Mercredi 1er octobre 2008. Tant
tout est cloisonné ici. « Toutefois, l'un des jeunes gens sembla perdre un instant sa terrible impassibilité. Il pinça au bras sa voisine qui se le lécha sans broncher — l'opération se reproduisit un grand nombre de fois, en un temps minime, Perdican copiaitcollait névralgiquement. Le Cardinal félicita Biche pour cet incontestable succès. « Vous êtes irrésistible, Biche, mon aimée, irrésistible tout à fait.» Ce garçon-là, que vous voyez pincer, est la tête pensante de ces liseurs, qu'en fin de nuit, comme dans la chanson — qu'il fredonna barbarement : « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes, des jours heureux où nous étions amis, etc.» dans cet idiome sur lequel véritablement, Perdican, qui tentait pourtant d'en debrouiller les composants sur le moniteur, avait de moins en moins barre — qu'en fin de nuit, comme dit la chanson, le sable recouvrira comme des vieux sacs. Des mouises.» (Emmanuel Tugny, Mademoiselle de Biche, p. 29) « La réfraction faisait du corps une vague un déchiré d'académique liquide autour d'ecchymoses. Perdican avait été eu, au résolu, cogné pas possible pour en arriver là, une tête sidérée dans le pochon dans quoi l'avait étouffé quelqu'un après la rouste. Sur l'écran, Perdican et sa sourie chiadaient maladivement les couleurs de la scène. Juste, il se tâta un peu l'abdomen en se voyant si mort à l'image et, présumant à ce qu'il ne présentait aucune irrégularité dans le ballonnement global, que ses coliques de la journée étaient plutôt passagèrement liées à l'amour pour Biche, s'y fit et, jouant de toute la gamme informatique des déformations possibles sur le macchabée de lui-même qui flotouillait, lesté, au fond de la piscine, Miss Elsie se
taisait consternée
et fit en tout cas
— tant et si bien — que Biche se tut,
consternée.» (Ibid., p. 49-50)C'est très fort, ce nouveau Tugny, pensé-je, pédalant, et bien avant de transpirer d'où qu'on veuille. Ça commence aux premières pages par un premier doute sur un mot lu, sur une association qui n'est pas que poétique. Puis l'indice se précise, d'autres aboulent. Il y a quelqu'un qui s'éclate avec une console de jeux. Ou ils sont plusieurs. Ils sont à la fois réels, peut-être, et leurs avatars dans un jeu, ou dans un jeu de jeux. Un jeu de jeux où changent les paysages, personnages et situations à vue d'œil, ou à vue de mots comme le règne animal défilait dans Palafox. Il y a des sautes d'humeurs, d'images et de figures de style. Des répliques dont on ne sait si elles sont dans l'écran ou dans la vie, les deux baroquement enchâssés dans une diégèse fixée nulle part ou chez le roi Pausole... Et puisqu'on est dans l'univers du jeu... Je viens d'apercevoir, à peine revenu du sport et d'une réunion où j'ai dû faire acte de présence, que plus de 90 fichiers de mon domaine ont été remplacés (hackés) ce jour entre 11 heures et midi par leur homonyme lesté d'une grosse queue de publicités en tous genres. J'ai mis de côté, analysé sommairement, remplacé par les originaux — ça prend du temps — et écrit à l'hébergeur d'y aller voir et d'arraisonner les criminels qui, selon moi, doivent bien avoir un complice dans la place. On ne me la fait pas... Ça ne m'empêche pas d'aller dîner, reprise des mercredis de Nagoya, ce soir avec Sophie, Andreas, Morvan et Mauro. Ce dernier rencontré il y a peu de semaines, originaire de Montréal mais enseignant l'anglais et donc jamais connu officiellement dans la fac tant tout est cloisonné ici (comme partout). L'assiette anniversaire du Tiger Café pour ses dix ans n'est pas si extraordinaire que ça — steack frites, salade verte, deux morceaux de pain, suivi de desserts au hasard. On est tous un peu déçu, mais pas grave. La conversation, elle, en revanche, est plutôt enchanteresse : l'enfilade sportive des destinations de Sophie cet été, mon quasi-immobilisme extatique, des aventures des trois autres dont des trucs que je n'ai pas compris dans l'anglais d'Andreas, ça arrive même si je fais des progrès. J'en oublie de faire des photos, c'est dire ! À quatre, on s'offre une rallonge au Bar España II, un petit whisky. Et retour avant minuit parce qu'il y a trois cours demain. commentaires |
Jeudi 2 octobre 2008. Bouillonne
gentiment dans la cafetière. «... agents de confession autre que chrétienne...» On n'a pas eu Edvige mais on aura peut-être plein de micro-Edvige locaux et régionaux qu'un amateur de puzzles nationaux pourra un jour assembler... C'est ça — aussi — l'esprit de réseau. Et les RG le savent bien. Dans l'esprit tordu de certains, la confession chrétienne est censée être la norme en France, alors qu'une minorité de Français se disent effectivement croyants, et moins encore qui se disent pratiquants. Cet esprit tordu est pourtant bien installé et bien représenté dans les médias qui couvrent toujours abondamment les manifestations religieuses chrétiennes (visites du Pape et autres pèlerinages) en leur donnant toujours un sens national, une dimension bien française. Alors que les événements et fêtes religieuses des autres confessions sont, je parle toujours de leur traitement dans les médias, le plus souvent accueillis (à bras ouverts, il faut se montrer tolérant, c'est une bonne occasion), et qu'ils ont toujours une portée internationale, diffuse, subie et comme très accessoirement française (ramadan, nouvel an juif, etc.). Cette norme et ces écarts me rappellent ce que j'ai entendu dans Ce soir ou Jamais de mardi (globalement bon, avec prises de bec sur Darwin) à propos d'un éventuel gène de l'homosexualité (au milieu de l'émission). Gène qui n'existe pas, nous accorde-t-on, mais dont la présence médiatique s'établit sur des simplifications d'études tirées de statistiques d'écarts par rapport à une norme qui, elle, n'est jamais repérée ni interrogée : en effet, il n'a jamais été question d'un gène de l'hétérosexualité, alors que pourtant il devrait être présent chez une écrasante majorité de personnes... Même chose pour la polygamie, je le découvre à l'instant chez Affordance. Je ne reviens pas sur les défauts de Lady Oscar (on voit le subtil glissement vers le gène de l'identité sexuelle). En revanche, le film de Jacques Demy a aussi des qualités. L'évolution des mentalités et la dégradation des conditions de vie du peuple français dans les années 1760-1780 y apparaissent à la fois dans le décor et dans les relations entre Lady Oscar et son valet / ami / amoureux André. À l'inverse, Marie-Antoinette, Louis XVI et le père de Lady Oscar sont rigides et obtus au possible, focalisés sur leur ordre du monde, considéré à la fois comme le seul et le meilleur, et ne voyant rien venir. Bien évidemment, de tels raccourcis sont ridicules s'ils sont pris pour des vérités historiques. Mon rôle est d'inviter mes étudiants à envisager les limites de ces propositions filmiques, à les comparer à celles du manga, à se poser des questions sur la validité et la véracité de certains éléments de la fiction, c'est-à-dire à créer une motivation, un allumage de leurs moteurs qui les véhiculeront vers de l'information à ramener en classe ou sur le blog des cours. Merci à Florian d'avoir gardé un peu de saucisson pour venir le partager après le séminaire. (Il en avait rapporté de France pour une dégustation avec ses étudiants... qui, de 13h à 13h30, n'ont pas osé tout manger.) Étrange coïncidence d'avoir presque simultanément (en jours ou en semaines, à mon rythme pachydermique) commencé lecture d'Emmanuel Tugny, Claro et Christophe Chazelas. Du coup, ça me bouillonne gentiment dans la cafetière et des rapprochements s'opèrent. Moi qui me considérais comme plutôt concerné par des textes réalistes, politiquement et socialement centrés sur la vraisemblance, avec forte présence du travail stylistique mais dans une subversion des formes plutôt clairement au service d'une contestation politique elle aussi réaliste, me voici enchanté de ces trois textes qui se disputent la palme du moins réaliste tout en étant des plus intéressants. Tugny et sa Biche, Claro et son Emma, Chazelas et sa Doddy. Trois auteurs, trois hommes ayant tous trois cassé leur tirelire de vraisemblance pour s'acheter le délire de leur chimère respective. « Emma me fragmente et s'invente. Elle s'élance à nouveau sur la piste de danse, fait de ses bras des moulins qui déquichottent tous les prétendants. « Allons, baisez maîtresse, vous qui n'avez pas de chagrins », disent ses yeux de chienne provinciale, et les messieurs retroussaient leurs manches et s'y mettaient eux-mêmes. Suivant leur position sociale, ils avaient des habits, des redingotes, des vestes, des habits-vestes ; — de bons habits entourés de toute la considération d'une famille, et qui ne sortaient de l'armoire que pour les solennités ; redingotes à grandes basques flottant au vent, à collet cylindrique, à poches US ou Che larges comme des sacs ; vestes de gros drap, qu'accompagnaient ordinairement quelque bonnet rasta ; habits-vestes très courts dont les rabats semblaient avoir été taillés par un cutter de dealer. Convoitée, matée, pré-niquée, Emma fait la volte et la garce puis se greffe au bar où le Rodolphe de service lui sert un blue lagoon qu'elle sirote en experte.» (Claro, Madman Bovary, p. 50) |
Vendredi 3 octobre 2008. Lecture
méta-post-exotique à 300 à l'heure. Faisons bref ; trop de choses en cours. Matinée de rédaction. Déjeuner au Downey (sandwiches sophistiqués) avec David et notre chef de département. Il faut préparer les emplois du temps de l'année prochaine. En tout cas, je me suis tenu à ma décision de ne plus retourner au restaurant des profs. Trop toxique pour moi. Après quelques lettres (papier) en retard rédigées au bureau, nouveau départ pour Tokyo et lecture méta-post-exotique à 300 à l'heure. « Comment peuvent se croiser dans une même esthétique et sans se contredire la science-fiction, le roman terroriste, le réalisme socialiste, le réalisme magique, le roman politique ? Probablement grâce au travail de déréférencialisation [« La "référencialité" est un néologisme que Tiphaine Samoyault a élaboré pour désigner « une référence de la littérature au réel, mais médiée par la référence proprement intertextuelle ». Tiphaine Samoyault, L'Intertextualité, Paris, Nathan, "128", 2001, p. 82.» (Ibid., p. 58, note 21)] et de carnavalisation [« L'alliance de l'inversion et de la parodie porte un nom en littérature, il s'agit de la carnavalisation, dont Bakhtine a rappelé l'importance pour l'histoire du roman.» (Ibid., p. 67)] qui fut observé. Les références littéraires sont tout à fait reconnaissables mais prises dans un système qui définit ses propres règles et se constitue de manière autarcique. Le travail sur les genres est semblable à celui sur les lieux ou sur les temporalités. Ils sont dans le même temps exposés et déformés, notamment par leur collusion, jusqu'à ce qu'ils ne fassent plus signe vers l'extérieur mais au contraire apparaissent comme une caractéristique du post-exotisme. Les fictions de Volodine relèvent tout à la fois de la science-fiction, du roman terroriste, du réalisme socialiste, du réalisme magique, du roman politique sans qu'aucune de ces références ne parvienne à les définir.» (Lionel Ruffel, Volodine post-exotique, p. 74) Fin de soirée avec les Bleus, série policière que diffuse TV5 Monde depuis la rentrée et qui m'amuse beaucoup. Outre que ce n'est pas mal fait, bien conçu, bien joué et bien rythmé, je me suis tout de même demandé ce qui pouvait m'attirer là-dedans... Et j'ai compris aujourd'hui. Peut-être. Peut-être parce que les jeunes stagiaires qui font ainsi leur premiers pas dans la police ont l'âge d'être mes enfants. Les enfants que je n'ai pas eus. Sans regret. Mais avec curiosité. Eh oui, la curiosité, ce défaut qu'augmente l'imagination... commentaires
