Journal LittéRéticulaire

 
Littéréticulaire : néol., adj. (de littéraire et réticulaire), propriété d'un texte où s'associent, aux valeurs traditionnelles et aux figures classiques du texte littéraire, les significations et effets de sens provoqués par les liens hypertextuels au sein d'un réseau (l'internet par exemple), qu'ils aient été voulus ou non par l'auteur.
Décembre 2004

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Mercredi 1er décembre 2004. De l'art de mettre et d'enlever ses gants.

Fait frisquet, ce matin. Je sors les gants. Plaisir de les enfiler, de s'y sentir au chaud.

Ouverture du blog Poézibao de Florence Trocmé, déjà très active sur Zazieweb — deviendra vite inévitable.

Justement, j'ai reçu un colis de Zazieweb avec les ouvrages du prix de la Petite Édition. Va falloir que je les lise et que je me remette à discuter le bout de gras littéraire sur le forum... Au moins, je sais ce que je vais faire durant les fêtes de fin d'année !
Enfin... si nos nouvelles charges nous en laissent le temps. En effet, T. m'a annoncé que son père pourrait venir habiter l'appartement du quatrième à partir de la semaine prochaine. Bien sûr, nous n'aurons pas à nous en occuper en permanence (il y aura, pour cela, des gardes-malades qui se relaieront et des passages d'aides-soignants, voire de médecins en cas de besoin), mais T. en aura la responsabilité. Responsabilité qui nous semble plus légère que celle de l'abandonner dans un établissement spécialisé pour légumes, ce qu'il n'est pas (alors que les soeurs ennemies voulaient déjà l'y faire admettre il y a un an...).
Mais ne vous réjouissez pas trop vite de cette sorte de happy end (provisoire, comme nous tous en ce bas monde...) : le feuilleton a déjà eu beaucoup d'épisodes depuis le mois de mai et les risques de rebondissements imprévus sont grands.

Puisque des correspondants me disent que j'ai eu du mérite à finir le livre de Jean-Paul Dubois (Une Vie française), je vais enlever mes gants et préciser un peu mon avis... final sur ce roman. Beaucoup de thèmes abordés ou d'avis donnés par le narrateur-personnage-principal Paul Blick m'ont intéressé et ont parfois rencontré mon opinion. Pas toujours, mais suffisamment pour que je puisse ressentir une certaine adhésion. Disant cela, je me rends compte que le tableau d'ensemble d'une société dans laquelle TOUT marche mal, ce que brosse Dubois par thèmes, selon les périodes de la vie et les expériences vécues par son personnage, peut aller de Bouvard et Pécuchet aux Particules élémentaires — la différence entre les deux étant, du point de vue des expériences vécues, que chez Flaubert les déconfitures servent une amitié et alimentent un encyclopédisme d'allumés sympathiques alors que chez Houellebecq elles enfoncent les personnages dans leur mal-être et leur solitude, niant tout besoin d'éducation ou d'apprentissage. Or, du candide et de l'aquoiboniste, j'ai toujours su lequel choisir et jusque dans ma propre tombe, je serai de coeur avec les candides. L'aquoibonisme généralisé houellebecquien est d'ailleurs la porte ouverte à toutes les reprises en main politiques, à toutes les exactions contre la démocratie. De ce point de vue, le laisser-aller et le laisser-faire politique et social du Blick de Dubois est dangereusement pro-houellebecquien — dangereusement parce que la dérision qui accompagne cette attitude est parfois agréablement humoristique. Cependant, tout cela ne fait pas d'un livre une oeuvre littéraire. Ce que l'on peut reprocher de plus grave à Dubois, c'est d'avoir une écriture facile, qui plaira à un large public auquel elle ne demande aucun effort particulier (sinon un peu de mémoire), et par conséquent de ne pas inventer un univers romanesque indépendant du référent, de ne pas nous offrir cette mise en abyme du monde transmutée par une alchimie verbale (ce qu'a fait Flaubert, ce que fait Clémençon dans Colonie). Ça se consomme bien mais ça ne laisse pas de trace...

Après deux cours et deux réunions, je suis allé me bouger au centre de sport et j'ai, pédalant et suant, entamé Aerea dans les forêts de Manhattan (Emmanuel Hocquard, chez POL, 1985, rééd. 1997). En moins de 25 pages, c'est tout de suite une autre affaire ! Le tour elliptique et fragmentaire, l'organisation tortueuse des lieux, temps, personnages aspirent le lecteur dans une rêverie active où il est d'ailleurs interpellé. Adresses, ellipses, fragments, rêveries, présence féminine, jouissances et insatisfactions, tout cela me fait penser, comme ça, sans réfléchir, à Segalen et à Louÿs. Je ne sais pas encore pourquoi...


Jeudi 2 décembre 2004. Je me creuse littéralement, je m'explore...

Entre les images de couples princiers nippons où ça vole bas ces jours-ci, moult reportages télévisés sur la saison du fugu (le poisson qui se gonfle pour se faire aussi gros que le boeuf). Les deux sont toxiques ; je ne mange ni de l'un entre les cuisses ni de l'autre entre les fesses (figure de style intercalaire suggérée par Julie Wolkenstein quelque part dans Juliette ou la Paresseuse).

En France, la Justice baisse la garde devant l'homme "carré dans ses bottes" (entendu de la bouche d'un pro-Juppé il y a une quinzaine de jours, comme déjà dit chez Lapinos), Juppé victimisé par France 2. Le 20 Heures d'hier s'ouvrait par près de dix minutes sur cette affaire, suggérant lourdement qu'il sera disponible pour la présidentielle. Si on se rappelle comment les Guignols de l'info avaient fabriqué un Chirac victime et attendrissant (si, si) au point de participer (involontairement ?) à son élection, on peut sincèrement se demander quel jeu joue la rédaction de France 2 au moment où Sarko z'y va au poste-clé de l'UMP...

Du coup, l'Ukraine passe en troisième ou quatrième titre alors que, bon, c'est l'événement principal de cette fin d'année ! Et jusqu'à maintenant, c'est un événement positif et pacifique. Les craintes de voir l'orange virer au rouge s'éloignent (les journalistes ne parlent plus de risque d'affrontements) et l'on sent la Russie hésiter.
Infos heureuses mais pas assez chocs pour faire les gros titres...

Demandez le programme !
Tout le monde le sait, c'est le bicentenaire du sacre de Napoléon 1er, occasion de revoir le David, de lire le sobre serment du récipiendaire et d'essayer de comprendre cette volonté de sacraliser son pouvoir.
J'essaie...
J'essaie...
Je me creuse littéralement, je m'explore...
J'essaie encore...
Décidément, je n'arrive pas à comprendre pourquoi Bonaparte avait besoin d'un pape et d'une couronne... Pour prétendre à la noblesse ? Pour montrer aux exilés qu'il pouvait faire mieux qu'eux ?

Je trouve nettement mieux de voir Chloé Delaume s'essayer au port de la perruque. Chez nous, avec David (pas le peintre), nous avons aussi eu notre heure de gloire, quand des étudiantes du club de photo de la fac nous ont sollicités pour faire des photos, dans le parc de l'université, au soleil. Un peu plus tard, juste avant une réunion, j'immortalisai à mon tour l'instant orange.


Juste un petit coucou de Séoul avant de revenir à Tokyo.
J'ai décidé d'en faire une habitude (d'écrire un commentaire à chaque voyage d'affaires)! Là, c'était moins une, car c'est la dernière fois que j'ai Internet sous la main avant de partir!
A+
2004-12-03 11:56:35 de Manu


Vendredi 3 décembre 2004. Le jus de pain noir, vous voyez ?

Évidemment, cours sur Sand en préparation, pas le temps pour le journal... À suivre demain.

Le lendemain...

Qu'est-ce que je peux sauver d'une journée comme ça, avec des trucs à faire au bureau, un shinkansen à prendre et un cours à préparer ? Un déjeuner agréable avec deux collègues. Il y est beaucoup question du voyage linguistique en préparation et qui concernera certains de nos étudiants entre leur première et leur deuxième année : ils partiront en mars prochain à l'université d'Orléans. Compte tenu des standards de vie au Japon, il faut les prévenir de tous les dangers qui les guettent (je plaisante à peine) : en famille d'accueil, il vaut mieux prévenir avant de prendre un bain à minuit ; en ville, il est presque inutile de chercher une cabine téléphonique qui marche et il sera bientôt impossible de trouver une cabine téléphonique ; la relation privilégiée au riz blanc ne pourra être aivre
sément maintenue ; les signes extérieurs de richesse (sacs Vuitton et Prada, notamment) ne fonctionnent pas comme on voudrait dans toutes les rues et sont parfois causes d'irréversibles dommages, etc. À part ça, tout devrait bien se passer...
Je préviens également un de mes collègues de l'excellence de la série d'émissions Les Chemins de la connaissance, consacrée cette semaine à la problématique de l'intégration, et surtout de celle d'hier qui accueillait Christophe Daadouch, secrétaire général du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés) : sans polémiquer, avec la précision d'un juriste, il démonte l'hypocrisie et le mépris qui ont sous-tendu les différentes lois sur ce sujet, au point d'en arriver presque, avec les dernières dispositions dites Sarkozy, à demander aux candidats à l'immigration d'être intégrés dès avant leur arrivée (parler français, connaître les us et coutumes, les lois et les convenances, etc.), les décisions relatives à la délivrance de la carte de séjour étant, vu le flou des textes, à la discrétion des administrations.

Dans le train, je prépare à moitié le cours sur Sand. L'autre moitié du temps, je la passe à regarder, plutôt qu'à lire vraiment, le petit livre de Sonia Ezgulian aux Éditions de l'Épure, intitulé Les Épluchures - dix façons de les accommoder. J'oscille entre le débile et le génial, entre le réel et la mystification (le jus de pain noir annoncé sur le site de l'éditeur est remplacé dans le livre par la crème de pépins de courgettes au curry). Sûr que le gaspacho de peaux de tomates et de poivrons rouges, je n'en souhaite à personne, mais les tuiles de caramel à la peau de pêche, ma foi, je me laisserai bien faire. J'y réfléchis encore quelques jours et je m'en ouvre dans le forum de Zazieweb.

À la maison, il n'y a plus moyen de circuler : T. a reçu son nouveau bureau, l'ancien devant être installé dans l'appartement du quatrième, maintenant presqu'entièrement meublé pour y accueillir son père (la semaine prochaine ?, il y a toujours un point d'interrogation...). Le meuble étant assez lourd, il faut attendre demain et les bras d'Arnaud pour effectuer la translation verticale.
Pour finir, une bonne soupe au restaurant chinois et retour pour achever de polir le pavé à lancer dans la Mare au Diable...


Samedi 4 décembre 2004. « Un œuf », voilà ce que j'écris en premier...

Il y a une grande différence entre les chapitres XIV et XV de La Mare au Diable, c'est que le premier, La Vieille, est l'ultime moment de l'aventure de Germain, Marie et Petit-Pierre en dehors de leur territoire familier, alors que le suivant s'intitule précisément Le Retour à la ferme — et au retour, on la ferme ! Durant le cours de ce matin, à l'Institut, je passe donc presque tout le temps à traiter de La Vieille, chapitre dans lequel la vieille rencontrée près de la Mare au Diable occupe moins de deux pages alors que le reste du chapitre contient la rencontre avec le Maître (fiéfé trousseur de jupons qui était absent du chapitre portant son nom) et la découverte de Petit-Pierre et Marie cachés dans un buisson pour échapper au harceleur.
La vieille est sourde et enfermée dans un monde de superstition. Bien qu'il ne soit pas arrivé malheur à Germain (il a même esquivé un mariage qui l'aurait rendu malheureux), la vérité vécue de ce que dit la vieille sur ce qui arrive à ceux qui se perdent ici la nuit ravive son inquiétude sur Marie et son fils.
L'avant-dernière épreuve de Germain, s'il l'accepte, consiste à démêler le vrai du faux dans les propos du fermier des Ormeaux, macho impudent et déluré. Ayant compris chez son ex-future fiancée qu'il fallait entendre le double langage et voir les visages sous les masques, il franchit un nouveau stade d'intelligence en tirant les ficelles d'un piège théâtral, laissant Marie écouter le fermier dévoiler sa vilénie et le prendre en flag, comme on pourrait dire aujourd'hui. Puis éviter le pugilat.
« Il ramassa le bâton de houx du fermier, le brisa sur son genou pour lui montrer la force de ses poignets, et en jeta les morceaux au loin avec mépris.
Puis, prenant d'une main son fils, et de l'autre la petite Marie, il s'éloigna tout tremblant d'indignation.»
(George Sand, La Mare au diable, chap. XIV, p. 101 de l'éd. Livre de Poche)
À la librairie Omeisha, j'achète la nouvelle édition de René Leys de Segalen que j'ai fait commander, celle qui servira au cours du trimestre prochain, avec un superbe dossier de Sophie Labatut qui avait déjà préparé la sublime édition Chatelain-Julien (faudra que je montre ce très beau coffret de deux volumes à mes étudiants) — avis aux amateurs, ici Équipée que j'ai mis en ligne il y a 7 ou 8 ans...
J'achète aussi un livre sorti récemment et abusivement intitulé Cent Regards inédits sur le Japon (Éd. Jipango) — abusivement parce que plusieurs de ces regards sont d'une grande banalité et parce qu'inédit veut seulement dire que ces textes étaient précédemment... inécrits.

Pendant que T. est partie à Okachimachi, faire des courses à Takeya, je monte le bureau au 4e étage avec Arnaud. Il peut ainsi apprécier la vue dégagée qu'on a de là-haut. Puis on va déjeuner au Saint-Martin, où T. nous rejoint une demi-heure plus tard. Paraît qu'il va pleuvoir, que la température va monter demain à 25 °C pour redescendre lundi à 13 °C !...

« Un œuf », voilà ce que j'écris en premier pour vérifier la bonne installation d'un supplément de clavier, comme on dirait un supplément d'âme...
En effet, depuis plus d'un an que j'écris ce journal avec le Composer de Netscape, je souffre chaque fois que j'écris « oe » pour « œ » (car ce logiciel bien pratique au demeurant ne possède pas toutes les fonctions typographiques de Word, par exemple). Or, grâce à de gentils commentateurs du blog des correcteurs du "Monde", j'ai découvert que bien d'autres humains souhaitaient approcher comme moi du nirvâna typographique... sur quoi il y a toujours à apprendre, par exemple que le petit rond qui suit l'abréviation de « numéro » n'est pas le symbole de « degré », c'est un « o » en exposant (mais je ne le fais pas ici parce que ça génère un espace interlinéaire du plus mauvais effet.
Je me fais la remarque que j'ai pu écrire en japonais dans le texte html français avant d'avoir une typo correcte...
Chez Remue.net, on commence à spiper comme des grands, justement sur la typo... Si c'est-y pas beau, cette coïncidence !

pendant que l'eau du konbu bout
le tara translucide tourne opaque
le shungiku se fait couper la botte
la brique de tofu sépare ses cubes
le couvercle les achève sans lumière
la surprise est prête, nabé du soir


O, E collé et voila Œ
Bonheur de savoir les affres typographiques de celles et ceux qui sont si loin des simplistes écritures SMS et autres.
Les correcteurs d'orthographe de nos logiciels préférés - qui ne sont d'ailleurs que de piètres vérificateurs - sont difficiles à dompter. Nous devons envisager quelques années encore avant qu'ils ne nous présentent plus "œuvre" comme "mot douteux" à remplacer par "oeuvre". Misère !
Merci pour la "sauce piquante".
Dommage que l'Imprimerie Nationale - autre misère ! - n'ait point mis en ligne son "lexique des règles typographiques".
Bon vent !
2004-12-05 16:38:45 de Grapheus


Dimanche 5 décembre 2004. Remémoration de Noël et du Kojiki.

Après une nuit étrangement venteuse, j'ouvre les rideaux et la fenêtre pour découvrir un balcon trempé, des pots renversés et des feuilles d'arbres, érable et ginkgo, alors qu'il n'y a aucun de ces arbres dans notre voisinage.
Nos trois citrons presque mûrs sont toujours bien attachés à leur branche.
Le plus étonnant est tout de même la température, et la senteur de l'air : plus de 20 °C, un parfum de mai.

Ni ping-pong ni lectures ; T. et moi devons faire des courses pour achever l'équipement de l'appartement du 4e. On commence au Tokyu Hands de Shibuya par un gros pot pour mettre le sapin de Noël que T. a commandé hier. Son père en ayant installé plusieurs hivers quand elle était enfant, elle espère une remémoration... Vendus ici dans très peu d'endroits, en très faibles quantités et à des prix assez élevés, les sapins sont en pot et peuvent (en théorie) être conservés. C'est ce que nous verrons !
Diverses autres courses sur lesquelles je ne m'étale pas.
Toujours en bras de chemises, je sors à nouveau vers 15 heures pour rejoindre Bikun et N. au Canal Café, près de la gare d'Iidabashi. Belle lumière, que les trains renvoient dans l'eau. J'y rencontre aussi deux collègues qui ont préféré passer l'après-midi ici plutôt qu'au cinéma de l'Institut — où il y avait pourtant trois Resnais à la suite, spécialement aujourd'hui ; mais je les comprends.

Puisque Bikun m'a encore aidé à installer des logiciels après être allé au théâtre Nô avec N., puisqu'une des amis rencontrés en est aussi passionnée et puisqu'il était hier question de trois pierres à lancer dans la Mare au Diable pour éloigner les esprits, je recopie en image un bout d'article de Noël Péri figurant dans le Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient de 1920 (tome XX), à lire dans les nouveautés du mois dernier de Gallica :

« Danaesque », pourrait dire Claude Simon... Mais chacun pourrait y aller de son mythe : Ariane pour le fil, etc.
Je pense que Le Potager doit connaître, lui qui circule dans le Kojiki comme moi dans le Nouveau Roman...
De même qu'Au fil de l'O qui a touché du mythe comparé...
Sans parler de JFM qui a du voir quelque chose d'approchant en plus d'un film...
Et tous ceux qui voudront bien dire à quels autres mythes et légendes cette belle histoire d'Ikutamayori leur fait penser.
Amusant tout de même que le traducteur ait cru bon d'ajouter « [connaître] », dans la phrase : « Comment as-tu conçu sans [connaître] un homme ? » — « Comment as-tu conçu sans un homme ? » devait lui paraître trop cru... Mais se rendait-il compte, comme pourrait dire Meschonnic, qu'il embiblait la chose, le Noël Péri, avec son connaître ?


superbe photo et d'ailleurs je trouve que la tour légèrement penchée rajoute un petit truc...
2004-12-05 18:06:26 de Bikun

...un petit truc d'irrégularité qui me plaît!
2004-12-05 18:06:49 de Bikun

D'ailleurs, c'est pas ma faute si la tour penche...
Ça ne serait pas la première dans le monde !
2004-12-06 04:57:04 de Berlol


Lundi 6 décembre 2004. Le bordel ambiant et le divers humain.


Comme prévu au yoyo météo, redescente de température de plus de 10 degrés, mais toujours avec ce beau soleil qui tourne bas et nous entre jusqu'au fond du salon pendant la matinée. Grand ménage.

Après le déjeuner, je fais quelques photos, dont quelques-unes de luminaires et de fils électriques chauffés à blanc par l'astre du jour. Puis je rentre pour (re)regarder L'Auberge espagnole, film de Cédric Klapisch que je vais peut-être mettre au programme d'un séminaire l'an prochain. Il faut que je sois sûr de la valeur du film comme œuvre (ne pas montrer n'importe quoi) et que j'envisage divers angles d'exploitation pédagogique (linguistique, culturel, narratif, esthétique...).
Je suis dérangé plusieurs fois par un livreur qui voudrait livrer avant l'heure prévue et le retour de T. Finalement, je n'en vois qu'une moitié (du film) et je vais retrouver T. à l'appartement du 4e étage où un lit électrique vient d'arriver. Je fais le cobaye pour en essayer les fonctions. T. me dit que l'arrivée de son père est prévue pour samedi prochain.

Le message politique de L'Auberge espagnole, s'il y en a un, est quelque peu contradictoire. D'une part le personnage-narrateur dit (et développe) : « Je ne sais pas pourquoi le monde est devenu un tel bordel » (diversité dans les systèmes et complexité dans les réseaux), ce qui donne un aspect négatif à cette diversité (le bordel ambiant... Faudra expliquer ça aux étudiants !). D'autre part, les différences et les errances de ces quelques jeunes venus de différents point d'Europe, qui produisent des relations compliquées et parfois pénibles mais que le héros comprend comme une richesse individuelle et collective — ce en quoi il a parfaitement raison. Je pense que Klapisch a voulu montrer la coexistence de ces deux états de la diversité humaine et leur inséparabilité...

À la MFJ, notre GRAAL est écourté pour accueillir Olivier Corpet (directeur de l'IMEC).
Présentation sommaire de l'institut, évolution historique, concept basé sur le dépôt de collections et non sur l'acquisition. Brève liste d'éditeurs, de revues, d'auteurs et d'artistes au sens large ayant déposé l'intégralité de leur fonds (manuscrits, documents divers, ouvrages, etc.). Investissement d'une ancienne abbaye, avec lourds travaux de reconstruction, transformation, modernisation, etc.
De nombreux autres aspects sont montrés, photos à l'appui.
La Lettre de l'IMEC en dit d'ailleurs beaucoup plus... Mais la présence d'Olivier Corpet à Tokyo est d'une autre importance : il interviendra cette semaine à l'IFJT et la MFJ pour un ensemble d'événements sur les revues. Surtout, cela indique le statut international qu'acquiert maintenant l'IMEC puisqu'une bonne partie des chercheurs qui vont y travailler viennent de l'étranger.
À l'apéritif que nous offre la directrice de la MFJ, je demande à M. Corpet à quelle distance l'abbaye d'Ardenne se trouve de Cerisy. Après le colloque ILF, je passerais volontiers pour visiter... Il m'y encourage. Voilà une bonne nouvelle ! Comme l'avenir ne vient jamais seul, je rencontre aussi tout à fait par hasard Mlle M., avec qui j'aurai à travailler dès avril prochain et qui me fait très bonne impression.
Ce soir encore, les meilleurs moments sont dans l'après, cette fois dans une sushi-ya du quartier, avec Brigite, François et quelques personnalités officielles. Conversations sensibles sur d'augustes personnes, secret défense (de l'édition)...


Mardi 7 décembre 2004. À quand un Prix Plume de plomb ?

Il faut écouter le Masque et la plume d'avant-hier ! Les propos sur le Goncourt (traîné dans la boue ; et d'un niveau de français tellement bas, dit-on...) ou sur le journal de Catherine Robbe-Grillet, notamment, sont succulents. On s'aperçoit que des révélations sur le milieu littéraire d'il y a cinquante ans font encore grincer bien des dents, comme s'il y avait encore quelques nerfs à vif. Pour ma part, j'attends le livre et je ronge mon frein. J'en parlais hier avec Olivier Corpet qui apparemment n'est pas pour rien dans cette publication de l'ex Jean & Jeanne de Berg... Voir aussi les propos de Vebret dans son blog.

