Journal LittéRéticulaire

 
Littéréticulaire : néol., adj. (de littéraire et réticulaire), propriété d'un texte où s'associent, aux valeurs traditionnelles et aux figures classiques du texte littéraire, les significations et effets de sens provoqués par les liens hypertextuels au sein d'un réseau (l'internet par exemple), qu'ils aient été voulus ou non par l'auteur.
Octobre 2004

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Vendredi 1er octobre 2004. Beau lièvre !

"Le langage étant ce dans quoi, par quoi, on pense et on vit une vie humaine [avec note sur Spinoza], et au sens où, comme dit Benveniste, "le langage sert à vivre" [avec note de référence], je pose en principe que si on ne pense pas le langage, on ne pense pas, et on ne sait pas ce qu'on ne pense pas. On vaque à ses occupations." (Henri Meschonnic, Un Coup de Bible dans la philosophie, Bayard, 2004, p. 11)
Bel incipit !

Déjeuné au Mac Do de la fac (c'est une première) avec David et un jeune Français arrivé dans le cadre des cours de japonais pour étrangers. Il y en a deux ou trois autres, ainsi qu'un Belge et un Suisse. Nous allons essayer de les donner en pâture à nos étudiants...

Où l'on sent qu'on a soulevé un beau lièvre...
J'apprends par T. à qui je montre ce soir les documents d'audit de la fac dont je parlais hier que la boîte qui effectue cette étude est justement une chaîne de juku. Depuis longtemps en effet, les cours du soir pour collégiens et lycéens se sont constitués en petites écoles parallèles offrant des résultats chiffrés qui leur permettent de concurrencer les écoles de jour. Mais ces petites écoles qui ne sont souvent pas plus grandes que trois ou quatre appartements aménagés en classe, sont en fait des succursales de trusts éducatifs (à l'instar des convenient stores dont les réseaux sont en fait plus puissants que les grands magasins). Ayant très tôt mis les résultats des élèves en banques de données au niveau national, ils ont acquis un savoir-faire qu'ils ont ensuite réorienté en conseil aux universités.
Mes soupçons téméraires d'hier s'en trouvent confirmés et dangereusement aggravés.

Aggravés pourraient aussi être mes commentaires sur Pascale Casanova car en écoutant les Mardis littéraires avec Antoine Volodine (émission de début septembre), je me suis rendu compte que son attitude est systématique (d'un autre mot : caractérielle) : croyant sans doute que cela fait plus vivant, elle interrompt sans arrêt, souvent avec brusquerie, pose des questions de deux ou trois minutes dont elle n'écoute que quinze secondes de réponse, comme si elle était l'invitée permanente de sa propre émission.
(A suivre : J'ajouterai des liens demain...)


Pour qu'il ne manque aucun ingrédient au civet que Berlol nous mijote depuis deux ou trois jours avec son magnifique lièvre japonais...
Non seulement, cette entreprise donne des statistiques, non seulement elle donne des cours du soir, mais aussi faut-il savoir c'est à elle que la confection des sujets des examens d'entrée de la plupart des universités de l'Archipel est confiée !
Ainsi, la boucle est-elle bouclée et le système... vérouillé à triple tour !
2004-10-03 12:31:09 de dabichan

Et parmi les autochtones, personne ne le dénonce ?
C'est sans doute qu'on y trouve avantage... Mais lequel ?
Le contrôle social ? Des dessous de table ?...
2004-10-03 13:37:50 de Berlol


Samedi 2 octobre 2004. De quoi me souvenir et me devenir.

Beau temps, vraiment ! et une énorme chenille sur une feuille de notre citronnier.
T. et moi décidons d'aller au centre de sport en début d'après-midi après être passés dans un grand magasin pour acheter deux nouveaux pyjamas pour son père. À l'hôpital d'Ochanomizu depuis plus d'un mois, celui-ci n'a actuellement plus souvenir de sa vie d'avant, tout en sachant qu'il n'a pas toujours été là. Impossible de se mettre à sa place pour dire ce que cela fait. Néanmoins, il reste calme, ne demande rien au sujet de l'avenir, dont il n'a peut-être plus le concept (ça me rappelle quand même un passage de roman, peut-être dans le Molloy de Beckett). Comme il devait être opéré à la suite d'un traumatisme crânien mais que sa santé ne le permet pas, il se trouve toujours dans un étage d'urgence où une dizaine de médecins passent le voir régulièrement. Mais il n'y fait pas attention, ne les connaît pas. Les cours ayant repris dans les universités, T. ne peut plus aller à l'hôpital autant qu'elle le voudrait. Elle y va dans l'après-midi et reste jusqu'au dîner paternel. Aussi a-t-elle engagé une garde-malade qui s'acquitte bien gentiment de tenir compagnie à ce vieux monsieur digne (il mange même les gâteaux avec fourchette et couteau, en dehors de ses repas qu'il prend avec des baguettes, quand il les prend). Il a maintenant six pyjamas et chaque soir, il y en a un qui tourne dans notre machine à laver. On pense à lui. Pour l'avenir, on ne sait pas non plus.

On s'est mis à bronzer une demi-heure sur le sun deck du centre de sport, une terrasse en plein air avec quelques transats et un jacuzzi, perché au sixième étage et donnant directement sur une autoroute urbaine en contrebas. Là, j'ai lu encore quelques pages du Méridien de Greenwich que je pense avoir lu pour la première fois après Cherokee, fin des années 80. La proximité d'écriture avec Simon, Robbe-Grillet ou Pinget semble plus grande que dans ses oeuvres postérieures. Mais dès le début, il affirme sa relation à la fois informée et ironique à l'égard de l'art contemporain (ceci dit pour ceux qui penseraient que ça lui est venu pour Je m'en vais) : des oeuvres sont décrites, des éléments du marché de l'art sont clairement présentés... jusqu'à ce que les objets d'art servent à autre chose (telle tête de Polyphème qui est aussi un projecteur de super 8, par exemple). L'irrationnel aussi était déjà présent, agressif même.

"Paul appelait pour la troisième fois de la journée. Il était insistant. Sa voix entrait dans l'oreille de Vera comme une espèce d'aliment sec, déshydraté, congelé et entortillé dans une ficelle de coton beige très fin. Il ne cessait d'articuler. Elle n'arrivait pas à percevoir de scansion, ni même de respiration, dans le brouillard de ses longues phrases infestées de digressions, d'inversions, d'ellipses, de renvois, de ratures et d'énumérations que malgré lui véhiculait le fil du téléphone, lui-même noir, extensible et spiralé. Et Vera s'amusait à tendre et à détendre ce fil, et faisait même des noeuds avec, de sa main libre, pour compliquer un peu plus encore ce que disait Paul." (Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 22)

De retour à la maison, ce n'est plus de téléphone avec fil spiralé et second écouteur séparé que je me sers pour communiquer mais d'ordinateur et de courriel (ce qu'Échenoz n'a toujours pas, aux dernière nouvelles). Au moins une trentaine de messages à rédiger, toujours pour faire avancer le colloque ILF2005, en attendant le retour de T. et dîner.
Et bloguer en pyjama, moi qui ai encore de quoi me souvenir et me devenir.


Dimanche 3 octobre 2004. Tuer à petit feu leurs propres enfants.

Manu et moi retrouvons Bikun, revenu au Japon pour trois mois afin de prendre des cours de japonais. Dès mardi, il ira tous les jours en cours à Takadanobaba. Pour ce matin, il nous met une raclée au ping-pong. Tout de même étonnant, qu'un individu puisse avoir des réflexes tellement plus rapides que d'autres !

Il pleut à seaux toute la journée, ce qui limite les balades. On déjeune de spaghettis, fidèles à notre vieille habitude post-pongique, en faisant le point sur les revoyures des semaines à venir. De notre passé commun, tout s'est défait. L'Institut rendez-vous permanent, les sorties nocturnes, la liberté de draguer ou de faire semblant, les razzias informatiques à Akihabara, les longues discussions sur rester ou pas au Japon, tout cela n'est plus que mémoire... Le paroxysme ayant été un week-end à Aizu-Wakamatsu avec nous trois et A. et Dom en... 1998 ? Mais autre chose s'est fait ou est en train : Manu marié et père de famille à Tokyo, Bikun, A. et Dom difficilement réinsérés en France, et pour moi, on sait.

Ai acheté L'Express International 2777, du 20 au 26 septembre 2004, parce qu'il y a un article de 8 pages intitulé "Japon, les nouvelles fractures", au sujet des travailleurs précaires. Tableau assez juste, je crois, de la dégradation des conditions de travail au Japon. On passe de l'emploi à vie comme modèle de société, avec tout ce que cela a (avait ?) d'aliénant, à l'emploi précaire ou à pas d'emploi du tout, pour des jeunes, des vieux et pour tous ceux qui refusent le modèle unique salaryman / office-lady. Le clivage "riches âgés" et "jeunes pauvres", organisé, faut-il le dire, par les riches âgés, promet une véritable bombe économique et sanitaire dans les trente ans à venir : une très grande quantité de jeunes n'ont pas de revenus stables, ne se marient pas, n'ont pas d'enfants, ne cotisent pour aucune retraite ni presqu'aucune assurance maladie. Que cadres et politiciens de 50 à 70 ans ne voient pas qu'ils sont en train de tuer à petit feu leurs propres enfants et petits-enfants est incroyable et pathétique.
Mais je me demande aussi quel intérêt a un tel article, à qui il sert d'épouvantail, pour le lectorat français ou "international". Dès le sous-titre, il est question de "autant de signes qui révèlent que le modèle de l'emploi à vie vacille". Ce qui signifie que même dans ce pays de grande réussite économique et de grande protection de l'emploi, la réalité de la mondialisation fait son oeuvre, que nous devons tous nous y faire, y compris chez nous où les protestataires gênent la casse sociale à laquelle se livre le gouvernement Raffarin.
En tout cas, à lire pour qui veut voir l'envers du clinquant électronique, du flux tendu et du zéro défaut, ces inventions du Japon que les industriels français, il y a vingt ans, désiraient tant.

L'article terminé, il y a un post-scriptum (p. 45), dont on ne sait pas s'il arrive là par ironie :
"Le Japon organisera l'an prochain la première Exposition universelle du XXIe siècle, Aichi 2005. L'exposition aura lieu près de Nagoya, fief du géant automobile Toyota. Elle aura pour thème "La sagesse de la nature" et sera consacrée aux "défis environnementaux".



Dire que Berlol m'a entraîné pendant 2 ans à varier mes effets. "Tu verras, ça le perturbera !" qu'il disait...
Résultat: c'est encore pire qu'avant ! Bikun n'a pas bronché ! C'est à se demander s'il a remarqué quelque chose...
Je crois que je vais changer de coach !
2004-10-04 14:47:12 de Manu

Ouais, mais le Bikun n'est pas humain, j'veux dire, on ne peut pas lutter ! et pis trouve-z-en des coachs qui t'écoutent avec ma patience !...
2004-10-04 16:40:32 de Berlol


Lundi 4 octobre 2004. J'écoute...

Au petit-déjeuner, finissant avec T. des muffins que j'ai réussi à ne pas faire cramer, j'écoute, bizarrement remué, la voix de France Gall, invitée au Journal de 20 heures de France 2 d'hier soir. Des années qu'elle n'était pas apparue. Là, en robe rouge, très simple, elle est admirable. Et une rapide compilation de tubes, que je n'aime pas tous, mais je reconnais qu'elle a une voix qui ne me laisse pas indifférent. C'est peut-être que les nombreuses écoutes, volontaires ou non, que j'ai engrammées en moi depuis plus de trente ans et qui sont maintenant prises dans mon identité font qu'à en réentendre des bribes, je m'émeus de moi-même en même temps que d'elle.

J'écoute les superbes Reconnaissances à Victor Segalen, produites d'oreille de maître par Mathieu Bénézet (France Culture, le 30 septembre, à écouter jusqu'à jeudi prochain), notamment avec Christian Doumet qui doit être l'un des meilleurs connaisseurs de Segalen (que tout le monde cite, pour sa définition de l'exotisme, mais que peu lisent vraiment).

J'écoute Agnès Jaoui en Projection privée (même radio, hier), parlant de son dernier film et de tas d'autres choses. Ton naturel, pas de langue de bois. L'envie d'être en studio, dans un coin, pour la voir parler, ses gestes...

J'écoute T., répéter plusieurs fois le message qu'elle veut laisser dans notre nouveau téléphone-fax-répondeur, ramené ce matin d'une virée pluvieuse à Akihabara (les piles du précédent ne se chargeaient plus, il fallait passer les feuilles une à une pour envoyer un fax...). Comme dans le sketch de Muriel Robin, il faut s'y reprendre à plusieurs fois, rebrancher le fil qui craque, s'énerver, la jouer cool, reprendre un ton plus bas, enfin tomber juste.

J'écoute Yukie reconnaître ma voix dès que je dis "moshi moshi" pour réserver au Saint-Martin ce soir. Dans le bruit du restaurant et avec seulement quatre sons, elle sait que c'est moi, alors qu'il y a au moins deux cents personnes qui passent régulièrement. Ça m'étonne.


C'était publié tôt aujourd'hui !
2004-10-04 14:57:05 de Manu

J'ai ajouté toute la partie "Après le restaurant..." après ton commentaire. Fallait rendre compte un peu sérieusement des changements réticulaires.
2004-10-04 16:42:47 de Berlol


Mardi 5 octobre 2004. Dans le vide de la langue.

Les corrections de copies m'ont fatigué, rendu presqu'incapable de produire du sens. À force de voir des fautes de conjugaison ou d'accord au pluriel, j'en viens à me demander si nos étudiants ont une mémoire, ou ce qu'ils en font.

"Donc, vous êtes devant une langue extrêmement étrange. Vous vous posez des questions sur l'existence de la langue entre les hommes. Ça vous fait réfléchir aux civilisations dans lesquelles ces langues ont été parlées, vous imaginez, si vous avez un peu d'imagination." ("Leçons de Pierre Guyotat sur la langue française, à l'Université Paris VIII", La Revue littéraire, n°1, avril 2004, p. 202)

Voilà, Guyotat le dit bien : il faut quand même avoir un peu d'imagination. Pour apprendre (ici, il parle du grec et du latin), il faut imaginer que des gens parlaient ou parlent cette langue. Or nos étudiants n'imaginent pas que le français sert à la communication entre des francophones. Ils le savent, ils le constatent mais ils ne l'imaginent pas : ils ne construisent pas de pensée en eux-mêmes qui leur permettrait de ressentir un système langagier global, entièrement similaire au leur dans son pouvoir de construire des identités de locuteur (David, Jean-François ou moi, qu'ils voient chaque semaine) et entièrement différent dans son fonctionnement.
Le cas échéant, ils comprendraient que bricoler leur système sans trop s'en écarter, de peur, pour s'exprimer dans le nôtre ne sert à rien. Qu'il leur faut sauter dans le vide de la langue inconnue, sentir la griserie de la chute sans fin (où conjugaisons et règles grammaticales sont des consignes de vol).

Je n'ai pas encore vu les numéros suivants de cette revue, éditée chez Léo Scheer, mais pour ce numéro 1 que j'ai acheté fin mars quand j'étais à Paris, il y a réellement à boire et à manger (j'y reviens de temps en temps, en me demandant qu'en faire). Un fatras d'auteurs tellement différents que l'on se demande si l'objectif n'est pas justement l'auberge espagnole. À la sélectivité qui règne par exemple au Matricule des Anges, au nom bien spécial et auquel je suis abonné, on a préféré, chez Léo Scheer, une dénomination générique quelque peu présomptueuse ("La" Revue Littéraire, sous-entendu "la seule", les autres étant tout sauf littéraires... on peut aussi y voir de l'auto-dérision)... et une insélection panoramique, voire opportuniste, qui s'explique peut-être par le fait qu'il n'y a pas (officiellement) de rédacteur-en-chef mais seulement, et dans cet ordre, une direction de publication (Léo Scheer), une assistance éditoriale (Florent Georgesco) et un secrétariat de rédaction (Angie David). Finasseries de langage où se lit l'absence de projet — d'où le recours aux opportunités, comme cette intégrale annoncée des séances de Guyotat à Paris VIII sur la langue, qui est évidemment une excellente idée.
(Liens à venir...)


Mercredi 6 octobre 2004. Une marie-louise de plusieurs tonnes.

Enfin du soleil, ce matin ! Et comme je monte au bureau assez tôt, vers huit heures, j'ai juste la bonne lumière dans le bon angle pour prendre en photo un fragment de la nouvelle façade de notre bâtiment, après travaux de renforcement anti-sismique. On voit très bien les structures métalliques qui viennent comme une marie-louise soutenue par les gros vérins napoléoniens, l'un passant devant les fenêtres de David.
Petits pans de murs jaunes, ocres, voulus par Antonin Raymond, comme vous avez souffert !
Mais vous êtes encore là...

Juste à côté de la fac, et encore plus près de chez moi, une nouvelle station de métro est mise en service aujourd'hui même. Elle s'appelle Yagoto-Nisseki et, avec quelques autres stations, elle complète une ligne qui encercle largement le centre-Est de la ville. Pour aller à la gare de Shinkansen, elle doit me permettre d'économiser dix minutes de marche. JFM, toujours à la pointe, l'a empruntée ce matin, ainsi que l'exemplaire de Bonjour Tristesse de David.

Ce dernier est en passe de devenir un accro du ping-pong. Nous avons joué une heure, en rigolant pas mal pour se débarrasser de la tension des cours. Je l'ai baladé de droite à gauche et inversement. Il suit et répond de plus en plus vite. J'essaie quand même de garder ma réputation d'entraîneur, sérieusement écornée depuis dimanche par les doutes de Manu.

Chaque fois que je trouve ou retrouve un adjectif en "-esque" original, je reviens secrètement au temps de mon étude des "-esque" chez Claude Simon, vers 1989-1990...
"Les habitués de la salle louaient sur place leurs armes, que leur apportaient de gros garçons paisibles vêtus de chemises synthétiques, jaunes et flottantes, au dos desquelles était brodée en noir la mention Berkowitz dans une typographie coca-colesque." (Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 45)
Le passage temporel est plus largement ouvert encore par la musique que diffuse en sourdine le centre de sports. Il s'agit en effet de tubes, petits ou grands, des années 80. Je reconnais un morceau de Thomas Dolby, puis un Tears for Fears, quelques autres... Enfin deux accords qui me font frémir car je les reconnais entre mille : c'est un morceau des Cocteau Twins, pas du meilleur album mais tout de même un son inimitable et très beau. Du coup, je réécoute à la maison un maxi de 1995, Otherness, sans doute celui que je connais le moins bien ; c'est encore CocteauTwinesque mais déjà produit comme du Massive Attack.
Il faudra un petit tremblement de terre vers 23h30, démultiplié par les images de caméras urbaines à la télé, pour me repositionner dans le présent. De l'écriture.


J'ai des travaux devant les fenêtres de mon domicile, prévus jusqu'à la fin de l'année. La résidence voisine se refait une beauté : échafaudages, perceuses, marteaux, ouvriers qui crient, etc. Quel vacarme ! Comme je comprends le David qui pestait cet été.
2004-10-07 04:55:23 de LePotager

Pareil, on construit une maison de retraite en face de chez moi. Du bruit du lundi au samedi, parfois même la nuit, lorsqu'il y a des travaux relatifs à l'électricité.
Seul avantage, la vue dégagée, mais cela ne va pas durer.
Difficile de vivre au Japon quelques années sans avoir à subir ce genre de désagrément à un moment ou à un autre !
2004-10-08 04:46:56 de Manu


Jeudi 7 octobre 2004. Avec Michel, on fraie...

Ai attrapé un petit mal de tête lancinant et variable dans le shinkansen. Sans raison apparente.
Ça ne m'a pas empêché d'aller à la conférence de Michel Onfray à la Maison franco-japonaise, où j'ai d'ailleurs retrouvé plein de connaissances (George, Brigite, François, le Pr Kato, etc.).
Mais je ne me sens pas de résumer cela maintenant. Il vaut mieux que j'aille me coucher. On verra demain...

Le lendemain...
Il y avait pas mal de monde à la MFJ, une quarantaine de personnes, pour écouter Michel Onfray. Je ne suis pas certain que le système adopté ait été le plus clair possible : il y avait le traducteur, en consécutif, avec qui il avait dû être mis d'accord que l'on ne ferait que des petites phrases, traduites tout de suite, et il y avait l'ami, Pascal Hervieu, qui formulait des questions auxquelles Michel Onfray devait répondre. Ce qui fait trois voix alternantes, trois propos hachés l'un par l'autre dans un artifice de conversation où Michel Onfray regardait plus souvent son interprète que son ami avec qui il était censé discourir.
Malgré ce système de déperdition de sens, il en passa tout de même pas mal. Que je résumerais en quelques phrases. Si le dernier livre de Bourdieu n'est pas une autobiographie, c'est parce que l'ensemble de ses livres est une sorte d'autobiographie en creux. L'écart philosophique dans lequel il s'était mis en faisant de la sociologie n'empêchera pas que ce qui restera de mieux de Bourdieu sera de la philosophie ; par contre, cet écart, ce glacis l'aura peut-être retenu d'être de ces faux philosophes de son temps. S'il y a des philosophes renards et des philosophes sangliers, Bourdieu semble être de ces derniers, alors que Sartre serait dans les premiers ; mais le fouissement bourdieusien concerne, avec le temps, une diversité de territoires de pensée qui le renardise sur le tard. Quant à Onfray, il se défend de vouloir être un intellectuel total à l'instar d'un Sartre qui, énergique mais brouillon, inacheva la plupart de ses oeuvres (les sartriens vont l'avoir mauvaise, sur ce coup...). J'ajoute personnellement que la création de l'Université popupaire (à Caen, en Corse et audible de partout grâce à France culture) fait de Michel Onfray un intellectuel quasi-total, le quasi étant l'époche dans laquelle il faut un peu se tenir pour ne pas dire n'importe quoi tout de suite sur n'importe quel sujet comme certains philosophes, journalistes, politiciens font.
Dans la pensée, avec Michel, on fraie. (À ma connaissance, personne ne l'avait faite encore, celle-là — Voyez, ça va mieux, sans le mal de tête !)


si tu le revois, le Michel de Caen, tu lui dis que je suis en train de le lire...
suis encore sous le choc de son "Esthétique du Pôle Nord" parue il y a 2 ans
F
quant au jeu de mots, mal de tête ou pas, rassure toi, on note pas...
2004-10-08 10:36:05 de FB


Vendredi 8 octobre 2004. Savoir passer d'Onfray aux escargots.

Bon ben... faudra attendre demain. Parce que là, en plus de la pluie, du typhon qui arrive, de la conférence de Michel Onfray à Komaba et du dîner chez Peter avec des amis, faut encore que je prépare mon cours de demain matin. Et il est minuit...