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Samedi 4 octobre 2008. Ma
pensée en cheminant avec et entre. Dernier samedi libre avant la reprise des cours de l'Institut. Je le grille en préparation de cours (Modiano) et de colloque (Volodine). En son milieu, déjeuner très animé au Saint-Martin avec T., Bill et Laurent. À ce dernier, je restitue une boîte de carton contenant une vingtaine d'audio-livres qu'il m'avait prêtés il y a au moins trois ans, dont j'ai numérisé une bonne part... Enregistrement de Place de la Toile d'hier, sur les changements de l'écriture provoqués par le passage à l'informatique et au réseau... Sujet bateau mais sur lequel, en s'y prenant bien, il y a encore sûrement d'intéressantes choses à dire. C'est l'impression que les dix premières minutes me donnent. Le reste un autre jour... Dans l'après-midi, T. et moi travaillons plus de trois heures à la médiathèque. Je collecte les petits cailloux blancs de ma pensée en cheminant avec et entre les rêves. Et la glane d'aujourd'hui est bonne, nom de dieu. Et j'en reprends à mon compte... « Je ne plierai pas le genou devant la mort. Quand cela viendra, je me tairai, mais je dénierai toute vraisemblance à cette gueuse en approche. Ce sera une menace pour moi sans conséquence. Je ne croirai pas en sa réalité. Je conserverai grands ouverts les yeux, comme j'ai pris l'habitude de le faire de mon vivant, par exemple pendant les périodes où j'imagine que je ne rêve pas et qu'on ne me séquestre pas à l'intérieur d'un cauchemar. On ne clora pas mes paupières sans mon accord. [...] Je m'obstinerai dans mon système qui consiste à affirmer que l'extinction est un phénomène qu'aucun témoignage fiable n'a jamais pu décrire de l'intérieur, et dont, par conséquent, tout démontre qu'il est inobservable et purement fictif. Avec force je rejetterai comme sans fondement l'hypothèse de la mort. » (Antoine Volodine, Des Anges mineurs, p. 12) commentaires
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Dimanche 5
octobre 2008. Plus haut qu'à l'ordinaire. En regardant Thalassa dans un petit coin de l'écran, d'Antibes à Adelaïde, je finis mon tour de web du week-end. La journée a été très calme, de celles que l'on aime, avec pas mal de travail (notes, lectures, courrier) et une longue promenade avant le déjeuner, dans le parfum naissant des osmanthes (kinmokusei), jusqu'à Edogawabashi, par des ruelles, dont certaines nous étaient encore inconnues. Dans la veine post-exotique... « Mishamita Olianov était belle et mystérieuse. D’ordinaire elle voyageait dans les livres d’Antoine Volodine, son écrivain préféré, le seul homme qu’elle acceptait de fréquenter avec assiduité, par livres interposés. Lui seul savait quels étaient les secrets de son univers. Ses ancêtres aussi savaient mais tous étaient morts depuis belle lurette. Ses lectures la faisaient vivre plus haut qu’à l’ordinaire et elle adorait ça, surtout les nuits d’orage.» (Rodolphe Christin, Marc Bonneville / Sibérie transit, in Revue des ressources le 3 oct. 2008) Quand un éditeur aux mains d'argent parle d'or... « [...] c'est une conséquence du triomphe de la télévision en tant qu'idéologie et puissance de formatage des mentalités. On a des philosophes qui n'ont jamais écrit de philosophie et des écrivains qui ne savent pas écrire. On mesure le succès d'un auteur non seulement aux ventes mais aussi à la taille de la photo dans les journaux. [...] » (Jean-Marie Laclavetine, L'éditeur aux mains d'argent, in Bibliobs du 2 oct. 2008 — cette fois, c'est moi qui suis en retard sur François... Ceci dit, je ne suis pas allé jusqu'à citer celui dont l'arrêt public délivre.) La police s'offre honte hier... « Si tu aimes les enfants, tu trouveras dans notre service beaucoup de satisfaction. Tu n'es pas sans savoir que les sans-papiers font des enfants juste pour éviter d'être expulsés. Ben maintenant, on peut aussi interpeller les enfants, les mettre en garde à vue avec leurs parents ou encore les placer en rétention. Oui, oui, notre métier autorise l'enfermement des enfants. Cela facilite des relations de proximité avec toutes les catégories d'âge.» (Patrick Mohr, pour le recrutement de la PAF, cité par Philippe De Jonckheere le 27 sept. 2008, ce texte humoristique est suivi du témoignage de Patrick Mohr du 28 juil. 2008 concernant son arrestation abusive pendant le Festival d'Avignon) Ne t'inquiète pas, Philippe, je réfléchis à la photo que je veux... Et Papy Sollers, qu'est-ce qu'il lit ? « Je persiste et signe : Le Marché des amants, de Christine Angot, est un excellent roman (rapidité, portraits), et l'auteur est attaqué d'une façon extravagante et souvent bestiale ; Prolongations d'Alain Fleischer est d'une invention géniale ; je ne comprends pas pourquoi Lacrimosa, de Régis Jauffret, n'est pas sur la liste du Goncourt ; Jour de souffrance, de Catherine Millet, mérite son succès par sa grande lucidité physique ; le livre de Jean-Claude Michéa sur George Orwell doit vous être indispensable, et vous irez vous procurer sans tarder Le Cure-Dent de Jean-Yves Lacroix, et, bientôt, le très étonnant Point de côté de Josyane Savigneau.» (Ici) Mais revenons à l'essentiel. « Je rêvais que je me dirigeais vers les sources de l'Abacau et que je les avais dépassées, dit-il.» (Antoine Volodine, Le Nom des singes, p. 74) commentaires
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Lundi 6 octobre 2008. Qui
élève des corbeaux aura les yeux
crevés. Fin d'un article avec et pour T. À cette occasion, on s'aperçoit que son Word dernière version récupère moins bien les formats de note de bas de page (et bien d'autres choses) en provenance d'un autre Word, alors que je décode parfaitement avec Open Office. Et quand je lui renvoie le document formaté pour Word par Open Office, ça marche impec. Un des paradoxes de notre temps. Déjeuner avec Manu (ça faisait au moins un an, depuis le quartier de son précédent lieu de travail) dans Akasaka Sakas, au restaurant espagnol Bikini. Je lui rends un coffret de dévédés et lui tire les vers du nez — pour savoir en quoi consiste exactement son activité professionnelle — en dégustant une paella qui tient surtout du risotto — Espagne ou Italie, vues d'ici, c'est presque pareil... Lui aussi me conseille de migrer chez OVH. Ah, j'ai une question de géographie. Ou d'hydrologie. Quand on est à la source d'une rivière, se peut-il qu'il y ait un lac plus haut ? Et dans ce cas, n'est-ce pas une fausse source, une pseudo-source ? Non, je ne plaisante pas. C'est très sérieux comme question. Enfin vu ce soir pour la première fois Cría Cuervos (Carlos Saura, 1975). Très impressionnant, d'abord, l'équilibre parfait entre le film sur l'enfance — découverte incompréhensible de la mort, fantasme de pouvoir tuer, jeux innocents et puis moins — et la parabole du pourrissement du franquisme — le militaire trompe sa femme la douce république qui se meurt, la grand-mère est muette de honte ou d'amnésie, les enfants presque abandonnés seront pourtant l'avenir du pays, d'où le titre tiré d'un proverbe que je traduis à ma façon : Qui élève des corbeaux aura les yeux crevés. Il y a ceux qui comprennent (ça crève les yeux, justement !) et ceux qui n'y voient que du feu. T., qui ne l'avait pas vu non plus, connaissait cependant la très jeune actrice, vue dans un film il y a plus de vingt ans. C'était dans L'Esprit de la ruche (73), dont même le nom du réalisateur m'était inconnu jusqu'à tout à l'heure : Victor Erice. Film dont, comme par miracle, l'édition dévédé va sortir en France en novembre! — Ça qui est merveilleux ! Qu'il ne se passe pas de jour !... commentaires
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Mardi 7
octobre 2008. Que mon infortune ne m'aigrisse. Journée sans commentaire (train, lecture de Modiano, cours, palabres). Avant la suite, qui risque d'être un peu lourde, se rafraîchir par une soirée humoristes sur le plateau d'hier de Frédéric Taddeï. En effet, je rassemble ci-dessous toutes les infos reçues des conférences et colloques dans le mois à venir... Pour ce que j'ai pu en savoir. Un vrai délire. D'autant qu'il y en a très peu le reste de l'année. Fort heureusement (c'est de l'humour), tout à toujours lieu entre le mardi et le jeudi, précisément quand je suis à Nagoya, ce qui me soulage de la difficile épreuve du choix. Ainsi le mercredi 22 octobre, un amateur de littérature française aura le choix entre Pierre Bayard (à Komaba), Luc Lang (à Gakushuin) et Marie Ndiaye (à l'Institut)... Quel dommage ! J'actualiserai en fonction des nouvelles informations (il va de soi que c'est pour moi-même). Et pour que mon infortune ne m'aigrisse pas, je replonge dans mes rêves. — PIERRE BAYARD, cycle de conférences :
— FLORENCE GOYET, (Université grenoble III - Stendhal, spécialiste de littérature comparée), présentera une conception tout à fait originale et stimulante du genre épique, comme machine à penser sans concepts, avec Kusaka Tsutomu, le jeudi 9 octobre, à 18 heures, Université Waseda, Faculté des Letres, bâtiment 33 bis, salle 1. — LUC LANG :
— ALEXANDRE GEFEN (qui sera du colloque de Fukuoka) :
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Mercredi
8 octobre 2008. Élargir