Au courrier postal, je trouve le Magazine littéraire, avec un prétendu débat intitulé « Que faire de Jean Genet ? », dans lequel je trouve Éric Marty, sartrien désœuvré cherchant des noises à Genet, Hadrien Laroche, avec publicité pour son roman à paraître en mars prochain (!), et Albert Dichy, le compère (merci Jean-Philippe pour ce mot juste) d'Olivier Corpet à l'IMEC. Mais il n'y a pas de débat, seulement un ensemble de trois articles allant dans trois directions différentes et témoignant d'une véritable guerre de tranchées en ce moment même sur le sens à donner à l'œuvre de Genet. Pour ma part, je n'y mettrai ni un doigt ni un sou, mais nul doute que cela apportera de l'eau au moulin de notre ami de Morioka.

François Bon est toujours d'actualité... Ayant appris de lui le sens de Led Zeppelin, provenant initialement de l'expression « lead balloon », j'ai entendu aujourd'hui que les Cahiers du Football décernaient chaque année un ballon de plomb au plus mauvais joueur, élu par un panel de lecteurs.
Je propose qu'on fasse, pour les écrivains, un Prix Plume de plomb (lead pen)... La concurrence risque d'y être plus rude que dans tous les autres prix réunis !


Le Goncourt, malheureusement pour lui est célèbre. Mais si t'es dans le milieu tu sais que seuls quelques auteurs peuvent l'avoir. Et pour des raisons tout à faits légitimes. Ces sonts des maisons d'éditions qui décident.
2004-12-07 17:55:23 de kolimasson

Il existe, en Angleterre, un prix nommé Bad Sex Prize, récompensant chaque année le roman comprenant "the worst, most redundant or embarrassing description of the sexual act" : Catherine Robbe-Grillet pourrait être nominée, à vérifier...
J'ai écouté, suite à ton post et par curiosité, le dernier enregistrement du Masque à la plume, alors que je m'étais promis, suite à une émission nullissime, qu'on ne m'y reprendrait plus : j'y ai retrouvé la même impression, de profond dégoût, que la dernière fois. Leurs rires gras, leurs démonstrations prétentieuses qui n'atteignent souvent pas le niveau de ce qu'ils dénigrent, leur mépris, leurs choix de faire la critique de bouquins qui ne sont quasimment jamais essentiels. Garcin n'a pas voulu transposer son émission à la télévision : il a raison, cette dernière est assez vulgaire pour en rajouter encore. Je propose aussi un prix : celui de la critique en crotte et en toc.
2004-12-08 18:03:28 de Bartlebooth

Suis d'accord avec toi qu'ils sont généralement assez lourds, mais entendre parler en mal de Gaudé et en bien de Catherine R.-G. m'a suffi !... Il faut parfois se contenter de peu. Bon, après, je n'ai plus trop suivi...
2004-12-08 23:57:47 de Berlol

Merci à Patrick de m'avoir signalé cet article sur Genet que je n'ai pas encore lu. De Morioka, ceci . Il semble qu'une sorte de mode, héritée des USA, vise à chercher le coupable et notamment l'antisémite chez l'écrivain afin de ne pas lire l' oeuvre. De plus il s'agit pour certains d'attaquer une figure louée par les intellectuels des années 1960-1970, un parricide facile à opérer sur les morts : Deleuze, Guattari, Foucault, Barthes et Derrida. Sur la question littérature et politique et notamment le traitement littéraire de la figure du nazisme, je me permets de renvoyer à des articles parus dans Esprit Créateur, 1995 et Europe, 1996 qui ont déjà ruiné, par avance, les thèses des critiques récents. Ces articles ne sont jamais discutés car ils ne sont pas lus ou occultés dans la mesure où ils sont attentifs à la lettre même.
D'autre part, il se trouve que Derrida a accepté mon invitation au colloque Genet de Cerisy en 2000, qu'avec Albert Dichy, nous avons organisé. Si Genet était antisémite comment penser que l'auteur de Glas, 1974, n'ait jamais discuté de cela ? Il faudrait organiser un débat sérieux à Tokyo sur cela, j'en avais parlé à l'Institut Franco Japonais mais sans réponse, comme d'habitude.
2004-12-10 05:26:52 de patrice bougon


Mercredi 8 décembre. Pétales et pamplemousse.

« J'espérais avoir le plaisir de voyager pendant un mois » ou « J'espérais pendant un mois avoir le plaisir de voyager ». La position du complément de temps le fait passer sous la dépendance de l'un ou l'autre verbe. On dira d'abord que, selon l'exercice à faire, le « pendant » serait à remplacer par un « depuis », non compatible avec le verbe « voyager ». Mais ce n'est pas tout à fait ce que mon étudiante voulait dire. Elle pensait finement à, chaque jour, pendant un mois, ce plaisir que l'on se fait du voyage à venir, rien que d'y penser. Alors le « depuis », qui résume tout le mois, est un peu faible et l'étudiante lui préférait, à raison, le « pendant ». Alors, c'est le temps du verbe qu'il faut changer : « J'ai espéré pendant un mois avoir le plaisir de voyager »...

Déjeuner avec David et JFM. On rigole bien avec le dessert contrepétable : une gelée de pamplemousse aux pétales. Pour ceux qui ont du mal à comprendre cette figure à base de chiasme, j'en donne une facile et multiple, pour la pause en forêt : on se cale dans la mousse.

JFM m'a parlé d'un enregistrement de Chloé Delaume dans le site d'Arte Radio. Je suis allé sur le site pour écouter... franchement, très moyen (montage en épingle du temps de cerveau selon Le Lay , et autres fadaises). Après son départ, j'ai ouvert la page du Journal de la culture de jeudi dernier, émission spéciale pour le jour du Sacre, avec vidéo : regards rapides mais assez détaillés sur le tableau de David. Par exemple, je ne savais pas que le personnage qui se trouve derrière Napoléon n'est autre que... César (avec trace de repentir de sa couronne).

Après plus de dix heures passées à la fac (et non à la fuck, comme l'entendait, courroucée, la Wendy de l'Auberge espagnole...), j'avais bien droit à une heure de salle de sport. Vélo sudatoire et lecture d'Emmanuel Hocquard. Et ceci, comme un clin d'œil à George Sand...

« Pas deux forêts pareilles. C'est toujours la même. Pas d'espace en forêt pour qui s'y est perdu. Ni ficelle pour en sortir ni cailloux à faire tomber des poches. Ni appels : la voix en forêt n'est qu'un son que la forêt rend à elle-même. L'absence d'espace engendre le vertige ; le défaut de mesure fait naître la peur. C'est une horloge arrêtée, un accident très feutré du sens, lequel n'a pas de commencement. Car la peur vient après, avec la pensée d'un point de départ, dans l'idée du retour au lieu de perdition. Revenir sur ses pas : alimenter la peur. C'est une circonstance très abstraite ; la forêt fait marcher celui qui s'est perdu en elle. Il va en rond, croyant trouver l'issue. Tourné en bourrique est le sort du perdu. La forêt n'a pas d'autre bout que les arbres qu'il voit, pas d'autres bords que ses rondes intérieures, pas d'autre centre que son inquiétude. N'étant ni renard ni hibou, il reste toujours étranger à ce qui l'entoure. Car, contrairement au labyrinthe, une forêt n'a pas d'issue parce qu'elle n'est fermée de nulle part. Elle s'engendre soudain dans la peur sans limite.» (Emmanuel Hocquard, Aerea dans les forêts de Manhattan, p. 52-53)


Si tu veux retrouver la voix de Chloé Delaume dans une production de qualité, je te conseille fortement "Mani" de Dorine_Muraille (Fat Cat, 2003). Tu devrais pouvoir le trouver facilement où tu es. Bonne critique ici : http://www.etherreal.com/magazine/disques/?file=dorinemuraille_mani
2004-12-08 21:17:32 de Bartlebooth


Jeudi 9 décembre 2004. Je ne rêve ni de nuit ni de lendemains.

Chère Laurence,
Tu viens de m'écrire (hier) avec une nouvelle adresse mais la réponse que je t'ai envoyée tout à l'heure m'est revenue juste après avec une mention d'adresse invalide... Ne pouvant donc te répondre je profite du JLR pour te faire passer ce petit message et te demander de voir quel est le problème avec ton adresse (filtre trop serré, etc.). J'aimerais bien que l'on puisse communiquer normalement !

Cher Jean-Claude,
Vos photos de bandes phosporescentes sont superbes. On dirait un Étant donné de Bartlebooth ! Vous et lui avez d'ailleurs suivi ma proposition d'écouter avant hier le Masque et la plume. Avec des sentiments différents après l'écoute...

Voilà pour les messages personnels. La journée a fusé comme un jeudi : deux cours de phonétique & articulation pleins de croustillants petits exercices, un déjeuner presqu'insipide (malgré la présence d'Annabelle et les envolées (de bois vert) de David sur la crêche où va sa fille), un cours roboratif sur le colonialisme en commentant une dissertation sur un texte d'Aimé Césaire (plus je lis sur ce sujet, plus ça me laisse pantois : je vois en détail ce que je savais en gros, et je me demande pourquoi ça continue comme ça dans le monde... et qu'est-ce qu'il y a comme saloperie dans plein d'hommes et qu'il n'y a pas en moi !? — si j'en trouve un milligramme, je me flingue !).
« Pour ma part, si j'ai rappelé quelques détails de ces hideuses boucheries, ce n'est point par délectation morose, c'est parce que je pense que ces têtes d'hommes, ces récoltes d'oreilles, ces maisons brûlées. ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s'évaporent au tranchant du glaive, on ne s'en débarrassera pas à si bon compte. Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l'homme même le plus civilisé ; que l'action coloniale, l'entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l'homme indigène et justifiée par ce mé­pris, tend inévitablement à modifier celui qui l'entreprend; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-­même en bête. C'est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu'il importait de signaler.» (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1955)
L'écoute de PJ Harvey et de 4 Non Blondes sur OuïFM m'a un peu requinqué. Je vais pouvoir envisager d'aller me coucher.
J'ai toujours eu du plaisir à aller me coucher et à m'endormir tout de suite pour être plus vite prêt le lendemain sans jamais me souvenir d'aucun rêve quoique de vagues traces parfois, mais j'ai aussi toujours repoussé le moment de me coucher à cause de la beauté de ces heures volées à la société et durant lesquelles mon sentiment d'existence est dans mon autarcie au maximum. Est-ce pour cela que je n'ai jamais voulu d'enfant ? Parce que je ne rêve ni de nuit ni de lendemains ?


Pour les deux dernières questions posées : oui sans doute. Mais la réponse à ces questions pose sans cesse d'autres questions.
Je partage avec vous chaque jour le moment de me coucher "à cause..."
La preuve : il est 1h55 mn du matin à Nogent le Rotrou et j'écris à un type qui est au Japon.
2004-12-10 01:56:41 de jcb

Dingue ! Encore une coïncidence.
Je viens de lire qu'Aimé Césaire venait de recevoir un prix Toussaint Louverture de l'UNESCO !
http://www.alterpresse.org/article.php3?id_article=1967
Pour JCB : ne vous inquiétez pas de ceux qui vous trouvent bizarre depuis que vous écrivez un journal public ; le problème est de leur côté, ils n'ont qu'à se demander pourquoi cela leur paraît bizarre. Nous, nous ne leur reprochons pas de ne pas en faire un...
2004-12-10 07:16:22 de Berlol


Vendredi 10 décembre 2004. Jour noir pour le monde.

Encore du bien beau temps pour la saison — de quoi en faire bisquer quelques-uns : au-dessus de 15 °C et du soleil toute la journée (c'est-à-dire jusqu'à 16h !...). C'est justement l'heure à laquelle je quitte mon bureau pour aller prendre le shinkansen en me réécoutant trois épisodes des Chiens noirs des seventies, avec des versions certes partielles mais étonnantes de quelques morceaux anthologiques de Led Zeppelin. Après ça, j'attaque avec le diable au corps et le rythme dans les doigts les deux derniers chapitres de la Mare au Diable, préparation de cours pour demain.

À la maison, c'est veillée d'armes. T. finit l'aménagement de l'appart du 4e pour l'accueil de son père demain... Va falloir que je m'occupe de décorer le sapin ! (Mais pas ce soir, d'autant qu'il faut commencer par le rempoter).

Jour noir pour le monde : le Japon renonce au pacifisme pour vendre des armes et désigne la Chine comme une menace potentielle.
Cela veut dire que la Société de soutien à l'Article 9 dont je parlais le 15 août n'a pas réussi à influer sur la politique du gouvernement Koizumi.
TOKYO, 10 déc (AFP)
Le Japon s'éloigne du pacifisme pour affronter les "nouvelles menaces"
En adoptant une réforme radicale de sa défense, le Japon a tourné vendredi la page d'un demi-siècle de pacifisme pour renforcer son alliance avec les Etats-Unis et affronter ce qu'il perçoit comme des "nouvelles menaces", au premier rang desquelles apparaît désormais la Chine.
Tokyo a pris la décision historique de lever son embargo traditionnel sur les exportations d'armes afin de pouvoir participer au développement d'un bouclier antimissile avec Washington.
Parallèlement, la Chine est mentionnée, pour la première fois, comme une menace militaire potentielle.
Ces initiatives sont contenues dans un Livre blanc sur la défense, le premier depuis 1995, et la nouvelle loi quinquennale de programmation militaire (effective à partir d'avril 2005), qui ambitionnent de doter le Japon de "capacités de défense souples et multi-fonctionnelles".
En revanche, le gouvernement a renoncé à une capacité de frappe offensive contre des bases de missiles ennemies, comme le préconisait un panel d'experts.
Les deux documents, très attendus, ont été approuvés par la coalition gouvernementale du Premier ministre conservateur Junichiro Koizumi.
Ils revêtent une grande importance symbolique, compte tenu de la tradition pacifiste du Japon inscrite noir sur blanc dans sa Constitution de 1947.
Les dirigeants japonais ont entrepris de "remettre à plat" la politique de défense de l'Archipel, héritée de la Guerre froide, pour tenir compte des "nouvelles menaces" issues du 11 septembre 2001 (terrorisme) et de la crise nucléaire nord-coréenne (prolifération, missiles balistiques).
Une évolution rapide considérée comme inéluctable par les spécialistes de défense.
La poursuite de la coopération avec Washington sur des technologies de missiles supposait en effet l'assouplissement de l'embargo sur les exportations d'armes --en place depuis 1976-- puisque des pièces fabriquées au Japon devraient être expédiées aux Etats-Unis.
Tokyo s'engage toutefois à rester une "nation pacifiste", le gouvernement jurant que l'exportation de composants de missiles se fera uniquement vers les Etats-Unis et sous "un contrôle strict".
Toutefois, des exceptions sont envisageables au cas par cas et M. Koizumi n'a pas exclu de livrer des armes aux pays du Sud-Est asiatique.
Le puissant Keidanren (patronat) ne s'y est d'ailleurs pas trompé, qui a applaudi immédiatement à la nouvelle politique de défense du Japon, qualifiée de "tournant majeur".
Les Japonais conduisaient des recherches avec les Américains sur le développement d'un système de défense antimissile depuis 1999, un an après le lancement par la Corée du Nord d'un missile qui avait survolé l'archipel et semé la panique à Tokyo.
Dans son nouveau Livre blanc sur la défense, le Japon mentionne bien sûr cette menace militaire nord-coréenne mais aussi, pour la première fois spécifiquement, chinoise.
Les mouvements de la Chine et de la Corée du Nord doivent être "attentivement observés", avertit le document.
Quant à la Chine, elle "accroît la zone de ses activités maritimes tout en renforçant ses capacités nucléaires et balistiques et en modernisant ses forces aériennes et navales", souligne le Livre blanc.
L'intrusion le mois dernier d'un sous-marin nucléaire chinois dans les eaux territoriales du Japon avait déclenché de vives protestations à Tokyo.
Jusqu'à présent, aucun document officiel japonais ne faisait aussi clairement référence à une menace militaire chinoise (seule la Russie était explicitement mentionnée).
Mais il est certain que le Japon, partenaire des Etats-Unis, voit avec quelque anxiété la montée en puissance de sa voisine, en particulier dans les domaines de la défense et de l'espace.
Autre signe du réveil japonais, Tokyo a décidé jeudi de prolonger d'un an le déploiement historique de ses soldats en Irak, réaffirmant ainsi la solidité de ses liens avec l'allié américain et sa volonté de jouer un rôle accru sur la scène internationale.
[in Courrier International]

Un seul mot : "baka" !
2004-12-11 11:15:32 de dabichan

Moi, je les trouve plutôt réalistes, les Japonais! Au lieu de faire des courbettes aux Chinois pour pénétrer leur marché à tout prix (en faisant, entre autres, le silence sur la répression politique), les voilà plus raisonnables. Les Français, eux, continuent les courbettes pour vendre des TGV, etc. Le problème, maintenant, ça va être l'escalade, sûrement symétrique, d'ailleurs. Ça promet! :(
Mais, au fait, IBM (américain) a acheté une boîte chinoise cette semaine.
Bizarre...
2004-12-11 13:25:10 de Sir Reith Oubnaitch

Non, c'est le contraire, c'est une boîte chinoise, Lenovo, qui a racheté une filiale d'IBM, passant ainsi du 10e au 3e rang mondial des fabricants d'ordinateurs grand public, derrière DELL et Hewlett Packard. T'as pas bien appris ta leçon, Reith ! Tu vas te faire taper sur les doigts !
2004-12-11 15:24:24 de Berlol

Hou là là, voilà ce que c'est que d'écouter les news d'une oreille distraite en faisant autre chose! Mais alors... c'est encore pire! :)
2004-12-12 10:06:21 de Sir Reith Oubnaitch

Bah, on se plaint, on critique (moi aussi d'ailleurs, hein), mais bon, je pense qu'il faut plutôt se mettre une bonne fois pour toute dans le crâne que le Japon a choisi, après 1945, d'être un pays satellite des Etats-unis, et qu'en conséquence il n'a pas de politique extérieure ni militaire qui soit dissociée de celles des Etats-Unis. C'est tout. C'est clair au moins.
Le pacifisme n'aura été qu'un pacifisme à la République de Weimar. Imposé.
2004-12-12 13:16:33 de Arnaud

Bonjour à tous,
Moi, je pense qu'il y a plusieurs niveaux à ce pacifisme.
Tout d'abord, après-guerre, c'était impossible pour le Japon d'avoir une machine militaire complète : impossible économiquement, et politiquement bien sûr. Donc, justifier cet état de fait par une constitution donnait une aura élégante à cette situation.
On voit bien aujourd'hui qu'à niveau gouvernemental ce « pacifisme » n'est pas du goût de beaucoup de gens, à commencer même par les anciens (qui ont vécu la guerre) du PLD au pouvoir.
Par ailleurs, à niveau plus populaire, même si c'est dur à mesurer, les gens vous disent qu'ils n'ont pas le choix : y'a la Chine et la Corée du nord (argument sur lesquels jouent beaucoup les politiques), donc on doit suivre les USA… mais il faudrait redire que ces deux pays existent depuis déjà 50 ans, et la Chine, pour ne parler d'elle, n'a jamais eu autant besoin des investisseurs japonais et vise versa, et personne dans la région n'a l'intention, et surtout pas la Chine, de laisser partir la Corée du nord dans une vrille de guerre thermo-nucléaire. La région n'a jamais été dans une situation d'aussi forte inter-dépendance.
Par conséquent, l'argument « on est plus en danger que jamais » ne tient pas. L'argument de remilitarisation progressive éclairé sous ce jours, idem.
Le problème du Japon, c'est qu'il est resté trop dépendant des USA en matière de défense. Le résultat, même si les forces d'auto-défenses sont superbement bien équipées, c'est que justement l'armée japonaise ce mesure en terme de qualité plus qu'en importance…
Plus que de faire des déclarations inquiétantes et des démonstrations de muscles maintenant, il aurait été plus « naturel » de réarmer progressivement le pays depuis les années 1980. Ce n'est jamais bon de lier une militarisation à un sentiment de trouille envahissante comme c'est le cas maintenant.
Le Japon a trop attendu, et se réveille maintenant avec la « conscience » d'un « péril jaune » pour l'intégrité de son pouvoir économique. Moi, je pense que l'on paye des années de suivisme américain, et que la « solution » de s'armer et de coller aux USA en terme de politique militaire n'est pas plus maline. Le Japon oublie trop souvent qu'il est un pays pays d'Asie, et que si vraiment un conflit militaire venait à se déclarer, il y a très peu de chance pour que les USA fassent beaucoup, plus même, puisse faire beaucoup pour la protection de l'archipel, surtout si les intérêts américains se sont alors déplacés davantage vers le continents…
Dans un autre registre : le marché chinois est largement pénétré par les Japonais, et ce depuis longtemps. En fait, l'après-guerre n'a jamais interrompu la présence japonaise en Chine. Et le Japon est bien le seul pays dans ce cas. Et la politique étrangère actuelle du Japon a plutôt tendance à mettre en danger cela que le contraire.
2004-12-13 01:04:43 de Acheron