Le lendemain, donc...
Après l'une des trois ou quatre grasses matinées annuelles, T. et moi sommes allés au Saint-Martin pour déjeuner vers 2 heures. Autant dire que nous étions bien reposés, détendus, prêts, pour T à repartir pour l'hôpital, pour moi à une nouvelle conférence de Michel Onfray, sur l'Université populaire de Caen (UPC), à Komaba cette fois, c'est-à-dire dans la forteresse de l'université japonaise, le lieu d'élite par excellence, un de ceux auquel l'État japonais accorde le plus de crédits. Cette information est importante puisqu'à la fin du débat quelqu'un avait encore la légèreté (ou l'outrecuidance) de demander à Onfray quelle était la différence entre Todai et l'UPC...
Il pleuvait déjà depuis le matin. Une quarantaine de personnes, ici aussi, avaient fait le déplacement. Outre Brigite, déjà citée hier, il y avait aussi mes amis Estrellita, Bill, Hervé (qui présentait Onfray) et Patrick (qui présentait Hervé) et une demi-douzaine de professeurs japonais de haute volée. Des étudiants de Todai et quelques Françaises et Français que je ne connais pas complétaient la quarantaine, isolée dans une classé au milieu des trombes d'eau qui n'étaient que les prémisses des prémisses du typhon qui arrive à l'heure où j'écris.
Météorique, l'Onfray décrivit d'abord le parcours professionnel qui l'amena à ouvrir cette université populaire (voir aussi son dernier ouvrage, La Communauté philosophique). Ce sont des choses bien connues : qui voudrait faire une thèse de philosophie sur La Mettrie ou sur les jardins n'est pas sûr de se trouver un directeur ; qui voudrait penser en philosophe dans sa classe de Terminale au lieu de bachoter les textes au programme risque de se faire casser à l'inspection. Après une vingtaine d'années de telles chicanes, il désira essayer autre chose et son premier amphi d'université libre et populaire fut presque une émeute (à Caen !) car on ne pouvait y faire entrer qu'un tiers des personnes qui faisaient la queue... Le reste suivit. Le désir de philosophie est donc à satisfaire, pour Michel Onfray, dans l'entre-deux qui sépare le formatage scolaire-universitaire et la convivialité suffisante du café-philo.
Il faudrait d'ailleurs que l'attitude philosophique, le permanent questionnement du monde, autrement dit, commençât dès la prime enfance, avec les éléments du quotidien (il y a donc un atelier de philo pour enfants à l'UPC).
On le questionna ensuite sur la méthodologie et la proxémique : comment faire matériellement de la communication sincère avec un amphi de 500 personnes (ce qui est le cas de l'UPC où interviennent, outre Onfray, une dizaine d'enseignants, tous sur le principe du bénévolat). On apprit ainsi que les séances de 2 heures étaient composées d'un exposé d'une petite heure et suivi d'une heure de questions, généralement en rapport avec l'exposé mais pas toujours. Les séances diffusées durant l'été par France Culture et mises à disposition sur le site internet étaient donc les exposés de la première heure, du lundi au jeudi, et un montage de questions-réponses effectué par la radio pour le vendredi (ainsi sus-je que dans la salle, il n'y avait, m'incluant, que 3 personnes qui avaient écouté tout ou partie des conférences disponibles sur le site de FC, les autres tombant des nues).
N'étaient les propos incompréhensibles d'un intervenant qu'Onfray remit à sa place en lui faisant remarquer qu'il évoquait des relations entre des personnes alors que six siècles les séparaient (ce qui fait déjà une bonne boulette, six siècles ! de quoi se cacher sous la table, mais le cuistre pincé n'en fit rien, trop imbu de lui-même pour sentir la baffe qu'il venait de se prendre — sur un tout autre sujet, Onfray avait parlé quelques minutes plus tôt de la "sonnerie des cours", contrepet involontaire qui peut toujours servir...), les questions furent très enrichissantes, tant sur l'UPC que, par la suite, sur la philosophie japonaise.
Ou plutôt devrais-je dire, la philosophie au Japon. Michel Onfray apprit ainsi que le terme tetsugaku, 哲学, créé sous Meiji dans le cadre de la modernisation du Japon était réservé en fait à la philosophie occidentale et même plutôt, disons-le, à la philosophie allemande du XIXe siècle. Ce qui fait que lorsqu'on demande à des Japonais s'il y a des philosophes au Japon en employant ce terme ou en y faisant implicitement référence, ils répondent justement qu'il n'y en a guère, et ceux que l'on trouve sont plutôt soupçonnés de nationalisme, ou pire...
Mais alors, n'y a-t-il pas de pensée, de questionnement de nature philosophique au Japon depuis des siècles ? Personne n'y croit vraiment, à cette idée-là. D'autant que les jardins, justement, ou les fleurs, ou les arts martiaux, ou encore bien des choses du Japon semblent diffuser autour d'elles comme un parfum philosophique... Ah oui, mais ça, ce n'est pas la philosophie (tetsugaku), c'est la pensée ! Shisou, 思想 !
Et ce n'est pas au même rayon !

Bon, j'étais vraiment très très content d'y être, et j'ai tout enregistré. Je ferai peut-être une compilation des meilleures répliques un de ces quatre...
Voyant ensuite que l'on allait être quinze à se faire des politesses et s'échanger des cartes dans un restaurant quelconque que personne n'avait préparé (ce ne serait pas la première fois, après Todai), j'ai préféré rejoindre chez Peter mes vieux copains Bikun et Manu, qui sont bien plus jeunes que moi, et ce malgré la pluie maintenant battante.
Et grand bien m'en prit ! D'abord parce que T. nous rejoignit peu après. Ensuite parce que Peter nous servit d'excellentes choses, dont cette fricassée d'escargots. Voyez comme l'onctuosité de la crême parvient à émouvoir l'appareil au point de saturer la photo. Mais la netteté du feuilleté... C'est Manu qui a fait cette photo ; les miennes étaient floues et celles de Bikun sous-exposées. Difficile à saisir, l'escargot pendant le typhon ! On y reparla d'Onfray, de tetsugaku/shisou, puis, le vin aidant, de diverses autres choses qui se noyèrent plus tard dans les trombes d'eau...


"La connerie des sourds"... pas mal du tout !
Décidément, avec Michel, on fraie... Faudra mettre une petite laine, d'ailleurs !
Pas trop secoués, les escargots ?
A Nag, rien ! Que néni ! Un léger pipi de chat...
2004-10-09 16:38:07 de dabichan

Magnifique soirée de retrouvaille avec Peter...
2004-10-10 17:02:32 de Bikun


Samedi 9 octobre 2004. Son amour et sa mort.

Premier cours sur La Mare au Diable. Une dizaine de personnes alors que l'alerte au typhon est à son maximum...
Avant le cours, connaissant déjà bien mon sujet, je lisais le Salon de 1845 (20 mars, 4e article) de Théophile Gautier : "Les jeunes peintres modernes et romantiques cherchent d’ordinaire les sujets violens et tumultueux, et trop souvent leur désir d’expression dégénère en laideur ; — ils feraient bien, et M. Muller vient de leur en donner un heureux exemple, de traiter aussi des motifs gracieux."
Ce propos correspond étonnamment à ce que demande Sand dans le premier chapitre, L'auteur au lecteur : que les artistes cessent de peindre le crime et autres puissances de mort pour s'intéresser aux puissances de vie, quitte à embellir la réalité. C'est aussi ce qu'elle va faire. La semaine prochaine, ces idées seront reprises pour l'étude des deux chapitres suivants.

Enfin, il m'est donné de revoir Je t'aime, je t'aime d'Alain Resnais (1968) ! Je ne sais plus quand, mais il y a très longtemps, j'avais adoré ce film, pour le sujet et pour Claude Rich. Apparemment, je n'étais pas le seul à m'y intéresser puisque dans la salle de l'Institut, j'ai retrouvé François, Patrice, Franck et Clara... Nous avons tous été du même accord, à la sortie : un chef-d'oeuvre ! L'appareillage très approximatif des scientifiques est un prétexte à une belle réflexion sur la mémoire et sur les forces de l'inconscient, capables de follement piloter un corps à retrouver son amour et sa mort. Noter qu'Alain Robbe-Grillet fait une apparition, dans son rôle éditorial chez Minuit à cette époque.
On parle de tout cela et de bien d'autres choses, avec Clara et Franck, au café de l'Institut, autour d'un Orangina et d'un far breton... pendant que dehors le typhon se déchaîne (on voit les hallebardes descendre et transpercer le sol ; on apprendra le soir, à la télé, que les dégâts sont considérables, y compris à Tokyo).
Et soudain, vers 18 heures, tout est fini.

Comme si une catastrophe pouvait en cacher une autre, la soirée s'achève sur une note vraiment triste : la disparition de Jacques Derrida, que j'apprends par un correspondant. Inquiétante résonance avec Resnais : le personnage joué par Claude Rich, et qui meurt à la fin, s'appelle Ridder, presqu'anagramme de Derrida.
Alors pour aujourd'hui, ça suffira.


Bonsoir.
Le typhon 22 était effrayant. Sorti avec I. en milieu de matinée, puis restés enfermés toute la journée à écouter la pluie et le vent.
Je viens d'apprendre la mort de Derrida. Quel choc.
Beaucoup de personnes ont disparues au tournant de siècles. On sent que l'on est situé à une période de changement. Mais un changement vers quoi ?
C'est tout un monde intellectuel qui achève de disparaître. Certes, sans nous laisser totalement à nous-mêmes, puisquel restent les livres, mais en nous abandonnant néanmoins à nos responsabilités, pour l'avenir.
2004-10-09 17:12:45 de Arnaud

:'(
2004-10-09 17:15:25 de etrange

Derrida
Mon père.
Je ne sais que choisir entre deux douleurs.
En fait, j'avoue, exténuée que je suis, ne pas vouloir choisir dans l'infini panel des souffrances.
Ce soir, sur son lit d'hôpital, je ne lui dirai pas la mort de Derrida.
Nous avons assez à faire, lui comme moi, avec la sienne.
Je me débrouillerai avec la mienne.
En attendant, celle de Derrida m'alourdit de plus de questions sans réponses.
2004-10-09 17:32:50 de Nemo


Dimanche 10 octobre 2004. Achevé puisqu'inachevé.

Exceptionnelle séance de ping-pong, ce matin : on se retrouve à cinq autour de deux tables. Manu, Bikun, François, Katsunori et moi (absent de la photo). Ce pénultième participant est un étudiant d'hier matin (et de quelques trimestres précédents) qui, après le cours sandien, est venu me dire qu'il avait lu dans ce Journal en ligne que je jouais régulièrement au ping-pong... J'ai compris que ce n'était pas juste pour relever l'info qu'il m'en parlait et l'ai convié à nous rejoindre ce matin. Je ne donne pas les scores, ce serait fastidieux. Mais personne n'a démérité... On a fêté ça autour d'un bon plat de pâtes, sauf Bikun qui est parti à un mariage d'amis... en oubliant son portefeuille sous le petit tableau qui se trouve au centre de la photo.

La venue de Katsunori au ping-pong est encore un cas d'invagination du virtuel dans le réel, c'est-à-dire du réel (professionnel) dans le réel (personnel), via le virtuel (JLR) ; donc, double invagination. C'est aussi un cas de décloisonnement spontané : lorsqu'on a une fonction (professeur ou étudiant, par exemple), il est très difficile de sortir de cet enfermement pour avoir d'autres relations avec quelqu'un. Et quand même, ça arrive ! Y'a donc encore de l'espoir, dans ce monde !

"Byron Caine regardait sa machine. Cette accumulation d'objets divers agglutinés sur un cylindre choquait à première vue par son apparence désolante d'objet inachevé. Mais cet inachèvement était si flagrant, si insistant, si parfait en tant qu'inachèvement, que l'on pouvait penser qu'il constituait le principe même de la machine, qu'il en était la fin en soi ; et, dans ces conditions, la perfection de son inachèvement rendant l'objet achevé puisqu'inachevé, on pouvait le supposer fini, prêt à fonctionner, fonctionnant même peut-être déjà ; on pouvait considérer que dès lors toute amélioration que l'on apporterait à la machine ne saurait plus consister qu'en un perfectionnement de son inachèvement même." (Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 100)

Écoutant petit à petit les cinq Surpris par la nuit de France Culture consacrés cette semaine à Michel Foucault (à la fin de la diffusion desquels, donc, meurt Derrida — télescopage à la limite de l'indécence), je constate que le retour de l'ordre moral (sous la forme que j'appelle maintenant le formatage social) que dénonçait encore avant hier Michel Onfray est bien réel, que ce soit dans des figures comme Luc Ferry et Alain Renault (et Onfray n'est pas seul à les montrer du doigt), ou dans des structures relationnelles aussi diffuses que nombreuses (voir le discrédit du syndicalisme par le capitalisme, la ringardise de l'engagement politique comparé à la mode de l'audimat, l'autoritarisme et le sécuritarisme scolaires, etc.).

J'eus donc à ressortir pour aller rendre à Bikun son portefeuille. Rendez-vous fut pris à l'une des sorties du métro de Ginza-itchome, devant Dalloyau, pour faire facile et passer inaperçu. La restitution se fit sans problème à l'heure précise et au lieu dit. Puis on prit un café, nos fauteuils jouxtant ceux de belles gazelles inaccessibles, en parlant journalisme et photo, Érythrée et Kenya, va savoir pourquoi... Je me débarrassais ensuite de l'individu quelques ruelles derrière Ginza et profitai d'un temps mort pour m'acheter une cravate à rayures dissemblables dans un grand magasin.

"Vous auriez pu m'avertir, dit Albin, qu'est-ce que je fais, moi, maintenant ?
— Plus rien, dit l'autre.
Et il gâcha son loden en expulsant au travers de sa poche un petit projectile en acier chemisé laiton, de forme cylindro-ogivale et d'un diamètre de huit millimètres, qui vint se loger derrière la gorge d'Albin, du côté de la septième vertèbre cervicale."
(Ibid., p. 93)


Elles manquent de recul vos tables, non ?
2004-10-10 21:48:33 de Bartleby

Ah, le ping-pong !
Qui aurait prédit que j'en deviendrais accroc ? Car, ça vient presque à me manquer ! Si, si ! Eh bien, pas moi, il y a encore deux mois...
"Dingue, ça !" comme laisserait tomber l'auteur de cette révolution sportive, le coach Berlol.
2004-10-11 09:59:12 de dabichan

C'est vrai que si on avait un mètre de plus pour se déplier entièrement, ça serait encore plus sportif !...
Merci de la remarque, Bartleby.
Comme c'est plus une salle d'"amusements" que de sport, les responsables n'ont pas hésité à mettre quinze tables là où il aurait fallu n'en mettre que dix.
2004-10-11 12:31:10 de Berlol

Pour compléter, comme tu le dis Berlol, c'est une salle d'amusement donc au détriment de la qualité de jeu on privilégie la quantité...
Ceci étant dit on vient plus pour se détendre et se retrouver et donc du coup si on a pas les conditions parfaites (qu'il faudrait en compétition), c'est un peu secondaire!
2004-10-11 15:13:54 de Bikun


Lundi 11 octobre 2004. La course du temps dans une pièce où l'on dort.

Grisaille dehors, grisaille dedans.
Contrecoup du vide dérridéen par un plein de nuages.
"Vivre la mort d'un auteur que l'on est en train de lire", dit Lazarus dans son blog.
David en disait autant de Françoise Sagan il y a quelques jours...

Peu de relief dans un jour fériée consacrée à des paramétrages de courriel, à des messages envoyés et reçus en nombre (à croire que tout le monde est resté chez soi pour m'écrire !).

T. et moi, nous nous sommes un peu promenés, d'Iidabashi à Suidobashi (le pont de l'aqueduc, ruines d'aqueduc construit en 1626), où j'ai acheté... un imperméable !
Que d'eau ! Que d'eau... a coulé sous et sur les ponts !

Voyons ce que devient entre les lignes échenoziennes la course du temps dans une pièce où l'on dort, thème du T de lumière si nourrissant dans L'Herbe de Claude Simon...
"Après qu'il eut raccroché, il calcula le temps qu'avait pris son récit en fonction du parcours effectué par le sinistre rayon qui tombait des rideaux, et posa l'appareil sur un point de son trajet prévisible. Lorsqu'un peu plus tard le rayon recouvrit à nouveau le téléphone, celui-ci se mit à sonner derechef et instantanément. Paul conclut que l'appareil était vraiment photosensible.
— Vous partez demain matin, annonça Carrier. J'espère que vous êtes prêt.
— Si l'on peut dire, articula Paul."
(Ibid., p. 118)


Mardi 12 octobre 2004. Acmé de Kinmokusei.

Et je suis parti, sous la pluie, vers mon destin nagoyen...
Là, trois bonnes nouvelles m'attendaient. D'abord, il y avait un doux soleil, comme il y a trois semaines, comme avant l'entrée dans l'automne. Et puis l'arrivée chez moi par la station Yagoto-Nisseki, pour la première fois, m'a fait gagner dix minutes de marche. Enfin, l'air qu'on respire : un air saturé de kinmokusei (金木犀), entêtant et tonique. Le dictionnaire l'appelle "olivier odorant" (ou Saso, Osmanthus fragrans, voire Osmanthe, kwai-fah ou olivier russe), du fait que les feuilles ressembleraient un peu à celles de l'olivier. Les fleurs sont décrites le plus souvent blanches et très odorantes, mais au Japon, il s'agit toujours de fleurs oranges (d'où le 金, l'or, employé pour tout ce qui est de couleur approchante). Longtemps, j'ai pensé qu'il s'agissait de giroflées ; une confusion dûe à la couleur, sans doute. Les fleurs ressemblent plutôt à celles du jasmin, mon autre adorée. C'est d'ailleurs la même famille des oléacées, dont font partie le frêne, le troène, le lilas et l'olivier qui lui donne son nom.

"Si l'on en croit le folklore chinois, on interdisait aux jeunes femmes de sortir de leur maison pendant la période de floraison du Saso de peur qu'elles ne fussent troublées par sa senteur envoûante. On prétendait que les jeunes femmes iraient enlacer le tronc de l'arbre afin de respirer le parfum intense des fleurs de Saso." (site de Shiseido)

À Tokyo, la floraison des kinmokuseis a été interrompue par le typhon, hachée par la pluie, sol jonché de fleurs ternies, marrons, aplaties, déjà mélangées à des feuilles mortes.
Après le nez, les oreilles : sur France Culture, nombreuses émissions sur ou avec Derrida, anciennes ou nouvelles. Nécessaire.

"Paul regardait l'énorme poste de radio. Il se demanda combien de temps faudrait-il pour que cet environnement moisi, dégradé, brouillon, parvienne à contaminer ce représentant intègre d'une modernité chromée, par quel cheminement l'usure aboutirait-elle à en ronger la surface, les entrailles, lequel de ses constituants métalliques cèderait le premier à l'oxydation, où surgirait le premier point de rouille, à quel stade de corrosion le luisant appareil cesserait-il de contraster avec le désordre désolé du lieu, par quelles étapes successives finirait-il par s'y adapter, par s'y fondre et s'y amalgamer, jusqu'à ne faire un jour plus qu'un avec lui, jusqu'à le résumer, le représenter, en devenir la métaphore.
Tristano réglait la future métaphore sur la longueur d'onde appropriée."
(Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 142)


J'en ai senti ce matin encore à Tokyo. Quel bonheur ! Certains arbustes ont dû attendre le passage du typhon avant de se mettre à fleurir !
2004-10-13 02:39:26 de Manu

J'ai vu ce matin un reportage qui expliquait que l'odorat est un sens très primaire et qu'il constitue maintenant la base d'une thérapie pour retrouver la mémoire grâce aux émotions qu'il suscite facilement de par ce côté instinctif.
Si j'en ai un jour besoin, faites-moi sentir du kinmokusei et je retrouverai la mémoire, j'en suis sûr !
2004-10-13 02:45:07 de Manu


Mercredi 13 octobre 2004. Ma préférence pour l'historique sur le géographique.

Ce matin très tôt (hier soir, en France), j'écoutais sur France Info le débat entre François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit, l'un contre, l'autre pour l'ouverture des négociations sur l'intégration européenne de la Turquie. Des arguments sérieux de part et d'autre et un tutoiement de bon aloi. L'un raisonne géographiquement et refuse que le petit bout de Turquie à l'Ouest du Bosphore serve à rendre européenne toute la partie Est (infinie aporie de la limite, qui a pour corollaire l'étrangeté des éventuelles futures frontières orientales de l'Europe...). L'autre raisonne historiquement et considère que l'Empire ottoman a suffisamment participé à l'Europe imprécise des trois derniers millénaires pour être membre à part entière de l'Union européenne un jour.
J'avoue ma préférence pour l'historique sur le géographique.
On en discutait au déjeuner, avec David et Jean-François. David est plutôt géographique, comme gars. Et géopolitique aussi : le fait que les Américains soient aussi favorables à ces négociations ne serait qu'une stratégie zizanique, destinée à nuire à l'Europe dont les États-Unis craignent la future puissance. Mais en matière diplomatique, le manque de finesse et d'intuition de nos amis du grand Ouest est légendaire, pensai-je sous cape...
Jean-François ne s'est pas prononcé sur cela. Il a choisi un autre terrain pour dire une chose qui m'a ahuri (sauf si j'ai mal compris) : qu'Échenoz était à Cioran ce que Jaoui était à Godard. Et que les derniers pouvaient regarder les premiers avec condescendance. Où l'on retrouve l'insondable fossé de l'arbitraire du bon goût, du génie, de la classe, tel que Nathalie Sarraute l'avait subtilement dévoilé dans Pour un oui ou pour un non...
Pour ma part, je me fous de comment Godard considèrerait les films d'Agnès Jaoui. Si je lui accorde que tout ce que je ne comprends pas dans ses films surchargés est sans doute intelligent et beau, comme j'accorde à Cioran que son oeuvre soit belle et forte quoique lourdement triste et soporifique, je ne leur consens aucune supériorité de principe. D'ailleurs (je ne me prononce pas sur le cinéma qui n'est pas mon rayon), l'inventivité formelle d'un Échenoz et son habileté jubilatoire à combiner les langages n'ont rien à envier à la note poétique pugnacement tenue d'un Cioran.

"Elle se remit à écrire, transcrivant en détail l'irruption du silencieux, puis la progressive animation du bar, sans doute liée à l'avancement de l'après-midi.
Ainsi s'animaient et s'avançaient le bar et l'après-midi. Un jeune homme mettait le flipper en marche ; la bille d'acier roulait sur le plan incliné avec un bruit huilé et cognait sur son parcours divers obstacles élastiques qui la renvoyaient en tous sens, provoquant toutes sortes de chocs, déclenchant diverses tonalités de sonneries ou des séries de claquements, précis comme des rafales, cette polyphonie se ponctuant de temps à autre par une détonation mate annonciatrice de partie gratuite ou par le grognement satisfait du jeune homme lorsque s'éclairait, en lettres mauves sur fond bleu l'inscription
same player shoots again. [...] Le bruit général embrumait l'espace de façon assez stable, comme orchestrée. Vera barra deux lignes, ratura quatre mots et mit un point." (Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 149-150)

Un petit supplément pour deux choses : dire d'abord combien nous nous sommes amusés au ping-pong en fin d'après-midi, avec David et quelques autres collègues, pendant que d'autres faisaient des exercices de flamenco, leurs claquettes parasitant le bruit de nos balles ; signaler la naissance du Fil de l'O aux SeuilsEtChantiers, blog d'un ami avec lequel nous dériverons autant que faire se pourra.