d'un coup l'horizon. Je m'en aperçois en rangeant mes courriers. J'ai reçu un message plutôt court il y a deux jours, auquel je n'ai pas prêté l'attention qu'il mérite. Comme toutes les annonces de parution, de spectacle, de colloque et de mises en ligne... Tout n'a pas toujours une grande importance, n'est-ce pas ? Mais là, ça percute dans mon cerveau saturé : quelqu'un est en train d'essayer de me faire parvenir une information majeure. De celles qui risquent d'élargir d'un coup l'horizon. Lisez plutôt, il s'agit de la mythique revue Littérature ! « Bonsoir Aujourd'hui la Bibliothèque Numérique Surréaliste du site Mélusine s'est enrichie. La revue Littérature (première série : mars 1919-août 1921, nouvelle série : mars 1922-juin 1924) est accessible en mode texte, numéro par numéro, ce qui autorise toutes les recherches de vocabulaire. Cordialement Sophie BEHAR » Par exemple ceci, que je sors du numéro 5, de juillet 1919, avec des lettres de Jacques Vaché incorporé comme interprète, et dans celle du 29 avril 1917 (p. 4) « CHER AMI, A l'instant votre lettre. Il est inutile - n'est-ce pas ? de vous assurer que vous êtes toujours resté sur l'écran - Vous m'écrivez une missive "flatteuse" - sans doute pour m'obliger décemment à une réponse qu'une grande apathie comateuse reculait toujours - Au fait pendant combien de temps, au dire des autres...? Je vous écris d'un ex-village, d'une très étroite étable-à-cochon tendue de couvertures - Je suis avec les soldats anglais - Ils ont avancé sur le parti ennemi beaucoup par ici - C'est très bruyant - Voilà. [...] » Mais comment est-ce qu'il emploie le mot écran, lui ? Pour endiguer l'apathie, j'ai repris les exercices phonétiques de base, avec étudiants qui passent au tableau, et observation scientifique collective des problèmes rencontrés en transcrivant une expression de huit ou dix syllabes. Et ça marche. Ils comprennent bien qu'il faut d'abord bien entendre, disposer ensuite d'une connaissance suffisante des signes de l'API pour le français et enfin mettre de côté la reformulation auditive nippone (ouverture des nasales, diérèse des groupes consonantiques). Et ça marche ! Au moins ici, quand je nationalise, ça repart. Et ce n'est pas qu'une question de confiance... Après deux brèves réunions et une vingtaine de courriers, sortie pour dîner au Bali café Putri de La Chic, avec Sophie et Andreas, le noyau dur du groupe. Suivi d'un dernier verre et d'un dessert au Zetton Odéon — où, ayant observé le serveur faire un cocktail, nous nous racontons nos petits boulots de jeunesse dans des bars... (En 83, par exemple, j'ai beaucoup secoué du shaker sur la Côte d'Azur.) commentaires
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Jeudi 9 octobre 2008. Nobel de
littérature. Et si Kas Product avait en fait été le meilleur groupe des années 80 ? Comme je revenais hier soir sur l'été 83, je me suis demandé ce que j'écoutais, à part Bowie qui passait partout. J'hésitais entre 82 et 83 mais Let's Dance est bien de 83, et je n'arrive pas à repenser à la route entre Saint-Tropez et Ramatuelle, dont je faisais une partie à pied chaque jour, pour aller au travail, à la plage ou faire des courses, sans l'entendre... De même que Life on Mars était souvent, juste dix ans avant, dans le poste de radio que mon père posait sur la banquette arrière de l'Opel Kadett rouge quand on allait le dimanche vers la promenade au bois d'Écouen. En 72-73, « je n'étais rien », comme dit étrangement Modiano à propos de lui-même au début de Dora Bruder... En 83, j'avais tout quitté. Grâce à Bowie, et plus qu'à tout autre, je peux dater avec certitude dans le brouillard épais de ma mémoire. Et voir ces dix ans qui séparent Garges-les-Gonesses de Saint-Tropez me plongent dans un abîme de perplexité. Ces pensées m'ont sorti la tête du guidon et j'ai enchaîné mes trois cours comme des lettres à la poste. Au séminaire, le Lady Oscar de Jacques Demy a fait place au Marie-Antoinette de Sophia Coppola afin de voir tout de suite la différence de traitement des personnages historiques, le passage de trente ans d'histoire du cinéma et de ressentir l'impressionnant féminisme qui habite la vision de la jeune américaine. La première demie-heure est vraiment comme un film documentaire, et l'on voit cette très jeune fille précipitée dans un destin monstrueux, le faire avec le courage simple de la petite chèvre qui va affronter le loup toute la nuit. J'exagère à peine. (Sauf que dans le lit du dauphin, la nuit, il n'y a pas de loup, il y a juste un pauvre gars lui non plus pas du tout à sa place — mettez le jeune Louis XIV à la place de Louis XVI et je ne suis pas sûr que la Révolution française aurait eu lieu...) Peu après 20 heures (heure japonaise), comme je rentrais à la maison, j'ai consulté quelques sites et posté ce simple télégramme : Nouveau Nobel de littérature : J.-M. G. Le Clézio. Dépêche AFP. Stop. Mes souvenirs de Le Clézio — autrefois, je disais du Clézio, quand il m'énervait — ont toujours été mitigés. Du sublime et du toc qui se succédaient. Ou les mêmes pages qui paraissaient un jour sublime, le lendemain du toc. Quoiqu'il en soit, réjouissons-nous ! Ce n'est pas un mauvais choix, et à l'heure où la culture française est annoncée moribonde... URGENT : Le Clézio et Jean Échenoz dans La Grande Librairie, ce soir sur France 5. François Busnel dans ses petits souliers, presque sympathique dans sa tentative d'approcher ces animaux rares. commentaires
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Vendredi 10 octobre 2008. Notre
version de la vie francophone. Matinée de rangement et de ménage. Depuis l'arrivée de trois tonnes d'affaires de Tokyo en août, l'appartement n'était plus tout à fait fonctionnel, il y en avait dans tous les coins. Il a fallu quatre ou cinq séances de réflexion et de déplacements divers pour parvenir — aujourd'hui — à retrouver un appartement circulable et vivable. Comme un organisme qui reçoit soudain trop de nourriture et qui en met de côté pour une digestion progressive. Je rejoins David à la loge de l'université pour sortir en voiture ; nous avons rendez-vous pour déjeuner avec le nouveau directeur de l'Alliance. C'est l'été indien... On tomberait la veste. Présentations sommaires et sympathiques dans l'entrée de l'Alliance. Dans ces cas, il y a toujours une petite exagération d'enthousiasme ; chacun veut se montrer affable et spirituel. Le moment de vérité vient toujours quand on a usé les premières cartouches, qu'il faut être vraiment soi, dire sommairement qui l'on est et ce qu'on fait d'essentiel pour se définir. C'est alors que parfois la déception vient : pas les mêmes références, pas les mêmes orientations, pas le même humour, on se quitte en bons termes en sachant qu'il ne se passera rien d'autre. Aujourd'hui, ce moment de vérité est tout à fait positif, au moins en ce qui me concerne. La conversation n'est ni formatée ni truffée de clichés, bien au contraire. David et moi donnons franchement notre version de la vie francophone au Japon et spécialement à Nagoya, des contraintes du travail et des attitudes psychologiques de nos étudiants et clients — et la comparaison avec le Kérala, d'où le directeur arrive, est tout à fait amusante (il faut d'ailleurs qu'il nous explique où c'est, ignares que nous sommes...). Nous déjeunons dans un restaurant de poisson de Motoyama, là même où Benoît me disait qu'il déjeunait souvent et où il y a une serveuse... mexicaine ! (Clin d'œil au passage pour le nouveau Bisontin, irremplaçable et qui nous a bien manqué hier soir.) Le sanma grillé est succulent. Près d'une heure et demie plus tard, dans un bouillonnement qui va des arts martiaux à Jean-Philippe Toussaint, de ce que peut bien contenir mon blog à l'usage pédagogique de TV5 par internet, en passant par Tokyo, Nice et Trivandrum, c'est à regret qu'il faut tout de même se résoudre à se quitter, certains de se revoir bientôt. Pas la peine d'essayer de travailler au bureau. Directement dans le shinkansen pour dormir une heure et me remettre à la préparation du cours sur Dora Bruder demain matin. Beaucoup de détails documentaires à rechercher, tout en les ramenant à ce qu'un lecteur moyen est censé en percevoir. Soirée tranquille et studieuse, après une bonne heure de marche nocturne dans les ruelles vers Ushigome-Yanagicho, pendant laquelle T. teste son nouveau compte-pas électronique. Ce qui me fera coucher à une heure du matin... commentaires
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Samedi 11 octobre 2008. Pendant
que ça se raccourcit tout autour. Couché à une heure du matin pour — moyennement bien dormi — me lever à six et continuer les notes de cours sur Dora Bruder. Ce matin, je parlerai du recensement des juifs et de la place de l'étoile. Mais je dois commencer par me présenter devant la pointeuse, dans la salle des profs, et faire reconnaître mon empreinte digitale pour être fiché et payé dans ce camp humain du XXIe siècle. L'énorme quantité de détails dont je dispose pour expliquer le premier chapitre ne doit pas faire oublier le tour de force initial : nous faire tous passer par le chas de l'aiguille nommée boulevard Ornano. En effet, c'est par la lecture de ce toponyme parisien que Modiano, en 1988, a eu l'attention retenue, dit-il, sur cette minuscule annonce de disparition du 31 décembre 1941, le mot réveillant quelques souvenirs personnels qu'il tente ensuite d'ordonner chronologiquement (enfance, événements d'Algérie de mai 1958, période 1965-68). Connaissant nous aussi son nom et une bonne partie de sa biographie, nous sommes cependant étonné que Patrick Modiano ne remarque jamais la proximité sonore entre Ornano et Modiano. De même qu'il ne commente jamais le fait que bruder signifie frère en allemand, ce qui, au-delà du nom de la jeune fille disparue, laisse apparaître comme le message subliminal d'un frère adoré, Rudy, dont la mort, en 1957, l'a déstabilisé et amené à faire, comme Dora, une fugue à quinze ans. Pour le reste, on pourra écouter ici ce que j'en dis (103 min.), en n'oubliant pas que je m'adresse à un public japonais dont le niveau de français est moyen-supérieur mais dont les connaissances culturelles peuvent être très supérieures à la moyenne et aux miennes. On peut aussi voir et écouter Patrick Modiano sur le site de l'INA, lors de ce qui doit être sa première apparition télé chez Pivot le 20 mai 1977 (dix minutes gratuites, le reste en accès payant) ou la deuxième, le 15 septembre 1978, quand François Mitterrand l'avait fait inviter avec trois autres écrivains, ou peu après, le 20 novembre, lorsqu'il reçoit le prix Goncourt pour Rue des boutiques obscures. Enfin, voir ou revoir les Puces de Saint-Ouen en 1958, ou en 1965 quand Jacques Prévert y passait. Déjeuner au Saint-Martin où T. est en retard. J'en profite pour papoter avec mes voisins, les B. dont la sage petite fille commence à bien dessiner. Puis T. arrivée m'explique qu'elle était avec une connaissance du quartier qui risque de divorcer, que la confidence a pris du temps. Après le café, je passe chez le coiffeur, qui peut me prendre tout de suite. Et malgré le café, je somnole lourdement sur le fauteuil pendant que ça se raccourcit tout autour de ma tête. Je finis la sieste à la maison avant de me remettre au travail. T. lit souvent des chapitres de Vingt Ans après, que j'entends ou n'entends pas, c'est selon. On en est au milieu, ça va mal pour Henriette et Mazarin est plus hypocrite que jamais. Pour T., je repasse La Grande Librairie avec Le Clézio et Échenoz. Au second visionnement, ça saute aux yeux, ni Le Clézio ni Échenoz ne sourient ou n'arrivent à une quelconque connivence, que ce soit entre eux ou avec Busnel, qui tend des perches obséquieuses et maladroites, quand il ne coupe pas sauvagement la parole pour garder l'air propriétaire du crachoir... |
