Lundi 1er septembre 2008. Sortir
par l'œil gauche. Encore du boulot dans l'appartement à rendre : grand nettoyage du balcon. Je balance des dizaines d'arrosoirs, sur les murs, les bais vitrées, je brosse à fond, c'est très amusant. Mentalement, je me remets au travail intellectuel aussi. (Comme si j'avais jamais arrêté.) T. en est à son 30e carton de livres, contenus triés et notés dans un grand cahier (c'est ça qui prend du temps). Deuxième courrier mensuel de sélection des Flux Litor envoyés à la liste. Au téléphone, ma grand-mère chronique son retour de vacances. Une personne de la famille a le ver solitaire. Maintenant sous traitement médical, elle a fait des anneaux mais n'a pas encore eu la tête. Belles expressions ! Dans la voix amusée, le sentiment courant, généralement chez nous, de dégoût, d'avoir cette sorte de bestiole dans le ventre. Plus tard, T. me dit qu'au Japon, on a un sentiment un peu différent, presque amical, pour le ver solitaire. Il protégerait d'autres maladies. Et puis pour les femmes, il aide à maigrir. Résurgence du débat sur la vitesse de lecture, en commentaires ces jours-ci, repris et arbitré en Lignes de fuite hier. Je crois qu'on est tous d'accord : la vitesse de lecture n'est pas un critère de comparabilité des qualités individuelles (de la lecture ou de la personne) mais une des richesses de la différence personnelle. Pas de top ten des idiorythmes, même si certains journalistes veulent nous en imposer en chroniquant un ou deux ou trois livres par jour. Mais si elle existe, l'idiologie littéraire, réticulaire et non normative, admet des domaines, des liens, des branches, etc., mais pas de haut et de bas pour la vitesse. Ce principe donné, nous savons que les conditions de lecture sont déterminantes (temps disponible, lieux de lecture, qualités de l'environnement comme le bruit ou la luminosité, problèmes personnels, goûts pour un auteur ou un genre), de même que la nature du texte en question (longueur, difficulté thématique ou stylistique) et l'objectif de sa lecture (distraction, passe-temps, étude, fanatisme pour un auteur ou un genre, volonté d'être dans le coup, etc.). Tout ceci dit, nous savons tous qu'il y en a qui lisent comme des pieds. À qui on ne confierait pas la prunelle de ses lignes. Qui dévorent comme des cochons en salopant toute la beauté du texte, tandis que d'autres s'endorment à tout bout d'alinéa et laissent sortir par l'œil gauche ce qui vient d'entrer par le droit. Dans les rangs de la littérature, ces gougnafiers sont légion et tous ne sont pas fantassins... « L'émotion, tiens, mets-toi à ma place, c'est bien normal : la phase finale de l'insurrection ! Un coup de genou dans une porte, en prenant garde à ce qu'elle ne te revienne pas dans la figure, quelques paroles solennelles, et en une seconde il y a quelque chose qui s'écroule, qui bascule dans l'enfer devant toi, quelque qui pour toujours se détourne, tu ne le reverras plus que dans les livres ou sur la pellicule dont tremblent les couleurs de paille, et toi tu es là, toi, en équilibre à peine stable sur autre chose qui vient, qui s'impose, qui obéit encore un peu à tes gestes si tu veux bien y accorder l'attention qui convient, si tu ne te laisses pas aller trop vite à l'impatience. Thü te rends compte ? » (Antoine Volodine, Biographie comparée de Jorian Murgrave, p. 108) |
Mardi 2 septembre 2008.
Christophe Chazelas ! Hier, c'était des arrachages de bois, plinthes, plafonds et sols, un plein camion. Aujourd'hui, on a les machines qui vrombissent gros et s'attaquent aux murs. Ça se passe dans l'appartement voisin de celui que nous venons d'emménager. Juste devant moi, un mètre au-delà de l'écran. Heureusement, T. est en bas à fermer ses derniers cartons, tranquille. Les ultimes meubles à jeter sortiront ce soir (sodaigomi, 粗大ごみ, on a dû acheter 14 tickets, voir vendredi dernier). Nos propriétaires passeront demain après-midi. Dans quelques jours, nous aurons rendu les clés, nous n'aurons plus accès à cet appartement dans lequel, etc., etc. Tout le monde connaît cette sensation, je pense. Et même d'un endroit dont on n'était pas spécialement content, il est possible de regretter en partir, regretter le temps où on y était, tout simplement parce qu'on y a vécu plus jeune qu'on ne l'est maintenant, ou avec quelqu'un qu'on n'a plus ou parce que d'autres événements ont eu leur poids. Mais bon, tant pis. Et on est tellement content de la lumière au 4e ! J'avais oublié que les Mardis littéraires avaient repris la semaine dernière (j'avais la tête ailleurs). Mais... qu'y (qui) vois-je, à côté d'Olivier Rolin et de Céline Minard ? Christophe Chazelas ! Le vieil ami (même si plus jeune que moi) dont je suis sans nouvelles depuis au moins quatre ans ! Le Christophe dont j'ai mis en ligne IL Y A 10 ANS — j'en reviens pas — une des premières versions de Feu l'artifice, maintenant publié dans la maison qu'il a créée avec une amie, Ariadna de Oliveira Gomes qui publie Ville réelle, si je comprends bien, les éditions Emblée. Ici, la liste des libraires partenaires (puisqu'ils n'ont pas (encore) de distributeur). Du coup, le Chasseur de lions et Bastard Battle passent au second plan (ils auront leur tour) et j'écoute et réécoute la belle voix de l'ami lointain. J'imagine que le texte aura changé. Il en parle un peu. Mon édition servira... « [...] c'est mon premier livre publié parce que j'ai mis beaucoup de temps à prendre en compte l'existence du lecteur. Il y a un moment en poésie où on écrit, on est soi avec le monde en quelque sorte, et puis le jour où on décide de publier c'est tout à fait une autre affaire. Et ça m'a pris une petite dizaine d'années de prendre en compte ce lecteur, de jouer avec lui et cette voix [off] m'y a aidé énormément...» (Christophe Chazelas dans les Mardis littéraires du 26 août 2008) J'essaye le dernier numéro de portable connu. Il l'a encore. Y laisse un message, avec mon adresse. Moins de deux heures après (j'étais sorti), il y a un courrier de lui. Je reconnais sa patte. Je réponds dans la soirée. Entretemps, on a déjeuné au Saint-Martin, croisé des collègues à qui j'ai parlé de l'appartement à louer. T. a mis un scotch final aux cartons. Collé les tickets sur les encombrants. Je les ai sortis un à un, du plus petit au plus gros, il a fallu démonter des pieds de table pour leur faire passer les portes, les remonter dehors. Mettre tout ça dans la place de parking du proprio. Déranger Frédéric pour une commode pas commode, qui ne voulait pas passer l'entrée et que T. n'était pas sûre de tenir dans l'escalier. Après ça, on se tient tranquille toute la soirée... |
Mercredi 3 septembre 2008.