Non, rien dit sur la Turquie. Déjà que je dis souvent des bêtises dans les domaines où j'ai un petit début de compétence...
J'ai des problèmes d'yeux et de lunettes, mais c’est bien quelquefois. Dans le blog de la veille, j'avais lu : VIVE la mort des auteurs au lieu de VIVRE la mort des auteurs !!! Après l'effarement (en plus David pensait la même chose de Sagan!), pendant quelques fractions de secondes, je me suis dit, il a raison ce type, d'ailleurs c'est une idée qui m'a déjà effleuré, puisque tout doit passer, eh bien que les auteurs vivants rejoignent les auteurs morts qui sont la majorité, muette mais pas silencieuse - après tout, oui, vive la mort des auteurs... Bizarrement, le lendemain matin, dans une émission de France-Cu sur le vol du Cri (le tableau de Munch), une dame, norvégienne je suppose, un peu à côté du débat, émettait l'idée que toutes choses étant faites pour mourir, pourquoi pas accepter la disparition à tout jamais du Cri ? - ce que personne n'a relevé, il me semble -mais j'écoutais distraitement. J'avais déjà eu ce mouvement à propos de la vente aux enchères de la collection de tableaux, objets, manuscrits ayant appartenu à André Breton, en me demandant pourquoi il était bien que les collections se fassent sans que jamais elles ne se défassent. Dommage que ça tombe sur Breton, mais il ne faudrait quand même pas que la vénération nous constipe.
Un peu plus bas dans le blog, je crois commencer à lire un passage de Claude Simon, introduit ainsi : "…thème du T de lumière si nourrissant dans L'Herbe de Claude Simon..." . Je lis, je prépare mon souffle pour la lecture de Claude Simon, je suis dedans, je commence : "Après qu'il eut raccroché, il calcula le temps qu'avait pris son récit en fonction du parcours effectué (oh là là là` !) par le sinistre rayon qui tombait des rideaux, et posa l'appareil sur un point de son trajet prévisible..." Et là encore, quelques fractions de seconde, je me dis non c'est possible que Simon écrive aussi lâche, aussi complaisamment, et voilà que ma statue de Simon se déboulonne et dégringole de son piédestal au fur et à mesure ... "Lorsqu'un peu plus tard le rayon recouvrit à nouveau le téléphone, celui-ci se mit à sonner derechef et instantanément. Paul conclut que l'appareil était vraiment photosensible." A partir de là, ce n’est plus du doute, je n'y crois plus, et je comprends que c'est de l'Echenoz, ouf, tout rentre dans l'ordre. (Mais je me demande soudain si le pervers Berlol, sous un discours louangeur et consensuel, n’est pas en train de nous mettre le nez dans la médiocrité de la prose d’Echenoz –second, troisième degrés compris).
Il est vain de comparer, ce n'est pas mon propos. Mais ce lapsus de lecture m'a fait entrevoir un autre regard, le regard par exemple qu'aurait eu Simon - ou Cioran, ou Michaux, ou Jacottet -qui était rediffusé cette nuit sur France-Cu, ou Henri Thomas qu'il citait, ou bien d'autres pour qui l'écriture est affaire de morale- sur ces phrases, en imaginant que par un moment d'égarement, ils les aient écrites, et le revers de la main qu'ils auraient eu pour les balayer, pour dégager le chemin qu’elles obstruent. Je vois cela (comme dirait Duras!). C’est désenchantant, mais salutaire. Je n'ai rien contre Echenoz, j'ai pris du plaisir à lire ses premiers romans à l'époque de leur sortie et Je m'en vais, l'autre été, chez des amis qui m'hébergeaient, en regrettant de ne pas rester assez longtemps pour aller jusqu'au bout. Le problème n'est pas là. De même que j'admire le talent et l'astuce des scénarios et des dialogues de Jaoui-Bacri. J’ai deux cours, depuis un an, dans lesquels je travaille sur On connaît la chanson, j'ai dû voir les quarante premières minutes du film au moins cinquante fois (je tape la transcription des dialogues, je passe et repassse les scènes pour faire remarquer aux étudiants les subtilités et l'agencement quasi miraculeux des situations, les répliques à double-fond, et on rigole bien, et je ne m'en lasse absolument pas) c'est du beau travail d’artisan soigné au millimètre, malicieux, décapant, le meilleur Jaoui Bacri - mais je suis néanmoins persuadé que (à cause de ça ?) le film reste un petit Resnais. Je suis moins enthousiaste sur le premier film de Jaoui réalisatrice. Je ne cherche pas à savoir ce que Godard en pense, mais là encore, à la vision du film, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer le regard d'ennui et d'paccablement qu'aurait Godard, ou un autre de son acabit, sur ce travail de cinéma ; Le film vu, il passe très vite. Pareil pour Echenoz, le livre refermé, je le laisse sans regret jouer dans son coin, - ce n'est pas tant une histoire de hiérarchie que de territoire occupé - il ne me manque pas, la vraie vie de l’écriture est ailleurs comme dirait l’autre.
A mercredi .
2004-10-15 08:48:16 de JFM

Cher JFM,
Merci d'avoir repris ta position avec précision et humour. On voit qu'il ne s'agit pas d'un système d'opposition aussi grossier que ce que j'avais présenté... Ta lecture progressive d'un texte se "dé-simon-isant" en cours de route me paraît très juste.
Mais il me reste des ambiguités et du désaccord. Quoique tu parles de "territoire" plutôt que de "hiérarchie" pour toi-même, tu "imagines" quand même que le regard de Godard serait "d'ennui et d'accablement", ce qui est une forme de catégorisation tout de même un peu hiérarchisante.
Cependant, il n'est pas nécessaire de polémiquer. J'accepte tout à fait que Godard ait ses goûts et qu'en fonction de son travail, il s'écarte rapidement de certaines productions. De même pour toi : tu es libre d'aimer ou pas, ou plus ou moins, tel ou tel auteur ou film (et heureusement, hein !).
Au fond, ce qui me fait réagir et qui me déplaît (et je te remercie de m'obliger moi-même à le penser et à le préciser), c'est l'expression d'un goût sous la forme d'un jugement qui s'impose à tous et qui parfois en impose aux autres, même involontairement, et les convainc, alors qu'il n'est en fait qu'un arrangement de sentiments personnels. Et sans doute sommes-nous tous, même involontairement, je le répète, amenés à le faire, ne serait-ce que dans l'emphase de l'expression de ce que nous aimons.
L'invocation de Cioran ou de Godard pouvait passer pour un recours tout rhétorique à une figure d'autorité permettant d'imposer ton goût et de l'ériger en jugement. A te lire, je vois que ce n'était pas rhétorique mais fantasmatique : tu voyais, tu t'amusais réellement à voir en imagination leur réaction. Et à ce petit jeu-là, personne ne t'interdira de jouer, surtout pas moi !
A mercredi.
2004-10-15 10:53:04 de Berlol


Jeudi 14 octobre 2004. Le mot "arbre" possède 4 syllabes...

Matinée ensoleillée. Deux cours de lecture-phonétique (un de première année et un de deuxième année). J'ai voulu ces deux cours annuels sur un principe qui me paraît meschonnicien : se baser sur des questions de rythmes-sons-mélodies dans des textes du manuel habituel (Forum) pour faire travailler l'audition, la prononciation, la production de sens, le repérage des erreurs, etc. On s'amuse donc beaucoup à prononcer des énoncés avant de les comprendre, à accentuer les mélodies, à compter les syllabes, à travailler sur les occurrences de liaisons, d'enchaînements, d'élisions, jusqu'à voir ce que ça veut dire, souvent à l'étonnement des étudiants. Le premier objectif est de leur faire comprendre et intellectualiser que la langue française (et toutes les autres) n'existent qu'en dehors du système syllabaire des kanas qui règle la phonologie japonaise. En effet, si vous laissez dire un Japonais non-averti, le mot "arbre" possède quatre syllabes ! (a-ru-bu-ru...)

Déjeuner chez Downey (hamburgers faits maison) avec David et Chris. Ce dernier est un étudiant français du département de japonais langue étrangère (JLE). Il paraît qu'il y a quatre Français, un Suisse et un Belge, cette année. Ce qui est tout à fait nouveau. On va essayer de les appâter pour les donner en pâture à nos étudiants de français langue étrangère (FLE)...

Complètement avec Michel Leiris, dans les oreilles, pour un petit tour à 250 km/h, plus de 60 ans en arrière...

"16 février [1941]. — Dimanche, il y a quinze jours, déjeuner chez Bataille. Et Zette et moi lui disions en des termes des plus mesurés ce que nous pensions de sa collaboration à une collection que dirige Pelorson. Le principal argument qu'allègue Bataille est celui-ci, ou se réduit à ceci : "ce que j'ai toujours compté pour l'essentiel relève de ma vie intérieure, je n'ai pas à me soucier de ce qui est extérieur à moi" (sic).
Dans le temps présent, il n'y a pas à se solidariser avec ceux qui sont atteints.

Dimanche dernier, reçu lettre de Bataille qui, m'écrivant pour me donner des références bibliographiques qu'il devait m'envoyer, et aussi adressant à Zette un chèque comme acompte sur une petite dette, en profite pour le prendre de haut à propos de notre conversation du dimanche précédent : "on ne se sauve pas par la passivité". Ce qu'il appelle mon "inertie", et plus aimablement ma "pureté élégante" ne rime à rien.
Je jette la lettre au panier, sans intention d'y répondre. [...]

De plus en plus, et quoi qu'en disent les Bataille et partisans d'une mystique, poétique ou non, mais à coup sûr de tout repos, je suis décidé à me raidir, même si ce raidissement devait, comme me le disait Jacques Audiberti rencontré vendredi aux éditions de la NRF, entraîner une sclérose intellectuelle. Plutôt l'inertie, le silence, l'ensevelissement dans une négativité complète que parler, agir dans des conditions telles que cela représenterait de ma part un reniement de nature à les dévaloriser, à priver de toute vertu les quelques témoignages que j'ai pu donner de moi précédemment.
Il y a plusieurs semaines déjà que je réfléchis sur cette vraie maladie des gens de lettres qui ne concoivent pas la possibilité de se taire et pour qui ne plus publier équivaut à une espèce d'anéantissement. À la suite de la conversation avec Audiberti, que j'aimais bien autrefois mais qui m'a paru l'autre jour affreusement verbeux et bavard, [j'ai] réfléchi aussi à l'escroquerie plus ou moins inconsciente qui consiste à identifier l'activité poétique avec la pensée. À faire de la poésie, le domaine par excellence de l'esprit, à déclarer qu'il est d'une importance cruciale de continuer d'écrire des poèmes parce qu'il faut bien que l'esprit continue.
L'esprit existe et continue, et continuera toujours tant que nous ne serons pas devenus des fourmis, en se passant de vos élucubrations et de vos poèmes, mes petits amis !
Tout ceci écrit beaucoup plus contre Bataille que contre Audiberti qui, lui, est essentiellement un naïf. Il ne s'est jamais donné pour ce qu'il n'était pas.

À quoi bon cette petite sortie bien ridicule, et qui relève de ce genre de laisser-aller, la chose qui, de toutes celles auxquelles je suis sujet, est peut-être celle qui me fait le plus honte.

Vu, vendredi dernier à la NRF, Rolland de Renéville. Il a "trouvé" son personnage et le joue admirablement : le rôle du lâche, qu'il remplit à la perfection. On sent que tout son effort a consisté à lui donner un style. Ce qu'il dit de sa peur, de sa "plus-que-peur", il le dit avec un extraordinaire brio et c'est d'un comique effectivement étourdissant. Penser que certains êtres ont atteint ce degré de corruption morale, qu'il leur suffise de styliser leur bassesse, leur vilénie, pour oser se présenter devant les autres avec un front serein. Mieux que cela ! Avec l'air de vous dire : c'est nous qui sommes les malins."

(transcription de la lecture du Journal de Michel Leiris par Jean-Louis Trintignant, rediffusée le 12 août dernier sur France Culture à vérifier sur l'édition publiée...).


Je n'oserai" commenter" votre chronique d'aujourd'hui. Je vous dis simplement merci parce que je fréquente votre chronique depuis le printemps. Enfin depuis le mot "blog" m'est arrivé aux oreilles et qu'à partir des courriels de Litor, j'ai appris que Patrick Rebollar tenait et site et "blog".
J'ai été très interpellé par votre chronique du... 22 août de cette année sur votre "constat d'asymétrie inertielle".
Le fait que vous résidiez au Japon est sans doute pour beaucoup dans mon intérêt de lecture pour votre blog. Le Japon pour moi c'est un bel "exotisme - au sens de Ségalen - c'est pêle-mêle, Shei -Shonagon (grâce à Petre Greenaway), Bashô, Kobayashi et son Kwaïdan, c'est, tour à tour Claudel, ses cent phrases pour éventails et Nicolas Bouvier.
Bon, maintenant, plus quotidien, il y a les chroniques de Berlol.
Merci !
P-S : Et comme on peut vaincre, après beaucoup d'efforts, l'asymetrie inertielle, je m'en suis allé visiter votre ami d'au fil de l'O !
2004-10-14 17:11:06 de Grapheus

Que de bons souvenirs phonétiques évoqués ! Bonne idée que de les donner en pâtures à vos étudiant(e)s.
2004-10-15 00:13:42 de LePotager
A mon tour de vous remercier, cher Grapheus (beau pseudo, au passage !), pour votre "fréquentation" de mon modeste journal. Je suis flatté et même quelque peu gêné d'être mis sur un plan de continuité avec de grands et beaux auteurs... Mais il ne faudrait pas que je vous empêche de continuer à les lire, à en lire d'autres. Heureusement, je vois à la lecture de votre blog (et j'ai l'impression que vous avez (eu) d'autres activités réticulaires) qu'il n'en est rien et que votre jardin continue de pousser. Je viendrai à mon tour y lire ces fleurs textuelles de vos jours.
De plus, votre relation de manifestations culturelles auxquelles j'aurais parfois aimé être et celle que je fais des événements auxquels j'assiste ici se font écho. Il ne faut pas regretter d'être ici et de ne pas être là. On peut au contraire se satisfaire de ce que l'on fait où l'on est en ressentant la résonance générale dans laquelle cela entre, dont nous faisons partie, dont nous sommes les parties. C'est à mon avis ce que l'incessant puzzle des blogs a de supérieur à la presse : les articles et dossiers des médias s'opposent (quoi qu'ils en disent) alors que les blogs s'additionnent et composent un patchwork in progress... Ainsi se corrige mon constat d'asymétrie inertielle, dans les bons jours, ceux où je reçois des messages comme le vôtre.
2004-10-15 11:24:18 de Berlol


Vendredi 15 octobre 2004. Aux aurores pour Aurore (1)

Levé à 5h30 pour une nouvelle convergence littérature-réseau-vie. Il s'agit d'aller accueillir à l'aéroport trois des éminents invités du colloque Sand, après des mois de courriels quasi-journaliers.
J'ai donc pris le Narita Express à la gare de Tokyo à 7h15, ai somnolé sur mon Échenoz, malgré le soleil, jusqu'à l'arrivée au Terminal 1, le terminus de la ligne. Eu le plaisir de voir que la partie de ce terminal en travaux depuis deux ans était ouverte, neuve et moderne, accessible très rapidement dès la sortie du train et qu'elle était partiellement destinée aux arrivées.
Le vol AF276 avait un peu de retard, que j'occupai par la découverte de ce terminal rénové. Pas de photo, hélas, j'étais en mission... Enfin, vint la sortie des voyageurs, dépliés, désincarcérés après 11 heures dans un gros suppositoire volant. Ayant déjà rencontré Nicole Savy à Tokyo lors du colloque Fortunes de Victor Hugo en 2002, je la reconnus et elle poussa son chariot vers moi dès qu'elle m'aperçut. Anne-Marie Baron et Bruno Viard lui emboîtèrent le pas.
Voilà, ils étaient là.
La présence a une évidence qui désarçonne de simplicité.
Et il faut faire quelque chose.
Partir, par exemple.

Nous prenons le train normal de la ligne Keisei car le Skyliner a... du retard ! J'ai fait répéter ça au guichetier car il est vraiment très rare que ça se produise. Le train partait dans la minute suivante. On eut juste le temps de sauter dedans, en toute queue de train, avec les valises. Le voyage se passa en faisant connaissance, en parlant du Japon, du voyage, etc., pendant qu'à chaque station montaient de nouveaux banlieusards qui furent bientôt serrés comme des sardines, prêts à s'asseoir sur nos genoux. Tous heureux du temps radieux, surtout après la grisaille parisienne ou les pluies tokyoïtes des dernières semaines. On m'offrit une petite Tour Eiffel de cognac, j'offris des dossiers que l'Institut m'avait mandaté de leur remettre, avec programmes, plans et un peu d'argent de poche.
Arrivés à Nippori, Nord-Est de Tokyo, près de Ueno, j'ai dû expliquer à un chauffeur de taxi qui allait emmener Mme Baron à son hôtel comment aller à Hongo, quartier de l'Université de Tokyo le monde à l'envers ! avant d'accompagner les deux autres honorables étrangers jusqu'au ryokan très modernisé qui devait les accueillir, sauf qu'à 10h30 l'heure du check-in est encore loin (c'est quoi,en français ? accueil, accès aux chambres ?...) et les chambres ne sont théoriquement pas prêtes. Une de ses anciennes étudiantes était venue saluer M. Viard et nous décidâmes à quatre d'aller en balade dans le quartier de Yanaka, un des derniers quartiers populaires de Tokyo.
Ça faisait au moins quatre ou cinq ans que je n'avais pas pratiqué ces ruelles bordées de temples et de cimetières, mais aussi de boutiques de poterie, de papeteries traditionnelles, de petits marchands de riz, de tofu, de sembés (せんべい、煎餅), etc. J'y pris un plaisir redoublé par le ton badin et instructif de nos premières véritables conversations.
Après une heure de ce régime déshydratant, la faim et la soif se firent sentir dans nos quatre organismes. Je nous conduisis vers un petit restaurant, au pied des escaliers qui descendent de Nippori pour entrer dans le bas de Yanaka, et l'on nous servit quatre chirashizushi de toute beauté !
Après quelques formalités pour les chambres, je laissais les voyageurs se reposer l'après-midi et rentrai chez moi pour faire de même...

Maintenant, je viens de finir la préparation du cours de demain matin sur la Mare au Diable, chapitres II et III, et je vais aller me coucher. J'ai su tout à l'heure que Françoise Guyon était bien arrivée, par un avion de l'après-midi. Il sont donc tous là, ceux qui vont entrer en piste demain, ainsi que les collègues japonaises qui ont oeuvré dans l'ombre depuis des mois et qui seront enfin demain en lumière.

"Heureux le laboureur ! oui, sans doute, je le serais à sa place, si mon bras, devenu tout d'un coup robuste, et ma poitrine devenue puissante, pouvaient ainsi féconder et chanter la nature, sans que mes yeux cessassent de voir et mon cerveau de comprendre l'harmonie des couleurs et des sons, la finesse des tons et la grâce des contours, en un mot la beauté mystérieuse des choses ! et surtout sans que mon coeur cessât d'être en relation avec le sentiment divin qui a présidé à la création immortelle et sublime." (George Sand, La Mare au Diable, p. 36 en Livre de Poche et 47 en Folio)


Eh bien ! Voilà comment dans les lignes de Berlol, se prolongent mes lectures de Nicolas Bouvier.
2004-10-15 23:48:50 de Grapheus

Il y a des jours comme cela, un peu de mauvaise humeur, on commence par le miroir et on finit par la fenêtre.
Je parle ici de nettoyage de vitre dont tout à coup le manque de transparence agace, allez savoir pourquoi !
Donc oui, les chauffeurs de taxi sont de plus en plus nuls à Tokyo. Il arrive souvent qu'il faille leur expliquer le chemin, même pour des destinations plutôt courantes. Difficile d'envisager en prendre un lorsqu'on ne connaît pas soi-même la route !
En revanche, Skyliner en retard, ça c'est un scoop !
2004-10-16 03:36:35 de Manu

l'arrivée d'un contingent sandien à Tokyo, voilà qui mérite récits et commentaires. je me réjouis d'avance à l'idée de cette lecture (dont je doute qu'elle puisse être quotidienne, car le narrateur-scriptuer sera sûrement très occupé, mais n'importe ,une petite bouffée de sandisme tokyoïte par ci par là sera la bienvenue. et merci d'avance!
2004-10-18 08:41:25 de brahimi denise


Samedi 16 octobre 2004. Monochrome polyphonique.

La journée est évidemment sous le double signe de George Sand et de l'Institut. Allergiques, s'abstenir !

Ça commence modestement par mon cours sur La Mare au Diable, consacré aujourd'hui au chapitre II : "Le labour". Et encore n'a-t-on le temps d'en étudier que les premières pages, tant il y a à dire ! Au sein d'une nature féconde, dit le narrateur de Sand, il n'est pas normal que le laboureur n'ait à manger que le "pain le plus noir" où le superlatif revitalise la noirceur du pain noir. C'est que le vilain propriétaire, en "homme de loisir", dispose des gens et des biens à sa convenance. Mais l'exploiteur et l'exploité (comme on dirait dans un langage actuel) sont mêmement aliénés par la valeur convertible de la nature, l'argent qu'ils en tirent, et ne savent pas l'apprécier pour elle-même. L'artiste, lui, n'est pas esclave de cette convertibilité et ressent les beautés de la nature pour elles-mêmes. Mais le constat qu'il fait de l'aliénation des autres l'interpelle (toujours en langage moderne) et il voudrait croire que le laboureur possède un embryon d'esthète, que tout ouvrier, artisan, paysan, peut développer une conscience réflexive, à condition que d'abord quelqu'un parle pour lui (George Sand par exemple) puis que l'éducation l'aide à devenir complet : bras, esprit, coeur.
Ces premiers paragraphes, présentés comme rêverie de qui marche dans la campagne, sont suivis de la description d'un champ qui n'a plus rien du "lugubre" holbeinien, où oeuvrent un vieux laboureur tranquille et un jeune athlète défricheur, qui avance durement en arrachant les souches et dont le chant aux boeufs laisse soupçonner l'artiste. Ça n'a peut-être pas l'air de casser des briques mais c'est une profession de foi socialiste, sans que Sand sache que Marx était en train d'écrire son fameux Manifeste, assortie d'une affirmation de l'existence terrestre du paradis, à consommer de suite, semble dire Sand ce que l'Église ne peut accepter s'il n'est plus nécessaire de souffrir sur Terre et d'attendre l'Au-delà.
Voilà de quoi reprendre ce livre sur de bonnes bases, qui n'ont rien d'obsolète !

Des puces de livres avaient lieu dans le hall de l'Institut.
Pour épargner mes étagères, je n'en pris que trois : le Maldoror, hier et aujourd'hui, actes du colloque des 4-6 octobre 2002 à Tokyo (Du Lérot) où j'étais auditeur assidu ; le Chaque fois unique, la fin du monde de Jacques Derrida (Galilée, 2003), "livre d'adieu" (p. 11) qui rassemble la liste maintenant close des épitaphes qu'il a prononcées ; enfin Les Asiates, de Jean Hougron (1955, réédition Livre de poche, 1969). Comparer cette écriture quelque peu idéologique d'il y a 50 ans à celles d'aujourd'hui, par exemple en allant lire et écouter les boursiers du CNL, m'aidera peut-être, un autre jour, à entrevoir la fabrique idéologique contemporaine...

Entre le déjeuner de sandiennes et sandiens qui allaient et venaient dans la Brasserie de l'Institut, le premier concert autour de Sand proposé par l'AFJAM et la projection de la Note bleue (1990) de Zulawski, une bonne partie de l'après-midi se passa en multiples rendez-vous impromtus au café et dans le jardin, prétextes à photographies, à présentations et à discussions en tous genres. Sans doute de ces moments que je préfère dans l'existence (avec la randonnée, le ping-pong, la lecture et quelques autres).
La triplette de sandiennes réunit ici Haruko Nishio, la principale organisatrice du colloque, Mme Mochida à gauche, et Mme Takaoka à droite, deux éminentes traductrices et chercheuses, prises dans le vif d'un étonnement, une histoire de facture ou de réservation de restaurant, je n'ai pas tout suivi, parfois ça allait trop vite pour moi..
D'intéressants regards croisés suivirent le film. Anne-Marie Baron fit d'abord une présentation éclairée du travail dérangeant de Zulawski, convenant d'excès hystériques et les justifiant par une vision d'auteur qui décale d'un décalage qui, peut-être, quelque part, restitue plus de vérité que le respect de la vérité... Par ailleurs, l'attrait des metteurs en scène pour la vie de Sand plutôt que pour ses oeuvres serait dû, selon Mme Baron, au fait que la vie d'Aurore Dupin aurait été plus brillamment romanesque que ses romans eux-mêmes, ce que nous lui accordons plus aisément. Nicole Savy lui succèda pour un voyage en images qu'elle commenta en historienne de la littérature et des arts (notamment avec l'improbable rencontre de la génération romantique, la célèbre photo de Nadar, le beau tableau coupé de Delacroix, de nombreux clichés que je n'avais jamais vu, et finissant sur un tableau de dendrite, technique de tâches de peinture écrasée que Sand rectifiait de sa main).