Dimanche 12
octobre 2008. L'implicite n'échappe pas aux masses. « Nous n’avons pas su partager la richesse, partageons la pauvreté. La distribution commence. Cette fois, tout le monde aura sa part et personne ne sera volé.» (Éric Chevillard, L'Autofictif #352, 11 octobre 2008) Je me demande si les agitations politiques internationales ne font pas empirer la situation qu'elles visent à calmer. Vouloir commencer à faire quelque chose, c'est tout de même admettre implicitement qu'on ne faisait rien, qu'on laissait faire, voire qu'on y avait intérêt. Et l'implicite n'échappe pas aux masses, contrairement à ce que croient nos dirigeants. On aura beau me dire ce que l'on veut (par exemple dans la bonne édition de Ce soir ou jamais le mardi 7), je pense tout de même que nationaliser des banques, même temporairement, c'est avouer (implicitement encore) que leur liberté totale — comprendre : leur libéralisme débridé et la primauté de la spéculation sur la production — n'est finalement pas possible, non seulement pour le bien de l'humanité, ce dont nous savons qu'elles n'ont cure, mais même pour le profit maximal des financiers, ce qui est tout de même un comble. Enfin, la vraie question derrière tout cela : à qui cette situation profitera-t-elle ? Dans un mois, dans un an... Ça ne nous empêche pas de passer un dimanche tranquille. Et, pour moi, de continuer la préparation pour Fukuoka, dont le programme est maintenant en ligne sur Fabula. Écoute et enregistrement de François Bon présentant son Led Zeppelin et de Valentine Goby avec Qui touche à mon corps je le tue chez Veinstein. Et si vous avez comme moi regretté de voir Jean Échenoz bridé par les carences intellectuelles de La Grande Librairie, vous aurez plaisir à l'écouter sur la Radio Suisse Romande dans deux émissions d'une grande finesse (Entre les lignes des 8 et 9 octobre). Ah, la connivence ! On en revient toujours là... Pour ne pas prendre racine sur nos fauteuils, allons prendre un expresso et un petit morceau de far breton au coin café de l'Institut. Marche à la nuit tombante jusqu'à Seijo Ishii (Korakuen). Première soirée où je me dis, malgré la veste, qu'il va falloir sortir un pull. Longs nuages tout étirés, comme des rubans, d'un bout du ciel à l'autre, et de temps en temps, la lune derrière, presque entière. T. et moi, on parle d'acheter une maison. Ici, c'est la banque qui prête qui souscrit pour l'emprunteur une assurance-vie, sauf si l'organisme d'assurance-vie refuse d'établir le contrat — et les récents progrès de la médecine deviennent alors autant de chicanes supplémentaires. Jamais entendu parler de ça en France, au moins quand j'y étais, ce qui commence à dater. Revenons avec du pain, une portion de fromage de brie, des yaourts au jus de quinze légumes, une provision d'umeboshis, etc. De quoi éviter des maladies nocives au crédit — et quand on aura signé, ripaille ! commentaires
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Lundi 13 octobre 2008.
Jusqu'à quel point la franchise paie. Trois choses, rapidement, aujourd'hui. (Après les heures de travail.) D'abord rendez-vous avec le nouveau directeur des cours de l'Institut franco-japonais de Tokyo. Je croyais être parmi les derniers, c'est le contraire, il n'a pas encore reçu les enseignants titulaires. Du coup, j'ai l'air d'un avant-poste qui a passé sans le savoir la ligne de démarcation. Oui, c'est vrai, c'est du vocabulaire guerrier. C'est feutré, mais guerrier quand même. La boîte, ça doit tourner, et tout le monde n'y survivra pas. Surtout quand on a un sapeur qui a mis quatre ou cinq cours ayant le même public potentiel au même horaire. Sinon, très sympathique, l'entretien. Quarante-cinq minutes et une franche cordialité. Mais je me demande toujours jusqu'à quel point la franchise paie. Ensuite, longue marche avec T. — qui est elle aussi restée trop longtemps assise — par Iidabashi, Kudanshita, Takebashi et finalement, contournant le Palais impérial par l'est, jusqu'à la tour Shin-Marunouchi, tout près de la gare de Tokyo. Discutant de la mise au point d'un week-end nordique dans moins d'un mois, nous devons éviter les coureurs et leurs étraves de suée malodorante qui défilent par dizaines à la minute en faisant des tours de Palais. Pendant ce temps, progressivement, encore une fois, la nuit tombe, et cette fois la lune est pleine. Au sous-sol de Shin-Marunouchi, nous achetons nos desserts, une part de tarte aux figues et un petit clafoutis aux cerises (on dirait qu'on n'est venu au Jardin gaulois que pour ça). Et revenons par le même chemin. Total au compteur de pas : 14.000. Enfin, je viens de me rendre compte du peu de temps qui me reste pour finir mon exposé. Deux semaines et demie. En plus, Volodine compte sur moi pour ne pas dire de banalités. Je vais donc enfiler ma robe de moine-soldat et rassembler des pouvoirs chamaniques pour lire et écrire en dormant. Et par conséquent ne plus sortir. Et poster a minima. Je sais, vous gémissez, ça va changer beaucoup de choses pour vous. Mais vous verrez, ces quelques minutes en plus dans votre vie, ces minutes que vous ne passerez pas à me lire, je suis sûr que vous pourrez en faire un usage bénéfique. En vous couchant un peu plus tôt et en comptant les vaches noires qui passent dans le ciel (maintenant que vous savez d'où on les envoie). En regardant un peu plus longtemps la remontée spectaculaire de vos actions en bourse. Voire en écoutant enfin les conférences de la BnF sur le canal francecultesque des Chemins de la connaissance, celle d'aujourd'hui étant consacrée à Madame d'Aulnoy, par Nadine Jasmin, ce qui intéresse T. au plus haut point, vous pensez. commentaires
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Mardi 14 octobre 2008. Une
traînée sur le bord de la feuille. « Je marche droit, tu penses, ce n'est pas à moi que l'on aura l'idée d'apprendre comment marcher droit. J'ai avancé en ligne droite pendant cinq jours, avec ce maudit monastère devant les yeux. Mais il y a toujours autant d'obstacles et la distance ne change pas. C'est comme si le paysage se déformait et se reformait sans cesse. — Comme dans les contes ? — Tu parles d'un conte de fées !... Une saloperie terrienne de plus, oui. Un piège, je suppose. Ils essaient de nous maintenir à distance.» (Antoine Volodine, Biographie comparée de Jorian Murgrave, p. 149) C'est souvent l'effet que me fait le sens littéraire, en général. Je le vois briller à quelques distances, je le saisis dans son ensemble, parfois dans un détail, un reflet particulier. J'avance vers lui et ne l'atteins jamais. Tout au moins, ce que j'imagine être l'atteindre. À penser autrement, je suis peut-être déjà complètement dedans. Je ne peux rien faire pour l'atteindre, puisque c'est déjà fait, qu'il m'a absorbé, qu'il m'a eu, qu'il m'a. Micro-sommeil entre deux copies. Mon stylo rouge a laissé une traînée sur le bord de la feuille. Tiens, c'est Shizuoka, et il pleut. Plus tard, après deux cours, mon esprit a été détourné, distrait et je ne peux redescendre de suite dans le scaphandre étanche du moine-soldat. Mais comme je le dis à Andreas pour excuser d'avance ma défection de demain, ma vision est tapissée de bribes textuelles, d'idées qui scintillent et se déplacent les unes vers les autres. Et qu'il me faut saisir sans les faire fuir. Je reprends prudemment le chemin du monastère. L'hébergeur a écrit — une fois n'est pas coutume — qu'il y aurait une migration de serveur demain ; les bases de données (et donc les blogs) devraient être inaccessibles entre 16 heures et une heure du matin, heure de Tokyo (9h-18h, heure française). Si jamais ça revient... |
Mercredi 15
octobre 2008. Échangé contre un circuit neuf. Rien de tel pour déstabiliser un étudiant japonais d'un département de français que de lui demander d'écrire au tableau et en phonétique une simple phrase en japonais du type : est-ce que tu habites à Nagoya ? Ça le tétanise sur place, ça grésille à l'intérieur, c'est tout juste si on ne sent pas le plastique des fils qui crament. Tellement ils ne se sont jamais interrogés (ni ne l'ont été par qui que ce soit) sur leur propre façon de prononcer. Et tellement l'idée d'employer un alphabet phonétique est nouvelle, et donc associée au français, puisque c'est cela qu'ils étudient. Eh bien, je suis persuadé que ce court-circuit-là, pris à la rigolade et échangé contre un circuit neuf, nous fera gagner au bas mot un mois. La bure du moine-soldat n'est hélas pas compatible avec le sport. Il a d'abord fallu que je m'acquitte des taches administratives pour remboursement des frais dans les collines adverses (Fukuoka et Morioka, noms dans lesquels -oka signifie colline). Puis, des rites ayant été accomplis, deux pages sont lentement sorties de la glaise des notes. Pour Volodine, on pourrait dire : du goudron des notes. L'adversité sera complète puisque dans le sud, à Fukuoka, je parlerai, alors qu'à Morioka, dans le nord, je ne dirai absolument rien, sauf à Yvan Leclerc qui viendra y présenter la Correspondance de Flaubert. À noter : culturellement, les Japonais disent à l'est et à l'ouest, quand nous disons au sud et au nord. La vérité (géographique) est entre les deux. La migration de serveur chez Globat a l'air d'être achevée et on dirait que j'ai encore tous mes mots dans l'ordre. Pas de crise dans mes banques. Je vais donc y ajouter ceux-ci. commentaire
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Jeudi 16
octobre 2008. Jamais été autant
inutile. Comme en réponse à la présence de Jorian Murgrave dans mes pages... Dominiq Jenvrey répond à vos questions sur les extraterrestres : Oui. Par ce projet la littérature s’offre la possibilité stupéfiante d’être l’utilité la plus fondamentale. En même temps, la littérature, qui convoque les forces créatives par ce projet, se lance dans une entreprise à l’inutilité la plus grande, la plus déterminante, telle qu’elle n’a jamais été autant inutile. Or, à partir de ce moment, qui forme un événement, qu’a lieu une rencontre extraterrestre ou plutôt une rencontre avec des Espèces Technologiques (E.T.), la littérature devient l’utilité dont l’espèce d’ici a le plus impérieux besoin. Elle seule se sera fabriqué l’arsenal de pensée nécessaire pour comprendre cet événement, pour comprendre c’est quoi des E.T., c’est quoi leurs fictions à eux. D'autant plus qu'elle se sera habituée à ce jeu de l'échange fictionnel. La rencontre extraterrestre estompe-t-elle la séparation que l’homme s’est fabriqué entre lui et l’animal ? La rencontre extraterrestre modifiera-t-elle notre psychologie ? En attendant de le savoir, j'ai fait mes trois cours dont le séminaire. Sommes arrivés aux deux tiers de Marie-Antoinette, quand elle s'éclate au Petit-Trianon, tout à fait sur une autre planète que la France en récession. Je vais aussi proposer aux étudiants de travailler sur le rapport avec les extraits musicaux choisis... Mais comme les groupes et les morceaux datent plutôt de leurs parents, il faut les guider un minimum. Par exemple :
