxique. Parmi divers sujets locaux ou personnels, il est brièvement question du scandale de la traduction fautive d'un Stendhal (une de plus). Nombreuses fautes relevées, c'est indubitable. Mais au-delà d'un différend entre happy fews, pourquoi avoir donné un écho national, par un article d'un grand quotidien, à ce qui aurait logiquement dû être peu médiatisé ? Si ce n'est pour attaquer l'université où le gaffeur est titulaire et souligner méchamment qu'un traducteur du contemporain, en vogue un temps et recruté comme tel, ne fait pas nécessairement un bon chercheur susceptible de procurer une édition de dixneuviémiste. Il semblerait que Kenzaburo Oe, traitant ce week-end de la difficile traduction d'Orhan Pamuk en japonais, dans le Asahi Shimbun, ait également fait allusion à ces jeunes traducteurs qui vont un peu dans tous les sens — au mauvais sens du terme. En tout cas, du rarement vu dans des grands quotidiens. « Et Fuchs ? C'était peut-être quelqu'un d'autre ? — Non, dit Monge, c'était lui. On a été ensemble un moment. Je lui ai parlé. Il saignait. Il pouvait à peine bouger. Je lui ai promis de revenir avec du mercurochrome. Les chiens l'avaient mordu sur la hanche, au ventre, à l'entrejambes. — L'entrejambes de Fuchs, remarqua Yasmina. Les chiens n'avaient pas grand-chose à y dévorer, c'est moi qui te le dis. — Tout de même, ça a dû lui faire mal, protesta Monge. Il était gêné par l'absence de compassion dont Yasmina faisait preuve envers son ex-mari. — Et avec les années de monastère, ça n'a pas dû s'arranger, de ce côté-là, compléta Yasmina.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p. 124) Commentaires1. Le mercredi 18 juin 2008 à 11:01, par brigetoun : vous êtes certain que c'est d'une nouveauté, même minime, cette description des "branchés", à part le nom - et encore 2. Le mercredi 18 juin 2008 à 15:17, par Berlol : Ah non bien sûr, ce n'est pas du tout "nouveau" ! Mais le concept même de branchitude fait à chaque génération ses pros et ses antis. Et ceux qui étaient branchés il y a vingt ans ne le sont plus ou essaient de l'être encore alors qu'ils se sont institutionnalisés (voir propos de Maffesoli dans l'émission). Mais c'est toujours amusant de les voir, d'en voir, et en images d'archives aussi... Sinon, c'est (f)utile ! 3. Le jeudi 19 juin 2008 à 04:55, par Slash : Quant à la difficile trado du berlol en Français... Du bien ridicule, tout ça - du ridiculaire, sans doute, ok, bon. 4. Le jeudi 19 juin 2008 à 05:12, par Berlol : J'vous suis pas, Slash. Je n'ai rien traduit ! Je ne fais que résumer des avis autorisés... Si vous avez d'autres informations, je suis preneur ! Vous parlez de ridicule mais vous laissez un commentaire quand même : c'est trop ou pas assez. Allez, s'lachez-vous ! |
Jeudi 19 juin 2008. « i-o-a
| a-o-i »... Eurêka ! Je ne pensais pas écrire. Maintenant cœur de la nuit, musique diapason, parvenu à finir mardi, comme je le voulais à peu près passé d'un vague préconstruit à un montage cohérent, sinon respecteux d'une pensée elle-même chaotique — cahotique. Parce que journée lourde comme souvent jeudi, trois cours, pas de déjeuner à cause d'une étudiante venue parler de son mémoire et irrespectueuse de l'heure débordée (comme le sont souvent nos étudiants, égoïstes par caprice de savoir les profs à leur disposition). Pour me refaire une santé, je visionne de 18h à 19h30 L'amour c'est gai, l'amour c'est triste (Jean-Daniel Pollet, 1968). À part la France éliminée, aucune bonne nouvelle. Comment en est-on arrivé là ? « i-o-a | a-o-i », « i-o-a | a-o-i », « i-o-a | a-o-i »... Eurêka ! Il y a dans cette symétrie et dans la possibilité de sa vocifération comme de son murmure une force incantatoire et stupéfiante, maudite, capable d'entraîner tout un peuple à la rivière ou à la fange. « Et si ça s'infecte ? dit Monge. — Pas de problème, souffla Fuchs. j'ai été médecin. L'infection se traite. En cas de gangrène, on ampute. Je n'ai pas oublié comment on procède. — Tu n'as même pas de scie sous la main, objecta Monge. — Dans certains cas, on peut opérer sans instruments, affirma Fuchs. Il suffit de tirer un coup sec, et ça vient. — Ne fais pas ça tout seul, dit Monge. Ils restèrent plusieurs secondes silencieux, trop las pour examiner s'ils se livraient ou non à un exercice humoristique.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p. 113) |
Vendredi 20 juin 2008. Percussion
de la pensée sur le monde. Le printemps se meurt, l'été ne s'annonce guère brillant. Avec les JO par là-dessus, ça va être vraiment pénible. Grand rangement de relevés de banque, de talons de factures. Beaucoup de paperasse à la poubelle, aussi. Des dépliants touristiques, des plans de ville, de billets de musée ou de transports, etc. En soi, le geste fait du bien, mais de tous ces documents revus, la trace attriste. Pas sûr qu'il soit bon de tout garder, ni qu'il y ait un temps où tout revoir soit amusant. En revanche, la rédaction du JLR, la vie passée à ce tamis ne me déprime pas ; je l'ai éprouvé en relisant parfois une ou deux semaines par ci par là. C'est devenu ma fiction littéréticulaire : du vrai de ma vie cimenté entortillé à de la littérature. Produire la trace (dis)continue dont je peux être satisfait, au moins certains jours, et que je laisserai derrière moi. Je file au sport. Quatorze kilomètres de pédalage, un demi-litre de transpiration et vingt-cinq pages de Bassmann me remettent d'équerre — d'autant que me revenaient des bribes du 17 avril, avant lecture. Puis le bain et le sauna, là, je revis. « Seuls ceux que j'aime, seuls ceux que j'aime ! répétions-nous au milieu de nos halètements. Nous : j'entends par nous Fuchs et Monge. L'exhortation s'évanouissait dès qu'elle sortait de notre bouche. Des hommes et des femmes, très loin, devaient encore la percevoir, cette exhortation. Peu importe le lieu où on les avait enfermés — asiles, prisons ou salles de prière. On peut supposer qu'ils suivaient notre déplacement depuis leurs cellules et leurs paillasses nauséabondes, depuis leurs cages, depuis leur demi-sommeil perpétuel, tous et toutes psychiquement atteints et prostrés, depuis leurs existences marginales ou carcérales ou oniriques ou autres. Seuls ceux-là, que nous aimions et qui nous aimaient, étaient capables de nous imaginer dans leurs ruminations semblables à la mort. Certainement ceux-là et celles-là nous entendaient encore. Mais ici, sous les voûtes noires, l'appel ne provoquait aucune réaction. Nous le lancions par acquit de conscience, combattant la tentation de ne plus croire en la réalité de nos auditeurs et auditrices. Nous devions lutter contre l'envie de ne plus mouvoir nos corps, contre le désir d'abandonner tout, de cesser de respirer, de nous immobiliser et de nous éteindre. C'était dur.