Le dîner-buffet fut épique... Mais il vaut mieux que je demande des autorisations signées avant de le raconter jamais !


Dimanche 17 octobre 2004. Reliefs à suspense...

Bon, là, il est déjà minuit et je me lève à 5h30 pour retourner à l'aéroport, donc j'écrirai plus tard ce qui s'est passé aujourd'hui...
Suspense... Épique, vous verrez !

On saura juste comment tout cela finit !
reliefs...

Le lendemain...
N'est pas le jour même.
Ce que je prends souvent sur le vif, le soir même, ne peut plus être saisi après avoir dormi, digéré. Déjà les événements se tassent et la vision devient globale, synthétique.

Ce fut une belle journée d'étude multiforme pour qui l'aurait suivie entière.
Ouverture concertante, où j'étais, de 13h à 14h, pour quelques pièces de musique de chambre de Liszt et de Chopin on imagine Aurore regardant par dessus l'épaule du compositeur le morceau s'écrire... En entrée, Les Enfants du siècle, film réputé platement narratif, furent boudés par la plupart des colloquants, mais pas par le public de l'Institut qui aime bien Juliette Binoche, par exemple ! Pour ma part, je me suis éclipsé car je devais déposer des chemises chez le teinturier  les coulisses d'une vie perso...  et manger un morceau. Christine, Thomas et Kyoko me rejoignirent au Bretagne pour une crêpe dessert quand j'eus fini ma complète artichaut... L'occasion d'un courant d'air dans l'esprit ensablé.

Revenu à l'Institut, c'était l'heure où les traducteurs viennent voir ce que les conférenciers ont à dire, prises de notes, références, noms propres. Vaut mieux pas s'en mêler. Puis, plat de résistance, le débat sur Sand dans l'actualité, et de la pertinence de la lire aujourd'hui, avec Françoise Guyon, Bruno Viard, Nicole Savy, Haruko Nishio, Kyoko Watanabe (et Mme Mochida qui ne put rester avec nous).
Et ça tient la route ! En considérant la quantité et la diversité des oeuvres de Sand plutôt qu'en se limitant aux clichés biographiques. En étudiant en détail la qualité des ouvrages, la souplesse de la langue et l'originalité des trames narratives, au lieu de s'en tenir à une lecture ruralisante des seuls Mare au Diable et Petite Fadette. En replaçant politiquement au centre les questions, épineuses comme les oursins, de l'identité sexuelle et sociale, posées dans la plupart des romans de Sand, et qui se posent à nous avec la même acuité, n'est-ce pas... Bref, en considérant cette oeuvre comme vivante et ouverte.
Comme sont vivants et ouverts les chercheurs qui s'expriment ici, soit dans le débat public, divergeant sur la définition du romantisme puis répondant pendant près d'une heure aux questions de la salle, soit, plus vivement encore, lors du dîner au restaurant Iori de Kagurazaka dont les reliefs de salade nagent éternellement dans la sauce photographique.
Mais déjà la conversation se déplace, sur Kyoto ou certains des colloquants partaient ce lundi matin et pour trois jours, sur notre vie de Français au Japon, qui fait toujours l'étonnement des voyageurs, sur l'opacité politique et historique de ce pays si accueillant mais dont les fondations sont si brumeuses (comme tous les pays, peut-être...), sur le week-end prochain où l'on va tous se retrouver pour la partie scientifique du colloque, à la Maison franco-japonaise...
Forts de ce rendez-vous si proche, aucune tristesse dans nos salutations, qui pour un taxi qui pour un train. C'est déjà demain...


La livraison de ce matin de remue.net renvoie à la page des Editions José Corti sur Gracq où se trouve un inédit - en fait un "inédit" paru dans le Monde des livres en 2000- dans lequel Gracq parle de George Sand. Ta vigilance légendaire l'aura-t-elle déjà repérée et mise en fiche ?
C'est ici : http://www.jose-corti.fr/sommaires/gracq-inedits.html
Voici le passage sur GS.
"  George Sand. Après une longe éclipse, à laquelle Baudelaire — qui portait à la femme Sand à peu près le même genre de sympathie qu’au général Aupick — n’a pas peu contribué, elle émerge de nouveau à l’actualité, mais elle y rentre à contre-emploi. La ravageuse des années romantiques, la pétroleuse de lettres qui effarouchait jusqu’à Chateaubriand, ne survit plus qu’à travers l’épisode isolé des amants de Venise, mais le feu de joie fait par la postérité de ses immenses œuvres complètes a laissé s’envoler de son brasier, comme l’oiseau Phénix, une vieille dame indigne qui se baigne toute nue dans les ruisseaux du Boischaut, et écrit à Flaubert des lettres de soudard plus corsées et plus drolatiques que les siennes, doublée d’une bonne fée — la " bonne dame de Nohant " — qui anime au creux du fouillis d’arbres de la vallée Noire un petit Eden patoisant et rustique, un Coppet plus sentimental qu’intellectuel, une abbaye de Thélème du romantisme vieillissant. Le génie turbulent d’une androgyne de la littérature "dans le vent" s’est tout entier transvasé, décanté et bonifié dans un "lieu de mémoire" hors pair, un salon descendu non au fond d’un lac, mais d’une forêt, nid d’amitiés et reposoir de feuillages qui signe pour nous le vrai chef-d’œuvre — quiétiste — d’une existence menée à bride abattue.
" J’ai mis mon génie dans ma vie, je n’ai mis que mon talent dans mon œuvre ", disait Oscar Wilde à André Gide : jugement que la postérité n’a pas ratifié. La carrière de George Sand ne représente plus guère pour le lecteur qu’un éboulis assez indigeste d’amants et d’amantes, de foucade idéologiques et de livraisons régulières à La Revue des Deux Mondes. Mais elle a eu la chance insigne d’un premier rôle dans le plus célèbre de tous les épisodes où le romantisme, jaillissant hors de ses livres, s’est produit lui-même matériellement sous les feux de la rampe et sur la grande scène du monde. Puis, dans son grand âge, celle d’en recueillir et d’en veiller les cendres dans le poétique reliquaire de Nohant. Bacchante, puis vestale, Muse dans les deux cas, et non indigne de l’être, personne n’a accompagné le cortège du romantisme avec autant de vie et de naturel, dans un rôle à transformations."
"C'est just pour votre information", comme m'écrivait samedi une étudiante dans un mail où elle me donnait le titre exact d'un film évoqué en cours.
2004-10-18 05:28:23 de JFM


Lundi 18 octobre 2004. Aux aurores pour Aurore (2).

Levé à 5h30... On connaît la chanson ! Cette fois, l'avion était à l'heure et c'est José-Luis Diaz que j'attendais. Retour jusqu'à Ebisu, pour l'amener à sa chambre de la Maison franco-japonaise, via le Narita Express jusqu'à la gare de Tokyo, puis la ligne Yamanote, par le Sud. Il a bien tenu le choc mais ne dira pas non à quelques heures de repos.

Je rentre à la maison. T. m'y attend pour aller visiter un petit appartement au quatrième étage de notre immeuble. On pourrait l'acheter, on se tâte...
J'ai omis de parler de T. depuis quelques jours. Dans ses allers-retours à l'hôpital pour s'occuper de son père (qui va miraculeusement mieux, merci à tous ceux qui m'ont questionné à son sujet — ce doit être grâce à vous !), auxquels s'ajoutent les cours qu'elle continue de donner, je ne vois ni fatigue ni déprime. Elle-même s'en étonne. Elle a la joie de vivre de qui fait ce qu'il juge bon de faire sans se cacher la tête dans le sable (en japonais, cette expression n'a aucun sens, on ne connaît pas cette attitude des autruches — existe-t-elle vraiment, d'ailleurs ?).
Elle a poussé le comble jusqu'à s'associer deux soirs de suite aux agapes sandiennes, les amenant au point d'incandescence où elles arrivèrent (dans mes rêves...). Il faut dire qu'elle avait déjà rencontré et apprécié Françoise Guyon quand nous avions été ses locataires estivaux, il y a cinq ans, ainsi que Nicole Savy lors du colloque Hugo, et aussi que Kyoko et Haruko sont loin de lui être inconnues.

Retraversée de Tokyo pour l'ouverture d'automne du GRAAL (je rappelle que toute personne intéressée par le programme peut y venir librement, il y a de la place). On se raconte ce que l'on a fait de culturel ou de littéraire pendant l'été. Je résume les colloques et conférences de ces dernières semaines. Puis vérifications des informations pour les manifestations à venir : conférences de José Luis Diaz, jeudi à Gakushuin, vendredi à Sophia, et le colloque Sand à la MFJ samedi et dimanche, évidemment. Enfin, je présente rapidement Lydie Salvayre, promettant d'apporter la semaine prochaine le numéro du Matricule des anges où un dossier lui avait été consacré, donnant mon opinion sur la très haute qualité de La Puissance des mouches et de La Compagnie des spectres, faisant part de ma déception répétée après La Conférence de Cintegabelle, Les belles Âmes et, avec un peu plus d'optimisme, après Passage à l'ennemie. Je lui rends justice d'avoir plusieurs fois déclaré que ce dernier livre n'était qu'un amusement. Enfin je signale le vigoureux et très engagé spectacle musical avec Serge Teyssot-Gay (Cf. 27 juillet), Dis pas ça !
José Luis Diaz nous rejoint pour faire les présentations dans les dernières minutes de la séance et aller dîner dans une amusante (et très bonne) sushi-ya, en haut de la tour de Ebisu Garden Place.


Mardi 19 octobre 2004. Complémentairement toujours.

Il repleut ! Un autre typhon qui approche... Mauvaise pioche pour nos voyageurs partis à Kyoto !

Mon shinkansen matinal subit une coupure de courant à 10h02 ! J'étais en train de lire Échenoz... Ça dure un quart d'heure. C'est mon premier retard de train en près de cinq ans d'aller-retour hebdomadaire.

"Pendant ce temps, Carrier discourait sans transition sur la mémoire. Ainsi certains avaient de la mémoire, d'autres non. Et puis il y avait différentes sortes de mémoire, la mémoire des noms, la mémoire des visages, la mémoire des lieux, des dates, des détails. Il y avait des gens qui n'avaient qu'une sorte de mémoire, d'autres qui en avaient plusieurs à la fois, d'autres n'en avaient aucune plus particulièrement, tout cela dépendait d'on ne savait quoi." (Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 176)

Arrivé sur le quai du métro, j'aperçois cette affiche de promotion de la ligne Meijo. La boucle étant achevée et en service depuis le 6 courant, ils n'ont rien trouvé de mieux que de comparer cela à un donut bien huileux. Goût des autochtones ?
Dans les infinies disputes entre régions, il faut dire que Nagoya ne jouit pas d'une réputation d'endroit très chic...
Cette affiche ne devrait pas l'améliorer.
Heureusement, cela n'empêche pas le métro de venir !

Par un ami, j'apprends le désintérêt certain des organisateurs du pavillon français de l'Expo d'Aichi 2005 pour les universitaires français de Nagoya... alors que c'est tout à côté et qu'on aurait sans doute pu aider d'une façon ou d'une autre. Un courriel que j'ai adressé au responsable il y a plus de six mois n'a jamais reçu de réponse. Nous nous sentons méprisés. Nous survivrons...

Par contre, le futur colloque de Cerisy (13-20 août 2005), L'Internet Littéraire Francophone, a l'honneur d'être référencé aussi sur le site de l'AUF !

Trouvés dans ma boîte aux lettres, deux livres d'amis, que je vais essayer de lire très bientôt : Les Imaginaires métisses, passages d'Extrême-Orient et d'Occident chez Henry Bauchau et Marguerite Duras, d'Olivier Ammour-Mayeur et Tokyo, Petits Portraits de l'aube de Michaël Ferrier.

Après quatre ou cinq heures de bureau, je rentre et je vais faire des courses, en vélo, sous la pluie, après avoir passé des habits de pluie et enfilé mes grosses bottes de pêche Aigle. La fluie me pouette le visage et chasse les dernières maces de trigraine...

Dînant, je suis un téléfilm qui se passe à Kyoto. Famille riche et artisanale, fabricants de gâteaux pour le thé, très haut de gamme. Volonté de montrer et préserver le savoir-faire grâce à un personnage de journaliste-vidéaste qui filme les préparations sucrées, et tout le reste. Promenades dans la bambouseraie. S'y mêle un crime, la recherche du coupable, les dessous miséreux de ceux qui paraissaient intouchables. Mais surtout, l'utilisation permanente de l'ordinateur, de l'internet, du courriel, de la vidéo digitale ; mise en avant des objets eux-mêmes et importance actancielle des communications électroniques. Ces excès font penser à une demande, voire à un financement de constructeurs électroniques, bartering nippon où la haute technologie sert la préservation du patrimoine, ou l'inverse, complémentairement toujours.


Toujours aussi perturbant ce blog...
2004-10-19 18:32:44 de Atae

Concept pub visqueux...
Je n'ai rien contre les donuts, sauf qu'il en reste toujours plus que de raison dans la main !
En plus, je les préfère au chocolat pas à la fraise. Nan !
2004-10-20 07:49:28 de dabichan


Mercredi 20 octobre 2004. Les typhons passent, les voix restent !

恐い ! (Ça fait peur !) Il est 19 heures, je suis dans mon bureau et j'assiste en direct au passage du typhon 23 en me demandant jusqu'à quand les fenêtres tiendront. Comme l'eau vient en bourrasques arroser les vitres, on n'y voit presque rien. Et il n'est pas question d'ouvrir, le vent s'engouffrerait.
Vers 18h15, il y a eu des sirènes pour signaler que de grands vents arrivaient.
Au déjeuner, David, assez critique de mesures de sécurité qu'il estimait exagérées, se moquait de la pluie qui n'avait alors rien que d'habituel. Il aura sans doute changé d'avis...
En même temps, j'écoute France Info, où l'on annonce justement que ce typhon est le plus fort que le Japon ait accueilli cette année, si l'on peut parler d'accueillir (comme quand l'hôte a le choix...). On parle de vents à 140 km/h. Voir ce qu'en dit notre ami LePotager.

Évidemment, les cours ont été annulés. Mais cette annulation n'a été diffusée que ce matin vers 8h30, ce qui fait que la plupart des étudiants ainsi que de nombreux chargés de cours sont venus pour rien, sous la pluie battante.
J'en ai profité pour terminer différentes tâches qui traînaient.
Et pour enregistrer quelques émissions de France Culture. En fait, peu de choses m'intéressaient dans le programme du week-end. Mais ce sont deux émissions d'hier soir que je recommande ici vigoureusement.

Tout d'abord dans Culture Plus, entretiens et lectures au sujet d'Irène Némirovsky et d'un roman inédit depuis 60 ans (maintenant sorti chez Denoël) : Suite française. Elle décrit la France de la défaite et de la lâcheté, et notamment la lente et odieuse dérive du statut des Juifs avant d'être elle-même déportée et de disparaître à Auschwitz.
"L'art romanesque d'Irène Némirovsky atteignait ici une précision que la fébrilité aurait pu menacer. Comment est-elle parvenue à ce détachement cérébral sans détruire l'émotion ? La "méthode indirecte" qu'elle utilise pour entrer dans la pensée des personnages les plus négatifs et en révéler la bêtise flaubertienne ne nuit jamais à la palette des nuances. Le trouble que suscite l'apparition des soldats allemands, jamais rejetés dans le mal, la ténuité des convictions face à l'ouragan des situations, l'égarement des individus projetés dans un "esprit communautaire" qu'exige l'urgence politique : une femme seule, avec son intelligence et sa science littéraire, traite admirablement ces thèmes que l'horreur nazie va soudain balayer dans le néant." (René de Ceccatty dans Le Monde du 30 septembre 2004)
Après cela, on croit pouvoir se reposer en écoutant la voix tranquille de Pierre Bergounioux, dans l'ambiance feutrée du Jour au lendemain. Mais ce qu'il dit de son Bréviaire de littérature à l'usage des vivants (chez Bréal) est d'une telle conviction et d'une telle justesse que l'on s'en sent galvanisé.
Les typhons passent, les voix restent !

"Je ne suis pas chauvin. Je pense être le frère de tous les hommes. Je tiens qu'il n'y a rien d'équivalent nulle part sur la Terre à ce qu'on appelle la littérature française. Un certain tour d'esprit qui est propre à cette ethnie située à l'extrême pointe du continent eurasiatique l'a incitée dès l'éveil des temps modernes à se demander explicitement ce qui lui arrivait. Et le cas échéant, se tourner vers l'univers tout entier, vers toute l'humanité pour lui offrir le fruit de sa méditation." (Pierre Bergounioux, vers la 12e minute)

"Il y a toujours un danger qui s'attache à ce que j'appellerai le rapport scolaire à la littérature, c'est la poser comme lettre morte. C'est d'empêcher l'effet en retour qui doit nécessairement résulter de ce que nous tenons entre nos mains, un parallélépipède de papier imprimé, qui fend comme un coin ce que j'appellerai l'épaisseur obscure du monde."
(vers la 15e minute)

Le vent baisse. Il est presque 20 heures. J'imagine sa face rouge, ses joues gonflées, avançant sa tête vers Tokyo et commençant à toussoter comme un vieux moteur... Demain, il aura un rhume, Éole. Et la gueule de bois. Céphalée, pas souffler si fort !
Trace d'hier : je connais quelqu'un qui a cherché le mot trigraine dans le dictionnaire...


Bonjour. Je te remets ce que je t'ai déjà dit hierle 20. J'écrivais donc hier soir, par email, au sujet de Tôkyô :
« Impressionnant, ce typhon de grande puissance qui arrive sur Tôkyô. Il doit déjà être sur toi, à Nagoya. Il dépasserait en taille tous les précédents de cet été, disent-ils.
Et je veux bien le croire car ici il peut très fortement depuis ce matin (j'ai hésité pour aller au taff, mais je savais que je revenais à 14h), alors qu'il était encore au sud de Kyûshû ! Depuis 18h, il pleut à torrents alors qu'il n'était encore que chez toi ! Je croyais qu'il était déjà ici. ( Il doit arriver à 2h à Tôkyô.) [à 23h-24h en fait]
En ville, depuis ce matin, on entend des policiers crier un peu partout, en train d'organiser les secours pour les inondations. Mmmh.
Et puis, c'est préoccupant cette succession de typhons depuis fin août : on est déjà presque en novembre. En Europe, c'est la sécheresse ou les inondations, sur toute l'Europe qui se succèdent (surtout les inondations d'ailleurs). J'ai lu récemment un article sur le réchauffement de la planète dans lequel il était expliqué qu'il se produisait un réchauffement des océans, ce qui à terme allait entraîner une pluviosité plus forte et plus violente. Inquiétant. »
J'ai appris ce matin (jeudi 21) qu'il y avait déjà 26 morts et 32 disparus...
2004-10-21 03:49:24 de Arnaud

Qui est l'abruti qui a consulté son dictionnaire ? Je vous le demande ! Il n'aura donc pas su repérer la magnifique contrepétrie berlolesque le faible d'esprit, que je suis !
2004-10-21 05:41:36 de dabichan

Un petit bonjour de Singapour...
Content d'avoir echappe a cela, tout en esperant que tout va bien pour ceux qui ont affronte la tempete...
Dire qu'octobre est generalement un des mois les plus agreables au Japon...
Le typhon 22 etait le plus puissant de la decennie que le Japon ait "essuye", si l'on peut dire... Qu'a ete le 23 alors ? Le plus fort du siecle ?
2004-10-21 12:35:01 de http://

Pour information :
« Un violent typhon s'abat sur le Japon
LEMONDE.FR | 20.10.04 • MIS A JOUR LE 21.10.04 | 08h19
Selon la nouvelle méthode de classification de l'agence météorologique japonaise, basée sur la taille du cyclone plutôt que sur la pression atmosphérique, Tokage est "le plus gros à frapper l'archipel depuis 1991".
Le typhon Tokage, le plus puissant et le plus meurtrier depuis plus de dix ans à frapper le Japon, a fait près de 80 morts et disparus et 300 blessés depuis mercredi 20 octobre, selon les médias et la police. Le bilan officiel de la police nationale faisait état tôt jeudi matin de 24 morts, 35 disparus et plus de 230 blessés.
Le typhon s'est éloigné de l'archipel en direction de l'est, vers le Pacifique, à la vitesse de 45 km/h, dans la matinée. Les fortes pluies, qui tombaient sans interruption depuis 48 heures, ont cessé sur Tokyo.
Tout au long de la journée de mercredi, Tokage a balayé le territoire, déclenchant inondations, plus de 250 glissements de terrain et paralysant les transports.
Après avoir fouetté Okinawa et la grande île méridionale du Kyushu, il s'était abattu sur l'ouest et le centre du Japon mercredi après-midi. Les autorités avaient ordonné à 18 000 habitants d'évacuer provisoirement leur domicile.
Parmi les morts et disparus, la plupart ont été ensevelis sous des coulées de boue ou emportés par des rivières en crue, souvent des gens âgés.
DESTRUCTION ET CHAOS
Un millier de maisons ont été inondées, des dizaines d'autres ont été détruites, a précisé la police. Près de 900 vols intérieurs ont dû être annulés mercredi, bloquant plus de 100 000 usagers.
Un petit train a déraillé dans la préfecture de Nagano et est tombé dans une rizière, faisant quatre blessés légers, selon la police. Une petite quarantaine de passagers ont dû passer la nuit sur le toit d'un autocar de tourisme sur une route inondée de Maizuru, dans la préfecture de Kyoto (Ouest). Ils ont été récupérés sains et saufs jeudi matin par un hélicoptère et des canots. "On était debout sur le toit du bus et je tremblais au fur et à mesure que l'eau grimpait jusqu'à mes genoux. J'ai encore mal aux genoux", a raconté un des rescapés, dont une majorité de sexagénaires.
Tokage, "lézard" en japonais, est le dixième taifu, un record absolu, à s'abattre sur le Japon depuis le début de la saison des intempéries (juin-octobre). Ce typhon porte le numéro 23, qui correspond à son ordre d'apparition dans l'année. Le n° 24 s'est formé en début de semaine. La saison annuelle en compte en moyenne 28.
"LE PLUS GROS DEPUIS 1991"
Tokage survient à la fin d'un été exceptionnellement instable - le plus meurtrier depuis 1993 - qui a fait plus de 120 morts, des dizaines de disparus et des dégâts considérables.
Le typhon Ma-on, déjà un des plus violents des dernières années et qui avait aussi touché Tokyo, avait fait six morts et trois disparus il y a moins de deux semaines.
Selon la nouvelle méthode de classification de l'agence météorologique, basée sur la taille du cyclone plutôt que la pression atmosphérique, Tokage est "le plus gros à frapper l'archipel depuis 1991". Le rayon de la zone des vents les plus forts de ce typhon s'est étendu sur 800 km, une grande taille.
Les typhons de l'été ont provoqué au moins 155 milliards de yens (1,137 milliard d'euros) de pertes aux rizières et aux vergers, selon des chiffres du ministère de l'agriculture diffusés au lendemain du passage du n° 22.
Le taifu le plus meurtrier des récentes années au Japon remonte à 1991 (62 morts et disparus). Les typhons les plus dévastateurs de l'histoire contemporaine de l'archipel ont eu lieu à Muroto en 1934 (3 000 morts) et dans la baie d'Ise en 1959 (5 000 morts).
Avec AFP et Reuters »
2004-10-21 16:09:22 de Arnaud

A propos, Tokage (prononcer : Tokagé) veut dire « lézard ». J'ai remarqué que les typhons ont presque toujours des noms d'animaux, mais pourquoi le lézard ?_?
2004-10-21 16:10:31 de Arnaud

Pourquoi le lézard ? On devrait interroger Michaël Ferrier à ce propos, il s'y connaît en "lézarde"... Excellent petit opus dont la lecture est d'ailleurs vivement conseillée.
2004-10-22 04:34:43 de dabichan

J'ai eu une info supplémentaire (mais assez brumeuse) au sujet du nom du typhon "lézard" aujourd'hui. En fait, le nom n'aurait pas été pris à l'animal, mais été emprunté à un nom de constellation.
Ceci-dit, ça n'éclaire rien... Sorry.
2004-10-22 12:22:05 de Arnaud


Jeudi 21 octobre 2004. Un gros bateau de sashimi.