Impartial (mon œil) et critique (pffuuu...) —
l'intérêt. Enfin ! Les encombrants sont partis, très tôt. Vers sept heures, nous sommes descendus pour voir si tout était encore là, mettre quelques meubles plus près de la rue pour que le service de la mairie les trouve. Et vers 8h30, plus rien. Tout emporté. Sensation d'allègement, de dépossession joyeuse. Restent les deux mètres cubes de boîtes de livres. Je les range dans la grande penderie en attendant que les livreurs arrivent. Pendant que T. dépoussière les murs et cire les sols, je brique les carreaux de la cuisine, démonte, nettoie et remonte l'aérateur, savonne à fond l'évier. À 10h30, les livres partent, ils seront demain matin à Nagoya. L'appartement est vide, hormis quelques sacs plastiques, quelques petits paniers de produits divers, sake de cuisine, eau de Javel, boîte de gants en plastique, etc. Encore une fois, si ça n'intéresse personne, je répète que ce journal a toujours eu une double fonction : pallier ma mauvaise mémoire du quotidien & accompagner mes lectures et cours. L'une et l'autre ne sont pas toujours à égalité ; le résultat n'est pas toujours hautement littéraire. C'est d'ailleurs précisément la variation permanente du dosage qui en fait, selon moi — un moi dédoublé qui devient observateur impartial (mon œil) et critique (pffuuu...) — l'intérêt. Ça m'a énervé, ce billet chez Scheer sur Assouline ! C'est rien de le dire. Mais vaut mieux se calmer. Florent G. (avec qui je devrais m'entendre) m'a répondu — « [...] Ecrivez un livre sur votre propre expérience [...] » — j'étais mort de rire — comme s'il répondait à une sorte d'hurluberlu qui débarque de la Lune, sans se renseigner ni rien, simplement pour défendre son point de vue dont le fondement est, peut-être sans qu'il le sache : tout vient du livre et y retourne, sous-entendu : le web n'est pour nous qu'un lieu de transit et une caisse de résonance. Sur le site d'un éditeur, c'est normal. Et donc normal qu'il(s) y défende(nt) et promeuve(nt) un autre journaliste tête de gondole. Allez, sortons courir ! « Entrés en Moravie, les Allemands s’y établissent donc et occupent Ostrava, ville de charbon et d’acier près de laquelle Émile est né et où prospèrent des industries dont les plus importantes, Tatra et Bata, proposent toutes deux un moyen d’avancer : la voiture ou la chaussure. Tatra conçoit de très belles automobiles très coûteuses, Bata produit des souliers pas trop mal pas trop chers. On entre chez l’une ou l’autre quand on cherche du travail. Émile s’est retrouvé à l’usine Bata de Zlin, à cent kilomètres au sud d’Ostrava. Il est interne à l’école professionnelle et petite main dans le département du caoutchouc, que tout le monde aime mieux éviter tant il pue. L’atelier où on l’a d’abord placé produit chaque jour deux mille deux cents paires de chaussures de tennis à semelles de crêpe, et le premier travail d’Émile a consisté à égaliser ces semelles avec une roue dentée. Mais les cadences étaient redoutables, l’air irrespirable, le rythme trop rapide, la moindre imperfection punie par une amende, le plus petit retard décompté sur son déjà maigre salaire, rapidement il n’y est plus arrivé. On l’a donc changé de poste pour l’affecter à la préparation des formes où ce n’est pas moins pénible mais ça sent moins mauvais, il tient le coup. Tout cela dure un moment puis ça s’arrange un peu. À force d’étudier tant qu’il peut, Émile est affecté à l’Institut chimique et là c’est plutôt mieux. Même s’il ne s’agit que de préparer de la cellulose dans un hangar glacial bourré de bonbonnes d’acide, Émile trouve ça beaucoup mieux. Certes il préférerait, en laboratoire, participer à l’amélioration de la viscose ou au développement de la soie artificielle, mais il manifeste en attendant que ça lui plaît bien. Ça lui plaît tant que l’ingénieur en chef, content de lui, l’encourage à suivre les cours du soir de l’École supérieure. Une bonne petite carrière de chimiste tchèque se dessine lentement.» (Jean Echenoz, Courir, Paris : Minuit, 2008, p. 10-11) Sortira le 9 octobre mais on peut déjà se délecter de cette fausse neutralité biographique... Après notre première promenade libre depuis près d'un mois et un dîner tranquille, Vantage Point (P. Travis, 2008), juste ce qu'il nous fallait. Denis Quaid en dur à cuire — il court aussi pas mal — pour une scène de dix minutes vue et revue sous tous les angles — d'attaque. Le film était sorti le 19 mars alors que nous quittions la France le 14... commentaires |
Jeudi 4 septembre 2008. Carte
mémoire dans les décombres. Première journée, donc, d'une vie libre. Ou plus libre qu'avant. Libérée d'un appartement qui nous pesait de plus de six ans de souvenirs plus ou moins bons, dans un cadre qui ne nous plaisait guère (un peu dans les tons marrons du JLR2 avant que je passe aux bleus...). Je n'oublie pas cependant que nous avions été très contents de le trouver, et si près de l'Institut, dans le centre de Tokyo. Plus de six mois auparavant, en 2000, j'avais demandé à la collègue qui habitait ici de me signaler tout appartement qui se libérerait dans cet immeuble ou dans les parages, et voilà que c'était elle qui partait... T. se remet à un article qu'elle aurait dû finir en juillet, moi au cours sur Dora Bruder. Déjeuner au Saint-Martin, puis rapide promenade. Jusqu'où ? Comme des prisonniers élargis, nous n'osons pas encore aller loin... Dans l'après-midi, je vais à la médiathèque de l'Institut pour y lire une bonne heure. Ayant un peu perdu l'habitude de cela aussi, je passe tout mon temps sur un seul numéro des Inrocks (le n°666). J'y note des groupes à écouter, pour découvrir ou voir ce qu'ils sont devenus, comme Chateau Marmont (bof...) ou Deus (mouais...) — à tout prendre, je préférerais encore les Midnight Juggernauts... J'y note le passage de La Belle Personne, de Christophe Honoré, sur Canal + le 12 septembre — je pourrai peut-être le télécharger avec iWizz, s'il me reste du crédit horaire et si le film est dans la liste des programmes. C'est qu'on ne peut entendre parler d'adaptation de la Princesse de Clèves sans penser à une réponse aux insultes présidentielles... Un message laconique de Globat me signale un retour à la normale (je n'en crois rien) et me demande si je constate encore quelque chose qui ne marche pas. Sans ironie, au moins apparente. Après le « We do apologize for the delay » d'un message d'hier, j'ai droit à un « Thanks for your patience » qui fait chaud au cœur... Sauf que tout n'est pas opérationnel : le module de stastitiques StatPress fonctionne de façon erratique et ne donne parfois aucun résultat pendant six, huit ou dix heures, de sorte que je ne peux pas compter dessus pour pister mes visiteurs... Ni — surtout — pour savoir tout simplement si quelqu'un arrive à se connecter aux pages. Avons loué le film Cloverfield (Matt Reeves, 2008). Courageuse tentative de subjectivité totale dans une situation catastrophique. Alors que le film de monstres, de cataclysme ou de fin du monde se complaît souvent dans une visualisation, une monstration outrancière (et forcément kitch et invraisemblable, quelque part). L'aspect d'un filmage avec petite caméra vidéo restitue tout de même une image de grande qualité et un montage qui, par hasard, serait exceptionnellement narratif. Et pour cette raison supposée, le document serait visionné, sans explication, sans doute dans un cadre militaire, après récupération de la carte mémoire dans les décombres d'une zone précédemment connue sous le nom de Central Park... |
Vendredi 5 septembre 2008. Ne