Salut Achéron,
Tu as raison, je pense, de souligner que ce débat sur l'armée, s'il n'est pas récent, n'a par contre pu se réaliser que ces dernières années. De toute façon, d'une manière générale sur la planète, le débat identitaire et "sécuritaire" a connu un grand renouvement après la chute de l'U.R.S.S., tout au long des années 1990. Beaucoup de choses qui étaient contenues ont explosé, quand on en a pas inventées de toutes pièces pour qu'elles explosent.
Il faut aussi préciser quelques points historiques qui montrent l'ambiguité du pacifisime au Japon.
Tout d'abord, rappelons nous que les conservateurs et les partis dits progressistes sont à égalité comme forces politiques jusqu'en 1955. Dans la période suivante, tout en restant une puissance politique de premier plan, le PS et le PCJ décroissent lentement jusqu'au début des années 1970.
Dans l'immédiat après-guerre, lors de la mise en place de la Constitution (1946), puis de la signature du premier Traité de défense avec les États-Unis (1951), suivant en cela une volonté qu'on peut dire collaborationniste, le parti de gouvernement Jiyûtô (Parti Libéral ; ce n'est pas l'actuel, mais l'embryon du PLD actuel) accepte la proposition américaine de castrer l'armée tout d'abord en échange du respect intégral de la personne de l'Empereur, puis parce que le PL pensait préférable d'adopter une politique basse (cad : de valets) vis-à-vis des États-Unis afin de conserver pour eux le pouvoir.
La constitution pacifiste et le désarmement, voulus par les Etats-Unis, sont soutenus par les conservateurs au pouvoir, eux-mêmes largement issus de l'appareil politique d'avant-guerre (les politiques, et non pas les militaires ; notamment YOSHIDA Shigeru). Les partis et mouvements progressistes critiquent à ce moment-ci acèrbement ces projets, interprétés comme allant à l'encontre de la défense nationale et de la souveraineté du peuple japonais.
Le problème vient avec le tournant de la RPC (1949), puis le déclenchement de la guerre de Corée l'année suivante. Les États-Unis veulent, dans ce contexte, brusquement réarmer le Japon, afin d'avoir une force locale à utiliser dans le cadre des conflits locaux. C'est comme cela que l'on fait habituellement dans beaucoup de dominations coloniales historiques, afin de ne pas avoir à sacrifier trop de métropolitains (de soldats américains donc) dans le cadre d'un conflit (cf. "l'armée irkienne" actuelle). D'ailleurs, la Corée du Sud a été armée dès cette époque et fonctionne selon cette logique.
Le PL, pacifiste jusqu'à hier, approuve à nouveau la voix des Etats-Unis, et commence à préparer un programme de réarmement, donc la première étape est le Traité de 1951. L'étape suivante, dès cette époque, est bien évidemment la révision de la Constitution, promulguée pourtant à peine quelques années avant. Comme quoi, la « paix éternelle » voulue par les États-Unis ne dure pas si longtemps que les mots pouvaient le faire croire...
C'est à partir de ce moment, lorsqu'ils comprennent que toute la politique des conservateurs n'a été que du suivisme envers les États-Unis et de l'hypocrisie, que le PS et le PCJ change eux aussi de cap et choisissent de défendre d'une part le pacifisme, et d'autre part — surtout — la Constitution, dont les dirigeants (conservateurs) disaient qu'elle avait été voulue « par le peuple » et que l'on propose maintenant de bafouer sans égards. Le problème des progressistes devient donc — toujours pour défendre l'idée même de souveraineté japonaise — de défendre la Constitution et le pacifisime, puisqu'ils ont été voulus et acceptés par le peuple japonais. Il s'agit donc, également, d'intégrité intellectuelle, surtout que les partis de Gauche ont toujours critiqué l'Occupation américaine (1945-52), puis le suivisme vis-à-vis des États-Unis.
Par-dessus, se greffe peu à peu, au cours des années 1960, une conscience de l'énormité des crimes commis lors la 2nde Guerre mondiale en Asie (conscience bien tardive, on peut le souligner), puis une critique de la guerre en soi. Cette conscience de la responsabilité vis-à-vis des autres, si elle vient tard, vient bien évidemment renforcer la position des partis opposés à la réforme constitutionnelle militariste. Face à cela, le PLD (formé en 1995 pour contrer la montée du PS, en passe de devenir le parti de gouvernement) se trouve pris, pour le moment, à son propre piège, puisque ce sont les conservateurs eux-mêmes qui ont inscrit, en 1946, le pacifisme dans le texte de la Constitution.
Mais aujourd'hui, en 2004, il n'y a plus que les conservateurs dans le paysage politique. Leur monopole du pouvoir pourrait bien disparaître ceci-dit : lle pouvoir du PLD, parti d'union de toutes les droites typique de la Guerre Froide, semble ne plus devoir durer.
Tout ceci explique, je pense, que l'on se presse aujourd'hui de faire ce que l'on n'a pu faire hier.
2004-12-13 02:58:02 de Arnaud

Le PLD a été formé en 1955 et non en 1995 (bas de mon post).
Renouveau et non "renouvement" (haut du post).
Autant pour moi.
2004-12-13 03:22:39 de Arnaud

Merci de ces précieux commentaires. J'ai toujours pensé que, pour être un pays "normal", le Japon devrait être "normalement" armé. Et qu'à ne pas l'être, on ne fait que développer l'infantilisme des "citoyens", dans un pays assisté par les US.
Infantilisme = qui n'ont pas la parole.
Mais ces décisions qui viennent d'être prises le sont encore une fois sans rien demander aux Japonais et sans même les prévenir. J'en veux pour preuve que toutes les personnes (japonaises) que j'ai informé de ces décisions depuis ce 10 décembre m'ont répondu qu'elles n'étaient pas au courant, alors que la télé diffuse en boucle des "infos" sur les dernières starlettes coréennes et sur des enquêtes criminelles, ce qui revient alternativement à distraire et à faire peur, ce qui n'est en aucun cas "informer".
2004-12-13 07:08:30 de Berlol

Hmmm, le problème des médias au Japon, et partout en général, est un vrai problème.
Pour moi, le Japon est un des rares pays où en regardant la télé tu peux être paradoxalement complètement coupé du monde… je ne parle pas d'une info partiale ou même incomplète, je parle de silence pur et simple.
J'ai moi aussi fait l'expérience de la non-information sur des points de politiques intérieures importants dans ce pays… mais moi alors, je m'informe bien, non !!??
Je pense que l'information est quelque chose qui se passe dans les deux sens, dans un rapport de réciprocité médias-auditeurs. Mais ici, l'auditeur est en pure position de « récepteur ». L'info est la même sur toutes les chaînes, avec très peu de mise en relief. Et ce n'est pas près de changer tant que les récepteurs ne se mettent pas en demande, en recherche de l'information. Il faut que la recherche de l'info soit une fin en elle même, pas quelque chose qui vient simplement interrompre les émissions des ploucs de la télé.
Tiens, je saute du coq à l'âne (mais pas tout à fait quand même) : ce qui est incroyable, c'est qu'en un sens, j'en viendrais presque à trouver dommage que la menace du service militaire n'existe plus en France…
2004-12-13 09:09:20 de Acheron

Voici un article du 21 décembre. Je poste ici pour être en cohérence avec le blog.
En tous cas, c'est étrange : je n'en ai pas etendu parler aux médias japonais d'heure de grande écoute. Encore l'activité de censure systématique de la NHK (il n'y a pas d'autre mot) vis-à-vis des nouvelles à ne pas faire circuler...

« Des villes japonaises se mobilisent pour refuser de participer à la guerre
LE MONDE | 21.12.04 |
Tokyo de notre correspondant
Alors que le gouvernement japonais renforce sa stature militaire en s'écartant de la position strictement défensive de la politique de sécu-rité qui fut la sienne, des municipalités entendent se proclamer "villes ouvertes" en cas de conflit et revendiquer le droit de refuser de participer à une guerre. C'est le cas de Hirakata (400 000 habitants) dans la banlieue d'Osaka dont 18 000 habitants ont déposé une pétition auprès de l'assemblée locale, demandant qu'elle ouvre un débat sur leur demande. Celui-ci a commencé le 9 décembre. Si le conseil municipal vote une déclaration de "non-belligérance", Hirakata sera la première municipalité du Japon à se proclamer collectivement "objecteur de conscience".
Le mouvement en faveur "de déclarations de zones de non-défense", lancé en mars, regroupe une quarantaine de municipalités parmi lesquelles un arrondissement de Tokyo dont les habitants ont lancé des campagnes de pétition et ont constitué un réseau national. Cette nouvelle forme de mouvement antiguerre est soutenue par les sociaux-démocrates et les communistes ; le parti centriste Komei et la première formation d'opposition, le Parti démocrate, sont hésitants ; quant à la majorité libérale-démocrate, elle le dédaigne. Alors que la décision de maintenir les troupes japonaises en Irak a fait brutalement chuter la popularité du premier ministre, Junichiro Koizumi, cette campagne pourrait s'étendre.
Les pétitionnaires se réfèrent à la Convention de Genève de 1949 sur la protection des victimes des conflits armés et à son protocole de juin 1977, qui ont été ratifiés par le Japon. Dans son article 59 de la Convention sur les "localités non défendues", il est stipulé que les belligérants n'ont pas le droit d'attaquer celles qui ont fait savoir qu'elles ne se défendraient pas. "Notre objectif est simple" explique maître Takeo Matsumoto, l'un des initiateurs du mouvement : "Le Japon est en train de renier l'article 9 de sa Constitution par lequel il renonce à la guerre comme moyen de régler les différents internationaux. Or, en tant que citoyens, nous refusons de collaborer à une guerre et nous entendons le faire savoir avant qu'elle ne soit déclenchée."
A contre-courant du consensus mou qui prévaut dans l'Archipel - la majorité des Japonais sont hostiles au maintien de leurs troupes en Irak mais ne manifestent guère leur opposition -, "nous devons nous faire entendre individuellement et forcer nos municipalités à relayer nos voix", poursuit cet avocat des droits de l'homme qui depuis quarante ans a défendu des syndicalistes, les victimes du drame de la pollution à Minamata et les minorités discriminées.
Hirakata, cité dortoir d'Osaka, qui a fait partie autrefois de la "ceinture rouge" de la troisième ville du Japon, c'est-à-dire des municipalités dominées par les communistes et les socialistes, a un passé de ville militante : en 1982, elle s'est déclarée "ville pacifique et non nucléaire". Conscient de l'état d'esprit de ses habitants, le maire, Hitoshi Nakatsukasa, se retranche derrière la législation sur l'autonomie locale pour déclarer irrecevable la démarche des pétitionnaires.
A Osaka, en dépit de 60 000 signatures, le conseil municipal a rejeté une pétition analogue. Au-delà du débat sur la recevabilité juridique de ces demandes, le mouvement des "villes ouvertes" est l'une des expressions d'un activisme citoyen, parcellaire, fragmenté, et le plus souvent ignoré des médias, dont les réseaux innervent néanmoins en profondeur la démocratie japonaise et que le pouvoir politique est progressivement contraint de prendre en compte.
Philippe Pons
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.12.04 »
2004-12-25 14:30:56 de Arnaud


Samedi 11 décembre 2004. Nocturnes agrumes de l'été japonais.

Difficile de faire une journée plus pleine et variée !
Ça commence avec le cours sur les deux derniers chapitres de La Mare au Diable. On y voit comment George Sand a orchestré symétrie et répétition. Ces chapitres intitulés La mère Maurice et La petite Marie, dans cet ordre générationnel, font pendant aux chapitres du début intitulés Le père Maurice et Germain le fin laboureur, dans le même ordre de filiation. Les hommes, qui représentent l'autorité, hiérarchique et familiale, font l'ouverture et affirment leurs projets. Mais en toute fin, après l'échec du mariage au village voisin, c'est entre femme que ça va se jouer, et c'est finalement à l'accord de la petite Marie que toute l'économie familiale sera suspendue. Cet accord, qui se fera attendre jusqu'aux dernières lignes, est amené par ces deux chapitres mêmement construits sur un dialogue avec suspense et aveu : c'est d'abord la mère Maurice qui tire les vers du nez de Germain et lui fait dire qui il aime, avec effet Cendrillon (celle à laquelle on pensait le moins, etc.); c'est ensuite Germain, qui se croit perdant et qui vient se l'entendre dire de la bouche de son aimée... et qu'une surprise attend.
Qu'il y ait un bonheur sur Terre pour les humbles et que la décision en soit prise par la plus humble — même si on récupère le coup en disant que c'est la volonté de Dieu —, tel est le message que Sand envoie à la fois aux religieux adeptes du sacrifice et de la résignation et aux écrivains qu'elle accusait initialement de toujours noircir le tableau.

Un peu plus tard, je suis au 4 étage, dans l'appartement du père de T. Je suis assis sur le balcon, en plein cagnard, en train de rempoter le sapin. Manches retroussées et déjà de la terre sous les ongles. Derrière moi, dans la pièce, 91 ans, le père m'observe, intrigué. Se souvient-il de moi en mai et en juillet ? Nul ne le sait. Mais plus tard, quand je ne serai plus là et que T. dira pour rire à son père et à la garde-malade que l'on pourra voir de temps en temps ce hen na gaijin (ce bizarre étranger) parce qu'on habite dans le même immeuble, il protestera qu'il ne faut pas parler comme ça, que c'est manquer de respect (ndlr : en japonais gaijin est souvent dépréciatif, voire insultant ; on doit lui préférer le neutre gaikokujin, où la notion de pays, koku, évite que ce soit la personne, jin, qui soit gai, d'ailleurs...). Bon, un sapin, c'est un sapin, ça doit aller sur le balcon, disait-il à peu près à sa fille, à petits pas mais sans canne. Je dis qu'on allait le décorer, pour Noël, et qu'il devait donc rester à l'intérieur (T. traduisit). Étonnement d'être contredit, plaisir de la fête. Je mets les boules et les guirlandes. Faudra que je trouve l'étoile, ça manque. Au moment de planter un clou dans le mur pour accrocher une pendule, je lui demande directement en japonais, moi-même, s'il préférait un peu plus à gauche, un peu plus à droite. Il me fait signe, complice, et je plante, et j'accroche. Voilà, on communique.

À 16h30, à l'Institut, dernier débat des rencontres franco-japonaises sur les revues. Emmanuel Wallon (et non Olivier Corpet qui a pris l'avion ce matin) fera la synthèse après deux heures d'échanges certes intéressants mais quand même assez superficiels quand au rapport entre les revues et l'altermondialisme. On retiendra que la problématique de nécessaire traduction infinie que montre Satoshi Ukai et qui consiste à être prudent avec chaque mot (« libéral », « conservateur », « république » ne désignent pas la même chose ici ou là) s'accorde bien la nécessité d'une infinie décision politique que développe Philippe Corcuff, car une même décision doit être prise et reprise par de multiples instances plutôt qu'imposée par une autorité centralisée. À l'attitude de plus en plus caricaturalement prophétique d'un Emmanuel Todd (absent mais cité) qui évacue en bloc les États-Unis pourrissants, Wallon préfère une politique réaliste qui prenne les États comme ils sont pour essayer d'améliorer la situation plutôt que d'engendrer du chaos, déclarant enfin qu'être altermondialiste revient au fond à être tout simplement mondialiste sans être globaliste (au sens de globalisation des marchés). J'y reviendrai...

Pour finir, j'abandonne devant chez moi la troupe de revuistes cornaquée par une Christine Ferret heureuse que tout se soit bien passé pour monter au 4e avec T. qui va préparer le dîner de son père. Puis je les laisse aussi pour — après photo d'agrumes nocturnes — rejoindre Bikun, Naoko, Hidenobu, chez Peter. Puis Kikuko un peu plus tard, qu'on n'avait pas vu depuis 6 mois.
Le patron nous sert jovialement un dîner royal : salade avec mousse de foie, tartare de Saint-Jacques au saumon fumé (sublime) et chou farci au confit de canard (bien parfumé et pas gras), suivi d'un fondant au chocolat audacieusement fort en bouche. Le tout pour moins de 5000 yens, avec une verre d'excellent vin. Deux heures après, je n'en ressens aucune lourdeur. Note : 18/20.
Dix-huit, c'était également la température en fin de matinée. Au-delà de l'été indien, où tout sera pareil à ce matin, il faudrait maintenant parler de l'été japonais et des fins décembres aux balconnets.


Ce n'est pas une Naoko mais 2...:-)
2004-12-12 10:07:15 de Bikun

Ah ! L'été indien... la, la, la... la, la, la, la, la, la, la, la... la, la, la, la, la, la, la... la, la, la, la, la, la, la...
2004-12-13 05:23:18 de dabichan


Dimanche 12 décembre 2004. Tribulations pongistiques.

Il y a un an, à deux jours près, j'écrivais un « poème débile comme genre amical » pour me plaindre de la fin d'une époque du ping-pong — et qu'on n'était plus que deux, Manu et moi. Ce matin, nous étions cinq et d'un niveau globalement supérieur à celui de l'an dernier, grâce au sang neuf de Hisae et de Katsunori. Malgré des vitesses de réaction qui descendent sous la nanoseconde, Bikun n'a pas pu voler la vedette à Hisae, grande gagnante d'aujourd'hui, que j'ai pourtant failli battre. J'en resterai d'ailleurs au verbe failli... Si Bikun va bientôt repartir en France (son stage linguistique s'achève ce mois-ci) et si Manu est à éclipse (boulot, famille), nos deux amis japonais ont bien renfloué l'équipe dominicale et semblent s'inscrire dans la durée.

Malgré pluie, grisaille et refroidissement, pas de temps pour la littérature ! Je rejoins T. dans un grand magasin de Shinjuku pour quelques courses.

Certains jours, je flotte dans ma vie. Sensation de n'avoir rien à dire, rien à faire de pertinent, d'être rabougri dans un personnage où je suis enfermé et que je trimbale partout parce qu'on le connaît. Et qu'on n'en sort pas comme on veut. Le poids du papier mâché, le toc de la peinture, et cette odeur de colle qu'a la vie alors. À l'interface sociale, je m'énerve ; devant la parole, je m'énerve ; devant mon énervement, je m'énerve. Et je n'en montre rien, car mon personnage est flegmatique, compréhensif, toujours. Sans doute, les derniers bouleversements y sont pour quelque chose. Des incertitudes nous travaillent ; des frustrations aussi — à pareille époque, l'an dernier, nous préparions notre voyage en Australie ; aujourd'hui, nous organisons nos montées au quatrième étage : plus empathique, moins touristique. Je vaincrai...


Ne te tracasse pas. ce ne sont que des impressions qui te font poserdes questions sans réponse(s)... Elles prouvent simplement que tu es vivant.
JCB
2004-12-13 01:45:42 de jcb

merci de ton soutien moral !
2004-12-13 07:35:55 de Berlol

"cette odeur de colle qu'à la vie alors"... Je ne comprends pas ce passage. A cause de l'accent?
Bien content de vous avoir vus tous les 2 sur le quai, ce matin!
Mais c'est toujours ainsi: trop court!
En lisant ton blog, j'ai l'impression que tu prépares la creche: l'arbre de Noel, d'abord, le petit Jesus, bientot!
(pas d'accents sur le clavier utilisé)
2004-12-13 09:05:12 de Christian

Merci pour l'accent, Christian, je vais l'enlever et le garder pour un autre mot (y'a pas de petites économies)...
2004-12-13 12:04:16 de Berlol

Distrait, certes, mais pas toujours! :)
2004-12-13 14:03:19 de Sir Reith Oubnaitch

Et cette odeur de colle qu'a la vie alors, tu vois mieux maintenant ?
Ou faut que je te fasse un dessin (sur une nappe de resto où on dînerait par exemple durant les fêtes, si tu restes dans les parages...) ? A+
2004-12-13 14:13:59 de Berlol

on a tous des personnages, le tien est pas plus con qu'un autre, et même plutôt moins, c'est déjà pas mal je trouve.
2004-12-14 13:21:47 de jephro

Merci du "pas plus con"-pliment !...
Tiens, t'es de retour, toi ? Alors, ces vacances ?
On se voit bientôt ?
2004-12-14 14:34:18 de Berlol


Lundi 13 décembre 2004. Continuer tranquilles la broderie.

KDL-L23RX2 et RDR-HX70 sont les doux noms des petites bêtes pour lesquelles on a craqué ce matin  — ou claqué ce matin une partie non négligeable du bonus de fin d'année... Ça traînait depuis le mois de mai et ça n'avait pu se concrétiser faute de temps. Mais depuis que T. a donné son téléviseur à son père, avant-hier, on s'est aperçu qu'il n'était pas nécessaire d'en avoir un dans notre chambre et on a ainsi pu opter pour un écran de salon, à poser sur un meuble bas que nous avons déjà, résolvant ainsi le problème du pied réglable ou de l'arrimage mural qui nous entravait buridanesquement.

Guidé par JCB dont les propos me paraissent justes, je découvre presque avec dégoût le dossier de Libération sur les blogueurs. Les gros sabots de la médiatisation débarquent dans nos dentelles. Ils vont sabrer dans les fractales de nos liens pour tracer des voies claires. Ceci dit, avant qu'ils nous trouvent, il y a encore de la marge... On peut continuer tranquilles la broderie.

À la Maison franco-japonaise, avant-dernière séance du GRAAL de l'année. Tout le monde est là : Fumie et Bill, les anciens, François et Franck, les nouveaux de l'année (Franck faisait justement son entrée le 10 mai, jour où pointe le lien ci-dessus), Michaël et Jo, les aléatoires flamboyants. On en profite pour finaliser le choix des œuvres du trimestre prochain. Ce sera un extrait conséquent de Progénitures de Pierre Guyotat (en prélude à sa visite au Japon en mai 2005) pour janvier-février, suivi en février-mars du dernier roman d'Alain Fleischer, La Hache et le Violon.
Les trois Médecins, roman de Martin Winckler que j'avais présélectionné doit être certes d'une lecture agréable si j'en juge par les premiers chapitres téléchargés sur son site il y a quelques semaines, mais ne nécessite pas que nous en discutions âprement pour élucider quelque mystère...
La suite de la séance s'est recentrée sur Colonie de Frédérique Clémençon. On s'interroge toujours sur les noms, bien qu'il n'y en ait pas beaucoup (ou justement à cause de cela) : Léonce et Antoine. Léonce en jeu paronomastique avec les ronces (qui envahissent le jardin) et avec Clémençon ; Antoine, prénom du père, caché jusqu'à la page 172, alors que l'autre Antoine, le notaire, est nommé Toinet dès la page 10. Le mystère reste entier... Puis il est question de la longue lettre que le père de Léonce (Antoine, donc) envoie à sa famille après un an de Congo et avant d'en finir : sa composition banale, sa rhétorique hypocrite, les clichés qu'elle enfile. Un modèle du genre. Sûr que cette sorte de beauf, finalement, trop remuant pour un Limoges pépère, trop exalté par son fantasme africain et trop peu regardant sur ses responsabilités familiales, avait mieux à faire au Congo !... Certains membres du GRAAL regrettent cependant une écriture trop retenue, neutre, dans laquelle l'auteur ne se serait finalement pas assez engagée malgré les références stylistiques à Claude Simon ou la présence anecdotique d'une sorte de Gide en visite au Congo avant son livre dénonciateur. Pour ma part, je pense que cette retenue correspond au caractère de Léonce, qui est peut-être le narrateur, tellement effacé qu'il ne peut assumer d'écrire « je ».


Merci pour les liens et la suggestion de lecture : le nom de Frédérique Clémençon n'était pas arrivé jusqu'à mes oreiles.
Amicalement.
2004-12-13 17:22:59 de anonyme789

Ne soyez pas trop cruel avec Léonce. Dans un même esprit, je crois, peuvent cohabiter aussi bien le cynisme et la naïveté, la bêtise aussi bien entendu, de sorte que l'accusation d'hypocrisie ne me semble pas tout à fait juste. Sans doute, en effet, doit-on chercher à comprendre ce personnage en s'interrogeant sur ce que peut bien être une existence comme la sienne, à la fois vide en ce qu'elle nie la réalité ou l'évacue par confort et égoïsme, et pleine car riche de rêves enfantins, une existence qui n'a d'épaisseur qu'à travers le désir ou la vie des autres, une vie par procuration en somme, ce qui explique, d'une certaine façon, la caractère neutre, ou plutôt très scolaire, d'une lettre écrite par un vieil enfant à la poursuite de ses chimères, un enfant qui s'applique.
Je vous salue affectueusement.
2004-12-14 10:48:19 de Frédérique Clémençon

je n'ai pas encore lu les articles du monde, mais hier matin justement j'écoutais france culture d'une oreille en me réveillant, et la "mode" des blogs y était abordée, d'une manière assez réductrice : le commentateur faisait frénétiquement (du moins c'est ce qu'il m'a semblé, dans mon écoute endormie) des transitions entre les informations AFP, sautant sur chaque occasion pour parler du sujet qui lui tenait à coeur : ce qu'il avait compris sur les blogs (en n'en lisant sans doute qu'une dizaine) - pour lui le blog n'était visiblement là que pour amener un nouveau point de vue sur le dernier journal de 20h - "l'assassinat d'untel, c'est sur que les blogueurs doivent tous en parler en ce moment"; "les élections : les blogueurs vont certainement se déchaîner sur ce sujet". Certes comme on le lit chez JCB, le blog est un média alternatif, montrant éventuellement l'actualité sous un autre angle, mais justement, s'agit-il exclusivement de celle du journal de 20h ? Ici l'actualité littéraire, ailleurs musicale ou autre... le présentateur éludait complètement ces utilisations du blog qui me semblent au moins aussi intéressantes (à moins que je me sois rendormie avant qu'il n'en parle). Quand à imaginer qu'on puisse rencontrer dans les blogs des choses qui ne concernent pas uniquement la diffusion d'informations, l'idée ne semblait même pas l'effleurer.
Comme tu dis, on peut encore broder tranquilement...
2004-12-14 15:01:46 de Cel

A propos de Progénitures, et très modestement la communication que j'avais faite au colloque du GRES à Barcelone en 2003. Les Actes paraissent bientôt aux Presses Universitaires de Perpignan.
http://litteraturelettres.blogspot.com/
Question perso, as-tu reçu le Blanchot sur le Féminin que je t'ai envoyé ?
Bien à toi,
2004-12-14 20:48:05 de Eric


Mardi 14 décembre 2004. Le fou-rire de 17h45.