Les cours reprennent par beau temps. Du matin au soir, la télévision permet de se rendre compte de l'ampleur des dégâts du typhon (Cf. commentaires d'Arnaud hier). Même les radios et télés françaises en rendent compte. Ce qui fait que l'on peut attendre le coup de fil angoissé de Lucette, ma grand-mère, qui appelle à chaque fois qu'elle entend que quelque chose s'est passé au Japon, sans différencier Hokkaido, Kanto, Kansai ou Kyushu, par exemple, ce qui est excusable vu qu'elle n'a pas spécialement étudié la géographie de cette région quand elle était à l'école, dans les années 1920...

"Quelques temps avant leur départ, Carrier avait prié Caine de lui procurer une copie factice du projet Prestidge, suffisamment proche de l'original pour que seul un expert, en y mettant du temps, pût détecter le truquage. Il suffirait ensuite, expliqua-t-il, d'orienter discrètement Haas sur la piste de ce leurre pour qu'il se lance à sa poursuite, et ce serait encore un peu de temps gagné pour eux, par lui perdu. L'inventeur, toujours séduit par le jeu du double jeu, et justement convaincu qu'il n'avait pas plus de raisons d'obéir à Carrier qu'à Haas, profita de ce qu'il possédait, par sécurité et sans que personne en eût jamais rien su, deux exemplaires authentiques du projet Prestidge pour confier l'un d'eux à Carrier, se flattant en lui-même de la rareté d'un procédé consistant à faire passer du vrai pour du faux, alors qu'on fait généralement l'inverse. Par surcroît, en remettant ce faux objet faux à Carrier, il sut qu'il introduisait dans un système dont la logique générale lui échappait un paramètre inconnu des auteurs de ce système, une variable clandestine, incontrôlable, dont personne ne pouvait prévoir les conséquences mais qui, de ce fait même, pouvait modifier par loi de structure le système tout entier, et dépossédait par conséquent de leur paternité les créateurs de ce système. D'une certaine façon, Caine en devenait l'auteur ; auteur aveugle, mais auteur." (Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 219-220)

Voilà une mise en abyme qui pourrait bien être transcendantale, me disais-je dans le shinkansen de retour à Tokyo pour un dîner sandien semi-officiel dans le quartier de Meguro, où je ne suis pas retourné depuis au moins cinq ans. Tout le quartier a complètement changé depuis l'époque où j'y suis venu la dernière fois, avec Manu et Bikun, dans un restaurant indien, si ma mémoire est bonne. Il y a maintenant un centre commercial Atré, comme une métastase de celui d'Ebisu, la station suivante de la ligne Yamanote, où je viens presque chaque semaine à la Maison franco-japonaise. Du haut de la tour où nous étions lundi soir avec José Luis Diaz, on voyait d'ailleurs très bien la gare de Meguro et ce nouveau centre commercial où nous dînons ce soir, T. et moi, au Muteki-ya, en compagnie des Viard (Bruno, son épouse et leur fils), des Koest et des Nishio. Bonne ambiance bien qu'il ne soit jamais question de Sand mais plutôt du typhon qui a fait rappliquer les voyageurs de Kyoto plus tôt que prévu. Du coup, ils ont peu vu de Kyoto, comme un éclair.
Étrange restaurant, d'une chaîne, qui sert du salami alterné de fromage, japonais et insipides tous les deux, après une mise en bouche on ne peut plus nipponne et avant un gros bateau de sashimi...


Vendredi 22 octobre 2004. De quel moi parlez-vous ?

Venait chez nous ce matin l'agent immobilier pour l'appartement du quatrième. Il se confirme que T. et moi pourrions l'acheter. Il s'agirait de loger le père de T. dont l'hôpital souhaite se débarrasser, maintenant que son état ne présente plus un caractère d'urgence (relire juillet-août pour voir d'où il revient !). Nous pourrions le mettre dans un autre hôpital, et même le balader d'hôpital en hôpital, ça finirait par nous coûter très très cher. Acheter un appartement qui (par un hasard que je n'ai pas encore interrogé) se trouve dans notre immeuble et à un prix très raisonnable, et louer les services de gardes-malades devrait être moins onéreux et nous éviter bien des cavalcades.

Déjeuner au Saint-Martin. On reprend pied dans un poulet-frites.
Retour à la maison et rédaction du journal d'hier.

À l'université Sophia pour une conférence de José-Luis Diaz ("Balzac et la (dé)construction des identités"). Plaisir de revoir Hajime Sawada, de l'aller photographier dans son bureau.
Il y a des étudiants et des collègues français et japonais. Malgré ces niveaux disparates, ou les ignorant, José-Luis Diaz fait un très bel exposé pour montrer le travail permanent de Balzac, jouant ici avec les types, les mariant, les hybridants, les subdivisant jusqu'à refaire un monde, entrant là dans le for intérieur avant ceux qui sont devenus les champions de ce sport (Joyce, Woolf, Sarraute...)
Dans la préface d'Une Fille d'Ève, Balzac va jusqu'à écrire cette parole bouleversante : "le champ social est à tous".
Bien sûr, Kazuo Kiryu et Bruno Peyron sont aussi à l'écoute, parmi trois dizaines de personnes que je ne connais pas ou trop peu.
Après un certain nombre de translations horizontales et verticales, je me retrouve placé entre Bruno et Hajime, et en face de José-Luis, dans un restaurant portuguais du quartier, Manuel, Casa de Fado. Original, le coup du resto portuguais ! Plus original que bon.
Mais ce n'est pas très grave d'une part parce que les vins sont corsés & raffinés et d'autre part parce qu'avec ces trois-là, je n'ai pas le temps de m'ennuyer... Ni de trop boire, d'ailleurs.

"Moi, reprit-elle, de quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi !" (Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée, 1835)

Ces neurones agités en tous sens m'inspirent ce que j'écris dans mon carnet :
La déconstruction permet (à partir du repérage des pièces, du calcul de leur jeu et des jeux de leurs emboîtements) de reconstruire des sens et des représentations où signifient différentiellement l'oeuvre, la lecture et l'historicité entre elles.
La reconstruction permise par la déconstruction n'a donc rien à voir avec la construction elle-même (qui reste mystérieuse et inaccessible) ni avec la surconstruction qu'illustre un grand nombre de gloses scolaires parce que déductives.

Rentré tard après avoir raccompagné M. Diaz jusqu'à Yoyogi (il saura retrouver Ebisu et la MFJ) et préparation du cours sur les chapitres IV et V de la Mare au Diable... jusqu'à deux heures du matin. Bah !, je pourrais bien écrire jusqu'à quatre heures, comme George Sand le faisait habituellement. Mais elle n'avait pas de cours à donner, elle !

À propos de "corsé" :
En revenant à Iidabashi, j'ai croisé une amie qui revenait de l'Institut où un descendant de Napoléon Bonaparte était venu faire une conférence, si l'on peut appeler ainsi une promotion touristique qui ne fait aucune place aux problèmes de l'indépendantisme, du racisme, du terrorisme, bref tout ce qui fait le quotidien de la Corse dans les journaux d'information. Au point qu'on se demande sur quelle planète vit cet individu et même pourquoi l'Institut l'invite...
Dire que j'ai fait un cours sur Colomba où j'ai dû être plus près de la réalité que ce fossile !


Samedi 23 octobre 2004. L'événement dans l'événement dans l'événement.

Mes douze inscrits sont là, ce matin. Ils vont avoir leur dose ! Car le dialogue entre Germain et le père Maurice recèle mille trésors (chapitres III et IV). Un peu de régionalisme archaïsant, une bonne dose de sagesse des nations ("on sait qui on perd et ne sait pas qui l’on trouve", "les méchantes femmes sont plus rares dans notre pays que les bonnes", par exemple), un tiers de bon sens paysan (c'est qu'il faut "reprendre femme"), mais respectueux des morts (non pas "oublier" sa première femme mais la "remplacer" pour le boulot et auprès des enfants), et un tiers de naïveté pataude ("Vous voulez donc que j'en prenne une laide ?").
Mais le père Maurice sait où il va, tout du moins le croit-il, et la mère Sand aussi : elle lui met le nom de Fourche pour un village, ce qui nous laisse penser à une prolepse de choix possible entre des routes, elle érotise bien le corps de Germain avant de dire qu'un "prétendu qui arrive aussi bien monté a meilleur air", avant d'ajouter que la petite Marie est bien jolie et que Germain pourra la prendre en croupe... Je ne crois pas avoir l'esprit tordu mais je ne peux pas ne pas y voir les conditions textuelles de leur attirance mutuelle, malgré les précautions prises.

Aujourd'hui encore, déjeuner avec T. au Saint-Martin. Yukie a fait du pain perdu. Il est beau. Et il est bon ! Après le rôti d'agneau, je ne sais pas comment je vais faire pour ne pas dormir au colloque !...
T. me charge d'apporter deux parts de pain perdu à K., notre amie qui va intervenir cet après-midi pour parler de naïf et de naïveté chez George Sand. Avec deux petits pots de beurre dans mon sac rouge, j'aurais pu rejouer un célèbre conte...
Les cinq exposés que j'écoute, parmi la quarantaine d'auditeurs qui se sont déplacés jusqu'en ce bel auditorium de la MFJ, sont tous intéressants à un titre ou un autre (là, je fayote à mort...). Je ne vais pas les résumer parce que ça nous entraînerait jusqu'à pas d'heure et parce qu'ils seront publiés un jour ou l'autre.
L'événement dans l'événement pour moi, et puisque je connaissais la plupart des participants, c'était la rencontre de Béatrice Didier. Elle a été directrice de la collection où j'ai publié mes Salons littéraires sont dans l'internet sans que nous ayons jamais pris contact (c'était Nathalie Ferrand qui s'occupait du livre avec moi). De toutes parts, hugoliens, balzaciens et sandiens m'ont parlé d'elle en termes variés et contradictoires, s'annulant les uns les autres, de sorte que je suis allé à elle comme porté par un petit nuage, que je l'ai trouvée charmante et que son exposé m'a semblé fort bien pensé. D'ailleurs, je ne juge jamais sur la mine.

Bien sûr, l'événement qui a finalement supplanté tous les autres, ce fut le tremblement de terre !... Nous étions à la pause, vers six heures moins le quart, presque tout le monde debout dans le hall de l'auditorium, discourant, buvant, s'échangeant des cartes de visite, attendant l'heure du concert, quand nous avons entendu les portes-fenêtres taper le chambranle répétitivement. Puis nous avons chancelé sur nos bases, chacun pour soi chancelant sur ses propres bases, se demandant d'abord si cela ne venait que de soi puis voyant les autres avec une même mine de questionnement introspectif, comprenant alors que c'était collectif, que le chancellement était le même pour tous. Les voyageurs français, plus lents à la comprenette, finissant par se dire que ça y était, ils avaient un tremblement de terre ! Mais pas de cris ni de panique ; on se sent d'ailleurs très en sécurité dans ce bâtiment.
Évidemment, la vanité de parler de Sand alors que des cataclysmes nous menacent pénètre tous les esprits ; certains étonnés, même, que l'on retourne sagement dans la salle pour écouter le concert, délicieux d'ailleurs (encore merci à Marguerite, ses musiciens et sa chanteuse !), pendant lequel les secousses ont repris de plus belle, moins de trente secondes, il est vrai, sans que l'on s'arrêtât.

Le dîner-buffet de notre hôtesse, Mme Françoise Sabban, directrice de la Maison franco-japonaise, fut à la fois délicieux, convivial et productif. Les contacts qui s'y prirent et les liens qui s'y nouèrent donneront lieu, n'en doutons pas, à téléphonages, publications, colloques, etc.


Au sujet des terribles tremblements de terre de la soirée du 23,
« Un violent séisme a fait des centaines de victimes au Japon
LEMONDE.FR | 24.10.04 | 10h45 • MIS A JOUR LE 24.10.04 | 14h51
Il s'ajoute au bilan du typhon Tokage, le plus meurtrier depuis un quart de siècle (91 morts et disparus), qui vient de balayer l'archipel, et montre la vulnérabilité de la deuxième économie mondiale aux catastrophes naturelles.
A peine remis du typhon le plus dévastateur depuis 25 ans, le Japon a été secoué, samedi 23 octobre, par un violent séisme d'une magnitude de 6,8 sur l'échelle de Richter et une série de fortes répliques qui ont fait 19 morts, 4 disparus et près de 900 blessés, selon le dernier bilan établi par la police.
Si le bilan n'est pas à la même échelle, il s'agit néanmoins du séisme le plus meurtrier au Japon depuis le terrible tremblement de terre de Kobé (7,3) qui avait fait 6 433 morts et 43 700 blessé en janvier 1995, la plupart asphyxiés sous les décombres.
Il s'ajoute au bilan du typhon Tokage, le plus meurtrier depuis un quart de siècle (91 morts et disparus), qui vient de balayer l'archipel, et montre la vulnérabilité de la deuxième économie mondiale aux catastrophes naturelles.
Selon la chaîne de télévision publique NHK et l'agence de presse Kyodo, le bilan des blessés dépasse largement le millier : 1 400 pour la première, plus de 1 500 pour la seconde.
NOUVELLE SECOUSSE DIMANCHE
Plus de 240 répliques ont suivi la principale secousse d'une magnitude de 6,8 sur l'échelle de Richter qui s'est produite samedi à 17 h 56,heure locale (8 h 56 à Paris). L'épicentre du séisme était localisé près de Niigata, grand port au bord de la Mer du Japon, à 250 km au nord de Tokyo.
Une nouvelle secousse, d'une magnitude de 4,9 sur l'échelle ouverte de Richter a été ressentie dimanche après-midi dans la région d'Ojiya, près de Niigata, la zone la plus sinistrée, où elle n'a fait ni victime ni dégât majeur. Près de 60 000 habitants de la ville ont dû être évacués de leurs domiciles et quelque 173 000 foyers ont été privés d'électricité dans la région.
Pour la première fois depuis leur mise en service il y a exactement 40 ans, un train à grande vitesse Shinkansen a déraillé, sur la ligne Tokyo-Niigata, heureusement sans faire de victime parmi les 150 passagers.
L'hypocentre du séisme était situé à la profondeur relativement faible de 20 km sous terre, a précisé la météorologie nationale. "La première secousse et les répliques n'étaient pas très profondes, toutes situées dans une distance de 10 à 20 kilomètres (sous terre). C'est la raison pour laquelle les gens vivant au dessus ont ressenti de très forts tremblements", a expliqué un expert de la météo.
Parmi les victimes, figurent trois enfants écrasés sous leur maison, un nourrisson mort de choc et des gens âgés décédés de crises cardiaques.
DANS L'ATTENTE DU "BIG ONE"
Le ministère de la défense a mis sur pied une cellule d'urgence et dépêché 230 hommes et 11 avions pour évaluer les dégâts. Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, en visite à Tokyo, a offert dimanche ses condoléances.
Il y a quelques semaines, près d'un million de Japonais avaient pris part à travers le Japon à des entraînements pour marquer l'anniversaire du "Grand tremblement de terre du Kanto" (région de Tokyo) le 1er septembre 1923, qui avait fait 142.807 morts et disparus, le bilan le plus lourd de l'histoire du Japon.
L'archipel est au confluent de quatre plaques tectoniques, avec des milliers de secousses chaque année, et sa capitale, Tokyo, est susceptible d'être frappée par un méga-séisme - "the Big One" - à n'importe quel moment.
Avec AFP et Reuters »
2004-10-24 17:27:30 de Arnaud


Dimanche 24 octobre 2004. Chère Denise,

Comme je sais que tu t'intéresses beaucoup à notre cargaison de sandiens, je m'en vais t'en donner des nouvelles. Je pense que tu reverras très bientôt certain(e)s d'entre elles/eux et que ce sera autant de sons de cloches.
Aujourd'hui, j'ai commencé hors de l'église en allant au centre de sport avec mon épouse en fin de matinée. J'avais besoin d'exsuder quelque peu et de lever de la fonte. Ayant donné libre cours à mes fantasmes de surpuissance, je suis revenu à plus de réalisme en rejoignant un ami qui apprend le japonais à Tokyo et qui est accessoirement photographe, à moins que ce ne soit l'inverse. Soudoyé d'un plat de pâtes tomateuses, c'est te dire la pauvreté de l'artiste, il a accepté de venir avec moi au colloque. Du fait qu'il est plus grand que moi, je pourrai me cacher derrière et puis surtout il fera moult photos.
On est arrivé juste avant la reprise de 14 heures. J'ai su plus tard que plusieurs ont déjeuné dans un restaurant thaïlandais, ce qui expliquera peut-être en partie leur propension à la tristesse des adieux. Mais pour l'instant, c'était la reprise et une belle brochette nous attendait avec le personnage d'Isidora illustrant des propos sur la courtisane, avec la question des femmes dans les Contes d'une grand-mère, enfin avec les Lettres d'un voyageur et l'entrée en politique.
Pendant ce temps, Bikun multipliait les clichés avec un appareil énorme qui tenait tout le monde en respect. Cela permit aussi à toutes et à tous de bien comprendre le sens du mot photographe et d'aller se mettre sur le trottoir quand quatre heures sonnèrent, comme on l'avait demandé pour faire des prises de groupe. Bikun mitrailla quelques minutes sans que la forme et la composition du groupe ne cesse de se modifier insensiblement.
On pourra voir les résultats sur le site ici, à condition de deviner le nom d'utilisateur et le mot de passe, qui sont identiques. Le trouveras-tu ? Le concours est d'ailleurs ouvert à tous ! Envoyez les suggestions en commentaires. Bikun vous dira qui a gagné une photo haute résolution du colloque Sand de Tokyo au format abribus, en commentaires lui aussi.

Mais je m'endors, chère Denise, et vais m'arrêter ici pour ce soir, juste avant d'entamer la grande brochette de synthèse. J'espère que tu ne m'en voudras pas de te faire cette relation du jour en deux temps...


Le lendemain...
En fait, tu comprendras que je ne me livre pas au périlleux exercice de résumer des communications dont j'ai parfois raté quelques étapes, par distraction ou pour intendance, alors qu'elles seront publiées dans quelques mois. D'ailleurs, mes autres lecteurs n'ont pas tous ta fibre sandienne. Par contre, épistémologiquement et sociologiquement, il me paraît important de te rapporter certains propos de la table-ronde de synthèse que présidait José-Luis Diaz, avec à sa gauche Haruko Nishio, Béatrice Didier et Anne-Marie Baron, et à sa droite Françoise Guyon, Bruno Viard et Nicole Savy.
Je te passe les nombreux remerciements, aux institutions invitantes et accueillantes, aux invités qui ont bien voulu nous honorer par leur voyage, aux organisateurs japonais et jusqu'à ton serviteur pour arriver au coeur double du moment : d'une part, la possible mise en relation permanente et institutionnelle d'équipes de recherche sandiennes au sein, non pas d'une fédération, mais d'une structure légère et mobile qui se matérialisera en publications, en diffusion de résumés en français et en anglais avant éventuelle traduction, en liens internet et en futurs colloques, bien évidemment ; d'autre part, les conditions locales qui ont permis le montage et l'existence de ce colloque de Tokyo/Kyoto. À ce sujet, il fallait que ce fût un homme et un Japonais que le dît : l'émergence actuelle d'un champ universitaire sandien s'aperçoit, comme en France, dans un paysage de résistance masculine, voire machiste, encore très perceptible, au Japon surtout, dans la domination des hommes tant dans les universités que dans les associations de professeurs qui souvent abritent les équipes de recherche. L'organisation d'un colloque revenant de droit à un professeur titulaire, il était peu envisageable, jusqu'à ce colloque Sand, qu'un colloque puisse être organisé par une femme qui ne serait pas titulaire mais seulement chargée de cours, ou par un groupe de femmes, ou un groupe d'hommes et de femmes dont les dirigeant(e)s ne seraient pas des titulaires. Je dis cela aussi pour Marielle, qui avait fait le voyage de Fukuoka pour assister à ce colloque mais qui a dû partir à deux heures pour attrapper son avion de retour, sans entendre ces fortes paroles. Bien sûr, tu connais mes motivations profondes, je ne pouvais rêver plus belles paroles : elles me paient de tout le temps passé à tisser, avec d'autres, des liens inter-individuels et institutionnels, de toutes les angoisses sur la fragilité de notre entreprise, de tous les débats et atermoiements internes à toute organisation, qui nous font parfois douter de la nécessité d'y rester.
Je remercie donc ici chaleureusement José-Luis Diaz et plus encore Françoise Guyon qui ont orienté le débat dans cette direction, permettant ainsi la plus belle catharsis, celle qui se métamorphosa quelques instants plus tard en joyeuses agapes, au 39e étage de la tour d'Ebisu. On m'y assit entre Françoise et Mme Didier, en face de Nicole, avec, tout près, Nao, Kyoko, Haruko, Naoko, etc., autrement dit, au centre du monde imaginable, où il ne manquait que toi.
Nous réparerons cela à Paris dans quelques mois...