manquent plus que les plumes. On sort, un peu plus loin... Avec T. chez un docteur de Shinjuku, puis on se ballade entre les tours. Belles et claires perspectives, pas trop de chaleur. De retour chez nous, T. finit de choisir des illustrations dans son corpus digital des Mazarinades, pour son article. Je retaille les parties exploitables et dispose le tout dans un dossier en ligne. Fini. Elle doit maintenant attendre le rapport de seconde lecture et passer à autre chose. Pour ce qui est du JLR2, on va atteindre sous peu des sommets de comique... Lisez donc sans rire, je vous en prie (puisque je choisis mes mots pour une lecture sans entraves). Je venais tout juste de poster un message au gars de Globat, au sujet du module de statistiques (ce dont je parlais hier) quand je constate, sur le cul, que tout le journal, y compris mon interface administrateur, a subi un horrible transcodage. Qui rend tout illisible, ou difficilement. En japonais, on dirait mojibake, mais ici pas question de mauvaise lecture des simples ou doubles octets. Juste la continuation de cette incurie qui dure, dure, dure depuis la fin juillet et dans laquelle je suis pris comme dans du goudron (ne manquent plus que les plumes). En effet, il est possible de changer de serveur. Mais il faut commencer par en trouver un meilleur (et comment en avoir la certitude, et pour quel prix), puis y rapatrier les noms de domaines avant de pouvoir bouger le moindre document... On comprend le choix de donner encore sa chance au support de Globat. (Mais en secret, je cherche...) Location du jour, suivant un conseil des Inrocks qui associait ce film au No Country for Old Men des Coen, mais aussi comme en reprise du filon de mon ire pourpre, There Will Be Blood (P. T. Anderson, 2007) que nous regardons en deux temps (le film dure plus de deux heures trente). Superbe fresque, intense, historique, collante aux semelles et aux yeux comme cette huile tant voulue. Pour nous qui connaissions Giant et Dallas, en voici aussi la protohistoire, le fondement, un des milliers de bons gars qui firent leur chemin sans vraiment aboutir, la glaise de cet American Dream encore tellement vivace (et, pour nous, pour moi tout au moins, insupportable). commentaires
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Samedi 6 septembre 2008. Et du
regret me tendent l'idée. Par intermittence, j'essaie de comprendre ce qui s'est passé hier dans les bases de données. Il y a du changement Iso-8859 en UTF-8 dans l'air, c'est certain. Mais où, pourquoi et comment ? Et pourquoi cela ne se peut-il rétablir par l'opération inverse ? Et pourquoi ne puis-je plus insérer de japonais ? Autant de questions auxquelles l'hébergeur se garde bien de répondre et qui resteront ouvertes pour aujourd'hui. Si quelqu'un veut se porter volontaire pour m'aider à comprendre... Que cela ne nous empêche pas d'aller déjeuner au Saint-Martin est une preuve de salubrité mentale, non ? D'autant qu'il fait beau, que les rues sont animées et que le restaurant va fermer pour plus de deux semaines... Nous y retrouvons un couple de connaissances du quartier, eux aussi désolés et craignant de maigrir durant les vacances corses de nos hôtes. Cependant ils les ont bien méritées, ces vacances. Même s'ils ont payé la surcharge carburant au prix fort, alors même qu'elle commence à baisser... Cet été, en ne partant pas, nous avons économisé près de 400.000 yens (2600 euros) d'avion ! Le cumul des dépenses pour le déménagement n'arrive pas à la moitié de cette somme. Et quelle tranquillité ! (Mais parfois, les images de plages, de chemins de montagne ou de rues parisiennes m'assaillent, et du regret me tendent l'idée — que je ne saisis pas.) Du regret de bloguer aussi, les problèmes actuels me tendent l'idée... Je me rappelle très bien ma colère naïve (romantique) au début du blog, spip, php et autres, sentant que la complexité croissante des systèmes allait faire perdre leur liberté à ceux qui avaient appris à peu de frais à s'exprimer au moyen de l'html. Des solutions clé en main sont apparues ensuite, redonnant cette facilité d'expression, d'où le boom du blog sur plateforme commerciale. Mais pour ceux qui souhaitent toujours garder leur indépendance, leur autonomie et la propriété de leur production, nécessité impérative de suivre l'élévation du niveau technique, sinon... on se croit à l'abri, ayant cliqué sur sauvegarder, engrangé ses backups... alors qu'on n'y est pas du tout, ce n'est qu'une illusion, le moindre glitch vous bousille tout en une fraction de seconde et dans des proportions incalculables. Se reliant directement à mes craintes pour l'avenir du stockage du patrimoine littéraire, telles que je les exposais lors du colloque ILF 2005 de Cerisy, je vois maintenant que l'accroissement de la fragilisation des données de la mémoire humaine par le degré de complexité technique même risque bien de devenir un instrument de pouvoir. En effet, la cybernétique mondialisée saura tirer profit des disparitions de données (beaucoup plus facilement que lorsque la tyrannie ordonnait des autodafés — et tout en faisant croire à leur augmentation et à leur disponibilité) pour asservir les masses qui perdront progressivement le contact avec leurs racines culturelles, judicieusement remplacées, d'ores et déjà, par le clinquant global dont Sarkozy, Berlusconi, Bush et Poutine sont déjà les VRP. Possédées en sous-main par des groupes politiques, les marques commerciales deviennent alors vecteurs prioritaires de culture, masquant progressivement les ressources historiques encore et toujours bien réelles, masquant bien sûr qu'elles masquent ce qu'elles masquent (pourrait dire Meschonnic), jusqu'à ce qu'une génération — puis deux, puis trois... — ait été entièrement bâtie de ces artifices, le cerveau entièrement rempli de publicité dans laquelle le vocabulaire est intégralement recyclé, art, beauté, littérature, intelligence, amour, etc., n'ayant plus que le sens que les marques et les réseaux cybernétiques leur ont forgé. De sorte que du passé, rien ne sera détruit mais que (l'accès à) tout aura disparu. Non qu'il soit interdit mais partout remplacé, dans les chemins des réseaux, par les leurres des marques commerciales et des groupes de pouvoir. — Hein ? Qu'est-ce que vous dites ? C'est déjà comme ça ? Et personne ne me lit ? Ah !... Nous avons loué Charlotte Gray (2002) et c'est une erreur. Rien à en sauver. Sauf qu'on aimerait bien aller faire un tour dans le village de Saint Antonin Noble Val (où le film a été tourné, en quasi-autarcie, d'où son aspect conte de fée...). Ce soir, grève d'écriture. Au lit avec Jorian Murgrave... commentaires
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Dimanche 7 septembre 2008.
Réfléchis au rêve livre en main. Quand je parlais de la titanicité de l'édition française, c'était avant de visionner la nouvelle émission soi-disant littéraire de France 5, la Grande Librairie. Il peut (et pourra) toujours arriver qu'il y ait de bons moments, comme dans cette première du 4, lorsque Régis Jauffret parle de son travail, mais le nom même de l'émission la situe du côté du bateau qui coule et des tiroirs-caisse qui sonnent encore. Sous prétexte de littérature, tout le discours est orienté vers la vente des livres. On me dira que c'est nécessaire, pour qu'ils soient lus. Je répondrai que non. Quand François Busnel déclare qu'il n'y aura pas de chroniqueurs dans cette émission, on ne peut s'empêcher de penser au parti pris de Frédéric Taddeï pour Ce Soir ou Jamais, et aux critiques qu'il encourut pour ce choix, il y a deux ans. Le champ comparatif étant ouvert, j'aperçois tout de suite que le taux d'interruption de la parole des auteurs par Busnel (pour rendre l'émission plus rythmée, plus agressive, plus marrante ?) est très supérieur à celui de Taddeï, ou à celui de Frédéric Ferney dans feu le Bateau-Livre... (Malaise, tout de même quand Jauffret fait l'éloge de Marc Lévy sous prétexte qu'il fait au moins lire des gens...) Le groupe Hachette Livre pourra-t-il colmater le bateau avec les entretiens vidéo de la Rentrée Littéraire 2008 vue par Michel Field ? Rien de moins sûr... Toutefois, il est remarquable qu'au moment où Constance dévoile (à peine) la tentative avortée d'un éditeur (Zulma), un groupe majeur du papier imprimé lance quelque chose d'ambitieux dans le numérique, avec site web 2.0, pdf de premières pages et vidéos encapsulables sur d'autres sites, etc. Cher Jean-Claude, j'ai oublié quelques jours de t'aller lire. Tu auras compris pourquoi en lisant mes précédents jours. Mais je suis fidèlement repassé par chez toi aujourd'hui et y ai lu que tu venais d'entamer ta dernière année d'enseignement. Comme toi peut-être, je suis pour toi partagé entre la joie et la tristesse. En finir, c'est être débarrassé de bien des charges, de l'emploi du temps et des responsabilités, mais c'est aussi perdre des relations, de l'activité, l'idée d'une mission, même si l'on n'en est plus convaincu. Comme tu le suggères, tout dépend de ce que l'on envisage pour après, de comment on s'y prépare. Je te la souhaite donc encore enrichissante, cette année scolaire ! Tellement bien chez nous (en attendant que la folie des activités sociales reprenne) que nous n'avons pas mis les pieds dehors. En fait, nous voulions sortir vers cinq