Il y a toujours de nouvelles premières fois. Ce matin, c'est la première fois que je laisse T. à Tokyo dans la même maison que son père... Ce soir, elle me dit qu'elle en a profité pour monter prendre son dîner avec lui (et la garde-malade qui semble être un cordon bleu...). Il est en pleine forme, elle aussi. Pour l'instant, nous ne retirons que des avantages de notre opération paradoxale (si l'on veut que la doxa soit de nos jours de se débarrasser de ses vieux en les délocalisant).

Dans le shinkansen, j'écoute une très très intéressante émission sur Hervé Guibert, dans la série des Surpris par la nuit consacrés à Foucault, en octobre dernier. Bizarrement, je viens de le vérifier, on peut encore l'écouter sur le site de France Culture ! Malgré l'exhibitionnisme de l'homme, qui devient celui du malade, puis du mourant, l'image humaine et littéraire de Guibert n'a rien de triste. Comme celle d'un saint dont la mort ne peut effrayer. J'espère avoir bientôt le temps de lire son journal...
À la toute fin de l'émission, j'apprends qu'un coffret sonore a été édité. Je le trouve finalement : c'est au Bleu du ciel. Encore un truc qui ne va pas être facile à commander...

Après les cours, petite séance de ping-pong avec David. Petite parce qu'on n'a pas beaucoup de temps en ce moment (autre cours pour lui, examens à rédiger pour moi). David s'entraîne de nouveau à couper et lifter les balles. Les gestes commencent à devenir souples, habituels, un peu plus précis. On remarque — effet de l'adrénaline ou d'une autre substance produite par l'activité sportive ?  — qu'il a un fou-rire, lié aux conneries qu'on dit en jouant, par défoulement, et que ça se produit à chaque fois vers 17h45. C'est dans son biorythme ?

Par la suite, je découvre plusieurs commentaires aux derniers jours du JLR qui me font très plaisir, à commencer par celui de Frédérique Clémençon elle-même (hier), puis Cel qui est très pertinente aussi (hier également). Et le retour de Jephro (commentaire d'avant-hier). Pour les amateurs de politique japonaise, les commentaires de vendredi (Arnaud et Acheron) sont à lire attentivement.


"Comme celle d'un saint dont la mort ne peut effrayer." Ou j'y perds mon latin ou c'est "pan sur le bec"!
2004-12-15 13:09:35 de Sir Reith Oubnaitch

Vas-y, réfléchis encore un peu !...
Je t'aide : qui est-ce qui serait effrayé ?
Et à part ça, ça va, toi ?
2004-12-15 14:15:33 de Berlol


Mercredi 15 décembre 2004. Multiblogueur sous pseudo happy-fewesque...

Commencé ce week-end, j'ai réussi à finir l'actualisation de l'index des noms propres du journal en y ajoutant tous ceux de novembre. Chaque mois, la relecture me permet de voir des lignes de force (et de faiblesse) que le format blog ne laisse pas paraître, tout dédié qu'il est à la consommation immédiate de fragments. Cependant, le temps passant, je fais confiance à certains de mes camarades littéréticulaires pour dévoyer ce format blog en y balançant d'énormes quantités de textes denses... Je leur conseillerais tout de même de faire des copies, voire des multipublications (sur plusieurs blogs, sur sites persos, afin d'éviter de tout perdre quand un site de blog met la clé sous le serveur, change de proprio, etc.).
On veut parfois nous opposer une (vraie) littérature classique et la production littéraire encore informelle et mal étiquetée qui naît dans l'internet. Une des choses qu'on oublie alors c'est que cette littérature classique a été un jour présente et contemporaine, et que dans son temps elle a pu paraître inqualifiable voire peu littéraire au regard d'une autre littérature que les contemporains de ce temps-là appelaient classique eux aussi.
Stendhal me vient à l'esprit comme un exemple de cela. Ses productions multiples, pompées en partie sur son entourage (Mérimée notamment), inachevées pour bon nombre, son empressement parfois à faire paraître des choses qu'il aurait pu mûrir cinq ou dix ans de plus, ses journaux et autobiographies enchevêtrés qui nous le dévoilent autant qu'ils nous mystifient, la pureté pour le moins critiquable de son style... Sûr qu'il aurait été multiblogueur sous pseudo happy-fewesque !

Ai trouvé une heure ce soir pour regarder un bout du double DVD de Led Zeppelin prêté par Katsunori (encore merci !). Je n'avais pas encore pris tout à fait conscience du fait que je ne les ai jamais "vus" en concert, les Page, Plant, Jones et Bonham. J'ai bien vu plusieurs fois leur film The Song remains the same, mais la stylisation des images de cette sorte de quête mystique qu'ils s'étaient offerte empêche de les découvrir vraiment. Là, par exemple dans le Live at the Royal Albert Hall du 9 janvier 1970, je vois comment Robert Plant bougeait sur scène, comment il secouait sa tête, écartant de temps ses cheveux oranges, laissant voir ses favoris qui lui descendaient sous le menton, ou comment Jimmy Page pouvait s'arc-bouter sur sa guitare, bras et guitare étant alors à hauteur de genou dans une attitude simiesque presque, et globalement comment ils n'animaient presque pas la scène, trop concentrés qu'ils étaient sur la musique, leur synchro et les enchaînements.
Éh ben ça, Stendhal et Led Zep, ça suffit à mon contentement. Pour aujourd'hui...

Où est-ce que je pouvais bien être, le 9 janvier 1970 ? À l'école ? Je peux savoir, même très précisément, où étaient tout un tas de gens. Quant à moi, impossible.


"Où est-ce que je pouvais bien être, le 9 janvier 1970 ? À l'école ? Je peux savoir, même très précisément, où étaient tout un tas de gens. Quant à moi, impossible."
ben tu vois mon gars, à quoi que des fois on passe trois jours ou trois mois comme rien, nous autres
et puis que même si après on invente, justement c'est à cause des 3 minutes de DVD qu'on aura trouvé
d'ailleurs, l'avant dernier dimanche, à la brocante de Radio Béton mon bootlegger de La Rochelle m'a ramené un double coffret (4 DVD) tiré au Japon à 500 exemplaires, avec notamment la première fois qu'ils ont joué Celebration Day au Budokan Hall - c'était pas donné mais j'étais récompensé
si je me rappelle bien mon année d'internat au lycée Camille-Guérin de Poitiers, on avait eu Jacques Duclos qui faisait un meeting (le Vietnam, pas encore Angela Davis) et le surgé communiste avait fait frauduleusement sortir les membres de l'Uncal (union nationale des comités d'action lycéens) on y était avec Jean Arnault, Raymond Bozier, Pierre Douteau et 2 ou 3 autres - c'est aussi à ce moment-là, je m'en rappelle à cause de mon casier d'interne, qu'est sorti Chicago Transit Authority
je retourne relire la fin de la Rabouilleuse
2004-12-15 18:53:35 de F Bon

le 9 janvier 1970 était un vendredi. J'étais à la fac de Rouen Mont Saint Aignan et je me préparais à partir pour Dieppe , en stop avec mon copain Dominique Chevallier, pour passer le week end sur la plage, à l'écouter jouer sur sa guitare Martin, tous les morceaux de Jack Orion de Bert Yanch, et ceux de Mississipi John Hurt dont il raffolait et essayait de jouer à la note près, tous les morceaux.Le seul problème est que je ne savais pas si Paule, dont j'étais fou amoureux viendrait avec nous. Ce serait aussi l'occasion de boire et de manger des moules frites sur les quais du port en regardant partir les ferries...pour Londres qui nous faisait rêver. mais dieu sait qu'on était fauché !
2004-12-16 02:39:46 de jcb

rectifions:
il s'agit de Bert Jansch, il joue trop bien pour qu'on déforme, moi je ne le découvrirai qu'à l'hiver 73/74
alors bravo les pionniers - devaient pas être des brouettes dès 70 en France à avoir des Martin - sûr que tu n'as pas avancé un peu la pendule? et c'est pas suffisamment imperméable pour être exhibé en janvier sur la page de Dieppe (ai relu la semaine dernière le passage Dieppe de Mort à Crédit, ai eu du mal avec le bouquin, mais le passage Dieppe non)
depuis 2 mois je le réécoute beaucoup Bert Jansch, ça tient magistralement les années, je peux envoyer un double à Nogent-le-Rotrou
on aura dévoyé le blog Berlol en forum folk revival, à la santé du vieux Mississipi John Hurt (les tablatures accordées en sol nous parvenaient par le biais des livres de Stefan Grossman)
pour consoler Berlol: en janvier dernier (seul, j'aurais pas osé lui demandé de m'accompagner), suis allé faire pélerinage au Budokan Hall: eh ben y avait rien à voir, strictement rien
2004-12-16 07:35:31 de FBon

le 9 janvier 1970, Yvan Leclerc N'ETAIT PAS encore prof à la fac de Rouen Mont Saint-Aignan, mais - achevant ce matin-là à 3h sa première lecture de l'Education Sentimentale, il venait de se jurer de l'être, on aura la réponse prochain bulletin Flaubert, sûr!
2004-12-16 07:41:52 de FBon

Très bien, tout ça. Je vous sers un petit café ? Y a-t-il d'autres souvenirs que quelqu'un voudrait faire partager ?
Pour les références, je n'y connais rien. Mais je ne demande qu'à connaître ! Si l'on me dit que c'est bien et que je n'y perdrai pas mon temps...
2004-12-16 09:32:35 de Berlol

les concerts de led zep, je me souviens d'un temps révolu où pour une centaine de francs je trouvais dans une petite boutique d'Aix des imports ou enregistrements pirates de leurs concerts. J'ai toujours préféré leur "son" en concert, les ondulations de la voix alors plus sensuelle de Plant, même sans les images, évoquant bien les ondulations de son corps. Temps révolu mais pas si vieux (le 9 janvier 1970 je n'étais pas née, alors je colle ici des souvenirs de 1992) où le contrôle et les lois sur la diffusion de la musique n'étaient pas si rigides.
Et bravo pour l'index, c'est du beau boulot !
2004-12-16 10:58:14 de Cel

Je crois que le conseil est judicieux.... même si on prétend n'attacher pas trop d'importance à ces textes au jour le jour.... il y a aussi les problèmes de copyright, épineux. Entre se taire et rester dans son coin et prendre quelques risques, pour moi le choix a été clair. J'ai eu envie de profiter des immenses possibilités du blog et de les explorer en même temps (c'est seulement en mettant "les mains dans le cambouis" que l'on se rencontre de la réalité des choses). Mais je trouve utile que nous partagions entre nous idées et conseils.
2004-12-16 12:02:40 de florence Trocmé


Jeudi 16 décembre 2004. Jean-Philippe et moi.

Derniers exercices de révision avec mes étudiants du jeudi. Les limites de la lecture textuelle : la lecture d'images (décoder les messages, les symboles que véhiculent les images, par exemple pour ne pas subir la publicité sans s'en rendre compte), la lecture de petites annonces (abréviations, expressions codées). Avec les étudiants de l'heure suivante, révisions d'épellation, de syllabaison, de liaisons et enchaînements. Mêlant tout ça, on fait des charades (à deviner et à produire).

Mon exemple :
Mon premier est le contraire de « froid »
Mon second est le contraire de « sous »
Mon tout se met aux pieds...

Charade produite par des étudiants de première année :
Mon premier est le rapport de la circonférence sur le diamètre
Ma seconde est la seconde note de musique
Mon troisième se dit quand on est venu au monde
Mon tout est une chaîne de montagne du sud de la France

En réunion de département, on entérine un projet d'invitation de Jean-Philippe Toussaint en mai prochain.

Sans rapport et voulant retrouver un disque d'installation de Windows, je tombe sur des disques MO que j'utilisais avant l'an 2000 (ce qu'on écrit, quand même...) et j'en trouve un qui contient les photos prises entre 1996 et 2000 avec mon premier appareil numérique, un Kodak DC50 — une antiquité, aujourd'hui !
Pour lire ce disque MO, il faut ressortir d'un autre tiroir un portable qui accueille la carte de sortie du lecteur de MO. Qu'à cela ne tienne, je relance le portable. Il a perdu la date et l'heure, que je lui reconfigure. Après quoi il veut bien fonctionner, connecter le lecteur et me lire le MO : toutes les vieilles photos numériques que je cherchais depuis des mois sont bien là ! Je connecte alors au portable un disque dur externe, par port USB, pour y copier toutes ces photos et les recopier ensuite dans mon ordinateur principal.
Temps total de l'opération, une trentaine de minutes, en regardant aussi ce qu'il y avait dans d'autres disques MO, dont certains sont inutilisables (ce support était tout de même assez capricieux et j'ai bousillé pas mal de disques sans savoir pourquoi, simplement le lecteur ne voulait plus les lire et déclarait qu'il y avait corruption...).

Maintenant, je peux connecter (mentalement) les deux sujets et montrer ces deux photos de Toussaint. L'une date de janvier 1998, dans le jardin enneigé de l'Institut franco-japonais de Tokyo (j'ai cours les samedis matin à côté de l'œil droit de Jean-Philippe, sa tête cache d'ailleurs la tour d'où j'ai pris la photo d'ampoule éteinte publiée dimanche dernier). On n'a jamais eu autant de neige depuis. Il y avait même eu une tempête quelques jours plus tard, j'en avais profité pour enfiler ma combinaison de ski (si, si) et aller me promener — effarement de T. qui ne me connaissait pas encore bien — jusqu'aux jardins entre Yasukuni et le Budokan (clin d'œil à François).
L'autre semble dater de décembre 1998. Les couleurs étant horribles du fait des faibles résolution et qualité de lumière avec cet appareil, je l'ai passée en noir et blanc. Toussaint est avec Agnès Disson et Corinne Quentin, deux personnes bien connues dans le monde littéraire dynamique francophone au Japon (oui, parce qu'il y a aussi un monde littéraire statique...).
C'est comme ça que Jean-Philippe et moi, de conférence en bar, de temple en cocktail et d'une année à l'autre, avons lié connaissance.
Est-il venu deux fois dans la même année ? Les autres photos de décembre 98 montrent notamment Jean-Pierre Salgas qui était venu faire des cours d'histoire littéraire contemporaine à l'occasion de la publication du port-folio Romans, mode d'emploi, 1968-1983-1998, à l'ADPF (que j'ai précieusement gardé et qui contient d'ailleurs une affiche Toussaint, 1985, intitulée « la difficulté d'être », pour La Salle de bain).
Latter les visions... elles reviennent au galop.


En janvier 1998, je n'étais pas encore au Japon. Aucune chance de rencontrer Jean-Philippe Toussaint à l’Institut franco-japonais de Tokyo ! Je n’avais même pas idée de ce que ce lieu était. Je faisais mon mémoire de fin d'études et ne savais bien sûr pas ce que l'avenir me réservait. Je pensais entrer dans le monde professionnel en été et bosser soit à Paris, soit en Alsace, tout simplement. En décembre 1998, cette fois, je rencontrais aussi Jean-Philippe Toussaint à l’Institut où je travaillais en tant qu’informaticien depuis deux mois déjà. Que s’était-t-il passé entre temps ? Le destin fit son œuvre ! Un tournant de ma vie venait de se jouer, je peux maintenant l’affirmer !
Voilà, c’était ma petite contribution dans le style des commentaires de ces derniers jours. Bon, ça remonte à un peu moins longtemps que Led Zepplin, mais ça fait quand même déjà 6 ans. Que le temps passe vite !
2004-12-17 05:35:41 de Manu


Vendredi 17 décembre 2004. Je m'y dilue.

À ma terrasse, ce matin, belle lumière dans les feuillages.
Longtemps, je m'y dilue.

Déçu par la vingtaine de pages de Hocquard que je lis sur un immobile vélo du centre de sport. Avec Aerea, avec June, avec Sokrat, dans l'île, à Rhodes, sur le Bosphore... Fausse élégance superficielle, quelques pensées creusement philosophiques... À la suite, je revois quelques pages du début d'Aerea dans les forêts de Manhattan ; elles sont toujours aussi bonnes qu'elles m'avaient paru ces deux ou trois dernières semaines. Donc ce n'est pas un changement de ma perception intervenu entre-temps. Il y a réellement remplissage narratif et vacuité de style.

J'ai du sommeil à rattraper
le shinkansen lui court après
toutes ces centaines de kilomètres
irrépressiblement je dors
(Poème 32 bits)


Avec T. au Saint-Germain. Dernières nouvelles de son père autour d'un confit de porc aux lentilles. Coq en pâte, je vais l'appeler ! Paraît qu'il se régénère à vue d'œil. Avec sa fille, ses gardes-malade, le cordon bleu, les gâteaux traditionnels que je lui offre, le sapin et ces merveilleuses lumières de décembre, je le comprends : pourquoi mourir ?!
Tentative de préparer le dernier cours de demain, sur l'Appendice de La Mare au Diable. J'en fais la moitié mais mes yeux se ferment encore... Quelle mouche m'a piqué ?


Solidarité des "las". Si vos yeux se ferment ! Alors, les miens depuis plus d'une semaine ?
Pas toujours facile d'être "bloggeur".
J'apprends et votre simplicité familière d'internaute m'assure.
Vos photos , elles, dessillent souvent les yeux de vos visiteurs.
2004-12-18 10:46:22 de Grapheus

Bonsoir. Une question sans rapport avec le contenu du message d'hier. En fait, j'ai un mal fou à charger la hp : serait-ce mon ordinateur qui aurait un problème ?, ou bien serait-ce lié au format peut-être différent des photos que tu as montées cette semaine ?
2004-12-18 15:56:00 de Arnaud

Pour la photo d'aujourd'hui, oui, c'est sûr, c'est différent. J'ai laissé la photo sur mon domaine (berlol.net). Donc elle est importée à chaque fois dans la page u-blog. En outre, elle fait plus d'1 Mo pour qu'on puisse voir le détail des feuilles.
Je ne ferai pas ça tous les jours !
Apparemment, Grapheus a eu moins de problèmes et s'en trouve plutôt satisfait. J'en profite pour le remercier de son message très sympathique (j'en rougis...).
2004-12-18 16:36:17 de Berlol

J'ai envoyé cette magnifique photo à une amie toute réfrigérée, toute courbaturée - elle vous remercie.
2004-12-18 16:42:47 de Frédérique Clémençon
un peu long en effet, il existe un bon utilitaire pour redimensionner et compresser les images (adobe image ready), je me permets de te le conseiller !
2004-12-18 19:52:41 de Cel

La dernière phrase...quelle mouche t-a donc piqué ?... voir ma réponse du 17 décembre...quand elle sera en ligne.
Bien à toi.
2004-12-18 22:47:34 de jcb

OK, je comprends mieux.
Merci pour la photo et ces superbes rayons de soleil !
2004-12-19 02:13:49 de Arnaud


Samedi 18 décembre 2004. Vibrer indéfiniment.

Finalement, j'aime bien me lever tôt pour finir la préparation d'un cours.
Pour cette dernière séance, j'avais programmé tout l'Appendice de La Mare au Diable, soit plus de 25 pages dont je propose un commentaire composé — pas possible d'en faire une « explication de texte », malgré le principe du cours, car il faudrait disposer d'au moins 6 heures...
L'erreur commune consiste à dire que les deux premiers chapitres d'une part, la fiction du périple de Marie et Germain d'autre part, et l'Appendice de son côté sont trois choses différentes mises bout à bout par un auteur pressé. C'est faire primer la généricité textuelle (voire la genèse) sur l'entièreté romanesque qui émane d'une seule voix. Car c'est le même narrateur (masculin) qui chausse les lunettes sérieuses d'un incipit plein d'édifiant sérieux esthétique et de reproches adressés à ses contemporains, qui change pour les lunettes demi-lune du conteur même pas barbant avec sa morale, puis qui prend la paire qui se met sur le front pour un exposé ethnographique, du style : ça se passait comme ça, un mariage, avec Marie et Germain dans leur propre rôle. Et ce laboureur tout gris dans la gravure déprimée d'Holbein : si l'on s'arrête avant l'Appendice, il vient juste de décrocher le « oui » de sa belle et ça finit comme un sit-com américain ; par contre, si l'on daigne finir « le chou », il a bouclé son année et s'apprête à refendre son sillon dans l'avril givré. Ça clot alors sur trois niveaux en même temps : l'aventure de Germain et Marie (le conte), le cycle naturel des activités rurales (le discours ethnographique) et le bonheur sur terre enfin acquis par des humbles fiers de ce qu'ils sont (le discours politique et esthétique). Là, ça a de la gueule ! C'est ça que concoctait (entre autres choses, sans doute) George Sand en février-mars 1846, pendant ces quelques semaines où elle écrivit l'Appendice (alors que le conte avait été torché en quatre jours d'automne). Elle sentait qu'il y avait une fréquence de résonance à trouver pour que sa bluette devienne roman et vibre indéfiniment.


Dimanche 19 décembre 2004. La décharge énergétique qui m'allège ontologiquement.