Les tremblements de terre n'en finissent pas. C'est vraiment inquiétant.
A propos de celui de ce matin, lundi 25 :
« Un nouveau séisme a secoué le centre du Japon
LEMONDE.FR | 25.10.04 | 09h04
La pluie est attendue mardi sur Niigata.
La terre a de nouveau tremblé, lundi matin 25 octobre, dans la région rurale et montagneuse de Niigata, dans le centre du Japon, où des milliers d'habitants ont passé la nuit dans des abris après le violent séisme, qui a fait ce week-end 24 morts et plus de 2 000 blessés.
La nouvelle secousse, d'une magnitude de 5,6 sur l'échelle ouverte de Richter, s'est produite à l'aube la zone de Chuetsu, près de Niigata, la plus sinistrée. Elle a été modérément ressentie à Tokyo. Son hypocentre (zone de formation d'un séisme NDLR) était situé à 10 km sous terre, a précisé la météorologie nationale. Elle n'a pas fait de victime, ni de dégât majeur.
Quelque 360 répliques - dont 49 lundi matin - ont suivi le principal séisme, d'une magnitude de 6,8 sur l'échelle de Richter, qui a frappé samedi à 17 h 56 (10 h 56 à Paris). L'épicentre (point de la plus forte magnitude NDLR) du séisme était localisé près de Niigata, grand port au bord de la mer du Japon, à 250 km au nord-ouest de Tokyo.
PRÈS DE 100 000 HABITANTS ÉVACUÉS
"Il faut rester en alerte complète car une violente réplique supérieure à six (sur l'échelle japonaise) n'est pas à exclure", a averti un sismologue. Le Japon classe les séismes jusqu'à 7. A 6 et plus, il est impossible de se tenir debout.
Selon le dernier bilan officiel, 24 personnes ont trouvé la mort depuis samedi dans la région de Niigata. Les autorités provinciales ont porté le bilan des blessés à 1 251 tandis que les médias font état de plus de 2 000.
Parmi les victimes du séisme, le plus meurtrier depuis les milliers de victimes de Kobé en 1995, figurent des enfants écrasés sous les décombres, un nourrisson, et des gens âgés décédés de crises cardiaques. Dans un village de montagne, un homme de 42 ans, qui faisait chaque week-end 200 kilomètres pour emmener sa mère de 75 ans à l'hôpital, est mort avec elle dans leur maison effondrée, a raconté le Mainichi Shimbun.
Près de 100 000 habitants de la région ont dû être évacués de leur domicile, de crainte de nouvelles secousses, et ont passé la nuit dans des gymnases, des écoles et autres abris provisoires, selon les autorités locales.
Au moins 2 500 maisons et 1 200 immeubles non résidentiels ont été détruits ou endommagés et 284 000 foyers privés d'électricité dans la préfecture de Niigata, selon NHK. 60 000 habitations étaient encore sans courant lundi matin. Plus de 1 000 routes sont crevassées. Il y a eu une dizaine d'incendies et 90 glissements de terrain.
L'ARDOISE DU SÉISME
En raison notamment du tremblement de terre, la Bourse de Tokyo a ouvert en net recul (-2,20 %), lundi matin, à 10 619,25 points.
Le gouvernement envisage un enveloppe exceptionnelle pour couvrir l'ardoise du séisme mais aussi celle des typhons dévastateurs (220 morts) qui ont ravagé l'archipel nippon ces derniers mois. Selon les autorités, les typhons de l'année ont provoqué 1 000 milliards de yens (9,3 milliards de dollars) de dégâts matériels, soit des pertes supérieures à tous les dégâts occasionnés par le climat en 2003.
La météorologie nationale a donné un nom spécifique au séisme de samedi, comme elle le fait habituellement en cas de secousse majeure. Il passera dans l'histoire comme le "Niigata-ken Chuetsu Jishin 2004" (jishin signifie tremblement de terre).
Le Japon est au confluent de quatre plaques tectoniques, avec des milliers de secousses chaque année, et sa capitale, Tokyo, est susceptible d'être frappée par un mégaséisme à n'importe quel moment.
Le séisme le plus meurtrier, ces dernières années, a eu lieu à Kobé (sud-ouest) en janvier 1995, faisant 6 433 morts et 43 700 blessés, la plupart asphyxiés sous les décombres.
Avec AFP »
2004-10-25 10:18:56 de Arnaud

Merci, Arnaud, de ces copies d'articles que je n'ai pas le temps d'aller lire et qui complètent contrastivement mon journal. Ceci se déroule sur le fond de cela, ou inversement.
Ces catastrophes me font peur rétrospectivement, mais — est-ce inconscience ? — ne m'inclinent pas à craindre l'avenir.
J'ai sans doute trop de prévention, et même de détestation, pour le prévisionnisme catastrophiste des statisticiens qui prédisent de l'avenir avec du passé en recyclant leurs propres fantasmes, et qui se plantent 9 fois sur 10... Ah, mince, je l'ai fait aussi !
2004-10-25 15:16:49 de Berlol


Lundi 25 octobre 2004. La compagnie des femmes.

Reprise des enregistrements d'émissions de France Culture. Depuis quelques jours, je n'avais pas pu m'en occuper. J'écoute, très différentes, Nancy Huston et Chloé Delaume, toutes deux dans Du jour au lendemain. C'est intéressant, mais je ne suis pas vraiment dedans. Je pense à cette convergence du week-end, fruit de nombreux efforts, et qui va se remettre à diverger, chacun rentrant chez soi, par dessus terres et mers. J'ai du mal à revenir du colloque Sand...
Et d'avoir fini mon Échenoz...

"Au terme d'un moment incalculable et incolore, qui est une absence de temps, un trou, Théo Selmer ouvre les yeux. Même à lui il est extrêmement difficile de savoir ce qu'il pense. Cet éveil, cette émergence, il les vit dans l'indifférence, dans le néant qui n'a pas achevé de se dissoudre en lui, dans l'oubli du langage.
Son regard accomode sur un galet, galet parmi les galets, tout contre son oeil. Ovale et crayeuse, cette première perception signe son retour au monde comme un acte fondateur, une preuve ; l'envahit brusquement une bouffée d'omnipotence et de maîtrise ; comme un contact que l'on met, un déclic, surgit le pouvoir de penser. Selmer ébauche un mouvement, son geste avorte et sa tête retombe sur les galets dans une autre position, les yeux dirigés maintenant vers la mer. Un nouveau temps de latence s'écoule, et son regard enregistre maintenant autre chose qu'un galet. C'est un gros objet posé sur l'eau, juste en face de lui. Un bateau, pense Selmer, un navire. Il se réjouit de pouvoir désigner un même objet par deux mots ; cela lui paraît la preuve qu'il recouvre le langage. Puis il se réjouit encore, mais c'est plus ambigu, d'avoir jusqu'à la force de se demander s'il n'est pas, sa faiblesse aidant, l'objet d'une illusion."
(Jean Échenoz, Le Méridien de Greenwich, p. 249)

L'agent immobilier apporte ce matin les contrats pour l'achat de l'appartement du quatrième. Longue lecture que T. suit en détail, quelques questions de ma part, mais tout est correct. Après quoi, on se fait une hanko-party : il faut mettre des sceaux (hanko) tous les trois sur toutes les pages, parfois à cheval sur deux pages, en s'échangeant les feuilles au fur et à mesure. Ça dure au moins un quart d'heure et ça se finit par un thé de fleurs de cerisiers, préparé par T., salé et presque sans goût, mais rituel...

Je retourne à la MFJ pour le GRAAL. On a le choix entre y rester pour faire notre séance tranquillement sur Salvayre, ou partir à l'Université de Tokyo, campus de Komaba, où il y aura à 18 heures une conférence de Béatrice Didier sur la littérature et l'opéra. Mes collègues préfèrent que nous restions où nous sommes. Eux aussi bougent pas mal dans la semaine et apprécient de rester deux heures tranquillement dans notre belle salle de la MFJ. Dommage pour Michaël qui est là-bas et doit surveiller notre arrivée...
Pour illustrer ce que je disais la semaine dernière de Salvayre et de l'emploi ludique de "discours sociaux" dans Passage à l'ennemie, (en 2003), je lis quelques extraits de France guide de l'utilisateur, de Jean-Charles Masséra (POL, 1998). Certes, il y a eu de tous temps des auteurs pastichant des langages administratifs, juridiques, médicaux, militaires, etc. On citait Swift. Masséra n'innove pas complètement. Il y a chaque année de nouveaux intertextes des Chants de Maldoror qui remontent à la surface... Néanmoins, dans ce livre de 1998 comme dans United Emmerdements of New Order, Masséra propose une récupération pastichante de plusieurs types de discours contemporains : des argumentations et pas mal de vocabulaire technocratique, le ton péremptoire et impersonnel qui peut être celui des administrations comme des journalistes statisticiens, des expressions de la rue et des médias, etc.
En concaténant, par exemple à la façon d'Yves Pagès dans Petites Natures mortes au travail (Verticales, 2001), des effets comiques sont produits, le plus souvent, mais avec parfois un effet pathétique et triste qu'illustre bien l'épigraphe de Lydie Salvayre, empruntée à Verlaine, que la misère fréquenta assidument :
"On ripostait par le courage,
La joie et les pommes de terre."

"De l'interaction d'une envie de curry avec la vitesse commerciale moyenne des services et de leur fréquence, pondérée par le nombre des correspondances, on ne retient généralement que la modification du choix (une envie saute d'une sauce à une autre) qui est au fondement du basculement des fromages enveloppés dans des feuilles de châtaigner séchées ficelées avec des brins de raphia, et encadrés par une économie mixte, aux saveurs post-industrielles de l'Inde dans un quart d'heure vingt minutes. Cependant, le groupe italien qui détient 37,5 % des actions de Carré Vert (holding contrôlant World Saveurs) et préfère se recentrer sur les télécommunications, délaissant l'agroalimentaire, peut également être utilisé pour manipuler les envies en tant qu'entités, comme si elles étaient des objets sans structure interne." (Jean-Charles Masséra, France guide de l'utilisateur, p. 36)


Mardi 26 octobre 2004. L'un très souple, l'autre plus raide...

L'un très souple, l'autre plus raide... Que produit en nous la coïncidence suivante ?
En 1916, naissait François Mitterrand. En 1759, naissait Georges Jacques Danton.
Ce dernier aurait aujourd'hui 245 ans. Mais même mort à 120 ans, de n'avoir pas participé à la Révolution française de la façon que l'on sait, et finissant comme l'on sait, personne ne le connaîtrait plus... N'est-il d'ailleurs pas plus connu d'être mort comme il est mort que d'avoir été un acteur important des faits ?

"Mourir de la guillotine, de la fièvre ou de la vieillesse ? Il vaut encore mieux se retirer dans la coulisse d'un pied agile, accompagner sa sortie de quelques gestes gracieux et écouter les applaudissements des spectateurs. [...] C'est bien que la durée de notre vie soit un peu réduite, l'habit était trop grand, nos membres ne pouvaient pas le remplir. La vie tourne à l'épigramme, tant mieux. Qui aurait assez de souffle et d'esprit pour une épopée en cinquante ou soixante chants ? [...] La vie ne vaut pas la peine qu'on prend pour la conserver." (Georg Büchner, La Mort de Danton, trad. de l'allemand)

Certains de mes amis me disent robespierriste. Mais je ne le crois pas. Je ne suis pas pour la surveillance et la concentration des pouvoirs, discrétionnaires ou autres. Et je n'ai pas un tempérament à faire régner la terreur. Il est vrai cependant, à voir tous les de quelque chose qui paradent encore dans les ambassades et les ministères sans être ni compétents ni républicains, qu'il m'arrive de penser qu'il n'y a pas eu assez de têtes coupées...

J'étais très mécontent de mes étudiants, cet après-midi. Devant un texte qu'ils étaient censés avoir préparé (vocabulaire et compréhension minimale) et qui traitait de la pollution et du réchauffement planétaires, ils se sont révélés collectivement incapables de dialoguer, incapables de dire par exemple quels étaient les effets d'un typhon ou d'une inondation.
Je me demande parfois si la "conversation" que tous nos programmes de cours mettent en avant n'est pas limitée à simplement faciliter le consumérisme mondial (savoir acheter des billets d'avion ou de train, demander quelque chose à un chauffeur de taxi ou à un serveur de restaurant, etc.). Formatés à attendre de nous ce genre de jeu gentil (edutainment), les étudiants seraient muets de surprise, démunis ou ennuyés, voire réprobateurs, quand nous abordons des sujets pas drôles ou pas utiles pour aller en France s'acheter un peu plus de Vuitton.
T. me dit que ce n'est qu'un mauvais moment à passer, que les étudiants sont fatigués à cette époque. Ils préparent le festival de l'université... Alors, moi aussi, souple ou raide, il faut que je m'adapte.


Bonjour. Je réponds un peu en retard. Assez pris moi-même cette semaine.
[au fait, tu sais lorsque qqun a répondu à un ancien message ?]
Berlol a écrit :
« Je me demande parfois si la "conversation" que tous nos programmes de cours mettent en avant n'est pas limitée à simplement faciliter le consumérisme mondial (savoir acheter des billets d'avion ou de train, demander quelque chose à un chauffeur de taxi ou à un serveur de restaurant, etc.). Formatés à attendre de nous ce genre de jeu gentil (edutainment), les étudiants seraient muets de surprise, démunis ou ennuyés, voire réprobateurs, quand nous abordons des sujets pas drôles ou pas utiles »
Entièrement d'accord avec ce constat navrant. Étant pour ce qui me consterne historien, j'ai toujours été affligé de voir des gens se demander, très sérieusement, si après tout on ne pouvait pas se passer de cet enseignement. Mais je pense aujourd'hui que ceci n'est qu'un aspect mineur du problème, comme le rappelle ce que tu écris.
Non, plus grave : comme Berlol le note, le savoir distillé dans l'enseignement, quelque qu'il soit, à tous ses niveaux, ne semble plus servir aujourd'hui qu'à "comprendre" les références dont sont signés les produits capitalistes et consuméristes. Savoir (je ne dis pas "connaître") qu'il y a eu un Ancien Régime pour pouvoir regarder / vendre des films en faisant leur sujet, savoir qu'il y a eu Rome pour pouvoir regarder / vendre des peplums, apprendre qu'il existe un différence entre catholicisme et protestantisme pour pouvoir profiter / vendre des goodies-souvenirs différents lors du passage à Paris ou à Londres, savoir qu'il y a eu une féodalité et ce qu'on appelle un Moyen-Age pour ensuite pouvoir élaborer / vendre de multiples variations de musculeux héroïques dans des jeux vidéos, romans, films, festivals, tous plus kitsch les uns que les autres, etc. etc.
(non pas que je critiquasse absolument tous ces produits, je précise)
Bref, je me dis parfois, moi aussi, qu'aujourd'hui, la « connaissance » sert avant tout non pas au savoir mais au marquage des produits de consommation qui se voit ainsi signés (le signe : dans le sens chaque produit renvoie à une "référence", qui lui donne sens) afin de gagner de la plus-value et un sens minimum sans lequel ils ne pourraient même pas exister comme produit de consommation (problème de la valeur d'échange ?). Ainsi, tout le monde est heureux de communnier dans ce grand consumérisme collectif.
Alors forcément, lorsqu'on se voit demander de se servir de ces connaissances, souvent incomplètes d'ailleurs (car le produit consumériste, seul un brin d'informations peut suffir à le signer), pour établir des conclusions pratiques, ou même plus simplement pour envisager de sortir du cercle consumériste vicieux : et bien ça fait chier. Et ça fait mal à la tête aussi. Parce que les neurones, ils chauffent, peu habitués qu'ils sont à analyser, interpréter puis tirer du sens des informations, dont on ne croyait jusqu'ici qu'elles ne servaient qu'à donner du clinquant (ou même pire : un accent de « Vérité ») aux tee-shirts dernier cri.
2004-10-30 03:07:11 de Arnaud

Oups, je n'ai répondu qu'à la seconde moitié de l'email.
Je suis agréablement surpris de voir qqun critiquer Danton, tant il a été réhabilité depuis Furet & les néo-conservateurs en histoire.
Le nom « Robespierristes » a été forgé après la chute du pouvoir révolutionnaire et le début de la réaction. À l'époque du gouvernement révolutionnaire (1793-1794) il n'a aucun sens, puisque le Comité de Salut public, qui concentre sur lui presque tous les pouvoirs, reste toujours soumis à l'Assemblée nationale (la Convention), qui doit le réélire tous les mois.
Et pour ce qui concerne la Terreur et la concentration des pouvoirs, sans tenter de les justifier en soi (ce qui n'aurait aucun sens), il faut avoir à l'esprit le contexte de la grande crise que traverse la Révolution à l'été 1793 : ll'ensemble des monarchies européennes se sont coalisées pour écraser la France et raser Paris jusqu'au sol (dixit le manifeste de Brunswick, le général dirigeant les forces prusses), et d'autre part la guerre civile et les massacres règnent dans l'Ouest, avec l'extension de la Vendée, et dans le Midi de la France, jusqu'à Lyon, les habitants de Toulon venant de donner à l'Angleterre la plus grande flotte qu'avait la France. La situation est plus que critique. On approche du gouffre.
Je cite Albert Mathiez, grand historien du premier tiers du XXe siècle, fondateur de la Société des études robespierristes ( http://ahrf.revues.org/ ), mais très discrédité aujourd'hui notamment par Furet et son courant, dans La Révolution française (1922-1924, 3 t.).
Tout d'abord à propos de la justice révolutionnaire (t.3, p. 91) :
« Il est presque sans exemple que dans un pays de guerre étrangère compliquée de guerre civile les gouvernants n'aient pas recours à une justice sommaire et expéditive pour réprimer les intelligences avec l'ennemi, les complot et les révoltes. »
Je ne peux pas citer tout le livre ici, mais veux juste insister sur la nécessité de comprendre les difficultés de la situation de l'époque, c'est-à-dire le contexte.
Au sujet de Robespierre, Mathiez écrit (t.3, p. 31) pour la fin juillet 1793 :
« L'entrée de Robespierre, son protecteur [le protecteur du ministre de la guerre, Bouchotte n.b.], au gouvernement [i.e. au Comité de Salut public], signifie que dans toutes les parties de l'administration, civile ou militaire, les sans-culottes seraient soutenus et leurs adversaires [girondins et partisans du suffrage censitaire n.b.] réduits au silence ; que les dirigeants de la République ne ruseraient plus avec le peuple ; qu'ils écouteraient ses plaintes, se pencheraient sur ses misères, l'associeraient à leur effort pour sauver la patrie.
C'est une politique à la fois nationale et démocratique que Robespierre va inaugurer. Et, pour son coup d'essai, il va avoir à lutter, à Paris même, contre les extrémistes de gauche alliés aux extrémistres de droite et il leur livrera bataille au milieu d'une disette accrue, quand des frontières les nouvelles désastreuses s'accumulaient. Qu'il n'ait pas désespéré, qu'il ait accepté le pouvoir dans un tel moment, qu'il ait porté sans faiblir un fardeau si écrasant et qu'il ait réussi à sortir la République de l'abîme, cela devrait suffire à sa renommé. »
Il faut avoir conscience du contexte et des difficultés des hommes de la Révolution avant de critiquer trop rapidement leurs choix. Quelle était leur marge de manœuvre, surtout depuis le commencement de la guerre étrangère au printemps 1792 ? Il faut plutôt tenter d'expliquer et d'apprécier les événements, que de juger.
2004-10-30 03:40:56 de Arnaud

Oui, je peux savoir quand quelqu'un a mis un commentaire sur un jour, même assez loin en arrière. Il y a un menu de gestion du blog dans lequel les commentaires apparaissent avec la date et l'heure d'envoi, les derniers en premier.
Et merci de tes beaux commentaires.
2004-10-30 05:12:10 de Berlol

Oui, je ne peux pas être plus d'accord avec vous deux, surtout en ce moment où, je ne sais pas pourquoi, je suis en perpétuelle colère contre tout.
Ca fait plusieurs jours que je me demande si je poste ou pas, et puis, là je suis un peu calmé, alors je me lance, des jours après la bataille. Veuillez m'en excuser.
Depuis l'affaire des premiers hotages, mon courroux n'a fait que poindre davantage.
Les Universités démembrées, et les pauvres hotages, quel rapport me direz-vous ? C'est que tous le monde s'en fiche ! La seule différence, c'est que les hotages, personne n'a pu ignorer le problème, et alors ça a déclenché un orage de haine dirigée sur ces pauvres victimes au retour de leur calvaire. « Laissez-nous en paix, et ne venez pas troubler l'ordre public ! » fut le cri désepéré de l'opinion publique japonaise dans sa grande généralité. Koizumi devait être bien heureux de ce soutien à sa politique, tiens !
Et le dernier, bien mort celui-là. De la compassion ? Si peu ! Les micro-trottoirs montrent surtout des gens qui invoquent la responsabilité individuelle, ou plutôt, l'irresponsabilité : « il l'a bien cherché ! » Mais c'est lui la victime les gars…
Comment vous faites pour parler démocratie et droits de l'homme dans un tel contexte ?
Quand en plus on vous dit régulièrement que la peine de mort à du bon, parce que ça évite de dépenser de l'argent pour des prisonniers très « méchants » !!!
Argent VS Droits de l'homme ? Ah, bon, j'ai compris. On ne parle pas cuisine avec les anthropophages. On ne cause pas démocratie avec des gens qui s'en soucient si peu.
Si on va par là, avec cette logique de la « responsabilité » 自己責任, les Américains auraient alors eu le droit de lâcher encore plus de bombe atomique ? « Après tout, ils l'ont bien cherché, ils n'ont plus aucun droit ! » Boum ! Ah ? Vous trouvez que c'est ce qu'ils ont fait ? Et alors, vous trouvez qu'ils ont eu raison ?
Je trouve que cette société est, en ce moment, « in-existante ». Parce que bien peu de gens existent ici, finalement. On achète, on « travaille », on a une opinion personnelle pas trop originale, ça surtout pas (qu'on ne défendra pas trop quand même). Mais on n'existe pas, pas au « vrai » sens du terme. Ou on ne se donne pas les moyens d'exister. De fair avancer le schmilblik. Il est où le débat de société ?
Ça fait cliché ? Démontrez-moi en quoi il est faut, et pas par l'exemple d'un copain qui aime bien rigoler et l'ouvrir grande quand il est bourré.
L'argument du rush de fin d'année, c'est du saxophone pour les carpes. Je le dis sans agressivité : c'est n'importe quoi. Les cours ont recommencé depuis octobre ! Chacun sa perception des problèmes, mais pour moi, ce n'est ni une explication, ni une excuse. En France ausi, les étudiants sont fatigués à la fin de l'année. Partout dans le monde, même, j'imagine. Et aux USA aussi, c'est la fin de l'année, et les gens se remuent enfin pour les prochaines élections.
Et même fatigués, cela ne devrait pas dispenser les gens de penser. Parce qu'alors les régimes totalitaires auront la vie, et la méthode, aisée : faites les bosser à fond, tondez-les, enlevez-leur leur esprit critique, et ils vous foutront la paix.
Le Japon « un peu rebelle » ? Mais bien sûr. Mais où sont-ils tous ces contestataires ? Où les voit-on s'exprimer en public et revendiquer les vents du changement ?
Chasser un cliché en le remplaçant par un autre… ?
2004-11-01 00:33:05 de Acheron

Hotage… O_o;
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Je veux dire « otage » !
2004-11-01 03:11:21 de Acheron


Mercredi 27 octobre 2004. Une envie de favelas.

Je vais faire comme T., je vais me coucher tôt.

Bon, quelques mots quand même...
J'ai enfin réussi à envoyer un message à la liste Litor pour signaler que la liste a 5 ans. Ça faisait près de 10 jours que je voulais le faire et je ne trouvais ni le moment ni le ton.
Comme chaque fois que je veux/dois écrire un article, je ne peux pas le faire au moment prévu sur le calendrier. Mais cela ne signifie pas que ce n'est pas commencé tout de même. Il y a une façon souterraine d'écrire avant d'écrire en surface (papier ou écran). Des idées s'emboîtent même quand je dors (peut-être surtout quand je dors, comment savoir ?).
Je dois donner un article sur Stendhal avant la fin du mois, aucun mot n'en est encore écrit...
Malgré un petit mal de tête, probablement causé par le confinement dans une réunion avec cinquante autres professeurs, je me décide à aller au sport. Et ça fait du bien, comme d'habitude. Et pas seulement pour le corps...