heures, nous étions prêts mais un nouvel orage nous en a empêché. Tant qu'à regarder un conte de fées, le soir, autant en prendre un vrai — Big Fish (Tim Burton, 2003) — plutôt que la pseudo-réalité romancée de Charlotte Gray hier. Sur fond de réconciliation père-fils, un film d'une belle cohérence (par ailleurs, suis toujours heureux de voir Steve Buscemi...). Par ailleurs, je réfléchis au rêve livre en main, pour un possible exposé bientôt... Et pour ça aussi, je lis lentement (merci à Anne-Sophie d'avoir repris le thème). «— Qu'est-ce que vous savez de nos méthodes ? La censure n'a pas autorisé la moindre ligne sur ce qui se passe à Kostychev.» Le biologue haussa les épaules. À vrai dire, maintenant que le pouvoir avait fait appel à lui, il ne se préoccupait pas de ménager la susceptibilité des hommes des brigades. « Il n'y a pas besoin de lire la presse pour savoir, dit-il. Les méthodes pratiquées ici jusqu'à présent, c'est à peu près comme de vouloir ciseler une bague avec une hache.» Il y eut quelques secondes de silence lourd. « Si vous voulez, dit le biologue, nous pouvons alterner les séances d'interrogatoires. Tantôt dans les sous-sols de la prison, tantôt dans les laboratoires. Mon équipe se chargera du travail en laboratoire.» Le dirigeant de la section spéciale se leva de la chaise où la mauvaise humeur l'avait jusqu'ici écrasé. Il n'était pas en position de force. « Bon, on fera comme ça, dit-il. Vous avez une idée de ce que ça pourra donner ? — Nous allons modifier sa mémoire et y semer la confusion : il va être obligé de fuir le long de ses souvenirs, en les reconnaissant de plus en plus mal. Il va se réfugier dans ses rêves ; c'est là que nous allons essayer de le contrôler ; ses cauchemars et la réalité formeront un labyrinthe dont il ne sortira pas.» » (Antoine Volodine, Biographie comparée de Jorian Murgrave, p. 118) commentaires
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Lundi 8 septembre 2008. Des
mangas récupérés dans les poubelles. Pour T. et moi, c'est aujourd'hui le 13e anniversaire de notre rencontre. On ne fait rien de spécial. Demain, peut-être. Ça faisait des mois qu'on rêvait de ces tranquilles journées de recherches. On les a, on les tient. C'est déjà ça, notre cadeau. Hier soir, nous avons enfin compris pourquoi il y avait des tortues dans le déversoir d'Iidabashi, entre les anciennes douves et la rivière Kanda. Je ne l'ai pas dit ici, mais nous y allons voir un peu tous les jours. Aujourd'hui encore, vers 17h30, nous y avions rendez-vous pour compter les tortues visibles. Les compter, les observer, noter leurs relations avec une aigrette, avec une ou deux carpes qui font semblant de manger des feuilles, sans doute des transmissions air-mer. Tout cela a été bien utile pour l'effort de conceptualisation que nous avons dû fournir hier soir. T. a fermé Vingt ans après qu'elle est en train de relire, moi Jorian Murgrave. Un des nounours à la tête du lit nous a demandé une histoire de sorcière et j'ai commencé à dire — je venais de le comprendre — que la vieille femme qui habitait notre immeuble il y a encore cinq ans et que nous avions revue pendant deux ou trois ans installée dans la pente de la gare à vendre des mangas récupérés dans les poubelles était en réalité la coordinatrice d'une vaste opération de cartographie souterraine de Tokyo. En fait, une re-cartographie, car les pouvoirs en place ont subtilement retiré de la circulation les anciennes cartes des égouts, canaux, canalisations et autres conduites et les ont remplacées par de vulgaires schématisations devenues inexploitables pour les services de la voirie, a fortiori pour un groupe subversif projetant des actions éclair sur des objectifs stratégiques. Équipées d'émetteurs et de minuscules caméras infra-rouge, les tortues ont mission, sous prétexte de pondre des œufs ou je ne sais quoi, de parcourir toutes les voies souterraines, d'en indiquer la largeur en se déplaçant latéralement à l'entrée de chaque nouvel orifice, d'y rester assez longtemps pour identifier la nature et la fréquence des flux qui transitent (eau, air, gaz, merde, etc.). En cas de rencontre fortuite, le mot de passe est dao ke dao fei chang dao, toutes le savent par cœur... Elles reviennent ensuite à la base anodine du déversoir, tout près des humains robotisés drogués stressés et aveugles, et rendent compte à la vieille clocharde qui peut ainsi rencarder les commandos en glissant les cartes ou les coordonnées géographiques des objectifs dans les mangas. Par exemple : un type en cravate passe, pointe un vieux Doraemon à cinquante yens et la vieille lui transmet ainsi la mise à jour des canalisations d'eau du nouveau sous-sol de Marunouchi... On s'est endormi avant d'aborder la question de l'absence de la vieille depuis plus de deux ans. Mais c'est peut-être pour ça que les tortues sont devenues plus visibles et que des biffins comme nous les avons repérées. Ou alors elles font diversion en surface au nord du Palais impérial pendant que la vieille sape les canalisations du côté de Roppongi. Sinon, il y avait de très beaux textes de Dominique Quélen sur Remue.net. commentaires
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Mardi 9 septembre 2008. Pitance
dans les mailles. « Les 676 romans de la rentrée ne doivent pas faire illusion, l'exil de la littérature n'est pas une menace en l'air. On le constate tous les jours, la littérature, enfin ce que nous appelons ainsi vous et moi, est purement et simplement marginalisée par la marchandisation du livre qui a désormais le plus souvent le dernier mot. Avalez deux Lexomil et allez voir ce qui se vend dans le relais le plus proche, vous m'en direz des nouvelles.» (Alain Veinstein, en introduction à l'excellente émission Surpris par la nuit avec Hélène Cixous hier soir) Je donne raison à Alain Veinstein, sur le principe. Sauf que... j'ai l'impression qu'il n'a toujours pas appris à aller chercher sa pitance dans les mailles du (litté)réticule — (dans les allées d'un Salon du livre, il y a quelques années, il m'avait confié, pour se débarrasser de moi, qu'il n'était pas très intéressé par l'internet). Si je ne le connaissais pas, je penserais, l'écoutant dire cela, qu'il lui manque une case, qu'il est handicapé du réseau. Parce que franchement... Déjeuner à la Trattoria Toï, mes spaghettis parfaitement al dente et à la tomate. En revenant, longue séance d'observation du déversoir. Dans la partie haute, repérons ce qui se révèle être une tête de tortue, mais énorme et se tenant presque verticalement et immobile dans l'eau saumâtre. Ne sortant que le nez et n'expirant que bulles éparses, toutes les trois minutes. Très étrange. Au vu de la tête et de ce qu'on aperçoit vaguement du haut du corps, elle doit faire au moins soixante à soixante-dix centimètres de long. C'est-à-dire peser au moins trente kilos. Ça doit être la tortue-en-chef de l'escouade. En tout cas, elles ont encore du boulot pour les lendemains qui chantent, parce que des tortues esclaves, ça n'est pas ce qui manque, même lorsqu'elles sont comme des coqs en pâte. À la médiathèque de l'Institut dans l'après-midi pour emprunter des Volodine (je les ai au bureau mais c'est à 350 km...). À propos, il vient de recevoir une bourse d'écriture dont il est cette année le seul récipiendaire, les autres dossiers n'étant apparemment pas à la hauteur... Merci à Christine pour l'image du Livres Hebdo n°744, 5 septembre, p. 62 — preuve supplémentaire, s'il en fallait, que ce qui est dans le magazine n'est pas intégralement repris sur le site web. C'est une autre Christine, bien présente à Tokyo quoique revenant du Canada hier, qui me surprend un Technikart en main (je vous rassure, je n'avais pas encore eu le temps de lire l'article sur le film de Houellebecq...). Allons prendre un café (elle) puis finalement elle vient voir notre petit nid. Après son départ, sortons pour une course de cinq minutes. Et revenons une heure et demie après, ayant poussé la marche jusqu'à Korakuen pour faire provision d'umeboshi au supermarché Seijo Ishii. Pendant que T. bulle sur le lit, je regarde Un Week-end sur deux, le premier film de Nicole Garcia (1990), d'une grande maîtrise pour un sujet casse-gueule. Ça me fait repenser qu'il y a en ce moment une rétrospective Doillon à l'Institut et que je n'ai absolument pas envie d'y aller... commentaires
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Mercredi 10 septembre 2008.