Après un thé avec David et Florian, difficile de renfiler la bure d'écriture. Alors je me passe un des derniers films reçus : Déjà Mort (Dahan, 1998). Un bon casting, une histoire pas mal du tout, mais au final un beau gâchis. Dans le même genre, starlette, cinéma, fric et drogue, et même si ce n'est pas dans le milieu du X, Sauvage Innocence (Garrel, 2001) était quand même d'un autre calibre. |
Vendredi 17 octobre 2008. Creuse
les mines de vrais et de faux. Quand tu sais que le soir sera encombré, poste le matin. Grâce au travail tenso-fictionnel de Dominiq, véritable Calder en tissant en fictionnant du web, je parcours des blogs que je ne connaissais pas, comme Cuisine interne de Nina Y. qui, le 10 octobre, rendait compte de ses travaux sur la quatrième de couverture du futur Tuer Catherine : « Ai rédigé la quatrième de couverture aussi. [...] Ainsi, j'ai pu très scientifiquement et après examen d'un certain nombre de dos d'ouvrage pas du tout représentatifs de la population littéraire française établir par induction qu'il existait principalement trois grands types de quatrièmes de couverture, à savoir : 1) les extraits purs et durs, 2) les résumés-commentaires qui portent sur le texte un regard externe (ex : "Cuisine brûlante est un récit fiévreux dans lequel, Marc, charmant quadragénaire...") et enfin 3) les approches plus personnelles, avec un point de vue interne à l'oeuvre (ex : "Sophie, 32 ans. J'aime Marc, passionnément. Mais..."). Sachant évidemment qu'il existe des formes mixtes (ex : combo extrait + commentaire externe) ou hybrides (ex: approche interne dans le fond mais externe dans la forme). Si on met de côté la solution numéro 1, la ligne de démarcation, la question qui se pose est donc : est-ce qu'on émet un discours depuis l'intérieur du texte (par exemple en reprenant la voix d'un des personnages) ou bien est-ce qu'on en parle depuis l'extérieur, comme quelqu'un qui ayant lu le texte donnerait son avis dessus. Cette dernière solution est quelque peu plus simple, sans doute plus classique également, puisque j'imagine (je me trompe peut-être) qu'initialement la quatrième était conçue comme un propos du type, on vous parle du livre, on vous dit ce que vous allez y trouver, à la manière d'un ami bienveillant qui l'aurait lu et qui vous donnerait son avis.» Ma mémoire s'est bien effilochée depuis le temps mais je pense qu'il y aurait à comparer avec des propos au moins aussi inductifs et spirituels du côté des Seuils de Gérard Genette, que Google propose d'emprunter dans une bibliothèque du Danemark (vérifier tout de même la météo et les conditions d'accès). À noter que Nina Yargekov est aussi présente dans le numéro 1 de la revue Tina que Chloé m'a envoyé et que je n'ai pas encore achevé, comme tout ce qui reste suspendu en l'air pendant que — moi non plus je n'ai pas d'autre alternative — je creuse les mines de vrais et de faux rêves de Volodine, et ce jusqu'au jour de déverser ma cargaison sur les auditeurs de Fukuoka, les pauvres. Reste à faire ma journée, avec au menu : rédaction d'une ou deux pages, déjeuner avec David, voyage en shinkansen, rencontre de quelqu'un d'important et préparation du cours de demain matin. commentaires
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Samedi 18 octobre 2008. Hilarant
— d'ailleurs il en meurt. Dora Bruder me fait encore lever à six heures. Elle le mérite bien. J’essaie surtout de montrer aujourd’hui la navette à tisser que Modiano actionne par des allées et venues très maîtrisées d’une époque à l’autre : la disparition de Dora en 1941, le Modiano des années 60-70, son enquête de 1988 à 1996, puis les Bruder dans les années 1920-1930. L’incessant mouvement qui va de la mémoire à l’imagination, et du document authentique à la pure supposition construit en parallèle Dora et Patrick, invitant tantôt Jean Valjean et Cosette rue de Picpus, tantôt Manon Lescaut à la Pitié-Salpêtrière… Où nous pourrions ajouter Cléo… Distribution de trois exemplaires d’occasion de l’édition japonaise de Dora Bruder, commandés par mes soins chez Amazon Japon pour des étudiants qui ne pouvaient le trouver en librairie. J’ai quand même un peu de mal à écluser les bières d’hier soir. Mais quelle soirée ! Je partais pour un café avec Patrick De Vos et Pierre Bayard (le quelqu’un d’important annoncé hier), genre une demie-heure dans leur emploi du temps très chargé, et puis, après dépôt du portable Mac de Pierre au Genius Bar d’Apple Shibuya où je les avais rejoints, ils me déclarent qu’il n’y a rien d’autre et qu’on peut dîner ensemble. Dans la folie de Shibuya, on redescend la ruelle d’Espagne, on emprunte ce qui reste de la serpentine ruelle de la Lettre d’amour (koibumi yokochou, célèbrée dans un film de 1953), boyau grillagé à côté d’un nouveau et immense magasin d’informatique, débouchant sur un vrombissant pachinko que nous devons traverser en apnée pour ressortir de l’autre côté, traverser l’avenue et descendre à l’abri dans le restaurant chinois Panda. Où l’on trouve une table, la bonne chère. Et la bière. Pierre Bayard est déjà un volodinen convaincu, nous travaillons à greffer le post-exotisme dans les cauchemars de l’ami De Vos. Sinon, on parle profs, facs, conférences, Pécresse et Sauvons l’Université, sans aucun désaccord (et ici le compte-rendu en question sur la réforme des universités japonaises comme modèle pour la France, dont je parlais en juin). Du coup, je suis moyennement en forme pour le déjeuner au Saint-Martin après le cours. T., Laurent et Bill me maintiennent en éveil mais dès le poulet-frites avalé, je pense déjà à la bonne sieste qui va suivre… Plus tard, enregistrement des À Voix nue de 1988 avec Le Clézio, rediffusés cette semaine. Pour les archives. Mais je vois l’actualité ailleurs : par exemple dans le courageux 184e billet de Chloé Delaume sur la fumisterie que constituerait l’Antimanuel de littérature de François Bégaudeau dont, même si je suis loin, l’enflement tête-chevilles ne m’a pas échappé. Dans ce monde de milliards d’informations libres et de consensus mou où tout se vaut (même quand on est vaguement pas d’accord), je révère et remercie celles et ceux qui donnent franchement et constructivement un avis négatif. Avis très positif, en revanche, pour le film La Vie devant soi (Mizrahi, 1977), téléchargé par iWizz et que je n’avais jamais vu (n’ai pas non plus lu le livre d’Émile Ajar, alias Romain Gary). L’épisode du père musulman qui vient récupérer son fils abandonné onze ans plus tôt et à qui Simone Signoret présente ses excuses de l’avoir élevé en petit juif est tout simplement hilarant — d’ailleurs il en meurt, le père. commentaires
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Dimanche 19 octobre 2008. Un
nouvel horizon au néant. Journée de travail avec pas mal d’enregistrements d’émissions de radio (récupération de quelques Une Vie une œuvre, négligés depuis août, Soljenitsyne, Hallier, Giono, enfin Montaigne…), une sortie de marche oxygénante d’une bonne heure, jusqu’à Waseda, ainsi que des intermèdes filmiques aux repas et avant le coucher. Je confesse que j’ai un retard à rattraper. Longtemps, par exemple, je n’étais pas intéressé par le thème des morts-vivants. Je n’y voyais qu’un formalisme parmi d’autres, celui-ci farfelu et sanguinolent, et avant tout destiné à distraire des gogos qui auraient mieux fait de s’occuper des agissements politiques et économiques de leurs commis. C’est une vision un peu réductrice, je le concède, mais dans laquelle j’englobais d’ailleurs la SF, le polar et beaucoup d’autres choses — c’était mon époque Comité de salut public… Du haut de mon jugement étriqué par une licence de Lettres et quelques essayistes mal lus, je coupais des têtes. Pendant les classes du Génie, à Metz, un ami, François Baudequin (que j’aimerais bien retrouver), m’avait caricaturé en assaillant qui braillait « Kill Kill ! ». J’ai encore le dessin quelque part… Petit à petit, d’autres m’ont fait comprendre qu’il y avait peut-être ici et là, aussi, de la subversion, et peut-être parfois plus que là où ça s’écrivait en gros. J’avais suivi mon père sur des boulevards de contestation qui ne menaient nulle part quand je me rendis compte que les lacis de ruelles étaient de bien meilleurs coupe-gorges. Malheureusement, pendant les vingt ans qui suivirent cette prise de conscience, il fallait que je gagne ma croute sans réseau d’entraide, n’étant pas né avec une cuillère d’intello dans la bouche, n’ayant réussi à me lier avec personne (mes rapides passages chez les trotskystes et chez les anarchistes ayant tourné court et vinaigre), refusant de passer des concours que j’estimais déjà largement dévoyés, et que je reste donc globalement dans la littérature où je pouvais avancer avec mes billes : le Nouveau Roman. Déjà honorablement marginal et contestataire. C’est bien sûr à partir de la découverte d’Antoine Volodine que toute mon attente déçue et ma réorganisation sous-jacente ont commencé à prendre sens et à dessiner un nouvel horizon au néant. Un chamboulement qui n’est d’ailleurs pas près de s’achever. Aussi vois-je d’un autre œil (par exemple aujourd’hui) des films comme Réincarnations (Dead and Buried, Gary Sherman, 1981) et Immortel (ad vitam) (Enki Bilal, 2004), même si je ne suis pas dupe de leur dose de distrayant formalisme et du fait que leur subversivité est aujourd’hui complètement intégrée et utilisée par le système, comme diraient Debord et Vaneigem. « Eva Rollnik s’était donné pour rôle d’inventer un nouveau mode d’expression littéraire, puis, sans daigner en récolter le moindre laurier, avait disparu. [...] Cependant, tout se passait comme si Eva Rollnik avait voulu inaugurer la pratique de la clandestinité, justifier l’anonymat, l’hétéronymie, et comme si la leçon commençait à être assimilée par le milieu des gens de lettres. [...] La Shaggå remuait dans son sillage le concept d’une mauvaise aptitude humaine à mesurer le temps, le concept des gouffres de la mémoire, le thème d’une falsification généralisée du monde réel, ainsi que des mécanismes présidant au fonctionnement de la renaissance ; la Shaggå propageait la notion de doubles manipulés, de doubles coupables, la notion de faussaires tout-puissants, seuls détenteurs des vérités essentielles. Faire progresser de telles idées paraissait être l’objectif premier (ou ultime) de la brigade Eva Rollnik. Toutefois, et peut-être Eva Rollnik aurait-elle eu là des raisons de se désoler, les prosateurs de la Renaissance préféraient pour l’instant le formalisme à l’idéologie. De la moelle d’Eva Rollnik, ils n’avaient rien retiré de substantifique, sinon les règles de nouveaux divertissements, avec dominos et ombres chinoises.» (Antoine Volodine, Lisbonne dernière marge, 1990, p. 105-107) commentaires
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Lundi 20 octobre 2008.