Sans doute une des meilleures séances de ping-pong de l'année ! Avec Katsunori et Bikun, en grande forme tous les trois. Et puis on a arrêté de faire des simples en 11 points. On fait tout de suite le match retour et la belle si nécessaire, ce qui donne plus d'engagement personnel dans le jeu, et un meilleur repos pour le troisième. Les écarts étaient faibles et tous les matchs ont eu une belle. C'est Katsunori qui s'en est le mieux tiré.
Dans le smash, je ne sais pas ce qui me plaît le mieux : la décharge énergétique qui m'allège ontologiquement, le bruit sec et violent d'un primaire binaire raquette-table, la sidération de l'entourage devant la beauté du geste ?
Après les rituelles pâtes aux œufs de poisson pimentés (明太子), je propose à mes deux acolytes de passer faire quelques courses au Yamaya qui se trouve dans la côte vers Aoyama-dori. Et là, choc du mois ! Y'a plus de Yamaya ! (Vérification, ce soir : c'est un déménagement, faut que je passe à la nouvelle adresse...).
En redescendant sur Shibuya, on s'arrête devant un poteau où sont accrochés des sachets en plastiques contenant chacun un livret gratuit de vingt ou trente pages de propositions très explicites pour des services sexuels. Remarquons les poses suggestives quoique naïves, le langage répétitif que je me fais expliquer (Dキス, soit deep kiss, aussi appelé french kiss, désigne, je suppose, un baiser avec la langue, alors que 生フェラ, nama fera veut dire fellation directe, sans préservatif — j'arrête les exemples sinon ça va faire péter la courbe des hits...), les tarifs assez alignés (y'a de l'entente commerciale derrière tout ça) et, semble-t-il, une mise en avant des étudiantes étrangères, catégorie sur laquelle bien des clients doivent fantasmer. On est quand même dans un pays à très fort commerce sexuel et à législation très laxiste. Laisser-aller et savoir-faire.
Atelier d'écriture : imaginez la conversation entre trois ou quatre caïds, dans un salon d'hôtel de luxe, sur l'ajustement des tarifs en fonction des prestations, contextualisez, faites couleur locale, décrivez les costumes, conservez le mystère des identités.

Avec T. comme avec toute sortes d'interlocuteurs japonais francophones, j'ai constaté qu'il existait un véritable problème sémantique des aires d'application des verbes faire et laisser suivis d'un infinitif. Le recours à une frontière qui séparerait l'actif du passif — faire passer quelqu'un en priorité et laisser passer une personne âgée — permet-il une bonne explication ?
Par exemple, lorsque T. me dit avant-hier que son père avait laissé tomber la télé par terre (notre ancien poste de télé qu'on a posé sur un tabouret près de son lit), je lui ai demandé s'il n'avait rien fait pour l'empêcher de tomber. Et elle de me dire que c'était lui qui..., mais qu'il ne l'avait pas fait exprès..., qu'il voulait juste la déplacer un peu... Donc, j'ai dit que c'était lui qui l'avait fait tomber, sans aucune aménité dans ma voix d'ailleurs (et d'ailleurs, la télé n'est pas cassée), et T. de me répéter que, etc. Même s'il n'avait pas l'intention de la faire tomber, c'est tout de même une action produite par lui qui a eu cela pour conséquence, ou effet. Son engagement dans un faire quelque chose, sans présumer de son intention, détermine le choix de faire tomber plutôt que de laisser tomber qui indique une non intervention, là encore quelle que soit l'intention. Par exemple, les bureaux stressfull où tout le monde fait dans son ben : « Je n'ai pas voulu vous laisser tomber, mais devant le directeur je n'ai pas osé protester...»
On dirait aussi que faire est plus adhésif que laisser : on peut laisser un ou plusieurs mots passer entre ces deux verbes mais on ne peut pas en faire passer entre ces deux-là. Sauf des pronoms : si je me trompe, faites-le moi savoir. Ou laissez-moi l'ignorer.
Étrange, quand même, hein !
Quelqu'un aurait-il quelques références sérieuses à conseiller pour ces aires sémantiques liées à l'intentionnalité ?


C'était la télé qui était tombée ? Ou plutôt qui s'était fait tomber ?, car elle n'est pas tombée toute seule, n'est-ce pas ? ^-^ A moins qu'elle se soit laisser tomber ? Donc la télé se serait laissé tomber ? Aah, décidément, les conjugaisons du français ne me lassent pas... ^-^
Personnellement, je penche plutôt pour la thèse Berlol que la thèse T. Mais ça se discute dans le cas du verbe tomber, car l'intentionnalité, à moins qu'elle soit incluse jusque dans le dernier acte (la chute), ne me semble pas évidente, ou tout du moins discutable. On doit pouvoir employer les deux verbes, si le suivant est "tomber" (le verbe n'est pas "tombé" ^-^)
2004-12-20 02:08:03 de Arnaud

J'aurais tendance, dans les mêmes circonstances, à employer la tournure de T., bien que locuteur natif du français (elle lui a échappé des mains et il n'a pas pu l'empêcher, il ne l'a pas poussée volontairement). Ce afin d'alléger l'imputation de responsabilité. Loin d'être une incompréhension du dispositif français, ça me paraît une façon bien japonaise d'en utiliser toutes les ressources. On aurait trois degrés et non deux : acte involontaire, acte volontaire dont le résultat n'a pas été voulu ou qui n'a pas abouti, acte volontaire abouti et réussi.
Comment T. aurait-elle dit en japonais ? Avec un passif à connotation négative ? Il me semble que dans beaucoup de tournures du japonais, on peut distinguer ainsi entre un résultat voulu et un résultat non voulu pour les verbes exprimant des actes volontaires.
2004-12-20 12:57:32 de Dom

Il y a en un qui a entouré le score plutôt que l'initiale du vainqueur... moins facile à suivre !
Berlol, fait pas chier avec "laisser", laisse tomber le "faire" !
En fait, je suis plutôt d'accord avec toi: ne te laisse pas faire !
Parfois, je trouve dommage qu'on ne puisse pas corriger ses propres commentaires... si Arnaud se relit, je suis sûr qu'il va partager mon avis...
2004-12-20 13:57:54 de Manu

Pour les scores entourés, c'est pas moi !...
Pour les corrections de commentaires (j'adresse cette remarque à tous les lecteurs), vous pouvez refaire votre commentaire en un second exemplaire dans lequel vous corrigez ce que vous voulez, et quand je constate qu'il y en a deux presque identiques, je supprime le premier (après avoir vérifié lequel est plus correct que l'autre...).
Pour le "faire tomber" en japonais, T. me dit que ce serait "otosu". Cela ne répond pas à la question plus générale de l'action volontaire/involontaire, mais comme elle est assez occupée en ce moment, on va laisser tomber pour aujourd'hui...
2004-12-20 14:17:08 de Berlol

Y avait aussi: "Laisse béton!" qui peut nous amener à... "manier le béton à la tonne!"
Je me suis amusé à chercher les 2 en même temps dans Google:
"laisser tomber" "faire tomber".
2004-12-20 15:29:51 de Sir Reith Oubnaitch

Je vois que j'aurai dû écrire, en 2e ligne : « A moins qu'elle se soit laissÉ tomber ? » Autant pour moi. (le PP de laisser + infinitif ne s'accorde pas, n'est-ce pas ?).
En japonais, je pense que c'est : térébi o otoshite shimatta テレビを落としてしまった, avec le verbe otosu 落とす donc. Mais le "shimatta" insiste davantage sur le côté à la fois irrémédiable autant que regrettable du résultat, plutôt que sur le caractère intentionnel / non-intentionnel de l'action. Autrement dit, 落としてしまった me semble vouloir tant dire « flûte je l'ai fait tomber » que « Ca y est, je l'ai jetée ! » (la télé).
Le fait qu'on ne puisse pas revenir sur le résultat donc.
Lorsqu'on utilise en japonais un verbe en lui ajoutant -saseru させる — ceci-dit, la grammaire est un peu plus complexe, et précise, en japonais 19e siècle — pour signifier : faire ou laisser + infinitif, on produit une insistance sur le procédé même de l'action, insistance qui doit être justifée. Donc, en général otosu sera suffisant.
Par exemple, si l'on dit : térébi o otosaseta テレビを落とさせた, on veut alors dire qu'on a poussé la télé afin qu'elle tombe. Mais c'est étrange de dire cela, à moins qu'on ait eu dès le début cet objectif. Je veux dire que le sens me semble plus fort qu'en français.
2004-12-21 03:01:43 de Arnaud

Je me souviens d'une amie, Nicole, qui mettait sur la télé les bibelots qui lui avaient été offerts et qu'elle n'aimait pas à seule fin qu'ils tombent et se rompent quand, en faisant le ménage, elle les pousserait... involontairement.
2004-12-21 03:36:26 de Berlol

En plus, il y une erreur dans la deuxième colonne, deuxième ligne. C'est Bikun qui gagne alors que c'est ton initiale qui est entourée...
Résultat, le décomptage des victoires est faussé...
2004-12-21 13:45:19 de Manu

Eh, t'as rien d'autre à faire, toi ? Je croyais que t'étais over busy...
Du coup, c'est moi qui perd ! Pas glop pas glop...
2004-12-22 02:39:45 de Berlol

Elle est là pour qu'on la "lise" la photo, non ?
2004-12-22 07:46:49 de Manu


Lundi 20 décembre 2004. La femme colonisée-trompée-abandonnée.

Innovation au Saint-Martin : Yukie me propose une crépinette d'agneau. C'est un mélange mixé d'agneau et de bœuf, avec piment d'Espelette et autres épices, enveloppé dans une crépinette. Servie recouverte d'une concassée de tomate et d'oignon frais, elle a un goût fort et pas gras du tout, entre la merguez et le chich-kebab. T. s'est contentée du poisson du jour (elle a des rendez-vous et ne peut sentir du bec...).
Un peu plus tard, je passe à la bibliothèque de l'Institut pour voir l'ensemble des livres disponibles de Segalen et Guyotat (afin d'en parler aux étudiants ou aux membres du GRAAL) et pour emprunter Quatre Voyageurs d'Alain Fleischer. En chemin, j'ajoute un roman policier de Sylvie Granotier, Dodo, dont les premières pages m'ont fait souvenir de mes bonnes lectures de Fred Vargas. Faisant le tour des films disponibles en DVD, maintenant que nous avons un grand écran, mon choix se porte sur un film de Téchiné, Barroco (1976), que je ne connais pas.
À la maison, je commence à le regarder en me disant que je vais relire un bout de Colonie en même temps pour préparer la dernière séance du GRAAL, mais le film est tellement saisissant que je laisse le livre de côté pendant près de quarante minutes (et je prépare après). Le malaise produit par les deux rôles d'hommes différents que joue Depardieu, le jeu à la fois exagéré et candide d'Isabelle Adjani, la superbe composition de Marie-France Pisier en prostituée installée à domicile et les attitudes malsaines d'excellents acteurs comme Jean-François Stevenin, Jean-Claude Brialy et Claude Brasseur (belle distribution !), de tout ça, je suis scotché ! Ne me dites pas la fin, je vais la voir après cette page de prose...

Au GRAAL, on a parlé d'autres choses, mais moi, j'avais préparé des choses à dire sur Colonie, pour finir par le centre géométrique du livre.
Avec ces couleurs, italiques et gras (qui sont de moi), les bons lecteurs comprendront. Les autres... n'ont qu'à venir à nos séances...
"On pouvait se procurer dans le quartier de la Plaine, à l'intérieur de boutiques minables, ou aux alentours de l'embarcadère, auprès de marchands ambulants venus de Poto-Poto, toutes sortes de cartes postales que le père de Léonce achetait par lots et envoyait en alternance à son fils, à son épouse, à ses beaux-parents, auxquels il transmettait, juste avant de signer de son écriture brouillonne (son prénom illisible et l'initiale de son patronyme soulignés d'un long trait), les mêmes baisers, les mêmes remerciements [...] prirent ainsi place quelque temps sur une commode, sur le rebord d'une cheminée, entre les pages d'un livre, qu'on regardait songeur, cherchant dans les paysages, les lieux ou les visages photographiés, comme on le faisait en parcourant les livres de voyage qu'il avait donnés à Léonce et dont il avait souligné certains passages, corné certaines pages, les raisons d'un départ qu'on n'avait pas su prévoir (la mère de Léonce se perdant dans la contemplation sans fin de ces cartes, de ces phrases jetées sur le papier, s'évertuant à retrouver l'émoi singulier de l'époque où elle attendait, impatiente, frémissante, qu'il revînt de l'usine et posât ses yeux sur elle, l'entraînât dans leur chambre, sur les chemins, tandis qu'elle sentait le rouge lui monter aux joues et son corps tout entier frissonner sous ses mains, essayant d'oublier le temps elle comprit que ces heures-là étaient bel et bien mortes et qu'il ne lui restait plus que le petit Léonce, le fragile petit Léonce, qu'elle couvrait de baisers, de caresses, cherchant au creux de son cou le parfum et la douceur de sa peau à lui, essayant d'oublier le souvenir de ces nuits ou plutôt de la nuit qui engendra toutes les autres, il vint sur elle et écarta ses cuisses d'un geste brutal, disant ne parle pas, laisse-toi faire, la pénétra d'un coup violent du bassin puis gémit au-dessus d'elle [...] il se lèverait bientôt et la laisserait seule) quand ce départ ou plutôt cette fuite couvait depuis des mois sur les conseils et avec la complicité de Toinet, cette ordure, ce salopard de Toinet venu jouer sous leur toit les entremetteurs, donnant corps sans le vouloir à la grande rêverie coloniale de ces années-là [...]»
(Frédérique Clémençon, Colonie, p. 114-116)
"On" au Congo et autres marques du pluriel, un pluriel indifférent voire hostile


reprise du thème simonien (Cf. Histoire)

envois (Afrique)


suspense de l'identité (encore)


pluriels dévalorisants

réceptions (France)
prolifération du  "on"contemplant (importé du Congo)

en gras : participes présents de la durée et de la double compulsion de la mère de Léonce (se souvenir VS oublier)



parenthèse temporelle de remontée dans le temps de la femme colonisée-trompée-abandonnée


termes au singulier, dont la singularité est renforcée par les pluriels qui s'y opposent


prolifération du "ou" émotif /amoureux / sexuel






papier et peau sont supports du souvenir



présent et impératif (discours direct)


autres termes au singulier, ici pour l'abandon

double nature de Toinet (Cf. mots gentils, p. 10, et révélations finales)

juste après, il est fait mention de l'Exposition Coloniale (1931)


Dis, c'est normal que tu n'ais pas souligné tous les "on/om" et "ou" qui prolifèrent, comme tu le dis si bien ?? Est-ce pour nous laisser les voir par nous-mêmes ? En tout cas, merci de cette lecture... Cela me permet de voir que de "jeunes auteurs" ont toujours le sens du travail de la phrase...
2004-12-21 08:50:48 de Au fil de l'O.

À mon sens, oui, c'est normal de ne pas les souligner tous.
Ces sons existent un peu partout dans les textes mais il y a des zones textuelles dans lesquelles leur densité provoque une réaction auditive-sémantique, alors qu'ailleurs il n'y a pas de réaction, donc pas de pertinence.
Il ne s'agit pas d'une grille de décodage qui traiterait un langage (dans sa systématicité) mais d'une perception arbitraire et temporaire que j'appelle la sensibilité littéraire — et qui s'explique (ne surtout pas faire croire que c'est le "goût" et que ça ne s'explique pas !).
2004-12-21 11:04:19 de Berlol


Mardi 21 décembre 2004. Nouvelles pratiques, rapides et partageuses.

Hier, c'était la date de fin de délibération du Comité scientifique du colloque L'Internet littéraire francophone. Pas de changement dans les choix effectués il y a quelques jours. Donc aujourd'hui, je publie la liste officielle, correspondant à celle que le site de Cerisy a déjà publiée. Demain, j'enverrai des messages en privé à toutes les personnes dont les propositions n'ont pu être retenues. C'est moins drôle.

Aujourd'hui, c'était également les deux derniers cours à la fac. J'ai demandé aux étudiants ce qu'il y avait à visiter à Nagoya (et sa région), en pensant à des touristes de 2005... Vu qu'ils y vivent pour la plupart depuis une petite vingtaine d'années, je m'attendais à ce qu'ils me sortent des trucs intéressants, des parcs peu connus, des musées typiques, etc. RIEN ! Pas un seul endroit original que je ne connaissais pas ! Il fallait même que je les aiguille pour penser à des lieux aussi connus que Meiji-Mura, Atsuta Jingu ou le zoo d'Higashiyama ! Pourtant, dès qu'on leur a cité ces endroits, ils se rappellent qu'ils existent, certains se souviennent même d'y être allés, alors qu'en dix minutes de travail collectif, ils ne s'en étaient pas souvenus. Conclusion : ils ne sont ni stupides ni ignorants, ils sont seulement habitués à utiliser leur cerveau au minimum et en mode lent. Comment leur faire comprendre que la vie peut être plus belle si on utilise plus et mieux sa matière grise ?
On me dira qu'elle peut aussi devenir pire... Certes, il y a un risque.

Encore aujourd'hui, je découvre les deux petits que France Culture a pondus depuis ce week-end. Rien moins que deux nouveaux "web programmes", Les Chemins de la connaissance et Les Sentiers de la création, qui sont comme deux chaînes de radio, dérivées des programmes principaux de France Culture et de plein de partenariats avec des institutions culturelles, des universités, etc.
Ça tombe bien pour le colloque car Anne Brunel, responsable du site de France Culture, sera des nôtres en août.
En tout cas, un beau cadeau pour 2005. On peut profiter des derniers jours de 2004 pour apprendre à s'en servir ! Merci, France Culture ! Merci, Anne !

Pour finir de charger la hotte, j'ai reçu ce matin une grosse enveloppe. Rien moins que les épreuves à relire du colloque Fortunes de Victor Hugo, de 2002, égarées dans un imbroglio éditorial comme on sait en faire dans le 5e arrondissement et que j'attendais depuis... un an et demi !
J'en profite pour rappeler que sur le site du colloque, les interventions sont disponibles en version audio. Soit le grand écart entre les nouvelles pratiques, rapides et partageuses, et les anciens protocoles, compliqués et élitistes.


>> On me dira qu'elle peut aussi devenir pire... Certes, il y a un risque.
-Oui, le risque c'est ton blog! :)
2004-12-22 06:41:37 de Sir Reith Oubnaitch


Mercredi 22 décembre 2004. Refaisons le voyage et regardons le voyage se faire.

Éprouvante journée de préparation de sujets d'examens. La créativité dans les sujets doit être bridée par le contrôle des objectifs, la chasse aux ambigüités et aux fautes. La présentation des sujets au travers de formulaires administratifs est aussi à ne pas prendre à la légère. J'en finis trois sur cinq, et de bonnes bases pour les deux à finir demain.

Avant cela, j'ai quand même trouvé le temps d'aller au sport. Ayant vu qu'il était question de Carte muette de Philippe Vasset aux Mardis littéraires d'hier que je voulais écouter dans l'après-midi, j'ai extrait ce livre-ci de ma montagne de livres à lire et l'ai emporté sur mon immobile vélo à suer plutôt que le Hocquard qui m'avait lassé la semaine dernière. Il s'agit d'avoir un contact direct et personnel avec le texte avant qu'une quelconque personne n'en dise quoi que ce soit, a fortiori dans les Mardis littéraires qui peuvent être excellents ou très mauvais et dont je me méfie comme de la peste. Grand bien m'en prit, c'est un livre excellent ! Pour preuve : je suis arrivé au terme du temps de pédalage que je m'impartis toujours et ai été surpris dans ma lecture par la sonnerie de la machine alors qu'habituellement je m'interromps spontanément et referme le livre cinq ou dix minutes avant la fin du cycle. La référence interne à Jules Verne est tout à fait justifiée mais l'exploration porte cette fois sur la géographie de l'internet, objet d'un concours consistant à la cartographier.
« Cette hypothèque levée, le problème reste entier : où trouver les données nécessaires à l'élaboration de la carte ?
J'habite au cœur de la réponse à cette question : sur les écrans, indéfiniment, tous les itinéraires mis bout à bout, avec non seulement les points de départ et les destinations, mais également toutes les étapes, chaque station détaillée dans des petits reçus de surveillance — les tickets de péage, d'essence, de caisse (l'heure de passage et le montant acquitté), les billets d'avion (les points de transit et les frequent flyer miles), les notes d'hôtel (quelles boissons consommées, quels films regardés), les relevés de téléphone —, tout cela soigneusement mémorisé et mêlé aux plans de routes, aux ordres de livraisons et aux panneaux indicateurs dans un défilé interminable, une psalmodie ample et régulière comme le déferlement d'une vague gigantesque qui lisserait le paysage telle une herse, abrasant les reliefs et comblant les crevasses.» (Philippe Vasset, Carte muette, chez Fayard, p. 38-39)
Entre ces deux paragraphes, un temps indéfini s'est passé. C'était d'abord le temps de la préparation du voyage cartographique (virtuel et réel), avec son enthousiasme, ses hypothèses, puis c'est un après désabusé et carcéral, le même individu (?) cherchant à reconstituer comment « le piège s'est refermé » (p. 29), par conséquent refaisant le voyage en regardant le voyage se faire. Ce qui me saisit, c'est un mélange de réalisme et d'onirique, cette vraisemblance technique et politique tout en fantasmant encore une fois sur le contrôle totalitaire (après Kafka et Orwell, pour n'en citer que deux). Car nous savons que ces fantasmes deviennent ou ont de fortes chances de devenir des réalités (comme le nazisme après Kafka, l'Amérique d'aujourd'hui après Orwell). Si des millions de lecteurs pouvaient méditer cette dimension fantasmatique, il y aurait des chances qu'elle n'advienne pas. Mais il n'y a pas assez de lecteurs... Et il y a tous ceux qui ont envie de cela et qui le feront peut-être advenir.
Les cinq minutes qu'on y consacre aux Mardis littéraires ne sont pas exécrables. Les questions de temps, d'identités, de typographies, de cartographie, d'espionnage et de politique sont évoquées, et la qualité de l'écriture de Vasset est bien signalée (mais pas le site internet du livre que j'indiquai déjà ci-dessus). Je suis d'accord avec tout, sauf avec la vitesse à laquelle cela est débité, en fin d'émission, après des longueurs sur les livres précédents, qui ne méritaient pas tous d'être les sujets principaux de l'émission.


Jeudi 23 décembre 2004. Il est bien tard...

Et on rentre juste du restaurant chez Peter où on s'est retrouvé à 9 pour fêter Noël avec un jour d'avance ! Normal puisque c'est l'anniversaire de l'empereur du Japon... Je raconterai ça demain. Photos à l'appui. Ça n'intéressera presque personne et donc je rajouterai des trucs sur ma journée et sur Dodo de Granotier...