Débrouille dans les interstices. « L’I.S. se bâtit volontairement sur le mode du légendaire et du mythologique : seule la rumeur persistante de son existence séditieuse devrait assurer une activité de propagande efficace dans la perspective d’une révolution libertaire à venir.» (Alexandre Trudel, « Entre Écart absolu et passages : la difficile rencontre surréaliste-situationniste », in Acta Fabula le 8 septembre, recension de Jérôme Duwa, Surréalistes et situationistes, vies parallèles.) Didier Da Silva avoue : « J'adore l'Odyssée mais l'Illiade m'emmerde.» Cent pour cent d'accord avec lui. (Ai juste modifié les majuscules.) « [...] s'appeler Michel Houellebecq en France, à l'heure actuelle, ça coupe beaucoup de choses, hein.» (dans l'interview pour Technikart du mois, lu cet après-midi) — la faute à qui ? Ce n'est quand même pas nous qui avons écrit ces histoires glauques dans ce style exsangue, qui avons répondu avec tant d'irresponsabilité à tant d'entretiens, qui avons produit ces poèmes et ces chansons d'une platitude à faire pleurer de rire si ça n'occupait pas tant de place dans les magasins et les magazines. Mais les plis du cerveau n'étant pas défroissables, il n'y a aucune chance pour que nos arguments soient recevables jamais de son côté, ni les siens du nôtre. Pour moi, ce n'est pas de la haine, tout juste de l'exaspération et du désintérêt. Pour la plupart des journalistes non plus, je crois, même s'il y a l'expression d'un défoulement verbal qui amuse de moins en moins (au XIXe siècle, on demandait clairement la tête...) et qui témoigne parfois, aussi, c'est vrai, d'une jalousie — car beaucoup voudraient réussir comme lui avec, comme lui, si peu de qualités. Nombreux courriers envoyés, aujourd'hui. Des projets en cours à ajuster avec des collègues ou des amis, principalement pour l'automne. Ai aussi fait visiter l'appartement du 2e à un jeune couple franco-japonais qui pourrait bien l'habiter prochainement (ça va se décider sous peu). Revoyons Tombés du ciel (Lioret, 1994). Outre l'amusement et l'intérêt du film, que nous appréciions déjà, une évidence rend triste cette évocation d'une forme d'humanité et de débrouille dans les interstices de la légalité internationale : l'impossibilité d'un tel propos après le 11 septembre 2001 et le délire sécuritaire maintenant en vigueur partout, en faveur partout, surtout dans les aéroports. commentaires
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Jeudi 11 septembre 2008.
C'était leur danseuse... Alain Veinstein : « Dans ces années, je ne sais pas si on peut les appeler "l'âge d'or", vous travailliez dans l'édition, vous vous occupiez de la collection "Textes" chez Flammarion. Vous vous rendez compte, une collection comme ça, vous en connaissez beaucoup aujourd'hui ? Philippe de la Genardière : — Non non, c'est fini, ça. Bah, oui, c'était un petit "âge d'or", bon, à l'échelle de Flammarion. C'était en fait la fin d'une époque puisque ces collections, Textes, Digraphe, la revue Digraphe, tout ça c'était juste avant les années 80, quand j'ai publié... En réalité, s'amorçait autre chose. Ces collections, ces lieux d'écriture, souvent dirigés par des écrivains eux-mêmes, comme Bernard Noël ou Jean Ristat, en l'occurrence, bon, les éditeurs, enfin, c'était leur danseuse... Ils acceptaient ça, bon, il y avait un retour d'investissement, sans doute, enfin, au niveau de l'image. Bon, ça, c'est une autre époque et puis la littérature elle-même aussi a changé. C'est-à-dire qu'il se publiait dans ces collections des choses qui ne se publieraient jamais plus aujourd'hui. Ça, c'est clair et net. Mais pas seulement des textes qui étaient dits d'avant-garde, parfois effectivement pas simples à lire, mais je crois, bon, la littérature, l'édition... On n'est plus dans la littérature, on est dans l'industrie du livre. C'est le livre, et tout le monde parle du livre, on parle du livre tout le temps, mais la littérature, non, c'est fini, quoi. On parle plus de la littérature. Que dans des espaces, bon, plus intimes... — Et pourtant, vous publiez un livre à la rentrée littéraire... — Oui, bah ça, c'est le hasard aussi des... bon, on termine un livre à un moment... » (Philippe de la Genardière chez Alain Veinstein, Du jour au lendemain du 27 août.) Voilà, voilà. Toute l'ambiguïté est là, dite gentiment. Un vieux de la vieille dit que c'est plus possible et publie quand même. Mais lui, un texte, pardon un livre en « langue classique », Veinstein le dit une minute après, et tout à fait par hasard au moment de la rentrée, si difficile, dans ce marché du livre auquel il faudrait échapper, mais en même temps ne voulant pas être poussé, relégué, abandonné dans ces « espaces »... « intimes »... de « la littérature »... « aujourd'hui »... Le marigot. Encore et toujours, même de bonne foi. Et ça vient (nous) dire que la littérature a changé. Alors que c'est soi, en tant qu'acteur du monde éditorial, qui a bien changé. Sans s'en rendre compte ? Alors que c'est audible en quelques mots. Que je n'invente pas. Tout le monde peut les écouter. (Et je ne dis pas que son livre est mauvais ; je le lirai même peut-être...) Parce que des textes « d'avant-garde », je ne sais pas, mais « pas simples à lire », moi, j'en trouve encore. J'en trouve même pas mal, chaque année. Même trop pour ma petite vitesse de lecture. Et même à 11.000 km de Paris, je les trouve... Alors ? Tiens, en remède, chez Emaz (extrait de Cambouis, à paraître en 2009, merci François !), une définition belle et fine du travail d'écriture (le texte est beaucoup plus long, il faut y aller) : « [...] c’est comme un savoir-faire prévu pour s’adapter à l’imprévu.» Sinon, nous, à la maison pour nos recherches presque toute la journée. Je vais à l'Institut en fin d'après-midi. D'abord pour lire l'entretien avec Christine Angot dans ArtPress (n°348) — excellent, donne vraiment envie de lire Le Marché des amants — que je vais recevoir dans quelques jours. Puis pot d'accueil du nouveau directeur de l'Institut avec une petite trentaine d'enseignants et de personnels administratifs. Bonne ambiance et goûteux petits fours. Ça faisait longtemps que je n'avais pas socialisé et picolé de la sorte... commentaires
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Vendredi 12 septembre 2008. Dans