Tout ce qu'on crispe ou bousille. Elle a eu raison, T., de me proposer d’aller au sport. On commençait à rouiller de partout. C’est qu’on n’est pas fait pour bosser des dizaines d’heures assis, comme ça, même avec des sièges ergonomiques. Et ce ne sont pas les six ou sept heures de sommeil qui réparent et détendent tout ce qu’on crispe ou bousille en gardant la position informatique. Sommes donc retournés au centre de sport de Shibuya, de loin notre préféré. T. est allée faire des longueurs à la piscine, moi pédaler sans bouger, puis remuer quelques kilos de fonte avant de profiter du bain et du sauna. Nous nous sommes retrouvés à l’accueil à 13 heures, avons déjeuné d’un très bon teishoku (plateau-repas traditionnel) dans le quartier avant de faire quelques courses et de revenir au travail, avec de belles pâtisseries aux fruits pour notre quatre-heures. On ne suit plus du tout l’actualité. Mais que s’est-il donc passé dans le studio de radio quand Jacques Munier, présentant TINA, a voulu intervenir sur Lutz Bassmann (qui ouvre le n°1, on le sait) et que ni Chloé Delaume ni Émilie Notéris n’ont compris où il voulait en venir, s’il voulait en venir quelque part ? Hésitations et silences, balbutiements incohérents, rattrapages du trapèze avec trois doigts. À croire que sa blague du botox était mal passée. Munier se demandant s’il devait dire que Bassmann était un pseudonyme de Volodine et Chloé ne sachant comment répondre à la question sur le post-exotisme… Une petite minute de grande solitude collective (À plus d’un titre du 17 octobre, deuxième partie.) commentaires
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Mardi 21
octobre 2008. En langage sifflé. Rien à dire sur le train, les cours, la lecture. Suis toujours focalisé sur l'objectif en vue dans dix jours. Ayant longtemps médité, le moine-soldat tire lentement l'épée du fourreau. Là-haut, la vigie braille terre. C'est l'heure où les idées vont boire et ne savent pas encore dans quel ordre elles vont se ranger pour former discours. En dînant, j'écoute l'excellent débat sur histoire et mémoire dans Ce soir ou jamais d'hier. Il y est aussi question, quoique marginalement, des manuels scolaires japonais qui ne disent (plus) rien des crimes de guerre dont le Japon a pourtant été clairement reconnu coupable. Pour le reste, c'est un débat ouvert et... qui le restera. Si je trouve inacceptable que l'État écrive une histoire officielle et criminalise toute dissidence ((ça me rappelle Outrage à mygales, pièce radiophonique d'Antoine Volodine, Cf. JLR du 11 avril 2006 et Radio Bardo de Lionel Ruffel)), il lui faut tout de même encadrer les commémorations, arbitrer les conflits mémoriels et interdire le négationnisme — dont la frontière avec le révisionnisme méthodologique des historiens est parfois si poreuse... Je découvre tardivement — d'un coup — l'aporie auditive de la semaine dernière. Savoir si Fadela Amara avait, avec aisance, dit Destop, image de marque que l'on estime être dans son vocabulaire de ménagère quelque peu limitée, guidée en cela il est vrai par le célèbre Karcher de son président, ou si elle avait dit d'estoc, métaphore puisée à un niveau de langue dont on pensait qu'il ne lui était pas spontanément accessible et que Sarkozy n'aurait pas pu lui souffler en douce. (Le on émane d'un collectif anonyme de blogueurs et de journalistes.) ((Incroyable ! Le terme DESTOP avait été récemment employé au sujet d'un Dossier sur les Enfants Susceptibles de Troubler l'Ordre Public, dans le sillage d'EDVIGE...)) Mais à tourner sur soi-même comme l'eau de la chasse, on risque bel et bien de laisser l'étron sur le bord : le fait qu'elle a, comme un seul homme — gouverne mentale — défendu l'hymne national dans sa pureté inattaquable sans aucun recul pour voir arriver le mél dans sa boîte. Et dans lequel il est écrit, en langage sifflé, que le passif historique n'est ni oublié ni miraculeusement changé en bénédiction. Chaque fois qu'un vent de fronde se lève, les politiques se drapent dans leur dignité et dégainent l'attirail répressif. (Au lieu de reconnaître la calamiteuse politique de la ville depuis quarante ans et de tenter d'y remédier — ce qui semblait pourtant être le poste de Mme Amara.) (Et cela le jour-même où Christine Boutin voit rejetée sa tentative d'exonérer les communes de l'ouest parisien de leur mission de logement public.) Contre tous ces maux d'oiseaux, le 20-Heures de France 2 d'hier soir vous offre vingt minutes de Sœur Emmanuelle. L'art et la méthode de venir en aide aux pauvres sans rien changer aux structures politiques. La charité c'est bien, la révolution c'est mal. commentaires
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Mercredi 22 octobre 2008. Bure
à cogiter. Jour passé trop vite. Déjà le lendemain rien n'en reste. Il faut que je fasse un effort monstrueux pour me souvenir du cours de phonétique, des exercices d'articulation sur le texte de la chanson L'arbre va tomber, de Francis Cabrel, des entretiens avec 7 étudiants ayant fait une demande pour aller étudier un an à Aix ou à Orléans, de la réunion durant laquelle j'ai juste eu le temps de corriger deux paquets de copies, enfin des longues heures passées dans ma robe de bure à cogiter sur l'invention de la carcéralité onirique... Au détour d'une page, je retrouve des phrases qui brillent d'un feu nouveau dans le contexte. « Strohbusch, oui... reprit Kominform après un hoquet. Je me rappelle un certain Strohbusch. Un arriviste... L'échine souple... Il a dû se repentir comme les autres... retourner sa veste... Ça ne m'étonnerait pas qu'il soit aujourd'hui un social-démocrate modèle... Au service de tous les gouvernements quels qu'ils soient... Il doit lécher les bottes de tous les mafieux qui se présentent... Grand-mère aurait mieux fait de l'éliminer, autrefois, comme on l'avait envisagé, à un moment... — Grand-mère n'existe plus, Kominform ! plaida Strohbusch. On ne parle plus de révolution mondiale nulle part, tout le monde s'est recyclé... dans le trafic de pétrole, dans les droits de l'homme, dans le privé, dans la guerre... Ne pense plus à Grand-mère, Kominform, oublie Grand-mère ! Vis dans ton époque ! » (Antoine Volodine, Bardo or not Bardo, coll. Points, p. 24) J'entends qu'on veut s'attaquer aux paradis fiscaux, réguler les spéculations financières et larguer sans parachute des patrons en plein vol. Aurait-on lu mon paragraphe du 30 septembre et décidé d'appliquer mes propositions sans me rémunérer ? Mes gages, mes gages ! Rascals ! commentaire
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Jeudi 23 octobre 2008. Elle
fouette, la première demi-heure. La poésie partout et nulle part ailleurs — dès qu'on y postule Le ventre mou du semestre. Temps où le gros des classes perçoit le résultat de son travail et révèle ceux qui ne foutent rien, il n'y a pas d'autre mot. Des écarts de notes criants — et de l'incompréhension : celle de celui ou celle qui ne comprend rien, celle des autres qui ne comprennent pas pourquoi quelqu'un ne comprend pas puisque les autres y arrivent, celle du prof qui ne voit pas comment aider, encourager, ramener... et qui se dit que faire réussir tout le monde n'est peut-être pas à sa portée. Au séminaire de cinéma, nous quittons enfin la composition tout de même un peu lourde de Sofia Coppola, surtout sur la fin de son Marie-Antoinette, que je trouve bâclée, même si justifiée par l'unité de lieu et de... régime (serait à comparer avec le film de Van Dyke de 1938). Pourtant, ils sont attendrissants et originaux, et contemporains d'intimité ces gros plans champ-contrechamp des époux incompris et incomprenants, sourires désolés, dans leur carrosse quittant Versailles pour toujours. Comme s'ils s'excusaient d'avoir complètement raté leur mission historique. Juste après cela, elle fouette, la première demi-heure de La Marseillaise, de Jean Renoir (1938) ! Et, cinématographiquement parlant, elle paraît presque plus moderne que l'hagiographie coppolienne... Mais elle a aussi les défauts des films historiques de l'époque, la quantité textuelle et éducative des dialogues. La suite au prochain épisode. Quand je vois les photos que Philippe De Jonckheere a retrouvées, parmi ses premières peut-être, et qu'il m'adresse, en référence à la journée d'étude de la BnF (30 nov. 2006) où nous étions pour parler des possibilités de publier l'intime, je ne peux éviter plusieurs fois d'avoir un pincement au cœur. J'ai moi aussi — et comme beaucoup de gens — eu ce genre d'appareil et fait ce genre de photos, dans lesquelles je crois que l'idée de qualité ou d'art n'entre pas. Elles témoignent plutôt d'un formidable paradoxe qui est que pour chacun ses propres clichés renvoient à des souvenirs très personnels, familiaux, vacanciers, plus ou moins flous, plus ou moins réveillés des dizaines d'années plus tard mais que pour d'autres ils renvoient aussi à des souvenirs personnels qui se réveillent par l'effet du genre photographique. Ainsi cette scène — enfant / voiture / maison / légère pente, avec ses gris peu contrastés, l'absence d'action et de narration dans la composition — me fait-elle souvenir, dans un flou qui répond à l'atonie, de plusieurs attentes de départ, à Creil, à Hendaye, à Saint-Pourçain et même à Lerida. Issu du genre même, quelque chose aide mes souvenirs à remonter par l'image de ceux de quelqu'un d'autre. Ce sera aussi, maintenant, une nouvelle marque d'intimité entre nous. commentaires
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Vendredi 24 octobre 2008.