Vous auriez pu m'attendre, bande de salauds !!!
(Tu n'es pas obligé de reporter ce commentaire dans tes archives !).
Sans rancune,
A+,
Manu
2004-12-23 16:59:08 de Manu
Personnellement, que ca n'intéresse personne ne va pas m'émouvoir beaucoup ! Après tout je vais au resto d'abord pour moi et pour mes potes (et pas pour mon porte monnaie !!) oui je sais je suis un gros égoiste... et fier de l'être en plus. Mais on a passé une superbe soirée.Tout le monde s'en fout et c'est tant mieux ! Je ne vous dis pas un peu le fondant au chocolat...!!! Et le pinaud aussi... et un bon Bordeaux des familles... en compagnie de nos charmantes compagnes respectives !
2004-12-23 17:43:23 de Bikun

Donc, je m'y mets. Non seulement, comme le disait JCB, on ne sait jamais ce qu'on va écrire (de) chaque jour, mais en plus, si on attend le lendemain, des hurluberlus se sont déjà précipités pour déposer leurs commentaires (ou sont en train de le faire alors que je commence...). Ce qui a pour effet de relancer dans une direction toute différente le mouvement de la plume-clavier.
La journée avait commencé studieuse : courriels relatifs à Cerisy puis préparation des sujets d'examens restants. Ce que je n'avais pas intégré, bien que je l'eusse su, c'était la nature fériée du jour. Ce qui se traduisait par l'état clos des bureaux de dépôt et de contrôle desdits sujets. Or, je comptais bien ne pas revenir ici avant le 11 janvier, la date limite de dépôt des sujets d'examen étant le 7 janvier. Encore, si je n'avais pas eu fini ces travaux, j'

Pareil pour moi. La soirée d'hier était très agréable.
Tellement même que je n'ai pas vu passer les presque quatre heures où nous étions à table, ni n'ai pu parler suffisamment avec tout le monde. Alors que j'étais pourtant fort réjoui à l'idée de vous rencontrer off-line !!

La viande était exceptionnelle. Izumi m'a encore dit ce matin n'avoir jamais mangé une viande de cette qualité, ni aussi tendre (la tendresse de la viande, et non de.... la graisse ! Rien à voir avec le boeuf maladif de Kôbé 神戸牛).

Berlol : je t'envoie qqc photos rapidement. Peut-être il y en aura-t-il une bonne pour ici.
2004-12-24 03:17:03 de Arnaud

... ces travaux, disais-je, j'aurais pu revenir du 5 au 7 pour faire ça, pourquoi pas !? Mais les voyant devant moi achevés, revenir seulement pour les déposer, là, c'eût été... dommage ! J'avisai qu'un collègue était quelques heures auparavant passé sous mes fenêtres et l'allai voir en son office pour lui mander service. Ce qu'il accepta sans ambages logiques et dialectiques, comme disait sainte-Beuve, me soulageant de ce poids d'aller-retour damoclesque (néologie et du coup hapax, ceci dit pour Arnaud, puisqu'on en parlait hier soir). Cela me permit de quitter le bureau l'appartement la ville — quitter la ville doit toujours se faire franchement — puis le train quand il fut arrivé à Tokyo (et dans lequel je dormis profondément après le troisième chapitre du bien (?) nommé Dodo).
Après avoir récupéré T. et fait de draps frais le lit qu'elle avait défait le matin, j'entrai alors dans un autre monde, celui de mes amis et de la distraction.

Au tartare que des kirs mouillaient déjà, je présentai Arnaud et Izumi à Manu, Bikun et Naoko, Katsunori et Minako. T. était idéalement placée pour parler voix avec Minako dont cela semble être un des dadas. Tandis que le boudin noir, monté en mousse beige, inondait la table, en même temps qu'un pouilly-montrachet nos gosiers, j'esquissai une réponse aux questions d'Izumi relatives au nominalisme des figurines qui animent fictivement notre vie à T. et moi car le nom de そうもんざえもん (saumon-zaémon) que nous avons donné à un ours en bois de quatre centimètres offert par Katsunori après son dernier voyage en Hokkaido (et qui tient un saumon entre ses machoires) l'avait étonnée et... préoccupée depuis quelques jours — sont-ils cinglés, ces deux-là !?... Je lui expliquai selon moi la valeur transitionnelle de l'objet tandis que saumon et langoustine marinière remontaient la table et qu'Arnaud achevait le kir de sa belle et son deuxième verre de pouilly à l'instar de la plupart d'entre nous. Des bribes d'autres conversations détachées de Bikun, Manu et Katsunori m'arrivaient de temps à autre par la gauche pendant qu'Arnaud m'entretenait par la droite et il m'arrivait de les saisir pour les renvoyer agrémentées de quelque borborygme de ma façon, genre raisonnement, blague ou question, mais globalement, je ne maîtrisai pas du tout la situation ni personne, ce qui est aussi bien comme ça. On s'enfila les filets en visible délectation comme Izumi s'en souvint alors que commençait le ballet féérique des flashs de nos appareils photo. En dix minutes, les voisins des autres tables s'étant retournés d'étonnement puis de ras-le-bol, nous dûmes prendre une centaine de clichés, Arnaud et moi, mais surtout Bikun dont l'engin dépassait de beaucoup les proportions des nôtres. Depuis belle lurette un bordeaux ample et fort avait enveloppé de sa robe mordorée les souvenirs du blanc et quelques faces donnaient l'impression d'en être dépendantes. Lorsqu'on parla de Californie et de l'interdiction schwarzenégueuresque du foie gras, sujet de poilade s'il en est (le 20heures de France 2 du jour contient justement un reportage involontairement antiaméricain sur des stages gastronomiques consacrés à l'oie), j'entonnai sans conviction l'air de "La Caaaalifooornie !..." qu'à la surprise générale Katsunori identifia instantanément comme étant une chanson de Julien Clerc — surprenant, ce garçon !
L'accueil du dessert fut le sacre de Peter, notre chef, notamment pour son fondant au chocolat dont je ne suis pas peu fier d'avoir inventé une nouvelle façon de le manger... Il s'agit d'un gâteau au chocolat dont l'intérieur est en chocolat liquide. Alors, armé d'un biscuit mouillette, je l'ai attaqué tel un œuf à la coque ! (comme cette photo d'Arnaud en atteste).
Chacun pourra maintenant y aller de sa version et de ses commentaires et j'ajouterai peut-être des photos... Mais là, faut que je vaque à mes activités du jour.


Vous auriez pu m'attendre, bande de salauds !!!
(Tu n'es pas obligé de reporter ce commentaire dans tes archives !).
Sans rancune,
A+
2004-12-23 16:59:08 de Manu

Personnellement, que ca n'intéresse personne ne va pas m'émouvoir beaucoup! Après tout je vais au resto d'abord pour moi et pour mes potes( et pas pour mon porte monnaie!!) oui je sais je suis un gros égoiste...et fier de l'être en plus. Mais on a passé une superbe soirée.Tout le monde s'en fout et c'est tant mieux! Je ne vous dis pas un peu le fondant au chocolat...!!! Et le pinaud aussi...et un bon Bordeaux des familles...en compagnie de nos charmantes compagnes respectives!
2004-12-23 17:43:23 de Bikun

Pareil pour moi. La soirée d'hier était très agréable.
Tellement même que je n'ai pas vu passer les presque quatre heures où nous étions à table, ni n'ai pu parler suffisamment avec tout le monde. Alors que j'étais pourtant fort réjoui à l'idée de vous rencontrer off-line !!
La viande était exceptionnelle. Izumi m'a encore dit ce matin n'avoir jamais mangé une viande de cette qualité, ni aussi tendre (la tendresse de la viande, et non de.... la graisse ! Rien à voir avec le boeuf maladif de Kôbé 神戸牛).
Berlol : je t'envoie qqc photos rapidement. Peut-être il y en aura-t-il une bonne pour ici.
2004-12-24 03:17:03 de Arnaud

Arnaud et moi, mais surtout Bikun dont l'engin dépassait de beaucoup les proportions des nôtres.
bon sang, l'anniversaire de l'empereur, ça devient carrément Héliogabale ?
moi qui pensais envoyer Ph Vasset parler de littérature...
2004-12-24 07:22:12 de FBon

Qu'est-ce à dire ? Que Philippe Vasset viendrait au Japon ? Ou qu'il viendrait lire le JLR ? Quoi qu'il en soit, il sera le bienvenu ! Merci, François !
2004-12-24 07:42:45 de Berlol

non, juste que Philippe est passé voir ton blog et m'en a fait part
"c'est assez surréel, je lis ceci du fond des alpes où je suis pour Noël, empruntant l'ordinateur d'une ado (fond d'écran bradd pitt)"
me dit-il - mais la teneur des commentaires du jour l'a sans doute dissuadé de te laisser une trace ! tu crois pas que tu devrais enlever, quand même ? à moins que le restau en question ne phynance son [restau]réticulinaire?
la mode en France, c'est des larves de père Noël qu'on vend dans les Auchan, et les gens accorchent ça à leurs balcons - rien que dans ma rue y en a 3 - toujours le même modèle, et au bout de 3 semaines ça pendouille tout lamentable et délavé, des fois avec un pied en moins ou la tête - c'est une vraie honte, ça a contaminé tout le pays - au moins vous échappez à ça, vous les fondus du chocolat
là-dessus, vais m'acheter mes huîtres pour ce soir, et j'aurai pour Noël la correspondance de Proust, chouette
tu as vu portrait de Lever dans Libé à propos de son Beaumarchais 3 ? les papiers de famille de Sade ça donne des envies d'inventer de faux papiers de famille pour Baudelaire ou Balzac, on pourrait lancer un site Internet (vrai) d'une fondation (fausse) des archives (fausses) retrouvées de Baudelaire (le vrai), on appellerait ça par exemple les Orphelins Baudelaire...
2004-12-24 08:28:36 de FBon

Merci de m'autoriser quelque licence en ces jours de fête...
Bonnes huîtres et bon dîner !
Vais aller lire Libé !
2004-12-24 09:05:25 de Berlol

Ce sera bref : Y a pas, faut que je revienne !!!
2004-12-24 09:30:34 de Au fil de l'O.

Bon, d'accord, on a tous besoin de tendresse... mais pour la viande, je préfère la tendreté! :) (Tiens, encore un jeu de mots... pour T) ;)
2004-12-24 16:07:01 de Sir Reith Oubnaitch

Éh oui, bien vu, ma tendre T., ma tendresse...
comme on disait "ma drôlesse"...
commence à m'attendre car le T du temps
traverse toutes les pièces
de nos jeux
2004-12-24 16:53:28 de Berlol

Celui-là, il était beau et sympa! Je parle, bien sûr, du jeu de mots. Ton poème est sympa aussi. On peut y rajouter la carte du tendre (Toi!). (Cliquable sur mon nom, aujourd'hui) Allez, un petit voyage! Emmène-là...
http://www.ac-rouen.fr/pedagogie/equipes/lettres/tendre/tendre.html
2004-12-26 15:12:08 de Sir Reith Oubnaitch


Vendredi 24 décembre 2004. Éphémères méduses lexicographiques.

« Les semaines, les mois. Peu à peu apparaissent sur la carte des dessins filiformes : les mailles du réseau se resserrent, se rejoignent, ouvrant, en tout point, des passages du nord-ouest.» (Philippe Vasset, Carte muette, p. 65)

Belle figure. Le passage du nord-ouest étant par définition unique et par dessus le marché mythique, son pluriel est d'abord très poétique. Mais en plus, il énonce de façon extrêmement économique un véritable changement de paradigme teinté d'optimisme fictionnel. Car c'est du fait de la multiplicité des relais et des routes, que le signal gagnerait sa capacité d'aller de n'importe quel point à n'importe quel autre, contournant toutes sortes de continents ou d'autorités...

« "Les suivre à la trace" : tel avait toujours été notre but, même si c'était, à ce moment-là, difficile à entendre. Pire : cet objectif, seul expliquait notre ardeur, notre enthousiasme. Le seul paysage que nous voulions contempler, c'était le frissonnement des trajectoires et des discours comme les oscillations d'un immense jardin de hasard assemblé par le vent sur le toit des immeubles, des usines, sur le bord des routes, entre les rails.» (Id., p. 96-97)

Car si cartographier de l'espace naturel donne potentiellement un pouvoir territorial pouvant concerner des populations (végétales, animales, humaines), cartographier du réseau dynamique et cartographier du dynamisme de réseau donne directement un pouvoir social permettant de contrôler et contraindre les individus. Les candides explorateurs verniens dévoilent ou découvrent leurs pulsions post-orwelliennes...

« La carte comme un milieu intermédiaire, constamment troublé de particules en suspension qui se déposent dans les interstices et épaississent les contours du territoire, faisant démesurément enfler les villes, gonfler les routes et les fleuves et onduler d'éphémères méduses lexicographiques dans les courants.» (Id., p. 108)

Il y a manifestement un côté matrixien à casser le code et voir apparaître la matérialisation graphique des échanges. Mais là où le film devient vulgaire par l'accumulation de la violence et la multiplication fatigante des clones façon shooting games, le récit de Vasset redouble de poésie et de descriptions abstraites.
Dans l'ordre des projets géo-poétiques, cela me fait penser au très local Nouer Rouen que Bartlebooth mène en ce moment même pendant que tout près de lui, et sans rapport (?), Madame Bovary se numérise petit à petit. Et bien sûr, cela me rappelle le projet Degree Confluence, déjà signalé et qui continue son réel et merveilleux maillage terrestre sans avoir rien à voir, il me semble, avec le fantasme du contrôle totalitaire. Faut bien un peu d'espoir, c'est Noël.


Joyeux Noël à toi aussi. Mes amitiés à T. et à son père.
2004-12-25 01:34:22 de LePotager

nous sommes plusieurs "locaux" à Rouen... comme les méandres de la toile que tu affectionnes ne t'ont pas mis sur notre chemin, je provoque un croisement, d'autant plus qu'il se trouve que nous sommes en rapports "serrés" de connaissance : j'en connais au moins trois , dont moi, qui travaillent en "géo-poétique" sur ce secteur (que les autres se signalent !), tant par la photo que l'écrit, avec un rapport très oulipien aux planifications de parcours ou d'intersections -
Bartlebooth que tu as cité, tant par ses paysages industriels que la série des étant donné que nous faisons ensemble (bien que sans se limiter à rouen, il s'agit de parcours urbains et de regards sur la ville "dirigés" par des contraintes), Alan aubry et sa série des entrées de rouen ("desserte locale", à voir sur son site : http://alanaubry.free.fr/index.html), et moi, avec donc les étant donnés aussi, et depuis environ un an les "itinéraires-étalons". Un regroupement normand de traceurs-épuiseurs presque obsessionnel ? (pardon pour la mise en avant, mais il me semble parfois que certaines intersections qui pourraient se faire sur le réseau restent dans l'impalpable - mais ne geignons pas, c'est conséquence logique de la richesse du net)
2004-12-25 02:33:26 de Cel

Joyeux Noël à toute la famille !! bisous !!
2004-12-25 10:12:13 de Au fil de l'O.

J'ai lu Carte muette il y a quelques jours, alors que je me lançais dans ce projet. Passionnant. J'en parlerai certainement quand j'expliquerai un peu mieux ce que je fais.
Je confirme que je n'ai aucun lien avec l'université de Rouen et j'en profite pour m'adresser aux rouennais influents qui passeraient par ici : à la recherche d'un travail, je peux en abattre autant que Bouvard et Pécuchet réunis.
A propos du "très local", ce travail ne l'est évidemment que par son lieu d'émission et seulement en partie par son sujet (s'il s'agit de Rouen, il est aussi question de la ville dans ce qu'elle a d'universel), la preuve : il est vu même du Japon. Sinon limitons également Flaubert à de la littérature régionale.
Bon Noël.
2004-12-25 15:47:57 de Bartlebooth

N'ayez crainte, mon "très local" est à connotation positive, il souligne l'ancrage topologique d'une démarche qui, elle, a bien quelque chose d'universel. Et c'est bien pour ça que j'en rapproche le Degree Confluence Project.
Suis heureux que Cel ait expliqué l'aspect collectif, ou tout au moins pluriel de ces travaux géo-poétiques. De même que de voir que le livre de Vasset n'était pas loin... Ça lui fera sans doute plaisir. Je vais d'ailleurs passer sous peu à son "Exemplaire de démonstration" (Fayard, 2003). Bonnes fêtes à tous !
2004-12-25 16:41:55 de Berlol

merci pour le rappel de degree confluence, site déjà croisé (peut-être depuis ton blog) mais dont j'avais égaré le lien, c'est en effet une très belle idée.
On évoquait l'aspect collectif, ce qui me rappelle un autre projet en ligne, le "JIC", ou journal intime collectif (http://www.ejic.com/) qui invite chacun à écrire une approche de sa ville en respectant certaines contraintes, notamment la non utilisation du pronom JE, l'aspect exclusivement descriptif, les mentions précises de date, heure et lieu (lieu qui doit être public). Les textes proposés sont triés et réunis ensuite par ville, sous la forme d'un journal et suivant la chronologie des écritures.
Bonnes fêtes aussi !
2004-12-26 05:49:44 de Cel


Samedi 25 décembre 2004. Chasseurs de cadeaux.

Vraiment un connard, ce "de" la Martinière ! D'ailleurs, ça rime avec Seillière...

Irène Lindon, directrice des Editions de Minuit, affiliées au Seuil :
«Nous voulons des indemnités et la résiliation des contrats »

Par Ange-Dominique BOUZET
mercredi 22 décembre 2004

Irène Lindon, directrice des Editions de Minuit, fait partie des éditeurs extérieurs depuis longtemps affiliés au Seuil dont la rentrée littéraire a été affectée par les ratés de Volumen, le nouvel outil de distribution mis en place cet été par Hervé de La Martinière. Avec les Editions Corti, et comme les Editions Bourgois, elle a intenté un référé au tribunal de commerce, vendredi dernier, contre Le Seuil et Volumen, et n'entend pas en rester là.

Où en êtes-vous sur le plan judiciaire ?

Nous avons intenté un référé pour faire constater officiellement les dysfonctionnements de Volumen et, contrairement à ce que prétend monsieur de La Martinière, nous n'avons pas été déboutés. Simplement, comme les avocats de ce dernier ont eux-mêmes reconnu la responsabilité des dysfonctionnements, le tribunal nous a invités à aller directement au fond. C'est ce que nous allons faire. Nous allons intenter une action d'urgence pour obtenir la résiliation de nos contrats et, éventuellement, des indemnisations pour les préjudices subis.

Pas de négociation à l'amiable possible ?

Le 22 novembre, j'ai directement présenté une demande d'indemnisation à Pascal Flamand (le PDG du Seuil, ndlr) et je la lui ai confirmée par courriel dès le lendemain. Je n'ai pas obtenu de réponse. Finalement, après plusieurs lettres adressées vainement à Pascal Flamand, et alors que le référé était déjà engagé, j'ai reçu une lettre de Dominique Maillotte (le responsable de Volumen, ndlr) me proposant une discussion pour un dédommagement et, éventuellement, la négociation d'un nouveau contrat ! Soit dit en passant, alors que Volumen est d'après monsieur de la Martinière une simple société de services qui n'a pas de rapport direct à entretenir avec les diffusés, M. Maillotte est le seul de ce groupe qui nous ait jamais écrit ! Mais il est clair qu'on ne nous répond que quand on intente une action en justice. D'ailleurs, depuis vendredi, nous n'avons obtenu aucune réaction de La Martinière. Donc, nous irons jusqu'au bout.

Vous ne croyez pas à l'amélioration du fonctionnement de Volumen ?

Je n'ai plus aucune confiance dans ce que dit monsieur de La Martinière, si tant est que j'en aie jamais eu. Cela fait cinq mois que le désordre dure. A présent, Volumen marche, parce qu'il n'y a aucun libraire qui passe une commande après le 20 décembre... Mais ensuite ils vont faire l'inventaire et nous allons recevoir les retours d'invendus. Ce n'est pas fini ! D'ailleurs, j'ai des quantités de lettres de libraires, très éloquentes. La librairie Mémoire du Monde, à Avignon, m'écrit que la prétendue amélioration des délais tient plus du discours que de la réalité. Christian Thorel, pour Ombres Blanches à Toulouse, parle d'un taux élevé d'erreurs et me dit que, mardi, il avait six commandes en attente contre seulement cinq le mardi précédent. La librairie Tropismes, à Bruxelles, m'avertit que les commandes qu'elle a faites sur la fameuse liste prioritaire de 150 titres que Volumen s'était engagé à servir le 9 décembre sans faute ne lui sont arrivées que... le 15 décembre. Il y a même une librairie de La Baule qu'on n'a pas créditée de l'avoir correspondant à un retour d'ouvrage de chez Minuit, sous prétexte que, «au 5 novembre, le livre n'était plus distribué par Volumen», ce qui est un comble en matière d'anticipation. Un lapsus intéressant du point de vue psychanalytique, mais très inquiétant du point de vue éditorial.


Et dire qu'il y a un an, T. et moi nous étions subitement trouvés devant un animal effrayant mais... moins malhonnête !
Au zoo de ce matin-là, je ne puis qu'opposer le Shinjuku ensoleillé de ce matin, bien inoffensif avec ses 14 °C, sa frénésie d'achat un peu molle (on achète moins le 25 que le 23 et le 24, et le 25 n'est pas férié ici). J'ai ramené de Yamaya un Nuits-Saint-Georges 1999 pour T., qui préfère le bourgogne, et un Pomerol 2000 pour moi qui crois préférer le bordeaux...
T. a un rendez-vous cet après-midi avec son avocat pour essayer de comprendre ce que veulent ses deux sœurs qui ont proposé la semaine dernière de mettre leur père dans un hôpital, le moins cher possible pour qu'il ne leur coûte rien ! (sous-entendu : pour que le fruit de la vente de sa maison de Yokohama puisse en partie leur revenir sous forme d'héritage...) Leurs propos étaient, paraît-il, particulièrement révoltants. Avec cette histoire, c'est pas Noël ! Ceux qui auraient pu croire que la famille japonaise était soudée et respectueuse des parents pourront laisser tomber le cliché. Outre le motif mélodique sombre que T. apporte ainsi de temps en temps au JLR, c'est aussi pour que des bribes d'anthropologie et de sociologie parviennent à des lecteurs sans être déformées par des journalistes réducteurs et doxisants (ce qu'ils ne sont pas tous) que j'en parle !
Après le rendez-vous d'aujourd'hui, c'est un peu plus clair : elles n'ont aucun moyen légal de vendre la maison dans notre dos, ni de faire sortir leur père d'où il est, ni même de lui rendre visite tant qu'elles gardent cette position. Soulagement pour T. que je rejoins à Ginza. Nous nous mêlons le temps d'une promenade à la foule des chasseurs de cadeaux et de menus de Noël. Nous passons un peu au large de la foule qui admire les illuminations du quartier de la gare de Tokyo, les mêmes semble-t-il que celles que nous avions vues il y a deux ans alors qu'il faisait nettement plus froid... Par contre, nous profitons d'une sacrée aubaine : une erreur de prix imprimée dans un dépliant publicitaire de Bic Camera valable jusqu'à demain oblige à vendre précisément le modèle U4R de Contax que T. souhaitait recevoir en cadeau 10.000 yens moins cher que son prix normal. Le vendeur nous demande de ne pas l'ébruiter...
Finalement, nous dînons au Saïgon, T. ayant besoin de parfums exotiques et de plats un peu relevés, quelque chose d'estival aussi, qui nous fasse penser que toute la vie sera pareille à ce matin de Perth... qui était d'ailleurs un soir.


Bien sympathique le nouveau système de lecture des photos !!
Pour ce qui concerne ton beau-père et ses vilains petits canards : Gambatte, ne ?!
2004-12-26 08:59:13 de Au fil de l'O.


Dimanche 26 décembre. Le fil rouge de l'indigence et de la déréliction.