le même petit colis. T. et moi allons au centre de sport Konami d'Iidabashi, histoire de reprendre de l'exercice. Moins d'une heure pour elle et retour à la maison, toujours à bosser sur ses Mazarinades. Moi, j'y reste un peu plus longtemps, d'autant qu'un petit problème technique s'est présenté (la clé de mon vestiaire est restée coincée dans la porte, il a fallu que je fasse venir quelqu'un). Je suis venu avec un Volodine, quelques pages de Lisbonne dernière marge à relire. C'était l'an dernier mais je reçois le même choc, donné par la même puissance littéraire et imaginaire. Incomparable. À la médiathèque de l'Institut en fin d'après-midi. J'y commence le dossier sur Emmanuelle Pagano dans le dernier Matricule des anges (96). J'en lis à peu près la moitié, c'est intéressant. Je n'ai encore lu qu'un livre d'elle mais je l'estime beaucoup. Sa récente réaction vis à vis du blog, où elle s'était peut-être un peu trop exposée et dont elle décide de se retirer, montre bien les possibles limites d'un exercice de salon, tout littéraire qu'il puisse être, lorsque trop d'intime est dévoilé. Le mélange de genre peut mieux convenir à certains qu'à d'autres, selon l'entièreté du caractère, la susceptibilité, etc., mais surtout parce que certains ne produisent que des effets d'intime et ne sont par conséquent pas (ou peu) atteints par des agresseurs qui manquent leur cible. L'intime n'est pas toujours ce qui en a l'apparence ou se prétend en être. En tout cas, le dernier Pagano sera dans le même petit colis que le dernier Angot. Désolé pour cette promiscuité... Et toujours, la chronique d'Emaz qui finit ainsi : « Mais le temps de la poésie est lent, et le présent urge. Il me semble donc nécessaire d'écrire et d'agir, dans une interaction sans confusion des deux pratiques. Cette époque est désespérante, mais s'il y a une efficacité du rien ou du pire, dans l'état actuel des choses, qu'on me la prouve. Pour l'heure, j'en reste au possible encore, donc malgré tout à une forme d'espoir, et au travail du peu.» Avons vu en deux fois le film L'Enfer (D. Tanovic, 2005), histoire de trois sœurs dont la vie est pourrie par l'erreur de leur mère qui avait dénoncé la pédophilie de leur père. Les hommes y sont tellement nuls qu'on se croirait dans Volver (où c'est assumé). Un peu décevant de mollesse, façon de filmer très consensuelle, rien de remarquable du point de vue esthétique, si ce n'est la présence de mises en abyme (la scène du nid dans le générique, le cours du professeur qui préfère penser destin que hasard, l'épreuve orale consacrée à Médée). Plutôt des traces littéraires, donc, que l'image restitue sans en être elle-même affectée — c'est ce qu'on reproche au cinéma de fait naturaliste et qui répond essentiellement au besoin d'histoires des gens... Distraction télévisée à 22 heures, c'est le début sur TV5 Monde de la série policière Les Bleus (1ère série en 2006). On se doute que des débutants et des stagiaires dans la police vont faire des erreurs, des bêtises, faire preuve d'immaturité, mais on découvre surtout le mode de vie de l'actuelle génération des 20-25 ans. Très utile pour des pédagogues. commentaires
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Samedi 13
septembre 2008. Luchini qui descend d'un scooter. Fin d'espoir d'un rétablissement automatique des textes transcodés par le dernier glitch de Globat il y a une dizaine de jours. Je commence à rectifier un à un les documents du Corpus numérique Mérimée (site qui n'est pas en accès public). Il est possible, sur un texte long, de faire répéter le changement pour chaque lettre accentuée, par exemple « é » en « é ». Cela veut dire aussi qu'indépendamment des backups de bases de données, les œuvres littéraires (ici les nouvelles de Mérimée qui étaient en cours d'édition par les membres du groupe) doivent être sauvées séparément en html. Je sors juste une grosse heure pour lire un peu à la médiathèque de l'Institut. Finir le dossier sur Emmanuelle Pagano. Puis un article sur La Belle Personne dans les Cahiers du Cinéma. Enfin relire les premiers chapitres de Voyage de noces de Modiano. Pour nous distraire classieusement, voyons La Vie de château (Rappeneau, 1966), enregistré par iWizz il y a quelques semaines. Comme Zazie qui voulait aller dans le métro, la Marie jouée par Catherine Deneuve veut aller à Paris, ce qui arrivera... en Liberté guidant le peuple juchée sur un char... Ce soir, j'ai trouvé l'ancêtre du blog et de l'agrégateur, ça date de 1848 : « Allons, monsieur, prenez votre coachman, votre stick et votre chapeau, votre lorgnon surtout, c'est un meuble important. Suivez-moi, la course n'est pas longue, jusqu'au boulevard tout au plus. Je vais vous montrer le vrai livre, la Bible, le Moniteur Universel, où se découvre la vraie science, celle qui fait de l'homme non pas un philanthrope, non pas un philologue, non pas un philhellène, non pas un pair de France, mais un parisien. Et voyez-vous là-bas ce monument tiré à quinze cents exemplaires ? Il n'est pas beau, il n'est pas riche, du plâtre en rond avec une grosse boule par dessus ; c'est la colonne rostrale que nos édiles ont multipliée dans Paris comme autant d'autels à la pudeur. C'est la que le parisien vient s'instruire, car c'est là seulement qu'on peut déposer des affiches ; et l'affiche, c'est la vie, la nourriture, le chyme et le chyle du parisien. Une feuille industrielle obtint un succès de vogue parce qu'elle avait eu l'ingénieuse idée de reproduire en petit les affiches de tous les jours. Lisez un peu ces affiches variées : les théâtres, royaux ou non, peu importe (on dit que l'Odéon (!) est un théâtre royal) ; le bal de l'Opéra ; le Prado ; la salle Valentino ; le Wauxhall ; la salle d'Antin ; le salon de Mars ; le Bal de la Picarde... Si nous voulons tout lire ! » (Auguste Vitu, les Bals d'hiver. Paris masqué, Paris: P. Martinon, 1848, p. 10-11) Et comme toujours Paris me manque en septembre, un extrait d'un courrier reçu tout à l'heure. J'en remercie chaleureusement (il fait encore 30° dans notre appartement) l'auteur : « Paris c'est aussi le Pape hier soir dont j'entends la voix au micro en sortant de mon boulot duquel je ne réussirai à rentrer qu'à 21h ayant dû marcher des kilomètres dans une foule compacte honnie bleu marine brandissant des croix et autant de CRS avant de pouvoir atteindre une bouche de métro ouverte. Et c'est aussi à quelques heures de là la fête de l'huma où je vais demain avec I., où nous croiserons L. L. et R.H. C'est Luchini qui descend d'un scooter juste devant la table de la terrasse du petit café où je lisais Oster dans la rue Custine déserte à 7h du soir et discute à deux pas de mois pendant 20 minutes avec le conducteur dudit scooter sans quitter des yeux mon bouquin dont il essaie de déchiffrer le titre. Il ne fait pas froid, il fait doux et un peu gris. » commentaires
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Dimanche 14 septembre 2008.