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p. 100-101) David m'a préféré Dominique de Villepin à Kyoto — c'est dingue, non ? Mais, malgré les amis là-bas, je suis actuellement dans une trop grande détestation du pouvoir pour m'y rendre, sourire, saluer, etc. ; j'en vomirais ; mais comment font-ils ? Ils sont mieux adaptés que moi à ce monde, c'est tout, sans doute. Je déjeune en compagnie d'un autre Ce soir ou Jamais, du 12, de peu d'intérêt dans sa première partie, les prisons, beaucoup mieux après, l'amour. Métro et train pour rejoindre ma blonde, comme disent les Québécois. Écoute sur Baudrillard. C'est intelligent, juste. « Il nous dit que c'est lors du premier contact avec l'objet que se décide le sort de la pensée. C'est parce que lors de ce premier contact, c'est la percussion de la pensée sur le monde. Et cette percussion-là déclenche l'imagination. [...] Et donc, à ce moment-là, l'objet apparaît dans sa pureté, c'est-à-dire qu'il n'est pas entâché de sens et qu'il n'est pas non plus recouvert par des stéréotypes. Et donc là, c'est le moment de le penser, de le saisir. Alors que le contact continu avec l'objet, s'il devait avoir lieu, conduirait, lui, au ressassement. D'où cette idée d'une pensée fragmentaire.» (Alain Gauthier, dans Du Jour au lendemain, le 6 juin, bien interrogé par Alain Veinstein pour Baudrillard, une pensée singulière, aux éditions Lignes) T. et moi parlons ce soir de la prolifération d'étudiants mentalement instables ou malades. Elle me dit que, de source administrative, on estime à 5 % le taux d'étudiants qui nécessiteraient des soins psychologiques ou psychiatriques — soit un étudiant par groupe de 20 ! De plus en plus, le clientélisme produit une levée d'inhibitions tandis que la proche entrée dans la vie professionnelle génère une peur panique. On croit alors possible de demander au prof de donner une note en échange d'aucun travail, simplement parce qu'on est ou se prétend malade... Parents absents ou qui se sont toujours défaussés de leur rôle sur les établissements qu'ils paient. Administration universitaire qui favorise la clientèle (irremplaçable) et stigmatise l'enseignant (remplaçable). Ce qu'est, devrait être, l'université — « le principe d'université comme droit inconditionnel à la critique », par Plínio W. Prado (Paris VIII le 1/12/2007). De l'anti-Pécresse à l'état pur. À lire lentement. Sur cette base, je dois reconnaître, hélas, que l'endroit où je travaille n'est peut-être pas une université... T. et moi nous demandons même s'il en existe encore dans l'archipel. |
Samedi 21
juin 2008. Qui est l'homme à tête de sac ? Cléo et Chaos l'an dernier. Sevestre et Meschonnic il y a deux ans. Blessure de trois ans et dont j'ai encore la cicatrice. Du typhon et du Graal en 2004. Tels sont mes derniers passages à l'été. Et cette année, qu'en garderai-je ? Décidément Norlensk !, ville visitée ce matin, après y avoir été invité par l'active Brigade Lutz Bassmann dont voici le dernier courrier : « Bienvenue à Norlensk ! Durant la nuit, l'avertisseur de la locomotive avait beuglé à tout moment, avec une sorte d'obstination maniaque, comme si sans cesse le conducteur avait à effrayer des animaux ou des réfugiés étendus sur la voie. Brown dormait par brèves périodes d'un demi-quart d'heure. Quand le train entamait une courbe, entre deux obscurités il apercevait des dunes de gravier que les phares éclairaient obliquement pendant une seconde, des montagnes de granules noirs où la vie semblait impossible. Jamais ne surgissait la moindre silhouette de bétail noctambule ni la forme hagarde d'un vagabond d'apparence loqueteuse ou semi-loqueteuse ou même humaine. Avant que l'obscurité réenvahisse tout, Brown fermait les yeux. La voiture n'était pas éclairée et il ne distinguait même pas son propre reflet sur la vitre. Il somnolait, ses pensées erraient vers des paysages d'autres planètes, il imaginait d'autres mondes morts, encore plus morts que celui-ci, encore plus éteints, puis de nouveau il sombrait dans l'inconscience. Norlensk, une autre ville au bout du monde ! » Laissez-vous tenter par les Infiltrations... Même si c'est un peu long à charger. Essayez de découvrir qui est l'homme à tête de sac, de comprendre le calendrier norlenskais. Après une heure, on en a froid dans le dos. Déjeunons au Saint-Martin avec Laurent et Bill. Ils ont une heure et demie avant le Nô à Suidobashi. Suffisant pour se payer une bonne discussion & tranche de rigolade comme nous savons le faire, sur 1. la fac et ses problèmes (Cf. hier), 2. Volodine et Bassmann (Cf. un peu tous les jours...). Je me doutais que Laurent était amateur d'Harry Dickson. Aussi bondit-il quand je lui signale qu'il y avait une lecture d'une partie du découpage de Frédéric de Towarnicki pour Alain Resnais d'après Jean Ray pour un film hélas jamais tourné, qui aurait pu être avec Dirk Bogarde et Delphine Seyrig. Lecture des frères Podalydès, diffusée dans les Fictions de France Culture le 25 mai. Encore audible. T. et moi faisons un rapide passage à l'Institut où la Fête de la Musique commence doucettement. Mais on ne s'éternise pas, il y a des courses à faire, du boulot à la maison et on annonce de la pluie assez forte. J'emprunte juste une bédé Vargas / Baudoin et deux Claro. À suivre, avec John Travolta... Ça étonne, non ! Mais on n'était pas avec lui, hein. C'était dans un film. Mais plutôt bien foutu. Lonely Hearts (Cœurs perdus, 2007), ça occupe un peu la soirée, c'est tout. Sauf que, comme la Sirène du Mississipi, on retrouve l'escroquerie sur petites annonces de rencontre. Commentaires1. Le dimanche 22 juin 2008 à 11:36, par alain : Obligé
de reconsidérer mes armoires métalliques sous un jour autre, non plus
leur couleur, mais leur poids. Elles ont eu pendant combien d'années ?
deux, trois, un bon rendement pour ranger oublier les choses, petites,
les dossiers, les brouillons d'un format n'excédant pas 23 cm par 30, à
peu près, pour 15 de haut, un format boite, au poil pour les feuilles.