Dernière séance de ping-pong en présence de Bikun qui rentre en France dans deux jours.
Hisae gagne, Katsunori la suit, Bikun et moi sommes ex-æquo, Manu... aurait besoin de venir plus souvent.
J'arbore bien sûr une note d'orange, histoire d'accompagner les Ukrainiens.
Le rituel des pâtes se prolonge par des gâteaux dans le salon de thé de Book 1st, presque en face de Tokyu Bunkamura, histoire de récompenser Hisae.

Agréable lecture d'extraits auto-biographiques de Modiano dans le Nouvel Obs du 23. En voyant comment c'est embrouillé et troué, dans sa vie à lui, on comprend d'où sortent ses fictions et ses personnages romanesques. Bien sûr, cela n'enlève rien à l'admiration que j'ai pour ses œuvres.
Dodo, de Sylvie Granotier, que j'ai repris dans le métro ce matin, puis dans le bain cet après-midi, est devenu beaucoup plus intéressant que ne l'étaient les premiers chapitres. Si on laissait le curseur de l'abandon des livres à la page 50, je n'aurais pas continué celui-ci. Ça avait déjà été discuté mais j'affinerai un peu cette fois en disant qu'en cas d'hésitation, on sait vers la page 50 si l'écriture vaut le coup d'attendre jusqu'à la page 100 pour essayer de s'accrocher à l'histoire.
Il y aurait à suivre dans l'histoire littéraire le fil rouge de l'indigence et de la déréliction — si ce n'est déjà fait —, de François Villon à Sylvie Granotier, par exemple, en passant par le Neveu de Rameau, par l'Apollinaire du Mal-aimé, par Léon Bloy, d'un domicile l'autre, par Céline, par Genet, par le Jean Cayrol de Je vivrai l'amour des autres, par Kerouac et tous les personnages de clochards, célestes ou terrestres, jusqu'aux plus récents, celui de Simenon, celui de Régine Detambel dans Le Jardin clos, ou les policiers attirés par les bancs publics de Fred Vargas... Si vous en avez d'autres, allez-y ! Selon les cas, les cloches y sont aussi (ou étaient) des poètes, des philosophes, des artistes, des flambeurs, des industriels, et des vieillards abandonnés, évidemment. Aux limites, on arriverait aux stylites et aux ermites, aux peintres et aux chanteurs partis sur des îles lointaines, à des milliardaires misanthropes, à des fous, à des suicidés. L'étude dirait si c'est chaque fois un événement différent qui cause une trajectoire individuelle ou si c'est la société, par certaines de ses contraintes, qui produit les trajectoires de ceux qui sont à un moment in-adaptés, a-normaux. Dans le premier cas, une entropie aléatoire, dans le second, un bug système.

Cohérent, Arnaud a posé un article du Monde du 21 décembre en commentaire au JLR du 10. Ça mérite le détour car il s'agit de villes japonaises qui se mobilisent pour refuser de participer à la guerre ! (alors que le gouvernement y va la fleur au fusil...)


Sayonara...et à l'année prochaine peut-être!
2004-12-27 11:51:43 de Bikun

Bon vol avec ton iRiver et ton nouveau casque : attention, tu pourrais ne pas entendre les annonces du personnel de bord !!!
A bientôt !
2004-12-27 15:12:26 de Manu


Lundi 27 décembre 2004. Des galaxies, j'en broie tant que je veux.

Des étoiles encor ont fini de tourner
noyées dans mon café noir
Des galaxies, j'en broie tant que je veux
Comètes, peignez vos traînes !
je passe l'aspirateur
l'hiver revenu Ô mon babil
tourbillon sans angoisse, on m'en veut
je fais des pointes sur l'arête de mes jours
apnée de réflexion et quoi faire
de soi
renfiler ce manteau par les rues ventées
son cuir et mes naseaux font un an de plus

« J'ai pensé souvent que les livres comme la musique, tirent beaucoup moins de charmes de ce qu'ils disent en réalité que des idées et des impressions qu'ils font naître dans l'esprit des auditeurs.»
(Alphonse Karr, 300 pages : mélanges philosophiques, Paris : Michel Lévy frères, 1858, p. 39)

« Il est parfaitement vrai qu'une partition, qu'un livre que l'on entend ou que l'on voit dix ans ou vingt ans après un immense succès, prend quelquefois un petit air vieillot, rechigné, chevrotant, et que cela fait dire : "C'était très-beau il y a dix ou vingt ans, mais c'est insupportable et ridicule aujourd'hui." Cela tient à un point, c'est que ce n'était pas beau il y a dix ou vingt ans.» (Id., p. 228 p.)

Rien fait d'original, aujourd'hui.
Déjeuner au Saint-Martin avec T., excellent boudin maison, tout indiqué pour m'anniverser au champagne !
M'étais apprêté à célébrer la vague orange, qui a bien eu lieu, mais la métaphore n'est plus possible.
Abattement de voir toutes ces images de tsunamis. Et notre ami P. B., était-il en Thaïlande, finalement ?
Devions aller dans un restaurant de fugu ce soir, mais il était complet. Ou bien on ne voulait pas de nous. Petit ton suffisant du patron quand il dit qu'il faut réserver. Rien que ça, ça fait douter.
Finalement, nous achetons tout ce qu'il faut et faisons un bon nabé à la maison. Tant mieux : c'est l'heure des téléphonages familiaux et amicaux pour féliciter mes 25 ans ! (coquetterie)


" Avant cinquante ans on est jeune et beau. Après on est beau. "
[Jacques Higelin]
Extrait de l'émission télévisée Tout le monde en parle - Novembre 2000
bien à toi.Jcb
2004-12-28 00:11:19 de jcb

Avec une chouille de retard :
TANJÔBI OMEDETOO !!!
Il va falloir que je fasse quelque chose avec les dates d'anniversaire des copains, j'ai vraiment pas de mémoire...
Et Higelin à raison !!! Marre du "jeunisme" !!
2004-12-28 08:50:30 de Au fil de l'O.

JcB a écrit :
« " Avant cinquante ans on est jeune et beau. Après on est beau. "
[Jacques Higelin]
Extrait de l'émission télévisée Tout le monde en parle - Novembre 2000
bien à toi.Jcb »
Ce mot de Higelin est très bon ! Vraiment !
2004-12-28 16:47:21 de Arnaud


Mardi 28 décembre 2004. Jour de mythes.

La terre a bougé sur son axe ! Bien sûr, il est très grave que trente ou quarante mille personnes aient péri des suites du séisme. Mais connaît-on la gravité à moyen et long terme d'un déplacement de l'axe terrestre ? Non.

Mon anniversaire avait bien moins d'importance que tout cela. Merci donc à JCB de lui en avoir donné une petite, et de quelle façon, dans son journal...

Chloé Delaume me ramène à la conscience de ma paresia. Et difficultés consécutives.

Pour la première fois et malgré la forte réticence de T. (répugnance, serait un meilleur mot, en l'occurrence), ses sœurs ennemies, flanquées de leur avocat, sont venues voir leur père cet après-midi.

Nous n'avions aucune idée de comment ça pouvait se passer (fonte en larmes, sorties de couteaux, apoplexies, entrée d'Albator fracassant les fenêtres, fin tragique de Dodo de Sylvie Granotier, etc.) ni de combien de temps ça allait durer. D'autant qu'elles n'avaient prévenu qu'hier et qu'il y avait le bain, médicalement assisté, à 13h30. En attendant, je peaufinai la page du colloque ILF2005, qui commence à avoir bonne figure. Heureusement, le père de T. était tout à fait en forme et apprécia beaucoup le bain. T. avait aussi convié son avocat au rendez-vous atridesque, elle en était fatiguée et déprimée à l'avance... Notre avocat arriva vers 15h20. Les deux harpies et leur acolyte vers 15h35. T. descendit alors chez nous avec la garde-malade, je montai au 4e pour disposer mon i-river afin d'enregistrer toutes les conversations, en prévenant à la cantonade en japonais, constatai au passage que les deux avocats étaient assis sagement sur le canapé et que les deux sœurs s'affairaient gentiment autour de leur père... Nul ne fit attention à moi. J'étais invisible, couvert de ma peau française qui me protégeait de tous les regards. Puis je redescendis à mon tour. On fit du café pour s'occuper mais... on n'eut pas le temps de le boire. Dix minutes à peine s'étaient passées et l'avocat de T. appelait pour nous prévenir que les sœurs et leur satellite venaient de partir. Bien sûr, ne rester que dix minutes devait être une décision prise à l'avance pour que personne ne puisse dire qu'elles auraient fatigué leur père. À suivre...

Avant le dîner, T. et moi sommes passés dans une boutique de poterie ouverte récemment dans une perpendiculaire de Kagurazaka et avons acheté un très beau plat à fruit fait par un jeune potier de 27 ans qui a superposé très élégamment en plusieurs cuissons et gratages les techniques de bizen et de coquille d'œuf. Une vraie merveille, surtout dès qu'on met des clémentines dedans.
Après un dîner chinois moyen, on est revenu en passant par la boutique de films et on a loué trois DVD dont le Troy qui doit nous fournir le spectacle tranquille et plein de massacres connus qui nous fera du bien ce soir. Brad Pitt en Achille est le héros principal, Hector est émouvant, Pâris fait femmelette, Patrocle n'existe que dans les yeux des autres, Hélène est moyenne (méritait-elle tout ce tintouin ? la question a déjà été posée...), Briséis itou quoique..., Agamemnon est un beau salaud, Priam est vraiment le plus pathétique (normal, c'est Peter O'Toole !). Mais bien sûr, c'est Ulysse qui leur survit, le polytrope, l'inventeur... On voit beaucoup de torses musclés mais pas un seul sein de femme. Si je ne me trompe pas, ces parties de corps humains sont bien à la même hauteur, non ? Étonnant comme certaines caméras savent être sélectives !...


Les caméras et l'oeil humain sont sélectifs...
Pour une fois qu'on voit plus de torses masculins que féminins dénudés... ça nous change !!! Mais, là encore tout doit être question de point de vue...
2004-12-28 19:49:43 de Au fil de l'O.

Important l'avocat-tampon. On en avait déjà parlé entre nous. Il ne joue pas seulement un rôle de conseiller juridique mais remplit également la fonction d'amortisseur psychologique dans ce genre de situations éprouvantes pour le mental. Je pense qu'une tierce personne (un pro) nous permet de prendre un certain recul affectif et intellectuel, y compris par rapport à nous-mêmes, dans des situations conflictuelles. Je me réjouis de voir que tu peux parler de ces problèmes dans le blog. Bien sûr, ça nous permet de vous soutenir mais c'est aussi un moyen pour vous (toi) de prendre du recul, d'être observateur de son propre comportement. À quand le blog de T.? :)
2004-12-28 23:39:43 de Sir Reith Oubnaitch

À propos du séisme, j'ai trouvé ce point de vue, assez caustique...
http://www.homme-moderne.org/journal/2004/12/la-mer-saccag-notre-terrain-de-jeux.html
(cliquer sur mon nom)
2004-12-28 23:44:37 de Sir Reith Oubnaitch

Pour finir, c'est quand ? Le 28 posté le 29, le 29 posté le 30 ou le 29 sans tenir compte de l'artcile daté du 28 ? En tout cas, omedetou Pato-san.
2004-12-29 00:38:43 de LePotager

Bonjour.
Comme je te l'avais dit directement, j'avais loué Troy il y a quelques jours, mais ne t'avais pas fait pas de mes commentaires.
J'avais un peu peur, ayant l'impression d'assister à une mode, assez indéfinie d'ailleurs, dans le cinéma mondial en ce moment. Mais j'ai été finalement assez satisfait du résultat final.
Tout d'abord, j'ai trouvé les acteurs bons, sauf peut-être Hélène qui est, comme le note Berlol, un peu absente. Mais les autres sont bons, notamment Brad Pitt (et oui : Arnaud est un fan de Pitt !).
Au niveau de la réalisation elle-même, ce qui m'a semblé intéressant était que Petersen avait su filmé de façon très froide et, si l'on veut, au-dessus des hommes, c'est-à-dire en projetant un regard un peu déshumanisé, sans vraiment prendre parti (ou bien, un petit peu pour Hecto). Finalement, on ne trouve personne attachant : certainement pas Agamemnon, mais pas non plus Achilles, désagréable et égocentrique — mais aussi fidèle à son honneur. Et je ne parle pas de l'irresponsable Pâris. De la même façon, aucune cause n'est "juste" : le film montre plutôt "la guerre", dans tout son non-sens. Ce qui me rappelle que Peterson était le réalisteur de Le Bateau, film sur les sous-marins de guerre allemands.
Ensuite, sur le plan purement visuel, les décors et les costumes sont superbes. Et les armures ne semblent pas en carton-pâte, comme en témoigne la violence des chocs qu'elles semblent éprouver. C'est toujours fascinant à regarder (au même titre que tout ces beaux corps masculins dénudés, comme dirait l'O ^-^) (mais l'O a bien raison de noter que l'on voit trop de corps de femme en général !).
Et puis, sur un petit détail, j'ai bien apprécié cette façon particulière qu'a Peterson de filmer de près, de façon très dynamique, en saisissant (voire en sur-saisissant) le mouvement du personnage. Cela faisait presque sortir les acteurs de l'écran. Je ne sais pas si je m'exprime bien, mais j'ai trouvé cela stimulant à regarder, sur ce petit point aussi.
Bref, je pense que c'est un bon film. En tous cas, très surprenant pour un blockbuster américain.
2004-12-29 03:00:09 de Arnaud


Mercredi 29 décembre 2004. Mise en forme d'une matière brute.

Grasse matinée. Neige au réveil.

Au sport avec T.

« [...] le logiciel ScriptGenerator©®™, permet d'exploiter rationnellement les réserves d'histoires et de générer un produit compétitif, répondant aux besoins du marché. La révolution opérée par le ScriptGenerator©®™, c'est de faire disparaître la séquence dite de « création », ou plus exactement de transformer la chaîne de production de contenus en une longue mise en forme d'une matière brute. Grâce à ce nouvel outil, les entreprises de divertissement perdront enfin leurs statuts d'exception — elles seules élaborent encore leurs produits à partir de rien — et pourront enfin constituer une véritable industrie, c'est-à-dire un travail des matériaux. Le produit de base utilisé, ce n'est bien sûr pas le langage, mais l'histoire, le récit, déjà sédimenté.» (Philippe Vasset, Exemplaire de démonstration, Fayard, 2003, p. 17 — les textes en gras sont de l'auteur)

Je crois que si l'on aboutait la BDHL, la SATOR, LITOR, on n'arriverait pas loin de ce que Vasset imagine... Mais l'imagine-t-il vraiment ? L'erreur, double, au fond, de ceux qui, dans la fiction de Vasset, écrivent ce texte publicitaire adressé à une élite de professionnels des médias, c'est bien de croire 1. que la littérature est une entreprise de « divertissement » et 2. de croire que la littérature s'élabore « à partir de rien.» Ce n'est pas la pensée de Vasset, bien évidemment, puisque son texte me paraît subversif de plusieurs manières que je n'ai pas encore la possibilité de décrire aujourd'hui. Et qu'il n'est pas écrit à partir de rien...

La neige ne tient pas, hélas.

Ce soir, on regarde Le Pacte des loups. Pas mal du tout, l'histoire ! Je suis agréablement surpris par la complexité et la vraissemblance du récit. Vincent Cassel et Samuel Le Bihan sont excellents et les caméras filment quand il faut des torses masculins et féminins, je veux dire : avec naturel et selon la nécessité du récit. Pas comme cette ridicule scène d'ouverture...


Continuons donc nos critiques cinématographiques.
Moi, j'ai trouvé que Le pacte des loups ressemblait plutôt à une clownerie qu'à autre chose. Décors et acteurs très bons, certes, scénario qui se tient, du moins au début, mais l'histoire bute (sur elle-même ?), le propos est violemment anti-révolutionnaire (critique directe au début et à la fin du film, "police secrète" de Vatican qui veille aux extrémistes religieux pour protéger le "bon" catholicisme, etc.), et le tout est filmé comme un film américain, voire, sur les vingt dernières minutes, comme Matrix... (ou peut-être bien dès le début en fait...)
Bref, une bonne illustration de la décadence du cinéma français.
2004-12-29 16:45:04 de Arnaud

Je découvre que nous entamons le même Vasset, duquel nous parlons à la même date par blogs interposés, presque à la même heure - conséquence de croisements (et) d'aiguillages (ces réseaux semi souterrains qu'on suit). En pleine géolittéréticulation, en quelque sorte !
2004-12-29 17:25:08 de Cel

Cher Arnaud, ton fanatisme pittique déforme ton jugement, je crois. Certes, "Troy" est un assez bon film mais les déformations du récit et des personnages ne sont pas très agréables (à moins de ne pas les connaître, ce qui doit être le cas de pas mal de spectateurs...). Par contre, "le Pacte des loups" propose une explication originale du mystère de la bête du Gévaudan. J'avoue pour ma part être très séduit par cette explication (secte contre le roi, manipulant aristocratie locale, brigands et paysans, espionnage papal via vraie fausse prostituée, bon gars pragmatique et scientifique (comme toi) contre dépravé satanique, etc.)...
Cher Cel, comme je le laissais entendre chez Bailly, c'est le montage fictionnel entre grande échelle "publique" (le réseau internet ou le générateur de fiction) et activité individuelle (paria voulant faire du chantage ou concours de cartographie), les deux étant dans le secret, qui crée la tension des récits de Vasset. Danger, tout de même : on n'est pas loin du complot mondial et de la parano. Heureusement, il y a la poésie des descriptions abstraites...
2004-12-30 02:04:11 de Berlol

Oui, parfaitement d'accord avec ce que tu dis sur la tension amenée par le récit de Vasset et la poésie de ses descriptions (même si je ne les qualifierais pas d'abstraites, je développerai peut-être ça à un autre moment..). Au sujet de la parano, comme je ne sais pas faire court (et que mon commentaire s'emballait dans la science fiction), je t'ai répondu ici (http://cel.over-blog.com/article-45909-6.html)
2004-12-30 04:08:17 de Cel

Cher Berlol,
Je suis d'accord, je pense, avec ton appréciation de Troie (Troy), dont mon avis final, sur la page d'il y a deux jours, était que, pour un blockbuster américain, c'était un bon film. Quant à moi, je préférais concentrer mes remarques sur quelques points particuliers, car déformations il y a. Quoique je préférasse le concept d'adaptation à celui de déformation.
Pour ce qui est de Pitt, je ne pense pas qu'il déforme (pour le coup) mon jugement, car j'ai bien apprécié tous les autres aussi, notamment Hector. Je voulais simplement dire que malgré ses airs de Di Caprio (acteur infâme s'il en est), Pitt est un très bon acteur, qu'après avoir dénigré lors de la sortie de Seven, j'ai redécouvert sous un autre jour dans L'Armée des douze singes (qui est pourtant fort loin d'être le meilleur opus de Terry Gilliam).
Et puis je pense toujours que la guerre y est bien filmée en tant que guerre.
Pour ce qui est du Pacte des loups, effectivement, l'interprétation proposée est intéressante. C'est ce que je voulais dire (un peu brièvement certes) en notant que l'histoire se tenait au début.
Deux points m'ont pourtant plus que gêné dans ce film et ont réussi à tout me gâcher : tout d'abord, la trame conspirationniste voire paranoïde, réellement épuisante, trame qui surtout sert un propos anti-révolutionnaire. Car, finalement, le film réussit à affirmer qu'au fond la Raison — celle avec un grand R, la Raison des Lumières — était du côté du Vatican, juste milieu entre le "fanatisme" révolutionnaire destructeur et le fanatisme religieux obscurantiste (soit dans l'ordre : la "populace" qui va détruire le "bon" seigneur qui s'est battu contre les ténèbres ; la conspiration religieuse, non-éclairée justement, que le Vatican va réprimer, car il ne serait donc pas de ce côté-"là"). Ce discours, qui participe de la critique générale de la Révoluton française depuis vingt-cinq ans et de la réévaluation de l'Ancien Régime, est réellement insupportable.
Ensuite, mais c'est un détail à côté de ce premier point, je n'ai pas aimé la façon de filmer les scènes d'action façon Matrix. J'ai trouvé cela disons décalé pour un film se passant au 18e siècle.
2004-12-30 05:01:06 de Arnaud

On a bien ri avec T. en voyant Le Bihan et Cassel s'exploser au kung-fu anachronique (eux aussi ont dû bien rire en tournant ces scènes...). Cassel a même une épée transformable en nunchaku...
Il en va de même pour la vérité historique, je pense.
Ceci dit, le Vatican n'est pas tout mauvais, ni la Révolution toute bonne...
2004-12-30 14:51:33 de Berlol

Aah, j'oubliais le gros coup de rire sur l'épée-nunchaku dépliable, en ossements en plus.
Parce qu'en fait, il y aurait comme un (gros ! gros !) air de déjà vu, avec le jeu de combat à armes blanches Soulcalibur, de Namco. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s'agit du personnage suivant, Ivy :
http://www.soularchive.jp/soulcalibur/Ivy/ivy_pro.htm
Mmmf ! ^-^
2004-12-30 15:36:03 de Arnaud

Au fait, Berlol, puisqu'on parle de Cassel, as-tu vu Les Rivières pourpres ?
J'avais trouvé ça distrayant et bien monté. La fin un peu rapide peut-être.
2004-12-30 16:45:57 de Arnaud

Très bon "Les rivières pourpes" !
Quelqu'un a-t-il vu la suite ?
2004-12-31 06:19:54 de Manu

Je n'ai pas vu la suite. La critique était en général assez mauvaise, donc j'ai hésité.
Mais peut-on se fier à la critique...
Au fait, c'est bien Cassel qui joue le jeune chauve dans La Haine ?
2004-12-31 08:45:21 de Arnaud

Bon, ben si personne n'a vu la suite, il ne me reste plus qu'à prendre "le risque" de la louer!
Sinon, oui, je crois bien que tu as raison pour "La Haine".
2005-01-01 07:23:45 de Manu

En fait, je crois que personne n'a vu la suite des Rivières, car elles sont mal critiquées... Autant dire que c'est un cercle vicieux...
Donc on attend ton avis !
Sinon, à Berlol : le commentaire du blog est parti en ligne droite sur le cinéma, mais je tiens tout de même à ajouter ici que ce que tu commentes sur Vasset est tout à fait juste. Vasset, comme tout ce qu'il représente (car, comme tu le soulignes, il n'est qu'une figure visible d'une certaine conception de la création et ne pense pas ce qu'il dit par lui-même — parfaite illustration de sa théorie. Lui-même relèven d'une certaine conception des relations que devraient avoir production et création, c'est-à-dire qui voudrait supprimer la dimension artistique de la création pour réduire ce concept à un synonyme de production — capitaliste—), est profondément abject, en plus d'être de la pensée fausse — n'ayons pas peur du mot.
2005-01-02 06:53:17 de Arnaud

Éh, éh... Il est sain que tu dises que c'est abject ! Mais ce n'est pas de Philippe Vasset qu'il s'agit ! La citation insérée ci-dessus est tirée d'un document que le personnage de fiction trouve par hasard et dont il va essayer de trouver les auteurs. Ça fait tellement vrai qu'on y croit. Toi qui as lu pas mal de SF, tu sais qu'il faut mettre en scène l'abjection de façon réaliste pour mieux la dénoncer. À moins que, par un mouvement d'intégration dans le tout-spectaculaire, cela ne fasse que la rendre un peu plus possible...
2005-01-02 07:59:20 de Berlol

C'est une fiction ? Flûte, je me suis fait avoir en te lisant !
Bref, comme tu le notes, la raison d'être principale de la SF, genre littéraire vingtièmiste s'il en est, est dans la représentation réaliste en contexte probable d'une situation abjecte réelle. Du moins, c'est ce que j'en pense, et les romans les plus récents (comme celui que tu cites d'ailleurs) n'en sont que plus en prise avec le réel contemporain.
Et ce que j'ai lu, dans le passage que tu citais, c'est la tentative actuelle du productivisme capitaliste (mais la variante soviétique ne valait pas mieux) de détruire la création comme phase incontrôlable (par l'entrepreneur) du processus de production de l'objet consumériste. C'est bien de cela dont il est question, n'est-ce pas ? La création devient ainsi indifférenciée de la production, ce second mot étant à la fois plus large et moins précis.
2005-01-02 08:21:45 de Arnaud

> détruire la création comme phase incontrôlable (par l'entrepreneur)
> du processus de production de l'objet consumériste. C'est bien de
> cela dont il est question, n'est-ce pas ?
Exactement ! Cette fois, tu y es ! Je te prête le livre ?
2005-01-02 10:28:54 de Berlol

Avec plaisir !
2005-01-02 10:31:22 de Arnaud


Jeudi 30 décembre 2004. Va-t-on au fond des choses en quelques mots ?