Après les risques et la boue. Plusieurs choses remarquables d'aujourd'hui. D'abord, l'écoute du disque Truth de Jeff Beck de 1968, remasterisé et augmenté en 2005, téléchargeable chez Chocoreve. Ah ! les riffs de cette époque ! On les reconnaît... Et même que c'est Rod Stewart qui chante. Ensuite, la lecture d'un remarquable article sur le site LaVieDesIdées.fr : « France-Japon : histoire d'une relation inégale », par Christian Kessler & Gérard Siary. Et puis ceci dans le propos de Karl, après m'avoir cité (merci, même avec quelques jours de retard, je réagis...) : « Accessible - Un format binaire (word dans le passé) pour le texte est toujours plus difficile à lire qu’un format texte simple (html par exemple).» — ce qui recoupe ce que je disais en tête du billet d'hier. Sommes sortis en fin d'après-midi pour des courses. Ça ne nous manquait même pas, d'être dehors, mais il fallait du pain et quelque chose pour ce soir. On se fait la réflexion que déjà une semaine sans Saint-Martin... Dans l'écluse, cinq tortues pataugent sous l'arrivée d'eau verte. Apparemment, on s'est délesté du matériel, c'est l'heure du retour de mission, la joyeuse détente après les risques et la boue. J'ai trouvé le film assez beau, fin, ni trop lent ni trop rapide (le téléchargement via iWizz a bien fonctionné). Dans le lycée et les comportements, je n'ai pas vu le XVIe arrondissement que des critiques parisiens ont dénoncé, toujours plus obnubilés par ce qui leur est proche et qui pourrait faire scandale dix minutes dans leur propre cour de récréation que par le souci sincère de saisir la volonté du cinéaste de montrer un milieu de gens aisés, assez retiré de l'espace-temps pour correspondre en bien des points au propos de Mme de La Fayette. À mes yeux, aucun rapport avec de récents films ou livres sur l'école. L'école n'est ici qu'un théâtre pour une jeunesse éloignée des soucis matériels, un lieu fermé qui est une des dernières transpositions possibles de la cour ou plus largement du monde aristocratique tel que Marie-Madeleine Pioche de La Vergne le peignait il y a 330 ans avec une héroïne de 16 ans. Seul bémol, contradictoire avec ce que je viens d'écrire : Louis Garrel n'est pas très crédible en prof d'italien. Pas grave au point de rejoindre l'avis de Dominique. Par ailleurs, ne l'oublions pas car c'est sa fonction politique, la transposition doit, aux incultes de droite (ailleurs appelés otaries...), faire accroire à de l'extrême contemporain, du feuilleton pour lycéens et lycéennes comme il s'en consomme chaque semaine, pour distraction et édification (edutainment). De sorte qu'ayant exactement reconnu les attitudes de leur progéniture, il sera ensuite amusant de dire à ces parents-là que c'est en vérité le propos de La Princesse de Clèves et que cette œuvre n'est donc pas ennuyeuse, poussiéreuse ni inutile... « Le lendemain qu'elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la reine, et s'était tellement enrichi dans son trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d'un grand seigneur que d'un marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté, qu'il ne put cacher sa surprise ; et mademoiselle de Chartres ne put s'empêcher de rougir en voyant l'étonnement qu'elle lui avait donné. Elle se remit néanmoins, sans témoigner d'autre attention aux actions de ce prince que celle que la civilité lui devait donner pour un homme tel qu'il paraissait. Monsieur de Clèves la regardait avec admiration, et il ne pouvait comprendre qui était cette belle personne qu'il ne connaissait point. Il voyait bien par son air, et par tout ce qui était à sa suite, qu'elle devait être d'une grande qualité. Sa jeunesse lui faisait croire que c'était une fille ; mais ne lui voyant point de mère, et l'Italien qui ne la connaissait point l'appelant madame, il ne savait que penser, et il la regardait toujours avec étonnement. Il s'aperçut que ses regards l'embarrassaient, contre l'ordinaire des jeunes personnes qui voient toujours avec plaisir l'effet de leur beauté ; il lui parut même qu'il était cause qu'elle avait de l'impatience de s'en aller, et en effet elle sortit assez promptement.» (Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1ère partie, 1678) commentaires
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Lundi 15 septembre 2008. Chacun
à son tour prend la sainte. Ce matin,
découverte du Café
littéraire
de Daniel Picouly, sur France 2, qui a commencé le 5
septembre —
personne ne me l’avait signalé et je ne passe pas
mon temps à scruter
les programmes (quoique parfois j’ai l’impression
d’en donner l’image).
Bruits de fond un peu lourds, parasitant les propos, par exemple pour
écouter les propos intimes de Catherine Millet. Sensation de
tourniquet, les auteurs passant l’un après
l’autre… Qui n’en veut ! Et
deux barils pour le prix d’un ! Picouly assez
expressif, en apparence,
mais le contenu de ses paroles plutôt consensuel et manquant
de
piquant. Et tellement long, tout ça. Près de deux
heures! Heureusement,
je lis dans Livres
Hebdo qu’on va réduire
d’une demi-heure pour la prochaine… À propos
d’audio, nous avons reçu hier
un petit poste de radio, commandé par Amazon vendredi. Ayant
voulu se
séparer de la télévision, T. a
éprouvé le besoin d’avoir tout de
même
une source d’information. Et curieuse de voir quels
étaient les
programmes culturels qu’elle pourrait découvrir,
sur les stations de la
NHK, par exemple. Hier et aujourd’hui,
c’était des ajustements de
fréquences, des repérages
d’émissions avec les horaires dans le journal
papier et par le web (le web japonais, ceci dit en passant,
où il n’y a
AUCUNE radio disponible en ligne gratuitement, même pas
celles du
service public (c’est qu’en fait, me dit T., la
notion de service public
n’existe pas au Japon (et où ce qui est public est
plutôt une sorte de
don des édiles — je ferme les
parenthèses))). On a même eu droit tout
à
l’heure, avec l’antenne filaire et sur ondes
courtes, à une radio russe
donnant un cours de chinois ! Téléphone aux visiteurs de mardi dernier qui nous annoncent qu’ils prennent notre ex-appartement. Voilà une chose de réglée. Sommes très contents d’avoir de futurs voisins sympathiques. Enfin, j’arrive à finir l’enregistrement des Matins avec Christine Angot (du 10). Les Matins est une des émissions qui m’énerve le plus, surtout quand il y a un invité que je souhaite écouter. Ça s’étale sur deux heures, c’est plein de recoins saccadés, bouts de journaux et chroniques où chacun à son tour prend la sainte parole… On imagine une ruche avec toutes ses énergies, du dopage matinal de l’auditeur pour qu’il aille bosser sur l’air des sept nains de Disney. Olivier
Duhamel : «
Moi j’ai une hypothèse à vous proposer.
je pense qu’il se passe avec
vous la même chose, la même dérive que
ce qui se passe avec la
politique. C’est-à-dire qu’on va
chercher une petite phrase — moi, la
seule chose que j’aie entendue de votre roman que
malheureusement je
n’ai pas encore eu le temps de lire c’est
« Te trompe pas de
trou ! » —
comme l’homme politique qui fait une petite phrase, qui est
reprise
partout et on ne parle plus du reste, du fond, de rien. C’est
le même
phénomène d’abêtissement,
vous savez… Dans le TLF : « La première chose qu’on organise (…) ce sont les discordes, les jalousies, les intrigues, les cabales de toute espèce » (Fourier, Le Nouv. monde industr., 1830, p. 26). commentaires
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Mardi 16
septembre 2008. Suée