Impossibilité d'en faire plus. En marge des tâches (courrier, rédaction, lecture pour recherche ou cours) et des activités habituelles (déjeuner avec David, train et dîner), quelques pages grappillées. Et l'impossibilité d'en faire plus. Les dix ans d'Île en île, l'immense mérite de Thomas C. Spear, que je salue bien amicalement ! Le Qui sommes-nous, blogueurs ? de Mme Demonchy. Qui m'a bien fait rire. Le monde de l'édition française est tellement stupide qu'il croit se sauver en désignant des boucs émissaires... L'expansion de l'ignorance, d'Hubert Guillaud. Je ne le savais pas mais je m'en doutais... Et le soir, à la demande de T., le dévédé de Capitaine Conan (Tavernier, 1996, d'après le roman de Roger Vercel, 1934) — comme pour préparer mon cours sur les années 1920... |
Samedi 25 octobre 2008. Une
quinzaine d'années tranquilles. 9:52-11:56, timing certifié par le doigté biométrique (ou biopolitique — salut, Giorgio !) et l'acceptation passive (quoi qu'on en dise). Certes, je ne pensais pas en 2004 que ça me concernerait si vite ! — Réponse du dirigeant-type : le pragmatisme et l'obligation légale. Traduction en langage non administratif : l'hypocrisie qui masque la volonté de contrôle — et mieux que jamais — voire la jouissance de ce pouvoir sur les autres, les employés, les travaillants (Grégoire Courtois), dont lui, a réussi à ne pas faire partie (sa grande fierté). Les listes de Juifs, faut-il le rappeler encore, avaient été établies par des gens consciencieux qui répondaient pragmatisme et obligation légale. Dora Bruder. Chapitre 4, l'histoire du père, Autrichien. D'un des pays morcelés par les traités de 1919, d'où les pauvres fuyaient par vagues vers l'ouest, notamment juifs. Engagé dans la Légion française où l'on donnait vêtements, nourriture, couche et compagnie, sous le soleil marocain, et d'où il est revenu mutilé de guerre 100 %. Chapitre 5, l'histoire de la mère, réfugiée hongroise, enfuie avec ses parents d'un autre des pays morcelés, mariée à seize ans. Modiano gravant « en creux » (p. 29) l'histoire de ces « personnes qui laissent peu de traces derrière elles » (p. 28), soulignant ainsi la parenté avec le Louis-François Pinagot d'Alain Corbin (1998) et les Vies minuscules de Pierre Michon (1984). Chapitre 6, revue de photos, oui, qui témoignent d'un temps heureux, d'une quinzaine d'années tranquilles, d'une enfant qui grandit et qui — chapitre 7 — devient « rebelle, indépendante, cavaleuse » (p. 34) dans la chambre d'hôtel meublé de ce quartier encore déprimant du temps de Modiano... Mais il y a aussi des victoires, chez les gens libres. La dernière expérience de François Bon est édifiante. Lisez plutôt ! Et si le monde de l'édition française n'était pas aussi stupide que je le disais hier, il verrait bien où est son intérêt. Seulement, je crains bien qu'ils soient prêts à crever gonflés et étouffés dans leur amour-propre plutôt que de reconnaître qu'ils n'ont pas la maîtrise dans ce que devient leur propre métier... « Comment, pour vous, le livre actuel et le livre virtuel s'articulent-ils ? — Dans ma pratique quotidienne de l’information, des échanges privés, du plaisir aussi de la lecture, beaucoup passe par l’ordinateur. Rien d’incompatible entre les univers. Mais un gros défi : est-ce que, à l’écran, on peut construire les mêmes usages denses que ceux de notre génération doivent uniquement au livre ? C’est ça ou la réserve d’indiens, j’ai choisi.» (Entretien avec François Bon dans les Carnets de JLK — un JLK que je lirais plus volontiers s'il consentait à retirer ce rouge de fond qui bousille littéralement les yeux...) Sommes enthousiasmés par Blow Out (Brian de Palma, 1981), jamais vu auparavant. Non seulement l'hommage à Antonioni mais l'amplification superbe de la mise en abyme des techniques cinématographiques : prise de son, montage, flip-book, film d'animation, synchronisation son-image — le tout entièrement analogique, toute une pièce de magnétophones, projecteurs, tables de montage et de mixage qui tiendrait aujourd'hui dans une simple malette. commentaires
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Dimanche 26 octobre 2008.
Mémoire, toute en lambeaux qu'elle soit. Prenant le café, après le déjeuner, j'écoute T. animer les paroles d'Athos, après la défaite et l'arrestation de Charles 1er, quand les quatre amis se demandent s'ils doivent rester en Angleterre ou rentrer en France : « Tout est pauvre et mesquin en France en ce moment. Nous avons un roi de dix ans qui ne sait pas encore ce qu'il veut ; nous avons une reine qu'une passion tardive rend aveugle ; nous avons un ministre qui régit la France comme il ferait d'une vaste ferme, c'est-à-dire ne se préoccupant que de ce qu'il peut y pousser d'or en la labourant avec l'intrigue et l'astuce italiennes ; nous avons des princes qui font de l'opposition personnelle et égoïste, qui n'arriveront à rien qu'à tirer des mains de Mazarin quelques lingots d'or, quelques bribes de puissance. Je les ai servis, non par enthousiasme, Dieu sait que je les estime à ce qu'ils valent, et qu'ils ne sont pas bien haut dans mon estime, mais par principe. Aujourd'hui c'est autre chose ; aujourd'hui je rencontre sur ma route une haute infortune, une infortune royale, une infortune européenne, je m'y attache. Si nous parvenons à sauver le roi, ce sera beau : si nous mourons pour lui, ce sera grand ! » (Alexandre Dumas, Vingt Ans après, 1845, chapitre 63) On comparera — sujet à traiter en deux heures — avec cet extrait tout frais d'Éric Chevillard (attention aux contresens) : « Je modelai le corps de mon ennemi dans la cire. Puis je plantai sauvagement dans cette figurine mille aiguilles acérées. Le lendemain, ce pignouf contrefait et loqueteux défilait pour un grand couturier.» (in L'Autofictif, n°367) Autre chose, sur Jean Échenoz. Mais on ne s'en lasse pas... Cette fois, c'était aux Mardis littéraires. Le reste du temps, T. l'a passé à boucler sa partie dans un manuel de français tandis que je me suis efforcé d'y voir clair dans les types de langage qui entourent les acceptions du rêve... Et c'est pas gagné ! Je ne sors qu'un court moment pour marcher un peu et acheter du pain. C'est gris comme un automne à Paris. Et puis c'est la nuit. Je recherche aussi un dépliant d'agence de voyage sur Hong-Kong et Macao mais n'en trouve pas. À minuit et demi, sur TV5 Japon, un film que je ne regrette pas d'avoir attendu jusqu'à cette heure : Cortex (Nicolas Boukhrief, 2006), film littéralement porté par André Dussolier. Après trente minutes, je me demande si ça restera cette sorte de documentaire jusqu'à la fin, mais voilà que la progression de l'Alzheimer est concurrencée par l'instinct d'enquête de l'ancien flic. Qui a encore besoin de sa mémoire, toute en lambeaux qu'elle soit. Une liberté de ton avec la maladie, qui libère la créativité et la composition, rappellant immanquablement le très enthousiasmant livre d'Olivia Rosenthal, On n'est pas là pour disparaître. commentaires
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Lundi 27 octobre 2008. De la
daube spamique, là-dedans. Ne serait-ce que parce qu'il y a du Hugo penché sur les gouffres, parfois, chez Volodine, je me dois d'écouter attentivement quelques-uns des Nouveaux chemins de la connaissances consacrés la semaine dernière à Totor (avec Jean-Marc Hovasse, Guy Rosa, Jean Maurel, Florence Naugrette, Franck Laurent et Ludmilla Charles-Wurtz). Pas de liseuse de Dumas, aujourd'hui ; T. se lève tôt, imprime tout un tas de pages, déjeune sur le pouce et sort pour un important rendez-vous. Je suis censé la rejoindre plus tard à Shibuya. Quittant la maison vers quatre heures, j'aperçois de monstrueux nuages noirs qui inversent complètement les contrastes haut-bas. J'ai des parapluies. J'inspecte les rayons du magasin Loft, à la recherche d'un luminaire qui chauffe moins que ma lampe de chevet halogène. Quelques modèles, mais rien de transcendant. Quand T. m'appelle de Gaien-mae, il pleut à seaux et je suggère que nous nous retrouvions plutôt... à la maison. Mais puisque je rapporte des yaourts et des spaghettis, je ne serai pas sorti pour rien. (Mais pas de lampe.) Gros questionnement en regardant la liste des requêtes entrantes du JLR2 : « app:/Snackr.swf »... Quoi t'est-ce ? Déjà Snackr, jamais vu ! Mais une adresse web qui commence par autre chose que « http:// », je ne savais pas que ça existait... Premier réflexe : y'a de la daube spamique, là-dedans, ou pire ! Mais en fait, non, informations prises, c'est une nouvelle application d'affichage défilant des fils RSS que l'on souhaite, un gadget qui pourrait avoir son intérêt. À moins que ça scotche le regard au défilement... Je verrai plus tard. En tout cas, une ou plusieurs personnes m'ont mis dans leur prompteur. Sûr que les titres parfois improbables de mes billets doivent éveiller la curiosité. Surtout quand je vois la prévisibilité de la majorité des autres — paraît qu'un titre clair et parlant, ça fait partie des règles du journalisme (mais je ne vois pas en quoi ça me concernerait). commentaires
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Mardi 28 octobre 2008. Abandonner