Alors que le journal de France 2 vu ce matin (ou France Info entendu dans la journée, ou le Monde de ce soir) informe sérieusement, me semble-t-il, sur l'état catastrophique des rescapés et des victimes des tsunamis du 26, les infos télévisées comme la presse papier japonaises minimisent de façon systématique ces informations. Les reportages, très courts, n'arrivent qu'en troisième ou quatrième titre, après les fiançailles d'une princesse et des résultats de sport... Encore, n'est-ce que pour comptabiliser victimes et rescapés nippons !
Dans le même temps, je sais, par les infos françaises, que le gouvernement japonais et diverses ONG du pays participent activement aux opérations d'aide et de sauvetage. Il y a là quelque chose que je ne comprends pas.

« Un jour, griffonné sur le sac de victuailles que transportait le cuisinier d'un cargo sur le marché, cette phrase : EXHUME RUBBLE. Soit : l'homme qui porte ce sac navigue sur un bateau appartenant à la compagnie Executive Associates (EX) et chargé de houille (HU) de Mauritanie (ME) appareillant pour le Royaume-Uni (RU) avec un équipage de la Barbade (BB) après avoir déchargé sa cargaison de câbles électriques (LE).» (Philippe Vasset, Exemplaire de démonstration, p. 26)

Le narrateur de passage dans un port du Liberia apprend ces codes que les autochtones ont inventés pour s'informer sur les gens de passage. C'est donc une forme de langage, et qui d'emblée raconte ; sa lecture n'a pas d'autre fin que celle d'une histoire, contrairement à ce que le texte publicitaire du ScriptGenerator©®™ prétendait (voir hier) en séparant par principe langue et récit. Erreur normale puisque les créateurs de cette banque de données secrète disent d'eux-mêmes qu'ils ne sont pas « des gens de la profession » mais « simplement des entrepreneurs »... Leur but n'est donc pas d'être des hommes libres (symbolisés ici par le choix du Liberia) mais d'accumuler les profits :

« [...] nous nous contenterons de rappeler ce que du reste vous savez mieux que nous : commercialement, la nouveauté en elle-même compte beaucoup moins que l'illusion de la nouveauté. Et cette illusion est bien plus aisément obtenue pa la juxtaposition d'éléments existants que par l'innovation radicale, par essence déstabilisatrice. La création révolutionnaire n'a jamais fait vendre.»
(Id., p. 32)

Peu de pages lues, donc. Comme il faisait beau ce matin, grand soleil et près de 10 °C, je suis allé avec T. faire des courses à Yurakucho et à Ginza, puis déjeuner tardivement au Saint-Martin qui ferme pour une semaine.

Les commentaires d'hier se continuent sur le site de Cel qui signalait les propos de Sébastien Bailly dans son blog. J'y étais donc allé et trouvant intéressant ce que Bailly disait de Vasset, je lui avais laissé un commentaire auquel je faisais ensuite allusion dans un commentaire du blog de Cel. Broderie habituelle, vous suivez ? Où je ne comprends plus rien, c'est en constatant que ce commentaire a disparu du site de Bailly. Et comme je l'avais bien vu s'afficher sur sa page après l'avoir posté, Bailly a dû l'effacer par la suite... Tout au moins est-ce ce que je pense, égaré, avant que Cel ne me fasse comprendre que mon commentaire était ailleurs, là où je l'avais mis et où je ne le retrouvais plus (on dirait du Cixous...).

Relisant Sébastien Bailly, blog pas désagréable, au demeurant, je me dis que, tout de même, ils sont légion, ces blogs qui donnent des avis, des opinions et des jugements sur les livres, les films ou n'importe quoi sans trop approfondir, analyser, regarder dans le détail, confronter des arguments. Ainsi Bailly prétend-il, avec légèreté, « aller au fond des choses » en « quelques mots »... Beau raccourci sur l'art de s'illusionner.
De mon côté, depuis quatorze mois, je lis et commente au fil de mes lectures, au risque du tâton, de l'erreur, citant des bribes qui me paraissent signifiantes au-delà de leur sens premier, dont j'essaie d'exprimer le jus littéraire, comme doit plus ou moins le faire tout bon lecteur, mais aussi en les mêlant aux infimes événements de ma propre vie dont les textes lus deviennent inséparables. Cette manière, c'est la meilleure signature du JLR.


Entièrement d'accord avec ce que tu notes au sujet des médias japonais, dans leur ensemble et non bien sûr pour les quelques exceptions salutaires (mais moins visibles...).
De façon consternante, le Asahi fait sa Une dans le même sens que la débilitante NHK : affaire de meurtre d'une jeune enfant dans le Kansai (affaire affreuse qui, doit-on préciser, occupait la Une depuis dix jours déjà), puis soit les résultats du Ski soi le mariage de la trisomique Norinomiya de la famille impériale (Ah ! ça c'est de la news importante !). On en profite aussi pour faire une petite rétrospective sur Lady-di. Princesse oblige...
Puis ensuite seulement viennent, très brièvement (3 minutes sur 30 ?), les news sur le tsunami. Sur le tsunami ? Oh non, en fait il s'agit plutôt de préciser que le nombre de morts japonais est passé de huit à douze. Ensuite, les 120 000 autres, ils ne sont guère mentionnés que dans la page internationale, parmi d'autres "trucs".
Bref, si on ne savait pas de quoi il s'agissait par avance (grâce aux journaux français sur le Web par exemple... qui ne traitent presque que de cela en ce moment, et de l'aide internationale aux, peut-être, 5 millions de sans-abris), il serait impossible de comprendre de quoi il s'agit ! Voire l'on penserait à autre chose en voyant ou lisant les fort brefs "flashs" (c'est le cas de dire !) sur le tsunami. Du genre : "tiens, un autre attentant ?" ...
Et le problèmes des épidémies à venir, voire des réfugiés (tout proches du Japon tout cela...), cela n'est traité nulle part !
Bref, ces médias sont dégoûtants. Je le dis sincèrement !
Cela me rappelle, pour prendre récent, le bashing qu'ils avaient fait aux deux ONG enlevés puis libérés en Iraq. Je dirais même (excusez-moi): gerbant !
Détail intéressant : sur la page en anglais du Asahi, les nouvelles sur le tsunami passent ici en première position. Intéressant double langage s'il en est ! Ou pas tout à fait, car le contenu est, en fait, ici aussi centré sur les douze morts nippons et l'ensemble des dispositifs gouvernementaux (bien nécessaires tiens !) en vue d'aller identifier et rappatrier leurs corps.
Bref, comme d'habitude on va au plus pressé, selon "ses" priorités, et ce qui peut être gênant n'existe pas.
Tout cela me rappelle la Corée du Nord, dont je pense, parfois, qu'elle ne doit pas être fort différente du Japon sur beaucoup de points, notamment sur ses médias.
2004-12-30 17:11:01 de Arnaud

Excusez-moi, je viens de vois que j'ai quelque peu entremêlé dans mon propos ce qui concernant l'Asahi et ce qui concernait la NHK, dont le contenu était, de fait, quasi identique.
2004-12-30 17:12:57 de Arnaud

Bonne continuation ; je vous lis de temps à autre, en tire toujours quelque chose. Merci.
2004-12-30 23:48:11 de Segall

Ceci dit, je trouve qu'au départ, les pays occidentaux étaient aussi concentrés essentiellement sur leurs ressortissants. Ça s'est amélioré par la suite...
Dire qu'hier, seule la Croix Rouge estimait que le bilan atteindrait plus de 100 000 morts, mais en voyant la vitesse à laquelle le chiffre évoluait heure après heure dans les informations sur Internet, il semblait bien que même cette estimation-là était bien basse. 120 000 au moment où j’écris... mais où cela s'arrêtera-t-il ???
2004-12-31 06:18:41 de Manu

Je prétendrais "aller au fond des choses", "en quelques mots" ? Si j'ai fais ça, je reconnais que cela ne manquerait pas de légèreté... Mais je ne vois pas où j'ai pu faire part d'une telle façon de voir les choses... Il me semble que la façon de présenter ici ce que j'écris sur mon blog n'est pas tout à fait exacte.
A moins qu'il s'agisse de votre propre avis sur ce que j'écris, auquel cas vous avez bien le droit de penser cela (mais pourquoi ces guillemets ?). Même si, pour ma part, je ne prétendrais jamais aller au fond des choses, et encore moins en quelques mots. Si j'ai pu le laisser penser, je m'en excuse.
Concrêtement je n'ai aucune idée de l'endroit où peut bien se situer ce "fond des choses", sauf lorsque je le touche, le fond, ce qui doit bien m'arriver de temps à autres ;-)

2004-12-31 09:26:25 de Sébastien Bailly

Merci de votre passage !
Les guillemets servent à... vous citer (sur Carte Muette, 3 décembre, 2e ligne...). Cependant, ne voyez aucune méchanceté derrière cette malice, car je suis avant tout très content de trouver des personnes qui apprécient les livres de Philippe Vasset que je suis aussi en train de lire et que la presse n'avait pas beaucoup signalé.
Bonne soirée et meilleurs vœux pour 2005 !
2004-12-31 09:51:43 de Berlol

Oui, j'ai retrouvé la citation exacte.... Et je bats ma coulpe sur mon site : je me suis vraisemblablement mal fait comprendre.
Je n'y vois ni méchanceté ni malice, juste un petit problème de communication.
Cordialement.
2004-12-31 10:07:44 de Sébastien Bailly

Chaque jour, bon an mal an, à peu près autant de morts qu'il y aura de victimes du tsunami.
"Pozzo : Vous n'avez pas fini de m'empoisonner avec vos histoires de temps ? C'est insensé ! Quand ! Quand ! Un jour, ça ne vous suffit pas, un jour pareil aux autres il est devenu muet, un jour je suis devenu aveugle, un jour nous deviendrons sourds, un jour nous sommes nés, un jour nous mourrons, le même jour, le même instant, ça ne vous suffit pas ? Elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis c'est la nuit à nouveau. En avant!"
2004-12-31 16:35:36 de Dom


Vendredi 31 décembre 2004. Un kampai mémorable.

« Considérant son travail : Je cherche un effet de goudron pelucheux. Idéalement, des flocons de bitume. J'expérimente d'abord, je bricole, puis je recrée en laboratoire. Vous créez des matières ? (C'est la première fois que je parle.) Non, pas créer, je recombine seulement. J'ai une bonne mémoire des sensations, alors je panache, pour voir. Des craies laminées, des poussières de laines.» (Philippe Vasset, Exemplaire de démonstration, p. 54)

Des flocons ! Des flocons ! C'est la surprise que j'ai eue quand je me suis mis à la fenêtre alors que je m'apprêtais à sortir pour aller à Ogikubo — pas la porte à côté, quand même !
De cet après-midi au 2 janvier même heure, les gardes-malade ont congé. C'est T. qui va les remplacer, sans sortir durant ces 48 heures, pour veiller sur son père mais aussi pour passer du bon temps avec lui, et avec moi. Elle a rempli un sac à dos d'affaires perso, de lectures, de musiques (surtout les Variations Goldberg dont on a acheté hier à Ginza deux versions de Gould, la première et la dernière, pendant que je choisissai pour moi du Berio) et elle est montée au 4e étage.
De mon côté, habillé multicouches et étanche, acoquiné d'Arnaud pour discuter et faire des photos, je suis chargé d'aller chercher, au Brin de Muguet, restaurant d'Ogikubo, une boîte d'Osechi... à la française ! C'est par l'entremise d'un collègue que nous avions su voici plusieurs semaines que ce restaurant proposait d'adapter des mets des traiteurs français à la tradition japonaise et que T. avait réservé une boîte de deux étages rassemblant quinze plats différents, en portions congrues pour quatre personnes (saumon fumé, foie gras, mousse de poisson, gambas, rillettes, terrine de porc, roulade de poulet fourrée, etc., sur lit de chou macéré au cumin).
Le dîner s'est très bien passé, avec pour la première fois à côté de T. et moi, un homme de bientôt 92 ans qui est mon beau-père, un homme avec qui j'ai fait un kampai mémorable car, tous les trois, nous avons trinqué au nouvel an avec de l'umeshu, alcool de prune que T. et moi avons produit avec les petites prunes qu'il avait ramassées dans son jardin, à Yokohama, et qu'il nous avait données au mois de mai — umeshu que nous avons bien craint, depuis cet été, de ne boire qu'à deux. J'ai gagné mon pari ! À un détail près... c'est que mon beau-père ne se souvient plus ni de ces prunes, ni de notre visite de mai, ni de sa maison de Yokohama. Mais il a mangé et bu de bon appétit, souriant beaucoup, levant son verre pour 2005.

Des flocons, disais-je...
Ceux de Vasset m'ont fait comprendre que ces descriptions que j'appelais abstraites la veille de Noël (et sur quoi Cel voulait, avant hier, dire autre chose...) sont en fait le résultat d'un parti pris littéraire et peut-être plus général de la part de Vasset : celui du primat de la sensation sur l'explication. Nombre de ses chapitres commencent en effet par une description, que je nommais abstraite faute de mieux, et qui est en fait une description de sensation liée à une matière ou à quelque chose vue de près. De trop près pour que le lecteur en ait une idée compréhensible, préhensible par l'esprit, et qui par conséquent ne peut être appréhendée mais seulement ressentie, durant quelques lignes ou dizaines de lignes, avant qu'une sorte de défocalisation, de contextualisation, inscrive cette chose dans un cadre où elle s'insère, s'explique, va de soi, presque. Vasset nous en prévenait d'ailleurs dans le chapitre intitulé Gaz naturel en écrivant : « L'image est très difficile à hiérarchiser. Dans la pénombre s'alignent plusieurs dizaines de parallélépipèdes luisants, certains baignés d'une lumière électrique, d'autres noirs, et partout des trajectoires brillantes, des clignotements.» (Id., p. 35)
Avec le personnage qui recombine des sensations, le débat littéraire interne au roman, qui opposait fallacieusement des créateurs qui créeraient à partir de rien et des recycleurs qui ne créeraient plus rien, se trouve relancé...


je rêve de passer l'hiver au Japon...
2004-12-31 16:27:57 de lily

La neige est venue aussi brusquement qu'elle semble repartir, tout du moins pour Tôkyô et le sud du Kantô. Décidément, c'est difficile d'avoir de la neige plus d'une journée à la capitale !
Mais en tous cas, c'était impressionnant vers 14h. On se serait presque cru à la fin de l'année... ^-^ Parce que le reste du temps, cela fait plutôt penser à l'hiver à Alger, qui est sur la même lattitude : temps doux et sans nuages...
Enfin bon, laissons donc la neige à la côte de la Mer du Japon, et bonne année !
2004-12-31 17:30:42 de Arnaud

Bonne année 2005 !, cher Arnaud, chère Lily, et chers toutes et tous, lectrices et lecteurs !
Dis donc, Arnaud, toi qui lis beaucoup la presse, as-tu remarqué que la Birmanie n'est pas incluse dans les bilans des raz-de-marée ? As-tu lu quelque chose, là-dessus ?
A demain !
2004-12-31 17:40:09 de Berlol

Je n'ai pas fait attention à ce point. Il faut dire que tellement de pays ont été touchés qu'en tant qu'observateur lointain (de chez moi), j'ai du mal à ne serait-ce que cerner l'événement. J'espère que ce n'est qu'une insuffisance de la presse due à une approximation d'écriture, si une problème devant être traité ne l'a pas été.
2004-12-31 17:53:30 de Arnaud

Vous qui dormez déjà, je profite d'un accès internet "usurpé" pour vous adresser mes voeux. Il me manque N. et c'est la première fois depuis 6 ans...mais je vais quand même aller fêter le nouvel an avec des connaissances communes, entre autre Dom et A.!
Plus de détail dans mon prochain courriel...
Amitiés à T. et beau papa...
Amitiés à Manu, C. et H.
Amitiés à Arnaud et I.
Amitiés à l'équipe pongiste Tokyoite!
2004-12-31 19:18:14 de Bikun

Pace e salute a tutt' e tutti !
2005-01-01 00:04:20 de Dom

et bonne annee du pc de Dom!!
2005-01-01 01:20:16 de bikun

Bonne année à tous !
Manu
2005-01-01 07:17:59 de Carte de bonne année

.J'aime bien la manière dont tu précises ce que tu entendais par "abstrait", justement je voyais ça, pour le dire le plus simplement possible, comme une poétique très proche des "matériaux", mais quand je pensais proche je ne me faisais pas une idée si précise de ce que tu nommes focalisation, défocalisation. Oui, il s'agit bien de cette idée de vue "de près", de si près qu'on suit le mouvement perceptif du narrateur (cette façon de faire me semble aussi très présente dans "Carte muette", les descriptions de réseaux souterrains de câbles etc.). Le parralèle avec "Dans la labyrinthe" que tu fais dans ta note suivante me rend cette idée encore plus sensible. Là où abstrait me dérangeait, c'est que ça comprenait pour moi une notion de "non-tangible", d'impalpable, qui me semblait aller contre la précision "microscopique" des description.
J'ai tardé à répondre, mais tu as vraiment éclairci une chose que je sentais sans réussir à y coller les mots qui la rendrait claire.
Autre, je ne voulais pas l'aborder avant que tu ais atteint la fin du livre, le caractère intentionnel du choix des matériaux décrits (leur emprunt à des champs lexicaux particuliers) met bien en lumière ce que je tentais de dire, comme si l'impression d'abstraction venait aussi du décalage ressenti par le lecteur face à ces passages, impression corrigée par ce que tu nommes défocalisation. Comme tu le vois, je ne suis pas capable d'en parler aussi clairement que toi et j'apprécie la précision avec laquelle tu l'as fait, c'est vraiment une analyse fine, merci !
2005-01-01 18:03:51 de Cel
je viens de tomber sur une revue littéraire que je ne connaissais pas (elle n'en est qu'à son 3eme numéro), dans laquelle se trouve un artice de Vasset : "Ecrire au 1/25000è". Outre qu'il cite des gens et sujets dont on parle dans le cercle (illimité !) de nos blogs - Bernd et Hilla Becher, François Bon, les non-lieux - il explique un des parti-pris de sa démarche quant à l'écriture du lieu.
Je ne sais pas si tu as eu cette revue sous la main (Inculte n°3, éditions Inculte et édition Imho, sommaire sur www.inculte.fr), ni si tu peux te la procurer au Japon, je t'en donne quelques extraits qui me semblent aller vers une précision sur ces passages "abstraits" qu'on abordait en tâtonnant :

" J'ai toujours dit : "je veux écrire une carte", sans vraiment savoir ce que celà pouvait vouloir dire. Au début probablement ceci : écrire un texte uniquement spatial, où le regard puisse se déplacer sans contrainte, un livre-panorama, à ouvrir à n'importe quelle page.
Mais un tel texte ne serait que tableau, sans autre référent que lui-même : la carte, elle, est en relation avec le territoire, qu'elle décrit.
Alors, raconter des lieux ? Dire où et comment ? Les récits de voyage m'ennuient : ils sont uniquement temporels : le voyageur relate son périple et ne dit pas l'espace (...). Il n'y a pas, dans ces textes, de jeu entre l'auteur et l'étendue : rien ne fuit ni ne se dérobe. Une lumière de musée, puissante et égale, éclaire tout choses, sans ombres ni angle mort pour accueillir le lecteur.
Ecrire une carte, ce serait faire exactement le contraire : composer un texte utilisable, troués de passages à emprunter.
(...)
Mais, plus qu'écrire entre les lignes des plans comme on met des notes sur une portée, le texte auquel je rêve noircirait les zones encore blanches, non figurées. Emplissant les trous des cartes de phrases comme un mur creux d'essaims, il établirait une nouvelle légende, de nouveaux symboles.
(...)
De plus en plus de photographes et de plasticiens s'intéressent à ces 'non-lieux", comme les appelle l'anthropologue Marc Augé (...). Leur propos est cependant moins de compléter les cartes que d'arrêter, un instant, le regard sur des paysages invisibles, spectraux parce qu'habituellement traversés en train ou en voiture et entr'aperçus derrière des vitres embuées, à grande vitesse.
Je ne connais, en fait, qu'une seule expérience qui, partant de rien, essaie de réécrire l'espace tel qu'il apparaît; sans discrimination : "Paysage Fer", de François Bon, ou la tentative de fixer, sur une ligne de train familière et régulièrement empruntée, le paysage qui des deux coté fuit. Les mêmes obstacles, les mêmes scènes passent et repassent, et le texte essaie de les séquencer, de les organiser, de les arracher à la pure durée pour les placer dans l'espace. Mais le territoire résiste et se creuse de zones indécises, floues, mouvantes comme des flaques "

Se présente une idée de saturation du plan, non d'obstruction (compléter...), de combler les espaces - vides ou non traités habitellement - avec du réseau, de la trame, de l'essaim. J'aime bien cette volonté de plasticité dans la saturation...
Bref, moi qui n'avais, malgré toutes les incitations présentes ici ou là jamais lu de Bon, je pense que je vais commencer par me procurer celui que Vasset cite ("Vasset cite", ça sonne). S'il t'intéresse de lire l'article en entier (si ce n'est pas, d'ailleurs, déjà fait - j'imagine que la bibliothèque des lieux où tu officies doit être fournie en revues littéraires) je peux t'en envoyer un scan.
2005-02-11 17:22:35 de cel

©Berlol, 2004.