Mais j'en ai 4, de 10 boites chacune. Ça a fait beaucoup de choses à
oublier. Et au moment de déménager, ces choses oubliées à mesure et
qu'on ne jette pas ainsi (en tout cas, je ne suis pas ainsi) emplissent
un rayonnage de cartons, format déménageur courant. 4 étages sans
ascenseur. La vie des choses. 2. Le dimanche 22 juin 2008 à 16:24, par Berlol : Merci, Alain. Tu me manquais. |
Dimanche 22
juin 2008. L'aubaine d'énormes courgettes. Grasse matinée. Lecture de la moitié des Quatre Fleuves (Fred Vargas / Edmond Baudoin, chez Viviane Hamy, 2000) — ça fait que deux fleuves, alors... Les premières pages, le dessin me gênait, par habitude du texte, mais on s'y fait et puis petit à petit ça commence à interférer, entrelacer, fonctionner. Et puis l'amusement de retrouver les envolées anthropologico-anarchisantes de Fred, décidément pas encore post-exotique. On sort juste avant la pluie — sinon, on ne serait peut-être pas sorti... Petite faim en arrivant à Shibuya, on s'arrête chez Carmel pour salade au poulet et mont-blanc — que j'escalade sans difficultés particulières... juste avant le sport. Je crois qu'on n'y est pas venu ensemble depuis la semaine entre le retour d'Orléans et la coloscopie... Presque trois mois. Régularité, en revanche, dans la lecture de Bassmann. « Ils formaient un couple heureux, Monge et elle, insolemment et pour toujours soudé. L'exemplaire entente qui régnait entre eux les avait souvent étonnés eux-mêmes, dans la mesure où autour d'eux les gens se déchiraient, sombraient, cessaient d'avoir la foi en un avenir meilleur, partout entretenaient des relations âpres, se moquant des rêves amoureux, des utopies radieuses, adoptant des postures cyniques, affectant d'être insensibles, d'être revêches et pessimistes, ridiculisant et mutilant ce qui était tendre et fragile, ne croyant pas à la sincérité.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p 122) L'amour comme dernier refuge, comme T. et moi, pensais-je. Ou dernière illusion d'une lutte pathétique contre la barbarie post-démocratique post-exotique. « Monge sortit la masse de tissu qu'il avait coincée jusque-là sous sa veste. C'était un long rectangle de drap blanc, avec des caractères peints en rouge — CAMARADE SOLDAT, REPRENDS CONSCIENCE ! DÉSOBÉIS, NE VA PAS TUER LES HÉROS DE L'ORBISE ! Il fallait encore le déplier pour que le slogan apparaisse. — Je ne l'avais pas roulé comme ça, dit Monge. C'est toi qui y as touché ? — Non, dit Yasmina. Fais voir. [...] Quelques soldats accoudés aux fenêtres des wagons regardaient cette femme haletante qui, bizarrement seule, traînait derrière elle une paire de phrases à leur gloire — CAMARADES SOLDATS, VOUS ÊTES LA CONSCIENCE DU PEUPLE ! NETTOYEZ L'ORBISE, EXTERMINEZ LES KOVARSKISTES ! Yasmina n'avait pas eu le temps de vérifier le contenu du texte. Elle pensait encore que la propagande des oppositionnels flottait dans son dos et elle essayait de courir le plus vite possible en levant le bras le plus haut possible.» (Ibid., p. 133-135) Ah, l'Orbise ! Déjà chez Maria en 1980... Rentrés chez nous vers 16 heures, après passage à Seijo Ishii, essentiellement pour camembert, bleu d'Auvergne et confiture d'abricot. Je prépare une ratatouille, légumes habituels et l'aubaine d'énormes courgettes à 150 yens l'unité ! Recevons un ami du quartier qui va bientôt changer de travail, il programme des pachinkos et ça ne lui plaît pas beaucoup, éthiquement. Je m'endors sur le canapé comme un bébé pendant qu'ils discutent en japonais. Soirée kanjis en regardant Indiana Jones — je ne sais plus lequel, celui avec l'Arche, t'façon, on s'en fout. |
Lundi 23 juin 2008. Pas les vrais
cafards d'alors. Après le déjeuner, j'accompagne T. à Marunouchi chez le dentiste pour les soins planifiés la semaine dernière. Non parce qu'elle aurait besoin de mes services de traduction... mais pour observer, tout en lisant — ma couverture —, comment fonctionne le cabinet. De plus, nous devons payer pour le mois. Entre les rapides coups d'yeux très techniques sur l'attitude des assistantes et des dentistes qui passent masqués, j'achève Les Quatre Fleuves, leurs sinuosités rimbaldingues, l'éloge de la récup' des métaux et de la famille qui fait bloc. Ça va trop vite ! Comme T. a disparu depuis plus d'une demi-heure, je passe à l'Éloge de la vache folle... « Elle m'expliqua d'une voix acidulée (c'est sa voix du matin ; celle du soir est plutôt caramélisée) que j'avais encore trois jours pour parfaire ma sainte mission. Mes oreilles se mirent à bourdonner, ma langue devint pâteuse et je crus voir la pièce se retourner comme un immense sablier tandis que nous glissions, Mirabelle et moi, inévitablement entraînés vers l'étroit goulot de la folie. — Tu veux dire, Mirabelle, que j'ai sacrifié mon droit le plus élémentaire au sommeil pour un texte que personne n'attendait aujourd'hui ? Est-ce cela que tu essaies de me faire comprendre ? — Pas la peine de m'enturbanner dans ta pléthorique d'autodidacte, Frédéric, tu m'as très bien réceptionnée. De temps à autre son passé de standardiste à temps partiel et de lectrice de L'Express resurgissait comme un hélicoptère Huey-Cobra entre deux collines défoliées. La sagesse consistait alors à s'évaporer sans laisser de dépôt. J'envisageais un repli salvateur. Si je commettais l'immense erreur de m'attarder, il était fort probable que Mirabelle me gratifierait d'une nouvelle mission, ce que je ne souhaitais pas particulièrement, ayant une dépression à peaufiner dans les plus brefs délais. Mes ambitions, on le voit, demeurent circonscrites au territoire du spleen, ce qui fait dire à mon ami Arnaud que je me vautre dans un carriérisme morbide. Aussi