"Souvent assimilée à la question de savoir pour qui elle se prend, la façon qu'elle a de s'adresser à lui avec ce pull sans manches en angora qui lui va si bien avec un pantalon en satin de soie évasé dans le bas fut longtemps considérée comme un mal."
(Jean-Charles Masséra, France guide de l'utilisateur, p. 45)

"Vous pouvez également étendre votre système de pensée en augmentant votre incapacité à vivre autre chose que ce que vous vivez habituellement et en connectant un 18 trous à votre séjour. Aujourd'hui, votre système de pensée fonctionne avec une trentaine de partenaires économiques dans lesquels on a procédé à l'installation d'un imaginaire fondé sur la capacité d'accéder au pic du Corcovado à bord du petit train à crémaillère, à des jambes débarrassées de tout duvet à l'épilateur électrique ou à une embarcation qui vous entraîne dans les rapides du Canada et dévale une chute de 12 mètres. Depuis plusieurs années, des modules d'extension d'incapacité à vivre autre chose que ce que vous vivez habituellement ont été implantés dans plus d'une centaine de destinations en voie de développement de la consommation des ménages. Si vous disposez d'une envie de favelas ou de chapeaux coniques à quelques pas d'un 18 trous, vous devez la connecter à votre système de pensée avant sa mise à l'épreuve. Attention, si la connexion n'est pas faite, vous risquez de vous endommager." (Id., p. 47-48)

Aux constructions polyphoniques dont je parlais avant-hier, on voit ici s'adjoindre un mode narratif inspiré des notices de jeux vidéos ou informatiques, et ce, bien avant le Définitif bob d'Anne Portugal (lire l'excellent article d'Agnès Disson chez Inventaire/Invention) et le Corpus Simsi de Chloé Delaume. Certes Définitif bob (je n'ai pas encore lu le Delaume) est bien meilleur, et construit dans la longueur, que ces quelques pages de Masséra, plutôt apparentées à des exercices. Néanmoins, c'est peut-être ce livre de Masséra qui a ouvert la voie. À moins qu'il y en ait un autre, d'autres, que je ne connais pas encore...
Le thème des favelas dont on aurait "envie", repris de diverses façons dans France guide de l'utilisateur, prépare aussi le terrain des Belles Âmes de Lydie Salvayre (qui n'est pas un bon roman, peut-être justement parce qu'il romance une idée qui n'avait de force que lapidaire).

Dernière sélection du Goncourt, révélée hier :
Laurent Gaudé : Le soleil des Scorta (Actes Sud)
Alain Jaubert : Val Paradis (L'infini/Gallimard)
Marc Lambron : Les menteurs (Grasset)
Marie Nimier : La reine du silence (Gallimard)
N'en ai lu aucun, et pas vraiment l'intention d'en lire. Sauf peut-être le Jaubert. Ou le Lambron, et l'abandonner dans un avion.


Jeudi 28 octobre 2004. L'amitié n'a pas de nombre.

"À la fin des années 80, tout semblait pourtant indiquer que l'on devait s'orienter davantage vers un plat sorti du congélateur et un yaourt. En effet, dès 1982, même si vous ne circulez plus en accordéon que sur 8 kilomètres avant la porte de Saint-Cloud, 91 % des ménages aimeraient que Bertrand se taise un peu pour qu'on puisse entendre les informations. En fait, on ne cherche plus à savoir comment s'est passée ta journée, on n'aspire plus à en reprendre s'il en reste. Ou plutôt, on sait que c'est juste après la météo. D'une manière générale, il faudra attendre la pub pour que tu trouves pas qu'j'ai maigri." (Jean-Charles Masséra, France guide de l'utilisateur, p. 57)

Merci, Jean-Charles ! Ma journée s'est bien passée. Trois cours avec une bonne ambiance et des objectifs pédagogiques atteints. De nouvelles propositions pour le colloque de Cerisy...
En revanche, pour David, avec la crève qu'il se tient, c'est pas facile.
Je suis même retourné au sport, histoire de bouger autre chose que des neurones.

En triant du courriel de plusieurs semaines, je me suis (enfin) rendu compte que quelqu'un que j'appelais Jean-François s'appelle en réalité Jean-Christophe. Cela m'a tout d'abord paru bénin mais en me souvenant que son nom m'avait été répété à plusieurs reprises, j'ai flairé l'acte manqué. La première fois qu'il m'a dit son nom, il y a quelques semaines, je n'ai pas entendu. Alors que j'étais à côté... Comme un blanc dans mon audition, le temps du prénom. En essayant de me souvenir, j'ai certainement inventé Jean-François. Un autre ami s'appelle Jean-François. Qu'à cela ne tienne : les coïncidences nous sont parfois des garants de vérité.
Et soudain, tout à l'heure, en revoyant son prénom dans son courriel — que j'avais déjà lu mais là aussi en ne voyant pas le prénom —, j'ai compris l'occultation à laquelle je m'étais livré : il y a un an et quelques semaines, un ami qui s'appelait Jean-Christophe est mort dans un accident. Il enseignait à l'université de Tokyo. C'était sans doute le premier Français que j'avais admiré après mon arrivée au Japon, quand je ne connaissais personne. Aux conférences de la Maison franco-japonaise (quand elle était encore à Ochanomizu), il posait avec une certaine agressivité des questions extrêmement embarrassantes. De là, quelques discussions aux cocktails. Les profs qui vont aux conférences sont finalement assez peu nombreux (quoi qu'on en pense) ; nous avons donc été amenés à nous revoir, à donner une valeur à cette présence réitérée. Pour ma part, je ne prends presque jamais la parole pour poser une question à un conférencier. Le cénacle de juges, le cirque de commères que forme l'assistance, cela m'a toujours semblé être peu propice à un échange sincère. Malgré cela, nous n'étions pas cul et chemise. Nous ne nous sommes pas vu souvent, trois ou quatre fois par an, pendant plus de dix ans. Mais l'amitié n'a pas de nombre.

"L'autre, l'Empereur, est mort sans un ami auprès de lui... — "J'étais son ami" — m'a dit avec un profond accent René Leys.
— J'étais son ami, — devrais-je dire avec le même accent, le même regret fidèle, — sans plus chercher de quoi se composait exactement notre amitié... dans la crainte de le tuer, ou de la tuer une seconde fois... ou — ce serait plus coupable encore, — d'être mis brusquement en demeure d'avoir à répondre moi-même à mon doute, et de prononcer enfin :
oui ou non ?" (Victor Segalen, René Leys, coll. L'Imaginaire, p. 239 — livre qui, dans la nouvelle édition folio, sera au programme du cours que je donnerai à l'Institut de janvier à mars 2005).


Vendredi 29 octobre 2004. お洒落, il me va comme un gant !

Comme d'habitude le vendredi : à cause du cours à préparer, blog en retard...

Passage à la mairie de Showa-ku, ce matin avec David, pour enregistrer mon nouveau sceau. En effet, pour que le hanko ait au Japon la pleine valeur qu'a la signature en France, il faut que son dessin soit officiellement enregistré à la mairie de résidence. C'était le cas de mon premier sceau, celui qui avait été réalisé de manière industrielle et que j'utilisais depuis plus de dix ans. Or, au printemps, T. a fait réaliser de nouveaux sceaux pour elle et pour moi par un artisan assez réputé, et pour un prix assez élevé (1000 ou 2000 yens pour l'industriel, environ 10.000 pour l'artisanal). Je l'ai laissée faire, sans protester pour le prix... D'abord parce qu'on ne fait pas cela tous les jours, et surtout parce que je pressentais que cela avait pour elle une importance bien au-delà de ce que je pouvais concevoir avec mon vil esprit d'Occidental.
Si, derrière son apparence, le sceau représente la personne, sa facture artisanale lie peut-être l'individu à de dignes générations d'êtres raffinés. On peut alors être exempt de la saleté et de l'inhumanité du monde industriel ? Une forme de romantisme à la Japonaise ?
David, qui n'avait pas encore vu ce nouveau hanko, l'a tout simplement déclaré osharé ! (お洒落, chic — avec emphase).
S'il est beau et qu'il me blanchit, il me va comme un gant !

Notre dream team de ce matin a pour fonction 1. de passer à la mairie, 2. d'acheter, avec un budget de recherche, un ordinateur portable que David pourra emporter en France en mars prochain pour accompagner nos étudiants en voyage linguistique. On rigole bien dans la voiture, par ce beau temps, dans les avenues dégagés de Nagoya. On en rate même notre cible, parfois. On arriverait à Kyomizudera que ça ne nous étonnerait pas ! (il s'agit d'un célèbre temple de Kyoto...)
À Osu, dans les galeries marchandes, on fait tous les magasins de macintosh. Il y a un jeu universitaire, certes nécessaire pour éviter les abus, qui consiste à faire réaliser trois devis pour le même matériel désiré afin de prouver que l'on a acheté le moins cher possible. On remarque, à cette occasion, que le quartier d'Osu qui était un petit Akihabara en matière d'informatique s'embourgeoise et que plusieurs magasins qui ont fermé ont été remplacés par de la fringue encore assez trash mais déjà bien chère. D'ici quelques années, il nous faudra aller ailleurs...

Dans le shinkansen bondé ce soir, je réécoute le documentaire sur les Bluets déjà cité en juin. Il est vraiment étonnant que, dans les années 50, l'opposition à l'accouchement sans douleur ait été la plus forte du côté des catholiques, au prétexte qu'il était écrit : "tu enfanteras dans la douleur" (Genèse, III, 16). J'espère que ma soeur Marilyne saura s'en souvenir pour ne pas se faire embobiner à l'ancienne par la bêtise doloriste (qui continue d'exister malgré Pie XII).

"Les femmes apprennent à accoucher comme elles apprendraient à nager, par exemple, comme elles ont appris à lire ou à écrire. C'est une méthode d'éducation qui fait appel uniquement à l'intelligence et à la raison."
(Fernand Lamaze, 9 janvier 1956).

Après mon arrivée, une bonne soupe au Hong-Kong Shokudo avec T., dans Kagurazaka, et hop !, je plonge dans la lande : préparation du cours de demain matin sur les chapitres 6 et 7 de la Mare au Diable. En fait, je m'endors à mi-chemin...


Cher Berlol (que j'ai tendance à écrire "Bertol" sans doute en hommage à Brecht!
Je viens de faire un bon plein de ton réticulaire pour compenser une absence de plus de huit jours, qui explique pourquoi je n'ai pas répondu plutôt à ceux de tes aimables propos qui m'étaient spécialement destinés.
Parmi les raisons de mon absence de Paris: une journée "Isabelle Eberhardt" à Genève, où elle est née. Je ne peux mieux définir Isabelle Eberhardt que comme la Lafcadio Hearn de l'Algérie, et par une curieuse coïncidence c'est aussi en 2004 le centenaire de sa mort.
Il se trouve qu'Edmonde Charles-Roux, qui a publié sur elle la grosse biographie en 2 volumes, est aussi comme chacun sait l'éminence pas grise du tout du Goncourt, ce qui nous a voulu non pas certes des tuyaux sur le Prix de cette année, ce dont je n'ai personnellementr que faire, mais des réflexions diverses sur les auteurs et les livres. J'ai bien retenu que Mme Ch-Roux a particulièrement apprécié dans ses lectures récentes le "Val Paradis" d'Alain Jaubert mais il serait trop long d'expliquer ici les raisons (rien à voir avec la qualité du livre) qui expliquent sa conviction qu'il n'aura pas le Goncourt.
Pour ce qui est de Sand, j'y replonge encore et encore parce que je vais aller en parler (en petit comité, cercle très privé) en Berry en début décembre,En ce moment ma grande passion va aux romans pré-paysans, "Jeanne, "Le Meunier d'Angibault" et aussi "Le Péché de M.Antoine". C'est dire si j'ai apprécié les échos du colloque japonais (assortis de photos, c'est tellement mieux, tout à fait épatant quand on connaît les gens photographiés!)
Donc merci pour tout et à bientôt pour suite du dialogue.
amitiés
Denise Brahimi
2004-10-29 18:00:00 de brahimi denise


Samedi 30 octobre 2004. Se passer du monde éditorial et épargner les arbres.

Tel Petit-Pierre, je m'étais endormi, bercé par la promenade sandienne...
Quand je me lève, tôt, pour finir mon explication de texte, je découvre le commentaire de Denise Brahimi, à qui j'adressai le JLR de dimanche dernier. Merci, chère Denise ! Voilà ainsi du grain à moudre pour les chercheurs sur les nouvelles textualités. Dans ce "nouveau genre autobiographique" qui s'invente sous nos claviers, comme me l'écrivait Anne-Marie Baron il y a quelques jours, les personnes nommées ou interpellées peuvent intervenir, ce qui réinjecte du divers, du véridique et de l'aléatoire dans le texte achevé, à nouveau commentable par l'auteur du blog, et ainsi de suite. Mes amis et bien des blogueurs connaissent déjà ce phénomène interférentiel.
Par contre, beaucoup de littéraires et d'universitaires qui traitent communément d'intertextualité, même façon Kristeva (ce qui pourrait encore passer pour révolutionnaire), répugnent à s'emparer de ces nouveaux objets textuels. Certains préfèrent les priver a priori de toute valeur littéraire — car il n'y a que le papier qui puisse, pour eux, être littéraire... Snobisme élitiste ou politique de l'autruche ?
Pour ma part, la littérarité peut très bien se passer du monde éditorial et épargner les arbres. Je ne m'octroie pas de label de qualité, ce n'est pas à moi d'en juger, mais je prétends que ce que je fais est littéraire, oui.
Encore quelques mots sur le fonctionnement du site de blog. Arnaud me demandait ce matin, par commentaire dans le journal du 26 (il apporte son témoignage sur l'éducation et revient sur la figure de Danton que j'y évoquais), si je pouvais être informé des commentaires ajoutés à des pages quelconques du JLR en version blog (puisqu'il y a aussi la version mensuelle, qui n'est plus commentable, à moins de me l'envoyer par courriel). La réponse est positive : chaque blogueur a un accès web à l'administration de son blog et peut avoir la liste des derniers commentaires envoyés, quel que soit le jour qu'ils commentent. Surtout, cela permet comme ici de faire référence dynamiquement à un autre jour, où le lecteur trouvera peut-être, en plus des liens vers d'autres documents, une autre proposition de traversée temporelle du JLR, proposée ce jour-là et non ajoutée aujourd'hui. Certains parcours temporels sont ainsi indépendants de ma volonté... Laissons-les m'échapper.

J'écris ceci bien après avoir lu le commentaire de Denise, évidemment. Et bien après avoir préparé mon cours. Qui s'est bien passé. J'ai essayé de montrer que le chapitre VI, Petit-Pierre, le quatrième de l'exposition des personnages et le dernier avant la sortie du monde connu, était rythmé en quatre parties régulières, chacune formée d'un paragraphe narratif et de quelques échanges dialogués entre deux ou trois personnages (Marie, Germain et Petit-Pierre). Cette alternance fluide permet un subtil mouvement entre les points de vue, la présence du parler de chacun, hésitant chez Germain, enthousiaste chez Marie, et l'introspection du narrateur. Le chapitre s'ouvre sur les juments mère et fille se saluant, belle mise en abyme de l'attachement instinctif entre parents et enfants dont il est justement ici question. Dans la lande, le chapitre VII, est une entrée progressive dans l'inconnu. Le narrateur, en quête de connivence, informe le lecteur que les personnages sont en train de se perdre. Il y aura du danger, certes, mais si l'on se souvient du chapitre I où le même narrateur vitupérait contre les excès dramatiques dans les romans des autres, cette connivence nous ouvre un autre chemin : celui des intertextes sandiens, où des éléments de mystère, des topoï de légendes ou de contes, s'aboutent à des souvenirs personnels, à l'instar de cette scène d'enfance racontée dans Histoire de ma vie où la petite Aurore, sa mère et leur servante sont perdues dans les bois et abasourdies par les coassements de millions de grenouilles (Sand écrit "croassement"...).

"Pour revenir sur ce marché [des dictionnaires] qui a été sinistré, c'est-à-dire le marché du courtage où on vendait ces ouvrages en porte-à-porte. À cette époque, avoir un dictionnaire en dix volumes reliés chez soi, c'était un signe culturel. C'était bien entendu du savoir mais aussi un signe culturel. Je pense qu'aujourd'hui il y a d'autres signes culturels... Et puis par ailleurs, je pense qu'il y a quelque part ce qui est l'illusion internet ou l'illusion électronique qui fait que l'on a l'impression d'avoir tout sous la main et de trouver tout très vite, et donc ces deux phénomènes liés font que ce marché, à peu près partout en Europe s'est complètement effondré."
(Yves Garnier, lexicologue au Petit Larousse 2005, dans l'émission En Étrange Pays d'hier. Nota Bene : sur l'illusion, tout le monde n'est pas de son avis...)


Cher Berlol,
Encore quelques petites informations à propos de George Sand puisqu'apparemment ce chapitre n'est pas tout à fait clos(concernant le colloque) et même pas clos du tout (concernant "ta" Mare au diable): je pars le 3nov. à Ankara où je parlerai surtout du "Meunier d'Angibault" comme lieu d'où de tout évidence G.Sand se livre à une espèce d'expérimentation concernant la "langue paysanne" qui va bientôt après être presqu'exclusivement celle de ses romans ainsi qualifiés.
Côté Lafcadio Hearn, pour ne pas lâcher non plus cet autre fil de nos échanges, il y aura peut-être une journée à la maison du Japon à Paris en avril 2005 si un certain M.Dubois (marié à une Japonaise), qui s'occupe de l'Association France-Japon Nord(=Lille) arrive à ses fins. Par ailleurs, G.Hughes me dit qu'il va participer à une journée de cette sorte en Irlande en novembre, je pense,et qu'il y aura cet ambassadeur Murray que nous avons vu à Tokyo et Matsué. Bref les fils existent, le filet aussi sous le nom de "net" et nous nous en rejouissons, A toi et à tout le réseau!
2004-10-30 21:57:02 de brahimi denise


Dimanche 31 octobre 2004. Des Japonais qui ne seraient pas qu'un peu rebelles...

Ciel se dégageant, après de fortes pluies nocturnes qui ont troublé notre sommeil.
Mémorable matinée pongistique : aux habituels Manu et Bikun (dont le nom est une contraction malencontreuse d'Olivier-kun), se sont adjoints Katsunori, pour la seconde fois, et une amie à lui, Hisae, qui se trouve avoir été une de mes étudiantes il y a sept ans à l'université Gakushuin, dont le visage me revient mais à qui je n'aurais pas su donner de nom. Hisae est une jeune femme souriante, détendue, que l'on pourrait croire molle, voire lascive.
Or personne ne la battra. Son style en apparence très simple, travaillé en club, consiste en une reprise très rapide de la balle, alors qu'elle est encore en train de toucher la table, a-t-on l'impression, et en une étonnante anticipation des coups adverses. Tel Matrix évitant les balles et les coups, Hisae se meut dans la prévisibilité plutôt que dans la réalité du jeu. Sans jamais perdre son sourire. On a presque l'impression qu'elle se fout de vous. Ce qui n'est pas le cas...

Pour ma part, depuis toutes ces années, je ne connais Tokyo que de jour. Je n'ai aucun goût pour les pochetronades sublimes et intellos. Je devrais a priori détester le Tokyo, Petits portraits de l'aube que Michaël Ferrier a eu la gentillesse de me faire envoyer, après Kizu, commenté le mois dernier.
Mais il est subtil, l'animal ! Il cisèle des portraits avec une partialité irrésistible. Au Fil de l'O est déjà sous le charme, tout comme René de Ceccatty dans le Monde des Livres (du 21 octobre)...

"C'est une sacrée personnalité, Yo, très sympathique mais un emmerdeur de première : sur la plupart des questions de l'existence, il a une opinion bien arrêtée, il n'hésite pas à la donner. Il aime la discussion vive et un peu arrosée, "comme les Français", me dit-il, mais en fait beaucoup de Japonais sont comme ça, francs, rieurs, joueurs, la tête un peu rebelle. Il n'y a guère que les grandes plumes molles des romancières à la mode pour dépeindre un peuple triste et terne, irrémédiablement respectueux de la hiérarchie, figé dans ses coutumes et ses coercitions. Dans la nuit d'encre et de feux de Tokyo, Yo était la plus belle réponse — calme, cinglante, assurée — à ces clichés que certains livres répandent et que la sottise colporte." (Michaël Ferrier, Tokyo, Petits portraits de l'aube, Gallimard, coll. L'Infini, p. 37-38)

Démolir les clichés, j'applaudis ! Il faut d'ailleurs recommencer chaque jour.
Je m'interroge tout de même, cher Michaël, sur ce qui me paraît être un oxymore : "un peu rebelle". Je pars du principe que tu n'as pas fait d'erreur, que tu as voulu ironiser le concept de rebelle, absolu s'il en est, en lui apposant une locution adverbiale qui le prive de son caractère absolu. Il peut s'agir d'une réticence du narrateur, appréciant l'image, l'apparence de rebelle de l'individu en question, esthétiquement en quelque sorte, mais conscient aussi que cela n'est peut-être pas très profond ni permanent. La personnalité complexe de Yo est d'ailleurs développée quelques pages plus loin et des antinomies s'y font jour (ou nuit) : "Marié, il avait tout du célibataire endurci" (p. 41), "il avait un tel esprit de contradiction..." (p. 43).

Sortant pour aujourd'hui du domaine littéraire (je reviendrai au livre de Michaël un peu plus tard), j'aimerais bien entendre Yo, et quelques autres un peu rebelles sur le sujet de la réforme des universités japonaises ex-nationales. Après quelques mois de flottement durant lesquels nos collègues titulaires français de certaines de ces universités ont réussi à signer des contrats de travail et garder l'espoir de conserver leur poste, occupés pour la plupart avec efficience depuis de nombreuses années, nous recevons maintenant des informations alarmantes sur les planifications à deux ou trois années de ces mêmes universités. Bon nombre d'entre elles envisagent en effet de se débarrasser de ces titulaires à la fois enseignants et chercheurs, dont le statut et l'ancienneté coûtent cher, pour les remplacer par de jeunes et économiques enseignants de langue n'ayant pas d'activité de recherche reconnue.
Or ce que j'appelais dans un courriel le downsizing et qui est ainsi en phase de test avec les enseignants étrangers, sera ensuite appliqué, puisqu'il faut accorder logique et intelligence à ces entrepreneurs de produits culturels que deviennent les présidents d'université, aux professeurs japonais, aussi bien dans les universités ex-nationales que dans les universités privées.
Nous l'avons déjà remarqué et écrit, la solidarité ne semble pas exister ici. Au sens où il s'agit d'aller aider et défendre celui qui est menacé alors qu'on ne l'est pas soi-même. Au contraire, une sorte de ressentiment contre ce que certains croient encore être des privilèges des professeurs étrangers (privilèges qui ont été abolis depuis belle lurette) laisse présager un laisser-faire teinté de quelque sadique jouissance.
Comment tout cela tournera-t-il ? Nos collègues et amis japonais sauront-ils voir la sape qui se fait sous leurs pieds ? Ou penseront-ils qu'après la purge des étrangers, le dragon capitaliste se calmera devant leur porte ? Quoi qu'il en soit, c'est maintenant qu'il nous faudrait des Japonais qui ne seraient pas qu'un peu rebelles...