beaucoup en notes de bas de page. Hier soir, finalement, vers minuit, je suis monté sur le toit. Dans l'immeuble de grand luxe d'en face, j'ai déjà dit comment nous avons ramené à plus de respect les éclairagistes du 3e. Depuis quelques jours, avec les vents d'automne, c'est la clochette des illuminés du 5e qui nous incommode. Je dis « illuminés » parce qu'ils ont aussi un portique avec des bandes de tissus multicolores, façon tibétaine ou mongole, on ne sait. Moi aussi, la première année au Japon, j'avais voulu la jolie clochette printanière — rangée le quatrième jour d'abrutissement monocorde. Mais nos voisins du 5e ont d'excellents doubles vitrages. Joyeux d'entendre leur clochette quand ils prennent le soleil sur la terrasse, ils en oublient l'existence quand ils verrouillent leurs portes-fenêtres pour la nuit. Mais comment les prévenir ?... Et on l'entendait aussi par l'autre côté, dans la cuisine, par réverbération dans le mur de l'immeuble nord. Au point de se demander si c'était la même, s'il n'y en avait pas deux. Nous sommes sortis jusqu'au bout du couloir, d'où on peut entendre les deux côtés à la fois. Avisant une échelle de secours, j'ai sauté pour en attraper les barreaux inférieurs, suis parvenu à y mettre un pied puis à monter sur le toit, pour la première fois, sous la surveillance de T., et clairement identifier la clochette des illuminés. Qui toute la nuit a tinté. Ça n'empêche pas de dormir, mais nous branche sur sa fréquence. Ce matin, T. a rencontré notre concierge et lui a dit notre gêne. À quoi il a répondu qu'il connaissait bien les concierges de cet immeuble, qu'il le leur dirait. Et ce soir, T. vient de m'annoncer au téléphone qu'il n'y a plus de clochette sur la terrasse du 5e ! Comme quoi, parfois, il suffit de demander... Dans le train, avant de m'endormir, je retraverse Songes de Mevlido, y trouve encore à glaner. Si je continue comme ça, ce n'est pas de trente minutes dont j'aurai besoin, mais de trois heures. Or tout l'art, pour les colloques, c'est de faire tenir en trente minutes ce qui pourrait à peine s'exprimer en trois heures... Et d'abandonner beaucoup en notes de bas de page (parfois publiables). En évitant aussi de simplifier trop. Vous connaissiez gogole.fr ? Essayez, vous verrez, ça marche très bien. Ça veut dire que pour éviter tout problème, Google a aussi acheté le nom de domaine gogole... et glooge aussi. commentaires
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Mercredi 29 octobre 2008. Fonce
à travers la vérité des
rêves. Deux
réveils terrifiants, au premier
nous étions T. et moi attaqués à
l’explosif, réfugiés
derrière des
meubles métalliques, terrorisés par la chaleur de
l’incendie tout
autour, au second je sortais du bain et un homme me menaçait
avec une
perceuse. La clochette n’est pas encore un conte de fées. Ainsi, T. m’a dit ce matin au téléphone qu’elle l’entendait de nouveau, et ce dès six heures du matin. Nouveau petit mot au concierge en partant… Quand elle rentre, dans l’après-midi, le parasol est fermé, la clochette absente. Mais le soir, de nouveau pendue et tintinnabulante, par intervalles parce que moins de vent. T. dormira avec des bouchons d’oreilles. Le mystère s’épaissit. Le message est-il arrivé à destination ? Y a-t-il conflit dans la famille sonnée ? Avec un loyer tellement élevé, pensent-ils vraiment avoir tous les droits ? Qui peut me vendre un fusil à lunette ? Cours de lecture & phonétique. Où l’on apprend qu’en français le compte de syllabes n’est souvent pas le même selon qu’on parle sur un mode lent, normal ou rapide… Décidément, en deuxième année, ils vont de surprise en surprise ! Après une petite réunion sans intérêt et en sautant le déjeuner, je peux enfin me lancer dans la dernière ligne droite de l’exposé Volodine appelle Fukuoka — faux titre en clin d’œil à ceux donnés en dixième leçon du Post-exotisme en dix leçons, leçon onze. Je remonte les pans de ma bure élimée et je fonce à travers la vérité des rêves, je fonce tout droit sur le clavier sec toute l’après-midi et jusqu’au soir, crame deux fois les quatre derniers disques de Durutti Column reçus hier et deux fois le magnifique Daniel Ash de 2002, c’est pour dire, quel rythme ! — et à vingt heures trente mes sept pages sont imprimées, ainsi que la double page de citations à distribuer. Vous verrez plus tard, mais selon moi, ça dépote, et sans bavardage. (On retrouve Lelouch, libertaire, incisif, sentimental, tel qu’on l’aime dans Ce soir ou jamais du 23 octobre (avant le débat sur les religions…)commentaires
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Jeudi 30
octobre 2008. Limée, enduite de soufre. Petite valise et sac à dos, départ pour Fukuoka et ensuite week-end normal à Tokyo. Mon ordinateur portable n'ayant pas servi depuis deux mois au moins, je prends un retard pas possible avec la mise à jour de Windows XP. 11h15-14h44, trois heures et demie de train. Une heure à décortiquer une revue de voyage en japonais, une heure à relire et rectifier mon texte pour demain — la bure est élimée, enduite de soufre, à la prochaine lecture je mets le feu —, une heure avec Un Chasseur de lions et une demi-heure à manger des clémentines. C'est la première fois que je vais jusqu'au terminus sud du shinkansen, bien au-delà de Kyoto. Après Hiroshima, et dans toute la partie nord de Kyushu, il n'y a presque que des tunnels. La construction a dû être épique. Les rares tronçons extérieurs dévoilent de très beaux paysages ruraux. Quelques monstrueuses zones portuaires et industrielles, aussi. Je n'étais venu qu'une fois à Fukuoka, il y a près de quinze ans, en avion et juste pour quelques heures, à l'époque où je faisais des piges pour Hachette Japon en vantant les mérites des logiciels éducatifs pour le Français langue étrangère. C'était sur des disquettes... Débarqué dans une gare comme une autre, j'avise deux lignes de métro dont celle qui mène à la station du centre-ville, Tenjin, où se trouve l'hôtel dans lequel des chambres ont été réservées pour le groupe du colloque, les autres arrivant en avion, de Paris, ce soir. Sympathique accueil au Hakata Green Hotel Tenjin, tout près de l'Institut franco-japonais de Fukuoka. Il reste deux heures de jour, et même de soleil. J'en profite pour un grand tour des ruines du château, les beaux murs de défense ne menant, au plus haut, qu'à un sommaire belvédère d'où la ville apparaît dans sa modernité banale. D'ouest, je repars en est, vers le centre-ville où, tout en visitant, j'espère trouver des spécialités locales à rapporter à Tokyo. Passée la rivière et ses gargotes, je découvre l'immonde et pratique Canal City, énorme complexe commercial de n'importe où. C'est là, quand je sortais du magasin The Hakata avec quelques boîtes de biscuits aux œufs de poisson pimentés, que Vinteix m'appelle, après sa journée de fac, pour arranger notre soirée. Je reviens tranquillement à l'hôtel déposer mes emplettes, écouter quelques tranches de France Info grâce à l'impeccable liaison internet (installation du nouveau pack de Windows pendant la nuit) avant de repartir en goguette. Vinteix me propose d'abord un verre dans un café brasserie agréable, le Bal Musette, façon Tiger Cafe de Nagoya, puis de dîner dans une izakaya raffinée et moderne (le poulpe découpé en sashimi est encore vivant et l'on remporte les tentacules pour en faire de la tempura)... Nous étant brièvement croisés en congrès des profs depuis un an ou deux et ayant un peu virilement conversé dans les commentaires du blog, c'est en fait la première fois que nous avons le temps de faire plus profondément connaissance, et d'évoquer des amis, des expériences et certains de nos auteurs favoris, comme Blanchot, Bataille ou Volodine. Lui carbure au saké, moi à la bière. On revient d'ailleurs un peu trop tard à l'hôtel, le groupe étant arrivé et déjà ressorti pour dîner avec le collègue japonais qui les prend en charge. Avant minuit, j'aurai juste l'occasion de saluer Marielle Anselmo sortant d'un ascenseur et, au téléphone interieur, Alexandre Gefen, juste pour savoir s'il est bien arrivé. commentaires
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Vendredi 31
octobre 2008. Sagesse joliment potelée. Superbe journée de colloque à l'université Seinan Gakuin. Ça commence apparemment loin de mes préoccupations, avec Inès Oseki-Dépré (U. de Provence) qui témoigne de son grand-père japonais immigrant au Brésil, Rokuro Koyama, dont les recherches ethno-linguistiques se concrétisèrent par diverses publications dont un dictionnaire japonais-tupi, une des langues de tribus indiennes qui ne survit aujourd'hui que dans des noms de lieux, de rivières, de fleurs, d'animaux (jaguar, piranha, toucan) et par des prénoms féminins... et qui — surprise de taille — ressemble furieusement au lexique indigène dans Le Nom des singes ! On fête cette année les quatre-vingts ans de cette immigration dont certains enfants de troisième génération reviennent au Japon... Déjeuner d'excellents sushis dans une salle de réunion de l'université. Mauvais café à la cafétéria. Communications de l'après-midi :
commentaires
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Vendredi 3 octobre 2008 à 16:54
Très heureuse que Biche te plaise !
C’est très étrange, je ne peux plus lire ton blog du bureau - où je passe en ce moment (et souvent) le plus clair de mon temps. Plus exactement, les citations sont lisibles mais le reste du texte apparaît en caractères indiens, ou quelque chose de ce genre absolument indéchiffrable - idem pour les pages wikipédia, par exemple - ce qui fait que les citations flottent sur une pierre de Rosette déchiffrée quelques heures plus tard… C’est un suspens que j’apprends à apprécier ! (en attendant d’appeler le technicien pour lui demander conseil…)
Vendredi 3 octobre 2008 à 17:14
ce n’est pas bien mais la description ci-dessus a déclenché un rire rêveur.
Merci de donner des envies de lectures même si je ne peux donner suite à toutes
Samedi 4 octobre 2008 à 21:54
C’est étonnant, ce que tu dis, Laure ! Apparemment, c’est un problème d’encodage dans ton navigateur. Tu nous diras si ça s’arrange. Et c’est beau, ton image de pierre de Rosette !
Cependant, si d’autres lecteurs ont la même mésaventure, prière de me le faire savoir !…