est-ce à reculons, la respiration bloquée, que je dirigeai mes talons vers la porte par laquelle j'étais entré et contre le chambranle de laquelle je m'étais appuyé. A priori, un sans faute.» (Christophe Claro, Éloge de la vache folle, Paris : Éditions Fleuve Noir, 1996, p. 31-32) Passons au 4e étage de Shin-Marunouchi Bldg où T. récupère un pantalon après l'ourlet et où je repère un costume en lin qui nécessite tout de même d'attendre les soldes. Puis du pain et on ne traîne pas parce que le ciel est entre le gris et l'ocre, on peut le voir s'alourdir de minute en minute. Et en effet quand ça tombe, ça tombe dru, mais on a déjà atteint la maison. L'Affaire Sacha Guitry, sur TV5 monde ce soir, excellent ! Un ton juste — bien que je n'aie jamais creusé le détail de l'affaire. J'ai su, il y a longtemps et sans plus, qu'il avait eu des démêlées avec les autorités à la Libération pour avoir continué son métier durant l'Occupation allemande de Paris. Trouvant le film excellent, excellemment joué et mis en scène, je me demande si je ne cours pas un risque de révisionnisme dans ma tête en n'allant pas vérifier si tout cela est vrai. On a donc, pour en remettre une couche sur la fiction, un téléfilm de fiction de 2005, une fiction télé : Balmer n'est pas Guitry, les cafards dans les paillasses ne sont pas les vrais cafards d'alors, on ne voit jamais les prévenus (ou détenus ? ou retenus ?) faire pipi ou caca, le film n'a pas été tourné en 1944, etc. L'ensemble se propose cependant à nous comme une vérité historique, une reconstitution partielle, elliptique, focalisée sur les principaux instants des soixante jours que Guitry a passés en prévention (détention ? rétention ?) avec un dossier où, dans la case du motif de l'arrestation, est écrit à la main le mot ignoré. Il faut que tout ça tienne en une heure trente. Cette vérité vraisemblable dont je sais que c'est techniquement (et artistiquement) une fiction, je prends le risque, parce que la fiction est vraisemblable, de considérer pour ma gouverne que c'est la réplique de la vérité. Et c'est parce que c'est excellemment joué et mis en scène que le risque de passer pour la vérité historique est grand. Dans un autre sens et si l'on est un peu curieux, c'est une bonne occasion pour faire une recherche dans des documents officiels ou une biographie sérieuse ; on louera alors le pouvoir auto-pédagogique, incitatif de la fiction télé (absolument rien dans le site Guitry, en revanche Wikipédia corrobore le téléfilm, sur AgoraVox un ouvrage de Jean-Philippe Ségot est signalé en 2007 chez Séguier (déjà épuisé ou indisponible ?), Canal Académie propose une série d'émissions, etc.). Et l'on s'apercevra que c'est la rumeur de ces « démêlées » qui laisse persister un mensonge, qui permet au soupçon collaborationniste de survivre alors que la fiction télévisée rétablit la vérité et qu'elle est précisément construite, jouée pour déjouer les pièges de la sale ignorance... Le problème de la fiction et de son rapport à la vérité n'est donc pas seulement interne au récit ou à l'œuvre (preuves et effets de réel ou, au contraire, de féérie, de mensonge ou d'incohérence) mais il réside aussi dans l'attitude de réception, la volonté de savoir finalement, et de savoir séparer le plaisir pris à la fiction bien faite, agissant sur nous comme un manège de fête foraine le temps d'un tour, et la vérité d'événements pour sa gouverne et l'avenir. Un ami m'a écrit son accord avec mes propos de la semaine dernière sur la fiction. Je l'en remercie parce que les réactions se font de plus en plus rares, en public comme en privé, chacun étant plus occupé à zapper d'un blog à l'autre (le nom de Netvibes pourrait être celui d'une pathologie) qu'à approfondir un sujet théorique ou une œuvre littéraire en y passant plus que quelques heures résumées en un billet de vingt lignes que les blogs fédérateurs et avides de trafic voudront peut-être reprendre, le reste étant réputé indigeste. Tant pis pour eux. Commentaires1. Le mardi 24 juin 2008 à 17:49, par christine : ooh
! je te sens grognon et cafardeux et un peu "c'était mieux avant" ...
ce ne sont tout de même pas seulement mes quelques jours de vacances
qui t'ont coulé le moral ? (j'ai répondu à ton commentaire en ce sens,
mais gandi m'énerve à être toujours en panne ce soir : maintenant les
billets passent mais pas encore les commentaires !) 2. Le mardi 24 juin 2008 à 18:23, par Berlol : Un peu "C'était mieux avant", moi ? Pas possible ! "Y'a eu du mieux avant et y'a du mieux qu'avant", telle est ma devise pour faire la part des choses. Au demeurant, je suis aussi en accord avec Balpe sur presque tout, excepté la possibilité de transformer automatiquement en "œuvre" les aléatoires parcours entre des bribes fictionnelles (d'où qu'elles viennent). Qu'il y ait du fictionnel partout, je suis assez bien placé pour le croire... J'insisterais surtout pour qu'on accepte la différence réelle produite par l'usage (fictionnel) des articles : une fiction, la fiction, de la fiction... Bah, tu vois, dès que tu rentres, tout de suite, ça va mieux ! 3. Le mardi 24 juin 2008 à 18:46, par Gardiner : Nous sommes en plein dans la problématique de l'historien qui doit classer et hiérarchiser les informations. Exemple : on m'a collé récemment dans les pattes un roman de Romain Slocombe: les "brumes du printemps"... On y parle du Japon, de la drague, et on suit un des auteurs de l'attentat au gaz sarin. Seulement ce n'est pas un travail de journaliste comme a pu être l'excellent "Underground" de Murakami Haruki, ni un roman historique à la Balzac. Ecrit moins de dix ans après les faits, il manque nécessairement de recul, et en l'absence de travaux historiques, il se base exclusivement sur le matériel journalistique. Au final, ce roman est presque aussi maladroit que ce terme de "fiction réalité" (on appréciera l'oxymore) qui désigne ce genre à la télé. Dommage, j'aimais bien les personnages des deux occidentaux... 4. Le mardi 24 juin 2008 à 19:36, par brigetoun : je suis en train de découvrir avec plaisir grand (mon retard éternel) Murakami Haruki 5. Le mercredi 25 juin 2008 à 01:53, par F : oui,
