Entretien avec Jean-Philippe Toussaint
LITOR
septembre-octobre 2001...

Pour la liste de discussion Litor, Jean-Philippe Toussaint a accepté
notre proposition d'entretien par courrier électronique, au rythme
d'une question par semaine. Cette page compilera les questions et
les réponses, semaine après semaine...
Bonne lecture !



Le 11 septembre 2001.
Patrick Rebollar : "Jean-Philippe Toussaint, racontez-moi trois de vos aventures édifiantes dans l'internet francophone".

                    Réponse :

1) La Patinoire. En août 1997, sur une idée de mon producteur, Pascal Judelewicz, les internautes ont pu suivre en direct le tournage de mon film au jour le jour. Trois webcams tournaient en permanence, jour et nuit, sur le plateau, parfois désert, parfois animé. Maintenant, cela semble presque banal, en 1997, c'était révolutionnaire, c'était la première fois que l'on pouvait suivre un tournage en direct. Mais, bon, pour ma part, j'ai suivi l'expérience d'assez loin, étant assez pris
(c'est le moins que l'on en puisse dire), par la mise en scène de mon film...

2) Le site d'Alain-Philippe Durand (http://network54.com/Hide/Forum/91688), professeur à l'université de Rhode Island, qui a invité virtuellement des auteurs dans son cours. Alain-Philippe Durand présente le site comme suit :

> dans le cadre de ce cours, je compte organiser en
> parallèle un forum électronique qui permettra aux étudiants de dialoguer
> par email au sujet des romans que nous lirons en classe avec d’autres
> intervenants.  L’idéal serait pour les étudiants d’avoir la possibilité
> de communiquer avec les écrivains eux-mêmes.
Expérience très intéressante.

3) Le site de Mirko Schmidt (www.toussaint.exit.de), c'était la première fois qu'un site m'était entièrement consacré. Très complet. On peut même y lire l'entretien que j'ai fait à Tokyo avec Lawrence (Laurent)... [n.d.l.r.: à lire également ici]

Le 24 octobre 2001.
Patrick Rebollar : "Quels sont vos rapports et quelle est, sur 10 ou 20 ans, l'évolution de ces rapports aux instruments d'écriture que vous utilisez ?"

                    Réponse :
 

MACHINES

    J'ai toujours eu des relations sentimentales et charnelles avec mes machines à écrire.

    J'ai toujours écrit à la machine, me corrigeant à la main, et retapant systématiquement toute la  page pour éviter les ratures. J'ai appris à taper à la machine en même temps que je  commençais à écrire (pour plus de détails, on peut lire “Le jour où j'ai commencé à écrire”  sur le site :
http://www.bon-a-tirer.com/volume1/jpt.html)

    De mes premières machines, je n'ai plus beaucoup de souvenirs : il y en avait une petite,  orange, mécanique, sur laquelle j'ai dû écrire, avec Gil Delannoi, ce roman qui traite précisément  de la question du jour et des machines à écrire : il s'agissait de l'histoire d'un écrivain  apocryphe, Louis Alusse, qui se coinçait un doigt dans sa machine à écrire, et qui, après  quelques heures de souffrance, paralysé à son bureau, ancré à sa machine, se rendait compte,  bien qu'il eût un doigt coincé dans la machine, que rien ne l'empêchait de continuer à écrire...

    Mais ma vraie première machine à écrire, ma belle, ma seule, l’unique dont l’évocation me fait  encore aujourd’hui monter aux yeux des larmes (de crocodile), fut ma grosse Olivetti ET121, ma  très chère grosse Olivetti, si belle, si performante et tellement sophistiquée que le mode  d’emploi, ne la supposant destinée qu’à des secrétaires ou des dactylos professionnelles,  s’adressait à l’utilisatrice, “ l’utilisatrice doit faire ceci, l’utilisatrice doit faire cela ...” et moi  j’obtempérais, intimidé, ravi, frémissant, donnant, avec deux doigts, pendant près de dix ans, le  meilleur de moi-même. C’est avec elle, sur elle, que j’ai écrit La Salle de bain, MonsieurL’Appareil-photo, La Réticence... Où est-elle maintenant, cette chère vieille grosse ? A  l’abandon, j’imagine, au rebut.
Ô destinées ! Je la revois encore, dans sa splendeur native,  quand, un après-midi de l’automne 1983, je la déballais de ses multiples protections de kapok  et de ses différentes strates de plastique transparent. Je la revois qui reposait sur le bureau  d’écolier qui me servait de table de travail à Médéa (Algérie), noire et massive, élégante, avec  son pare-brise transparent qui servait de support au papier.

(À suivre...)

RETOUR... mais où ?

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