Je suis totalement d'accord avec toi, Berlol, pour ce qui est de casser les clichés. Notamment lorsqu'on lit, chez des écrivaillons pas un peu faibles, que les Japonais seraient tristes, sans humour, sans goût, bref des carpes qui ne savent profiter de rien. Ca, c'est ce sont des préjugés qu'il faut casser. Comme si les Japonais n'étaient pas des êtres humains. Il faut arrêter avec des catégorisations faciles.
Mais de là à dire que ce sont des "rebelles" ? En tous cas, la grande majorité ne comprend pas davantage la démocratie qu'un paysan du XVIIIe siècle en France devant une lettre de doléance à envoyer à Koizumi-dono, ... oups : à Louis XVI.
Comme Achéroni le rappelle sur le 4e post du 26 ocotobre, en réponse à ce que j'avais noté mais aussi, surtout, au message du 31 de Berlol :
« Ca fait cliché ? Démontrez-moi en quoi il est faut, et pas par l'exemple d'un copain qui aime bien rigoler et l'ouvrir grande quand il est bourré. »
Moi, je suis entièrement d'accord.
Mais avant qu'on s'emmêle les pinceaux, je voudrais souligner quelque chose. Nous le savons tous qu'il faut distinguer entre liberté et licence. Dans le cas du Japon, certes ils s'amusent, certes ils sont capables de bousculer les gens "sans respecter les cadres", certes ils sont capables des propos subversifs. Mais s'agit-il de liberté ou de licence ?
J'ai toujours entendu, chez les culturalistes, que les "Occidentaux" seraient individualistes et que les "Asiatiques" seraient communautaristes (importance de la famille, de l'Autre, etc.). Ici, le mot « individualiste » est employé, par ces auteurs, dans un sens péjoratif.
Mais attention ! L'individualisme, c'est la défense de l'individu. Autrement formulé, c'est la Liberté.
Au Japon, bien loin d'être "communautaristes", ils sont plutôt « tribaux », en ce sens qu'ils agissent "comme tout le monde". Ce n'est pas du tout la même chose. Et cela ne s'oppose, de plus, pas du tout à un super-individualisme qui en fait les caractérise. Un pour tous et chacun pour soi.
En fait de "rebelles", terme qui sous-tend la notion de liberté", ce sont plutôt des égocentriques, uniquement préoccupés d'eux-même, toujours prêts à tenir des propos pas corrects tant que cela n'a aucune importance. Bref, des discussions de café de 6ème arrondissement. Et chacun dans son coin. Ca, c'est la licence.
Enfin, pour faire le lien avec ce que Berlol et moi-même disions à la journée du 26, tout cela qui ressemble à la liberté en surface mais qui n'est que licencer : c'est de l'amusement. On est rebelle parce que c'est "marrant". C'est la licence de consommer, d'acheter ; Ô pseudo-liberté de n'exister que par rapport à sa bière. On s'habille de façon provoquante non pour signifier qqchose mais pour se déguiser (notons au passage qu'il n'y a presque pas de tabou vis-à-vis de l'habillement au Japon).
Pas de rebelles tant qu'il n'y a pas d'implication pour la Liberté. Et ici, pas de Liberté mais juste la licence et l'égocentrisme, que vient troubler un décapité en Iraq, heureusement décapité assez vite pour ne pas me gêner trop longtemps durant ma bière. Et puis, de toute façon, c'est pas mon problème : c'est "sa" "responsabilité". Chacun pour soi.
2004-11-01 02:26:33 de Arnaud

Peut-être qu'Achéron aurait dû mettre son post ici, et non au 26 ? Il y a beaucoup à lire dessus.
2004-11-01 02:27:27 de Arnaud

Je m'excuse d'intervenir de façon intempestive. J'ai oublié de conclure.
Juste pour rajouter que, bien sûr, ce que j'ai noté reprend ce que commente Berlol : autant sur l'absence de lien social, que sur le fait qu'il faudrait que les Japonais, pour reprendre la formulation de M. Ferrier, « ne soient pas qu'un peu rebelles... », bref qu'ils soient vraiment rebelles.
2004-11-01 02:30:19 de Arnaud

Excusez-moi d'avoir posté sur le blog du 26, mais comme mon premier mouvement était de rebondir sur vos propos de cette journée-là…
Sans aller jusqu'à pousser les gens à la révolution, un peu d'esprit critique auquel s'agouterait un peu plus d'action en terme de changement, ce serait déjà pas mal. Ca ferait déjà une différence avec la « licence ».
Un peu rebelle… l'expression est belle. Et Robespierre, il était « un peu révolutionnaire », et Hitler, « un peu facho » ? Il y a des fois où il vaudrait mieux éviter d'utiliser des nuances nuances quantitatives comme celle-là.
Tout ça me fait penser à quand j'avais 14 ans et que j'écoutais du death metal… je me trouvais vachement rebelle… FtS
2004-11-01 02:49:58 de Acheron

Merci, les gars, mais attention !
Et je m'en excuse auprès de Michaël qui pourrait croire à une attaque de ma part. Le rapprochement que je fais entre son personnage "un peu rebelle" et la situation sociale est une de ces coïncidences que l'on a le droit d'exploiter, mais en prenant garde de ne pas attribuer notre dérive à l'auteur initial.
Ce que fait Michaël n'a rien à voir avec ce que j'en tire. Il n'a d'ailleurs pas écrit "ne soient pas qu'un peu rebelles" (qui est de moi) mais "un peu rebelle", forme subtile et oxymorique dont j'ai montré l'efficacité dans son texte.
Pour le reste, vous pouvez tenir les propos que vous voulez, cela ne me dérange pas. Mais pas charger quelqu'un pour ce dont il n'est pas reponsable.
D'ailleurs, je vous recommande la lecture du livre de Michaël Ferrier. Beaucoup de ses petites touches vous saisiront et vous verrez se dessiner un Tokyo très proche de ce que nous connaissons, et bien loin des clichés à la Amélie Nothomb...
Non, j'l'ai pas dit ?
Ah, si, j'l'ai dit.
Bon, bah, tant pis...
2004-11-01 03:16:18 de Berlol

Autant pour moi : dans la dernière phrase du 3eme post, je voulais renvoyer à l'affirmation "un peu rebelle" de M. Ferrier, et non pas la négation "ne soient pas qu'un peu rebelle", qui est bien sûr de Berlol.
Bon, Berlol, je vais faire comme tu conseilles et tâcher de lire ce livre.
Cependant, ce que tu en dis incite à la prudence. J'avoue que, chez moi, l'association entre le mot "Japonais" et l'adjectif "rebelle" ne me frappe pas l'esprit. Mais M. Ferrier traite peut-être cela sur le ton de l'ironie, ce qui expliquerait tout.
Ils seront certainement rebelles lorsque Ishihara sera au pouvoir et se verront traîner de force dans une nouvelle guerre continentale. Mais ça sera trop tard. Et il faudra en assumer la "responsabilité individuelle" jiko sekinin 自己責任, comme ils disent.
Quant à Amélie Nothomb, j'ai lu Stupeur et Tremblements à l'automne 1999, à Paris. À l'époque j'avais trouvé cela assez caricaturale, et surtout très généralisant voire réifiant. Cependant, depuis mon déménagement à Tôkyô au printemps suivant, je suis devenu assez mitigé sur ce texte. Bien sûr, il est indéniable que Nothomb parle sans connaître suffisamment le terrain. Mais pour ce qu'elle dit sur la violence des relations verticales, sur l'obéissance et sur les préjugés inter-relationnelles au Japon, a-t-elle tort ?
Il me semble qu'elle met le doigt, peut-être malgré elle, sur une aporie fondamentale du fascisme néo-libéral contemporain.
Ca me fait penser que Saitô Takao 斎藤貴男, du comité de rédaction de l'hebdo d'opinion Shûkan kinyôbi 週刊金曜日, vient de sortir chez Iwanami un livre intitulé Anshin no Fashizumu - shihai saretagaru hitobito 安心のファシズム — 支配されたがる人々 (soit : Le Fascisme de la quiétude [tranquilité] — ces gens qui veulent se faire dominer), ouvrage extrêmement critique au sujet des réactions (et des non-réactions) de la société japonaise actuelle vis-à-vis des dérives fascisantes et sécuritaires du gvt Koizumi. Ca commence par l'affaire des otages. Ce livre frappe, je pense, là où ça fait mal.
Pour ceux qui sont intéressés ?
2004-11-01 05:30:37 de Arnaud

Pour continuer mon post précédent, et reprendre aussi la remarque de Berlol, dans son parfait rôle de recentreur de débat, il est intéressant de noter qu'il y a eu, sur ce blog du 31, une étrange coïncidence.
En effet, d'une part Berlol parle de la situation précaire des profs étrangers, faisant apparaître, d'autre part, M. Ferrier qui, lui, évoquait tout simplement une discussion dans un bar. Là-dessus je réagis sur un débat qui est le mien au sujet du rapport entre le collectif et l'individuel, et enfin Achéron arrive pour exprimer sa colère — ô plus que justifiée — au sujet du traitement par les médias de la mort de Kôda en Iraq.
Et nous voilà tous à discuter autour de cette notion d' "un peu rebelle", qui aura ainsi servi de moteur de ralliement à la discussion. Étrange non ?
2004-11-01 06:25:10 de Arnaud

Je n'ai pas lu le livre de Michaël Ferrier. Je ne vais donc certainement pas me lancer dans un critique de ce que je ne connais pas !
Je fonctionne dans un autre cadre, en réponse à retard du blog du 26. Et j'anticipe sur ce que pourrait être la réaction d'un lecteur qui recherche du prédigéré pour comprendre le Japon.
Je parle de l'apathie, voire de la réaction de rejet de la société, japonaise ici, face à tout ce qui vient lui lancer des défis, face à toute chose qui lui demenderait de penser et de se repenser. Et donc, je rebondissait fatalement sur l'idée du « Japonais un peu rebelle », en criant : où est-il ce Japonais ?
Je pense que cela peut se faire sans être pris pour une attaque faite à Michaël Ferrier.
Par ailleurs, pour revenir à Notthomb, moi, je pense qu'elle est un peu frappée. Pathologiquement. Ca n'engage que moi.
2004-11-01 07:02:01 de Acheron

Ha ha ha !
Pour Nothomb, c'est bien possible.
Mais même les gens frappés disent parfois des choses vraies, sans le faire exprès certes.
C'est vrai que le blog du 26 portait, notamment, sur l'apathie, notamment autour du consumérisme. Finalement, c'est ça le « tranquilisant fasciste » dont parle Saitô Takao : la dépolitisation de la "société civile" (comme on dit), qui se voit remplie, en contre partie, par le sur-consumérisme, qui devient le seul à pouvoir produire du sens. Le reste...
2004-11-01 07:13:56 de Arnaud

Eh bien, elle en provoque des remous, ma petite phrase... Bon, puisque les esprits s’échauffent, une petite mise au point :
1) Yo est un personnage de fiction, Tokyo petits portraits de l’aube est un roman, le narrateur (qui n’est pas l’auteur, petit distinguo qui peut avoir son utilité par les temps qui courent...), le narrateur peut exprimer certaines opinions dans le cours du récit sur la société japonaise, mais tout ça ne se présente pas comme un manuel de sociologie, faut-il le préciser. Berlol en fait ce qu’il veut, le lecteur est libre, mais dans le contexte, il est évident que la phrase était avant tout une pique contre une certaine représentation du Japon qui a large presse aujourd’hui, comme quoi « les Japonais seraient tristes, sans humour, sans goût, bref des carpes qui ne savent profiter de rien », pour reprendre la savoureuse formulation d’Arnaud, qui est ici exactement sur la même longueur d’ondes que Tokyo, petits portraits de l’aube, je pense.
2) La suite du post d’Arnaud me semble en revanche plus discutable... Décrire les Japonais comme « des égocentriques, uniquement préoccupés d'eux-même, toujours prêts à tenir des propos pas corrects tant que cela n'a aucune importance. Bref, des discussions de café de 6ème arrondissement » me semble non seulement peu convaincant mais inutilement agressif... C’est un point de vue homogénéisant et essentialiste qui me laisse perplexe (et il ne passe pas ici par les jeux de la fiction). De même, dire que « la grande majorité » des Japonais ne comprend quasi-rien à la démocratie : vieille antienne du discours occidental sur le Japon (on en trouve déjà des traces chez Montesquieu), qui est toujours prompt à donner des leçons de démocratie à tout le monde, mais on aimerait qu’à l’appui de ces grandes déclarations tonitruantes, il y ait une esquisse de démonstration... Peut-être l’avez-vous faite, ailleurs ? En ce cas, je demande à lire s’il vous plaît. Enfin, la catégorisation des Japonais sous l’étiquette de « tribaux » m’inquiète : encore une fois la même rengaine sur le Japon moutonnier, ici tout le monde pareil, aucune personnalité ces gens-là, vraiment... (sans compter que le mot rappelle étrangement celui de Chevènement qualifiant les jeunes de banlieue – et bien sûr, ceux issus de l’immigration en filigrane – de « sauvageons »... ce n’était évidemment pas dans cette perspective que l’utilisait Arnaud, mais faisons attention aux mots, parce que toute une mythologie coloniale passe souvent par ces appellations).
Arnaud, j’aimerais bien que vous m’expliquiez comment vous pouvez dire des choses si sensées dans le début de votre message, sur la nécessité de casser tous ces clichés qui relèvent tout simplement du crypto-racisme, et de temps en temps réutiliser vous-mêmes certains de ces stéréotypes... Je le dis sans esprit de polémique, mais tout simplement parce qu’à la lecture de l’ensemble de vos posts, il me semble que nous pourrions être d’accord, à condition toutefois d’éclaircir certains malentendus. A suivre donc (en public ou en privé, comme il vous plaira).
3) Sur la solidarité et la rébellion. La propension à « aider et défendre celui qui est menacé alors qu'on ne l'est pas soi-même », comme dit Berlol, ne me semble pas une question de nationalité et, à mon avis, les Japonais n’en sont pas plus privés que d’autres. De même que l’esprit de rébellion, dont une certaine vulgate bien-pensante aime à priver par essence les Japonais : Philippe Pons a écrit là-dessus un livre magistral, loin des stéréotypes, examinant le fonctionnement de la société japonaise en prenant l'exemple des marginaux, des sans-voix, étudiant le peuple des marges et les discriminations, mais aussi en mettant en valeur cette « figure du refus », très profonde et permanente contrairement aux apparences, dont Pons fait même l’une des grandes caractéristiques de la culture japonaise (voir Misère et crime au Japon du XVIIe à nos jours, Bibliothèque Sciences Humaines, Gallimard, 1999).
4) J’en viens au plus important, et qui a motivé à juste titre l’intervention de Berlol : la situation des enseignants français au Japon.
Il ne faut pas que la situation en effet très difficile des enseignants étrangers dans les universités japonaises nous fasse perdre la tête : le meilleur moyen de s’en sortir n’est pas de brocarder un mythique manque de solidarité qui serait inhérent à la société japonaise, ou de se lamenter sur la montée de la xénophobie dans la société japonaise (qui est bien réelle, hélas, en France ce n’est pas mieux, je vous le rappelle – et le déplorer est dramatiquement insuffisant), mais de chercher tous ensemble les ferments de solidarité qui existent et de les faire lever.
La réforme des universités japonaises touche d’ailleurs bien plus de monde que les seuls Français titulaires, invités ou vacataires ; les enseignants japonais de français sont aussi en ligne de mire, comme le prouve le démantèlement de la Section française de l’Université municipale de Tokyo (Toritsu) l’an dernier... Et la solidarité ne doit pas toujours aller dans le même sens. Entre le 31 décembre 2003 et le 24 janvier 2004, 1284 profs de 326 établissements ont signé une pétition contre ce scandale : qui parmi les Français au Japon a alors protesté ? A part Christian Bouthier, Didier Chiche (directement concerné par le problème puisqu’il y était professeur), Jacques Joly et moi-même : personne. La liste des signataires de la pétition est visible ici (je ne sais pas s’il est toujours possible de la signer) : http://ac-net.org/poll/4/4poll-3-sandousha-u.php
Où était passée la solidarité ? Et où le bel esprit de rébellion ? Etait-ce par ignorance ? Par crainte ? (La pétition a été envoyée au Monbusho, le Ministère de l’Education nationale, il y a donc de fortes chances que les signataires soient désormais fichés). Peu importe : en tout cas, comme Berlol le fait remarquer, il n’est pas très élégant d’envoyer des leçons de solidarité – et de morale – uniquement quand on se sent plus ou moins directement concerné. Il faut le dire et le redire fortement : c’est tout l’enseignement du français (et des autres langues) qui est menacé, Japonais et Français sont également concernés. La solidarité peut exister ici comme ailleurs, encore faut-il que chacun y mette un peu du sien. Je ne crois pas trahir la pensée de Berlol si je dis que le Journal Littéréticulaire a un peu aussi comme ambition de servir à cela (Journal Solidaritéticulaire).
5) Enfin, le hasard fait parfois bien les choses : toujours en ce qui concerne l’esprit de solidarité et de rébellion, la réponse (ou un élément de réponse) vient de tomber de nos amis japonais – « calme, cinglante, assurée », comme dit l’autre. Je vous la livre ci-dessous, ainsi qu’à tous les lecteurs du Journal, qui pourront ainsi juger sur pièces si les mots « Japonais » et « rebelle » sont par nature incompatibles...
En attendant de vous lire ou de vous voir, bien amicalement

UNIVERSITE MUNICIPALE DE TOKYO
Section d'études françaises
Tokyo, le 31 octobre 2004
PROTESTATION
Le 19 octobre 2004, M. Shintaro Ishihara, maire de Tokyo, aurait tenu les propos suivants à la reunion inaugurale du "Tokyo U-club" (voir le quotidien Mainichi-Shinbun, 20 octobre 2004) : « Il y a d'innombrables enseignants d'allemand et de français a l'Université municipale de Tokyo, alors que le nombre des étudiants est proche de zéro. » « Le français étant une langue inapte au calcul, il est tout à fait normal qu'elle soit disqualifiée comme langue internationale. Certains individus qui s'accrochent à une telle langue manifestent une opposition infructueuse à la suppression de l'actuelle Université municipale et à la creation d'une nouvelle université. C'est ridicule, et ne mérite même pas d'être pris en considération. »
En ce qui concerne le lien entre les effectifs du corps enseignant et le nombre des étudiants en langue et littérature allemandes et françaises, nous n'avons cessé de demander aux autorités concernées au sein de la municipalité une évaluation exacte et un débat ouvert à partir d'une véritable évaluation numérique. Malheureusement, sans qu'il y ait aucune suite à notre demande, le maire récidive, en donnant une évaluation erronée.
La vérité est – établissons-le ici à nouveau et une fois pour toutes – que les étudiants qui apprennent le français à l'Université municipale ont existé et existent chaque année, qu'ils sont plusieurs centaines, et que jamais jusqu'à ce jour, la section d'études françaises n'a eu " zéro " étudiant (l'effectif annuel des étudiants spécialistes étant institutionnellement limité à 9 pour le cursus du jour, et à 3 pour le cursus du soir).
Déjà, l'inauguration même du "Tokyo U-club", organisation de "soutien" à la nouvelle université, sous la bannière du mensonge et de la diffamation envers la langue et la culture d'autres pays, est un fait irréparable et dommageable, qui en dit long sur ce que vaut l'administration educative municipale, et qui jette aussi le doute sur le niveau culturel de la ville de Tokyo aux yeux du monde entier. Tokyo est une ville jumelée avec Paris depuis 1982, et l'Université municipale de Tokyo est adhérente, avec 28 autres universités japonaises, du CDFJ (Consortium du Collège doctoral franco-japonais) depuis sa fondation. Que la ville de Tokyo porte a sa tête ce genre de personnage, que l'Université municipale de Tokyo supporte comme instance administrative suprême un tel idividu, capable, sans rougir, d'insulter la langue et la culture d'un pays ami, et d'une ville jumelée avec la sienne, c'est là une chose que nous déplorons du fond du cœur, tout comme les consciencieux contribuables de Tokyo et les membres de l'Université actuelle.
Au nom des 170 millions de francophones du monde entier, au nom des quelques centaines de millions d'utilisateurs occasionnels du français, étudiants et autres, au nom, enfin, de tous les habitants du Japon, en particulier de la ville de Tokyo, qui vivent en contact quotidien avec le français et la culture francophone, nous protestons avec indignation et nous demandons, à M. Ishihara, maire de Tokyo, le retrait définitif de ces propos ignominieux.

Tomohiro ISHIKAWA, Koichi ISHINO, Yasuaki OKUBO
Machio OKADA, Sadayoshi OGAWA, Kenji KANNO
Naoko NISHIKAWA, Mami FUJIWARA, Kazuyoshi YOSHIKAWA
2004-11-01 07:26:41 de MF

Cher Michaël Ferrier,
Merci tout d'abord pour cette longue réponse, par ailleurs très polie.
Tout d'abord, je dois préciser que si effectivement les esprits s'échauffent, c'est en fait surtout un mode de discours que nous partageons (je veux dire : moi et Acheron, et aussi Berlol je crois). Cette chaleur ait de sens particulier, et le fameux mot de votre livre était surtout un prétexte à discuter plutôt que l'objet du débat.
Nous pouvons discuter ici, et volontiers off-line. Aucun problème.
Pour votre question principale à mon encontre, à savoir :
« Arnaud, j’aimerais bien que vous m’expliquiez comment vous pouvez dire des choses si sensées dans le début de votre message, sur la nécessité de casser tous ces clichés qui relèvent tout simplement du crypto-racisme, et de temps en temps réutiliser vous-mêmes certains de ces stéréotypes...»
Je suis le premier à reconnaître que j'ai fait des généralisations abusives, et ne m'en cacherai pas.
Cependant, pour ma défense je répondrai que je parle en tendances, tendances qui sont, me semblent-ils, largement observables. Pour répondre précisément : je n'essentialise pas l'attitude politique. Autrement dit, si je critique "les Japonais" sur ceci ou cela (ici : la démocratie), je ne le fais pas de façon essentialiste (la soit-disant "japonéïté") mais uniquement parce que je me conserve un droit de critique sur tout ce qui me semble critiquable. Le fait qu'ils soient japonais n'y change rien.
J'aurai tenu les mêmes propos sur les Espagnols et sur les Anglais s'ils n'avaient pas manifesté de façon si éclatante leur désaccord avec la politique de leur gouvernement respectifs lorsqu'ils ont eu à le faire. C'est-à-dire vis-à-vis du soutien aux Etats-Unis (car c'est aussi ça le fond du problème au Japon : être un État satellite des États-Unis depuis 1945). Mais les Japonais n'ont alors, dans leur grande majorité, rien dit. Je ne parle pas de quelques critiques, ni même de quelques soutiens ouverts : dans sa grande majorité, la population ne pense rien de son gouvernement, du moins tant que c'est le PLD.
Vous évoquiez Pons. Il me semble que P. Pons est de cet avis.
Mon point de vue est de critiquer les essentialisations et les généralisations racisantes, qu'elles soient l'effet d'une pensée culturaliste ou raciste européenne tenace, ou bien les traces persistantes d'une époque coloniale révolue ou d'un orientalisme type XIXe siècle. Cependant, je me réserve le droit, bien normal je pense, d'avoir mon avis sur tout type de question, y compris sur les sociétés humaines, considérées d'un point de vue global. Ce que je critique, c'est la société japonaise actuelle — et non pas un Japon "en général" cad mythique —, c'est-à-dire le Japon actuel comme État produit des stratégies américaines de la Guerre Froide.
Donc, il n'y a, bien sûr, ni condescendance "française" ni post-colonialisme dans mes remarques. J'ose le dire : j'éprouve chaque jour en mon fort intérieur une grande admiration pour l'idéal républicain. C'est de ce point de vue-ci que je discute.
D'autre part, critiquer le consumérisme de masse et la dépolitisation de la société, dans le cadre du néolibéralisme, comme moyen de contrôle de la population, est, il me semble, une critique valable, surtout aujourd'hui. Et l'on ne peut que déplorer les résultats concrêts de cette efficace machinerie.
Est-ce que cela réponds à vos questions ?
Quant à Toritsudai, où je travaille actuellement comme vacataire, effectivement les professeurs, du moins certains, se sont mobilisés contre la Préfecture et le plan Ishihara. C'est vrai qu'ils se sont mobilisés, eux (du moins ceux qui sont restés). Mais lorsque le Conseil préfectoral les a renvoyés sur le pavé avec leur pétition, ils ont été au moins autant écœurés, sinon plus, par le désintérêt total de la population de Tôkyô que par l'attitude d'Ishihara lui-même. Du moins, c'est ce que MM. Okubo, Kanno et Ishino m'ont dit, d'un air très sombre d'ailleurs.
Si vous voulez bien, demandez mon adresse email à Berlol.
2004-11-01 08:05:59 de Arnaud

écrit : « Cette chaleur ait de sens particulier, »
Je voulais dire : « Cette chaleur n'a pas de sens particulier, »
Désolé. Je perds parfois le fil en trafiquant mes phrases.
2004-11-01 08:11:34 de Arnaud

©Berlol, 2004.