le rapport "lire/écrire" ou lire en commentant répondant c'est un des
points les plus fluides ou mobiles en ce moment - et d'en avoir une vue
synoptique aussi - si je savais développer mêmes scripts que la page
Netvibes, j'intègrerais à mon site au lieu de passer chez eux - lire
sans déposer commentaire n'est pas forcément lecture faible 6. Le mercredi 25 juin 2008 à 02:40, par Berlol : Bah oui mais comme tu vois, la télé elle aussi ramène à la question de la fiction, parce que quand on est sur un problème, Guitry, Slocombe (dont je n'ai lu qu'Un Été japonais) ou Netvibes, on a ça en commun malgré les différences de branches et de supports. "En quoi le Net déplace le rapport à la fiction" est en effet une question tarabustante. Comme en épidémiologie, les chercheurs doivent attendre quinze ou vingt ans pour avoir des données en quantité suffisante, comparer des populations, des pratiques, des expressions, etc. En revanche, les créateurs, eux, sont déjà dedans et ils sont très très nombreux. J'ai mes jours "repli sur la base, on n'est que trois à dire des choses intéressantes et qui resteront dans mille ans", et puis j'ai mes jours "même la moindre bouse postée est déjà une création, une contribution et une conquête, il faut que je navigue sans cesse pour tout voir"... Cyclothymie webique, dit l'e-médecin !... 7. Le mercredi 25 juin 2008 à 02:46, par christine : F,
la télé aussi fait partie de la fiction dans laquelle nous infusons
aujourd'hui (parfois je me demande si j'ai vu/lu tel ou tel épisode
dans le journal littéréticulaire ou dans desperate housewives!) 8. Le mercredi 25 juin 2008 à 02:58, par christine : je n'avais pas lu le commentaire 11 avant d'envoyer le mien, mais je partage assez ta cyclothymie, sauf que, grande névrosée que je suis, je ne me dis jamais (mais alors jamais) : "on n'est que trois à dire des choses intéressantes" : c'est grave, e-docteur ? 9. Le mercredi 25 juin 2008 à 03:04, par christine : en plus je ne sais plus compter : "le commentaire 6" 10. Le mercredi 25 juin 2008 à 03:26, par Berlol : Chez toi aussi, les commentaires, ça pose problème... 11. Le mercredi 25 juin 2008 à 04:05, par F : je crois que ma réponse sur le fond je vais la
développer dans les jours à venir, et via site - question
trop forte 12. Le mercredi 25 juin 2008 à 04:17, par christine : ça me fait plaisir, ça, F ! 13. Le mercredi 25 juin 2008 à 04:27, par F : discussion qui croise celle en cours sur La Feuille 14. Le mercredi 25 juin 2008 à 04:42, par Berlol : Pendant
que vous interveniez, je faisais la pause et j'ai gagné aux échecs
contre l'ordin' C'est la preumière fwois ! J'en bafouille ! 15. Le mercredi 25 juin 2008 à 13:55, par christine : alors voilà, on se plaint de ne pas avoir assez de commentaires, et quand il y en a on a autre chose à faire ! |
Mardi 24 juin
2008. Besoin de maïs pour faire une démo. Temps gris, encore. L'été n'arrive pas à démarrer. Faut-il s'en plaindre ? Pendant ce temps, on fait des économies de climatisation. Copies à corriger dans le train. Je m'endors en plein milieu et repense à Philippe, son appareil-photo volé... Et que le petit que je lui avais fait parvenir quelques jours auparavant ne remplacera pas. Au Japon, ça paraît inimaginable. Pourtant, T. m'a dit qu'il existait une expression pour cela, ce qui prouve bien que le vol dans le shinkansen existe... Cours de conversation où je suis arrivé à ne plus rien avoir à faire : à l'aide des commentaires avec adresses de sites web qu'ils ont postés en commentaires depuis deux jours, les étudiants viennent à l'ordinateur relié au vidéo-projecteur pour commenter les principales spécialités culinaires de Nagoya, les recettes, les origines, les meilleures restaurants. Moi, je mets mon grain de sel en posant des questions ou en rectifiant les grosses fautes. Pas d'examen pour ce cours, seule la participation comptera dans la note, alors tout le monde se lance. Dernier Ce soir ou Jamais de la saison ! Effrayant débat sur les risques du téléphone portable et du wifi, les ondes qui nous parcourent, interfèrent peut-être avec notre ADN, accélèrent éventuellement le vieillissement de nos cellules, chauffent possiblement nos organes jusqu'à les péter comme du pop-corn. Bizarrement, aucun des participants ne commente... C'est qu'on a aussi les versions où ça ne pop pas. Et alors ? Si le gouvernement impose une taxe sur les portables, il risque en plus de devenir complice de crime prémédité... Intéressants commentaires aussi de Miguel Benasayag sur le fait que la disponibilité et la joignabilité de l'autre empêchent l'esprit de mener à terme des chaînes de pensée qui renforcent le caractère de l'individu, sa confiance en lui-même et sa relation à l'autre — là, pas besoin de maïs pour faire une démo. Commentaires1. Le mercredi 25 juin 2008 à 19:25, par karl : Je
vis au Japon depuis… 2 ans et demi. C'est peu. Mais je n'ai pas de
téléphone portable. J'en ai eu un pendant 1 an et demi de 2000 à 2001.
Et puis au moment où il a rendu l'âme, j'ai décidé de ne pas
renouveler. Pas à cause des dangers médicaus potentiels. Cette modalité
de communication ne me convient pas. Elle est beaucoup trop intrusive.
Je préfère les modes asynchrones de communication. Envoi - délai -
réponse. Pour la communication synchrone, la présence physique est bien
plus agréable, car je suis dans un espace et un temps dédié qui me
permettent de consacrer mon attention. Sinon je baigne dans l'eau et
les rêves. 2. Le mercredi 25 juin 2008 à 20:38, par Berlol : Le temps ne fait rien à l'affaire — au moins pour le Japon. |
Mercredi 25 juin 2008. La boue des
rotations terrestres. Après un cours, je devais rester au bureau pour recevoir un étudiant en difficulté et avancer mes sujets d'examens, ce qui m'a permis d'écouter une bonne partie du feuilleton radiophonique consacré à L'Homme pressé d'après Paul Morand, et de ne pas le conserver, puis les deux premiers épisodes du feuilleton Transit d'après Anna Seghers, et de les conserver. (L'un distrait, l'autre édifie.) Puis le ping-pong des commentaires sur le billet d'avant-hier, bien agréables échanges. La pause de vingt minutes durant laquelle j'ai gagné aux échecs pour la première fois contre l'ordinateur, avec un module installé dans ma page Google. Et après le dîner, la découverte des Happy Tree Friends, trouvés par le blog d'Antoine Misseau... Pendant que je rédigeais le billet d'hier, j'ai cherché des vidéos de pop-corn électromagnétisé, mais à l'ouverture YouTube m'a d'abord fait savoir qu'il y avait de nouvelles versions de Love will keep us together, chanson qui m'a toujours à la fois plu et amusé. Il y a deux ans, une seule version était en ligne, deux quelques mois après, puis trois, etc. Maintenant il y en a au moins sept ou huit, toujours par Captain & Tennille, entre 1975 et le début des années 2000. Je ne mets pas les liens, vous savez comment faire. Ainsi peut-on voir évoluer — et hélas vieillir — des artistes, comme scientifiquement puisque dans le même exercice (chacun en fera l'expérience avec une chanson assez populaire pour qu'il y en ait plus de cinq versions en ligne). C'est une expérience fascinante et attristante à la fois. M'étant déjà plaint des artistes qui ne décrochent pas, ce qui simplement nous foutrait la paix, je me suis dit que, tout de même, j'étais bien injuste avec eux. Insistant un peu sur le sujet, là où ça fait mal, je m'aperçois ce soir que c'est peut-être ma phobie de vieillir que je projette ainsi sur les autres en voulant les faire disparaître, faire en sorte qu'ils ne se montrent pas. Après tout, moi aussi je me donne en spectacle devant des étudiants. Et s'il s'en trouvait qui m'eussent vu il y a quinze ans, il y a dix ans, etc., ils pourraient aussi penser que j'ai l'air moins frais maintenant, que je radote un peu. Par bonheur, je ne suis pas filmé... ce qui différencie des stars le commun des mortels. Je compris alors — (passage en style soutenu) — que mon aversion d'être filmé et moins gravement d'être photographié ne provenait assurément pas d'une quelconque coquetterie, ce que les amis appellent parfois chochotterie ou qu'ils soulignent d'un fais pas ta timide, ni d'un effroi relatif au sentiment de ma laideur, mais bien d'un refus de laisser les traces qui pourraient permettre, dans un avenir maintenant proche, de reconstituer les étapes principales de ma dégradation, à l'instar de tout le monde. J'aperçus que je voulais laisser tranquillement s'éloigner l'un de l'autre ma psyché bloquée sur dix-sept ans (ce qui est déjà mieux que sur douze ans) et l'individu lâché corps et âme dans le cours du temps, sans avoir jamais les preuves matérielles de cette dérive sans retour. Je me souvins alors de la parole de George, l'élégant ami britannique qui, peu avant de partir en retraite de l'université, m'avait confié son incompréhension et sa colère devant cette chose de lui qui n'avait pas son âge. Flegmatiquement, ça continuait à être en lui, non pas un fantasme jeune de soi que ridiculiserait l'état réel du corps, mais bien sa réalité profonde et permanente que le reste et le monde autour auraient trahie pour aller traîner dans la boue des rotations terrestres. Ainsi, malgré les connaissances et les expériences accumulées, malgré l'intelligence de savoir être dans un corps ayant son pesant d'années, il existerait en nous un noyau qui panique quand il comprend qu'il n'a peut-être pas raison. Commentaires1. Le mercredi 25 juin 2008 à 15:59, par christine : je
vais m'imprégner de ce beau développement très proustien et essayer de
le ressortir la prochaine fois qu'on voudra me filmer ou me
photographier ! 2. Le mercredi 25 juin 2008 à 16:19, par Berlol : Certes,
mais bidonné dans plusieurs pays en même temps ! (Je ne sais pas
comment, d'ailleurs...) Pour s'amuser, sans doute. Mais c'est tout de
même la trace d'un risque auquel personne, parmi les jeunes,
utilisateurs intensifs et dépendants, ne pensait il y a encore deux ou
trois ans. Idem pour le wifi stoppé dans plusieurs bibliothèques par
principe de précaution. 3. Le mercredi 25 juin 2008 à 17:04, par christine : oui,
ils rament chez gandi, j'ai l'impression (j'espère juste qu'ils ne vont
pas perdre toutes mes données, que je n'ai toujours pas vraiment
sauvegardées !) ... et j'ai remarqué que tu avais repris ma panique du
noyau 4. Le mercredi 25 juin 2008 à 17:11, par Berlol : Oui, mais à l'inverse, l'exemple de l'amiante est terrifiant !... Pour le wifi de tes voisins, c'est un peu comme le tabagisme passif : tu es contaminée tout en en profitant gratuitement... 5. Le mercredi 25 juin 2008 à 17:53, par christine : même pas, ils sont verrouillés ! 6. Le mercredi 25 juin 2008 à 18:59, par Berlol : (Pfuu ! Tu peux pas acheter du pop-corn tout fait ?) 7. Le mercredi 25 juin 2008 à 22:35, par brigetoun : aimé "m'avait confié son incompréhension et sa colère devant cette chose de lui qui n'avait pas son âge. ..." et plus encore la suite 8. Le jeudi 26 juin 2008 à 03:43, par Berlol : Merci ! Pour finir ce paragraphe, j'ai dû trimer jusqu'à 2h10 du matin ! (avec un cours à 9h20, c'est pas évident...) |
Jeudi 26 juin 2008.
Varié mais avarié déjà. Un beau discours en Israël quel courage se pâment les journalistes d'avoir osé dire aimez-vous les uns les autres et la France vous bénira et le voilà revenu pour imposer les mauvais comptes de l'audiovisuel public faire tester l'idée de quelques déremboursements aux longues maladies briser plus et mépriser plus pour faire gagner plus au capital ministre baby-face du lexomil cathodique et l'autre excité toujours cette sèche vulgarité bille en tête l'épouse parfaitement discrète jouant son rôle d'éteignoir contrastif où les esprits se brouillent dans la confusion générale une ligne très claire vers la tyrannie le moral des Français au plus bas depuis vingt ans la Bourse itou tout le reste devenant hors de prix et l'arrogance aussi au plus haut méconnaissable France jusqu'où iras-tu ? Mon jeudi, à côté, même plein comme un œuf, c'est un conte de fées. Trois cours dont le séminaire de cinéma en commentant la fin de la Sirène du Mississipi, film en trois temps : la méprise (fausse identité, mariage, vol, disparition), la reprise (retrouvailles, cavale vers les montagnes) et la surprise (révélation de l'amour après la mort-aux-rats), puis passant le début de Dédales, la demi-heure de déploiement des identités, et réfléchissez-y pour la semaine prochaine. Revenu au bureau, un détour amical au Désordre avant de mettre en ordre quelques sujets d'examen, mettre en ligne quelques documents pédagogiques, rédiger la version française d'un point sensible du règlement intérieur (modes de gestion de nos étudiants partant à l'étranger, conditions d'équivalences, etc.), ajouter le Quarto de Caillois (du Bonus de Sorin) à une douzaine d'articles et valider ma commande Amazon. Quand je finis, il est 19h30. L'heure de rentrer, ranger le linge avant la pluie, dîner en regardant un vieux Ce soir ou Jamais, celui du 10 juin, varié mais avarié déjà — comme tous nos jours — puisque l'avant-veille du si clair vote irlandais. « Assise à son bureau, les pieds sur l'imprimante elle aussi au repos, Mirabelle cherchait patiemment les résultats du loto dans La Quinzaine littéraire.» (Christophe Claro, Éloge de la vache folle, p. 35) Commentaires1. Le vendredi 27 juin 2008 à 06:57, par brigetoun : et
s'il n'est pas intelligent (le début) il est malin - on n'a que le
choix entre démonter la dernière idée, et pendant ce temps l'avant
dernière se normalise, la question posée passe pour pertinente, et le
rouleau avance, même avec des zigzags - ou replacer dans l'ensemble et
sous l'aventin les troupes avancent. |
Vendredi 27 juin 2008. Bagarre
avec les romaines accentuées. Suis tellement sérieux qu'au lieu d'aller au sport à 10 heures, je file au bureau préparer mes sujets d'examens et effectuer quelques tâches résiduelles. Un courriel des bureaux me fait comprendre qu'il faut compléter illico la banque de données de la fac avec mes dernières recherches et publications. Sauf que le site ayant changé de fond en comble, je ne trouve plus l'entrée de la banque... jusqu'à ce qu'on m'en envoie l'adresse. J'y vais en deux clics, je complète (Glottopol, Cerisy, etc.), même si c'est un peu la bagarre avec les romaines accentuées qui virent au chinois (mojibake). Finalement, quand vient l'heure de déjeuner avec David et un autre collègue, mes sujets sont toujours en plan. Train. Il faut bien choisir sa place. Quand on le prend avant 16 heures, il y a moins de salaryman qui boivent en groupe et puent la bière mais bien davantage de femmes avec enfants braillards et poussette encombrante... Je ne critique pas, je décris. J'ai mes us. D'abord je dors, ensuite j'avance très vite dans ma lecture de Claro : un certain entrain, beaucoup d'expressions très drôles, le côté polar un peu perdu de vue, c'est fait pour. « La chose est entendue : la sieste est la plus belle invention de l'homme après celle du Temesta. Surtout quand elle commence à treize heures trente (juste après les informations nationales) et s'achève à dix-neuf heures cinq (juste avant la contre-information régionale). Le seul inconvénient, c'est qu'on sort de ces comas miniatures encore plus atrophié qu'on y était entré. On a l'impression d'avoir été avalé et digéré par un monstre sous-marin habitué à sucer de la craie et à lécher du charbon. L'horreur. On regarde son répondeur-enregistreur comme s'il s'agissait d'un potiron radioactif et on se rend à tâtons dans la cuisine pour ouvrir le frigo au cas où quelqu'un aurait laissé un message. Il n'est pas rare dans ces moments d'intense stupeur que l'on fixe durant trente minutes une miette de pain en équilibre sur le rebord de la fenêtre.» (Christophe Claro, Éloge de la vache folle, p. 45-46) Du pain ! Justement, voilà ce qu'il faut que j'achète ! Sous-sol de Tokyo, boulangerie Burdigala, une baguette comme là-bas et un pain complet tranché, ça fera l'affaire. On s'en repaîtra dans deux heures avec nos restes de fromages (fin d'un camembert, avancée d'un bleu). Ça sera toujours mieux que de commenter l'actualité. Commentaires1. Le samedi 28 juin 2008 à 02:39, par Shaggoo : Merci pour la découverte de ce Claro là ! |
Samedi 28 juin 2008. La
littérature peut offrir, à son gré et
à son rythme. Moyennement motivés, ce matin, T. et moi, pour aller aux soldes de Sun Motoyama, à Yurakucho. Économies à faire, impression d'une moins bonne sélection d'articles, marre des bousculades de la fièvre acheteuse... Bref. Y sommes avec une heure de retard — du coup, au grand dam de T., je verrai partir dans les mains d'une rombière la dernière des valises Rimowa à moitié prix (et ce n'est pas plus mal, franchement, parce qu'avec le pétrole à 150 dollars on va beaucoup moins avoir l'occasion de voyager, nous). Finalement, nous emportons une paire de chaussures pour moi (mocassins marron), un petit vase de cristal pour l'autel des ancêtre et un minuscule cadre argenté dans lequel T. prétend garder une photo de moi sur elle. Passons à Bic Camera pour un purificateur d'eau. Fin de la séquence consommation, dont on est friand, tout intello qu'on soit. Revenons au Saint-Martin où il nous reste une table en terrasse et un rassérénant poulet-frites. À l'intérieur, deux familles françaises occupent chacune cinq places, emplissent la salle de bruit, de mouvement, de poussettes. Faudrait pas que ça devienne la cantine des familles françaises du quartier ! Sinon, à quoi ça me servirait d'avoir fait 11 000 km pour les fuir... Avec Claro, je me dis que je n'aurai pas ces problèmes. Je l'achève dans l'après-midi — pas folle, la vache ! « [...] des thèses qui, sans sombrer dans le révisionnisme ambiant, vantaient une nouvelle réorganisation sociale pour le moins inquiétante : la Kultur d'entreprise y était hissée à un degré dogmatique culminant à l'abstraction, ce qui en faisait une arme certes assez inutilisable, mais les schémas d'organisation proposés laissaient sourdement entendre qu'à l'avenir les cadres, plutôt que de se préoccuper du simple rendement de leurs boîtes, se verraient assigner un objectif crucial : décloisonner totalement les notions de vie privée et de vie professionnelle au sein de leurs effectifs. Grâce aux nouvelles techniques de l'informatique, le travail à domicile se ferait au bureau et la vie d'entreprise se déroulerait au domicile. Confondant. D'ailleurs, il n'y aurait plus vraiment de domicile ni de bureau.» (Christophe Claro, Éloge de la vache folle, p. 159) Rappeler que le livre est sorti en 1996 ; ce qui place Claro dans une attitude manchettienne « d'intervention sociale », expression que nous rappelait récemment Dominique Viart en ouverture de la deuxième journée des Enjeux contemporains II (3-5 avril 2008 au Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, diffusé le 11 juin dans les Sentiers de la création de France Culture) : sans être de la littérature « engagée » (stérilement centrée sur la critique du monde) ou « militante » (visant lourdement à faire adhérer ou agir le lecteur) et sous couvert de distraction, de diversion, voire de poésie, la littérature peut offrir, à son gré et à son rythme, sans mission ni cahier des charges, des éclats kaléidoscopiques critiques de toute nature sans s'astreindre à aucune architecture théorique ni à respecter aucun dogme. N'en déplaise à ceux qui la voient mourante faute d'avoir encore des yeux, « la littérature est à nouveau en prise sur le monde », commençait par dire Dominique Viart... Et il a fichtrement raison ! |
Dimanche 29 juin 2008. C'en est
trop pour si peu — je résume. À neuf heures, faut qu'on soit au 4e étage, dans l'appartement en cours de réinstallation, pour nettoyage professionnel du climatiseur. T. discute pas mal avec le gars, elle aime bien comprendre comment ça fonctionne, l'appareil mais aussi les mécanismes sociaux qui font que des gens ne nettoient pas leur climatiseur pendant cinq ou sept ans, respirant donc en permanence un air qui pue. D'ailleurs, quand on voit ce qu'il y a dans les filtres, il y a de quoi couper le souffle ! Pour moi, c'est surtout l'occasion d'une heure de lecture de Bassmann, en admirant de temps en temps la svelte poussée des lys, la résistance opiniâtre du citronnier. « Le train barrit pour la millième fois et ralentit, puis il se mit à rouler sur une passerelle qui enjambait une rivière à sec. Les charpentes métalliques, les croisillons de fer et les câbles vibraient sous les roues comme à la limite de la rupture. Tout tremblait. Les voyageurs aussitôt réagirent à ce bruit. Brusquement, chacun semblait savoir quel endroit du trajet on avait enfin atteint, et, dans la voiture, tout le monde se redressa. Les haleines, après tant d'heures d'inactivité, évoquaient le vomi et la mort. Elles se combinèrent avec les effluves issus des sous-vêtements, créant une ambiance de fosse commune.» (Lutz Bassmann, Avec les Moines-soldats, p. 176) Je sens que je ne vais pas avoir envie de reprendre le train, mardi. On a loué Haute Tension (Alexandre Aja, 2003) mais, à la vue du sang en jaquette, T. préfère attendre la fin du dîner pour commencer. Elle quittera la table pour retourner à son ordinateur après le dépeçage de la mère, trouvant que c'en est trop pour si peu — je résume sa pensée. Moi, je regarde jusqu'au bout pour savoir comment est exploitée la question de l'identité (selon le collègue cinéphile qui avait mis ce film dans une liste thématique pour mon séminaire). C'est assez décevant, très loin de ce que René Manzor a réussi dans Dédales — la même année — sur un dérèglement identitaire de nature approchante. C'était d'actualité, la multipersonnalité ? — faut que je révise la période 2001-2003. |
Lundi 30 juin
2008. Nuages comme entames. Passage à la banque pour un mouvement de fonds — on n'achète pas encore une maison mais on prépare le terrain, si je puis dire. Chez Office Depot pour des cartons. Hier, je faisais le plan d'une étagère avant sa réalisation possible vers septembre. Aujourd'hui, je commence la liste de tout ce que je dois jeter à Nagoya, et qui entraînera la dépense de tickets d'enlèvement des encombrants... Les tâches juillet et août se profilent. Ici, on ne prend pas la présidence tournante de l'Europe mais ça va quand même être galère. Pour déjeuner, on passe devant le Grand Gosier, à Ichigaya, mais c'est plein, d'ailleurs assez sombre, donc on laisse tomber. On revient vers le Saint-Martin, jouer la sécurité, mais notre regard est attiré dans une ruelle par la carte de Chikusen (竹泉). Une serveuse sur le pas de la porte nous fait le couplet de l'exquis et on se laisse tenter. Ô merveille ! Car c'est en effet excellent, plateaux-repas tout à fait japonais, avec sashimi pour T. et poisson grillé en sauce pour moi, et pour 1500 yens chacun (dans les 9 euros !). Toujours difficile de trouver un bon restaurant près de chez soi (pourtant on en a essayé un paquet à Kagurazaka). On passera quand même au Saint-Martin après, pour prendre le café. Dans l'après-midi, à la Médiathèque de l'Institut franco-japonais pour rendre deux livres et emprunter un livre sur Modiano ainsi que la version japonaise de Dora Bruder qui sera, en français, au programme de mon cours d'automne. L'édition japonaise, que je croyais avoir mais que je ne retrouve pas, contient des plans et photos qui ne sont pas dans l'édition Gallimard. J'avais scanné les photos en 99 pour faire une présentation du livre... C'est tout à la fin de cette page. Je vais réitérer, en plus grand format et avec les plans. Allez, hop ! J'y vais moi aussi de mon petit nuage de mots chez Wordle. Mais j'ai réduit à 50 unités, sinon c'est fouillis. Mais je n'ai pas supprimé de mots-outils (ne, que, de, etc.). On verra une autre fois. Qu'est-ce qui pourrait être le plus intéressant ? Proposer des nuages à partir d'œuvres célèbres ? Avec les discours de IOAAOI ? Se servir de nuages comme entames à des explications de texte — apéritives, en somme ? Varier systématiquement formes, couleurs et polices ? Ou au contraire définir un protocole strict permettant les séries logiques ? Il faudrait aussi que le clic sur un des mots menât à sa concordance. Bref, y'a d'l'avenir. Bonne pioche de dévédé, ce soir (contrairement à hier) : The Good German (Soderbergh, 2006). Certes un peu maniéré pour aller retrouver une lumière à la Orson Welles, une progression façon Faucon maltais et une histoire un peu Casablanca, mais avec ce qu'il faut d'originalité dans le montage, de culot dans les arrières-plans d'images d'archives et une certaine discrétion du côté de la bande musicale. Pas d'idéologie messagère derrière, juste que chacun survit comme il peut — et qui juge dans les ruines ? Commentaires1. Le mardi 1 juillet 2008 à 13:51, par Philippe De Jonckheere : Sache que les mouvements de fond entraînent des mouvements de caisse. |