à les empiler. Je reprends la valise, les trains, les couloirs, comme si cet été n'avait pas existé. Zones urbaines à perte de vue puis vastes paysages de montagnes et d'océan, tout humide et luisant jusqu'à Shizuoka, puis lumière poussant progressivement le vert dans le bleu et le sec pendant que j'écoute Jean-Pierre Richard, une émission d'il y a plusieurs mois. J'ai du retard... Ou bien ça redonne de l'avance. « Est-ce que Mallarmé, Céline, ça se rejoint quelque part ? — Écoutez, c'est assez paradoxal de tenter un lien entre deux auteurs de vocations si différentes, hein. Mallarmé étant fixé sur une sorte de recherche, disons, de l'abstraction sensuelle, selon moi, alors que la nausée de Céline, c'est un constat de la défection, de l'abandon, de la liquéfaction générale du monde. Exactement le contraire de tout ce que souhaitait faire Mallarmé, et qu'il a réalisé d'ailleurs dans beaucoup de ses poèmes. — Mais votre propre balance, elle penche de quel côté ? — C'est selon les époques. Si j'écris sur Mallarmé, je suis avec lui ; si j'écris sur Céline, je ne peux pas lui donner tort. Je suis du côté de l'écrivain dont je suis en train de parler. — Un peu déchiré, quand même... — Oui, mais c'est ce déchirement qui fait le plaisir de la lecture. Si on était toujours dans la même direction, la lecture ne serait qu'un long ennui. Là, y'a des secousses, y'a des virages, y'a des déchirures, même, oui. Et c'est cela qu'une longue vie, finalement, de critique m'a apporté, c'est cette aptitude à passer d'un monde à l'autre et à voir que le monde n'était pas un mais qu'il pouvait être très différent, que c'était ça la littérature, cette différence même. — Ces secousses, vous les ressentez encore aujourd'hui aussi intensément ? — Je les ressens... Je les cherche. Bah tiens ! Je les ressens lorsque je découvre un auteur que je ne connais pas encore, que je n'ai pas encore lu et exploré... — Vous en découvrez ? — Ça peut arriver, oui, j'en ai découvert, récemment. Mais assez peu, parce que évidemment mes capacités de lecture diminuent, aussi. Je lis moins. Mais enfin j'ai lu quand même un livre qui s'appelle La Souterraine de Christophe Pradeau, que j'aime beaucoup, et puis un petit traité, un Petit Éloge de la douceur qui m'a vraiment charmé, oui. — D'Audeguy, oui... — Oui. Oui, j'ai encore du plaisir à entr'ouvrir les livres, oui.» (Alain Veinstein et Jean-Pierre Richard, Du Jour au lendemain du 4 avril 2008) Déjeuner de pâtes à la tomate fraîche avec David. Ambiance reprise de conflits stupides dans notre entourage professionnel. Ça leur passera... Côté ambiance, d'ailleurs, fait pas bon être banquier, ces jours-ci, hein ! Hier soir, on voyait un voisin d'en face, appartement de 100 mètres carrés payé par sa boîte, planté debout en short devant un énorme écran de télévision qui diffusait des résultats boursiers. Avait l'air sidéré, le gars. Est resté plus de vingt minutes devant des tableaux de résultats. Que fait-il aujourd'hui ? Des affaires ou ses valises ? J'ai écouté le panorama économique dans les Matins de France Culture cet après-midi. Franchement, c'est quand même très haché, comme tranche horaire. Je récupère mes 34 cartons envoyés de Tokyo il y a deux semaines — suée à les empiler dans un coin du bureau où ils occupent maintenant un bon sixième de l'espace. Allez, ce n'est que pour quelques mois... Un colis Amazon est arrivé aussi, et une enveloppe d'Emblée — merci, Christophe ! Bref, y'a de quoi faire pour ranger tout ça et remettre le bureau en ordre de marche pour la semaine prochaine. Ce Soir ou Jamais. Tonique début de troisième année, hier soir, avec le trio Jaoui Bacri Debbouze, leur dernier film, leur carrière, leurs engagements. Pas des pros de la parole qui coule toute seule, d'or, style Maffesoli ici même, par exemple. Ces trois-là balbutiant souvent, se coupant l'un l'autre, s'exaspérant et se reprenant, jamais s'écoutant parler, toujours à la recherche d'une expression plus juste, soucieux d'éviter tout malentendu, ou de se laisser piéger par la parole institutionnelle, représentée ici par Taddeï. Le nom de Nathalie Sarraute a même été prononcé, figurez-vous. Évidence et clin d'œil quand quelqu'un dit d'une certaine façon : « C'est bien... ça ! » Le grand choc de ce soir : l'album de Christophe (le chanteur), Aimer ce que nous sommes. Une sorte d'élévation au carré des qualités déjà connues de Christophe, un bijou absolu. Et la preuve, s'il en était besoin, que l'intensité et la profondeur peuvent aussi s'atteindre en rythmes lents. C'est simple, je n'arrive même pas à me concentrer deux minutes pour écrire. Suis obligé d'attendre les fins de morceaux pour speeder sur le clavier. |
Mercredi 17 septembre 2008. Juche facile quand même. Rangement, réunions, rien de remarquable, sauf que ça bouffe la journée. En fin d'après-midi, je commence Lady Oscar (Demy, 1978, en ligne en italien...) et fatigue un peu aux deux tiers. Faut que je me force à le prendre au troisième degré, comme parodie de manga et d'anime... Et puis Ce soir ou Jamais d'hier soir très moyennement intéressant. En fait, je crois que c'est l'extension du concept d'actualité culturelle aux domaines de la politique et de l'économie que je ne digère pas bien. Parce que ce n'est pas la première fois que l'inévitable dialogue de sourds me fatigue les oreilles. Bien sûr, Emmanuel Todd m'écorche moins qu'Hervé Mariton, mais il se juche facile quand même sur son statut d'historien pour lâcher un avis perso (que je peux partager, là n'est pas la question, mais y'a maldonne). M'est arrivé souvent, une à deux fois par an, de rechercher des clips de Joe Jackson sur Youtube. Depuis longtemps, on pouvait voir son tube intemporel, Steppin' Out. Mais ce que je voulais revoir, c'était les titres de son premier disque, Look Sharp, acheté en 80 ou 81 en 33 tours vinyl. Ce n'était pas prévu pour ce soir, mais après les Go Go's dont j'avais réentendu l'air dans un supermarché (la reprise n'est pas mal non plus...), après Annie Lennox (Cold est une de ses plus belles chansons), je suis reparti à la pêche au JJ, encore une fois. Et j'ai trouvé une excellente version de Sunday Papers. L'album aux chaussures était un cocktail réussi entre le quasi pogo à cravate ska de Friday, l'engagé dandy au rythme fou (si vous n'en voyez qu'un, prenez celui-ci) et le gentil jazzy qui viendrait après Body and Soul — et toujours opérationnel (ce que je découvre ce soir, en plus de son site). commentaires
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Jeudi 18 septembre 2008. Aux tréfonds de notre indésiré sujet. Surprise et rouge au front, ce matin, chez Grapheus Tis qui (me) rend justice. Du quartier d'isolement, je lui envoie un message de profonde reconnaissance : « C'est l'heure de mon tour hebdomadaire, les gardiens du silence de la cyber prison des blogs me surveillent... Mais bon, sous prétexte d'aller en fumer une, je squatte une ligne... Et quelle bonne surprise en arrivant chez vous ! A la façon, chez Volodine, de ces manuscrits en trois exemplaires dont deux sont déjà détruits, il y a donc encore quelque part, trace, mémoire — et estime — de cet ouvrage Ô combien sulfureux dont j'ai été coupable en 2002. Mais on peut lui imaginer un destin encore plus fabuleux : en réalité, Assouline a bien reçu ce livre par service de presse des PUF en 2002 et c'est en le lisant qu'il a décidé de s'y mettre, d'observer d'abord posément la blogosphère naissante, d'où les nombreux cafés qu'il a dû avaler, puis de rechercher un appui institutionnel pour se lancer. Cela expliquerait bien des choses...» Vous pouvez faire circuler. Pour beaucoup, informer et désinformer, maintenant, c'est la même chose... D'ailleurs, c'est de la littérature. Au sport pour recommencer à pédaler et suer tout en lisant. Cette fois, c'est la vitesse de lecture, inaccoutumée chez moi, qui entraîne les jambes. Le texte lui-même semble contenir sa propre pente d'accélération, pousser ou tirer le regard de ligne en ligne. C'est un phénomène rare et étonnant auquel je ne m'attendais pas, d'autant que je connais un peu l'auteur, comme je l'ai déjà dit... et me voilà comme un rien dans les pages 70... Vous aussi, pédalez ! Courez ! Achetez-le ! Commandez-le ! Lisez-le ! Ça vous changera des produits formatés de la rentrée. « Dès qu'on les a suffisamment attaqués, ces bonbons bis libèrent à leur tour un flot raccord, une boue grasse et luisante, anthracite, qui était lovée, cachée, compressée, là. Elle se déploie. C'est intarissable, roboratif plus que de raison, ça s'écoule, ça s'écoule, sans cesse. C'est à peine débuté qu'on est déjà rassasié. Mais ça ne va pas stopper pour autant. Bien au contraire. C'est un raz de marée. Ça se projette par jets drus, violents par intermittence, comme si on avait des pompiers sous le palais, armés de leurs lances superpuissantes, qui chacun leur tour balancent la pression dans la gorge.» (Christophe Chazelas, Feu l'artifice, Paris : Emblée Éditeurs, 2007, p. 25 — écoutez ou réécoutez l'auteur dans les Mardis littéraires du 26 août ou dans Ça rime à quoi du 14 septembre) « Toujours est-il qu'aux tréfonds de notre indésiré sujet d'observation, le magma gastri, abîmé dans ses petits jeux esthètes, finit lui aussi par se découvrir la fibre poète... Le style, qui jamais ne réussira à se faire digeste, qui jamais ne coulera de source, confiant, concourt cependant pour le prix de Flore (intestinale). Toi, somnambule au bord du vomissement, héros sans rival, mon seul monde (j'ai tes tripes pour unique horizon), te voici scotché au bruit de tes entrailles.» (Id., p. 30) « parenthèse hello on recommence inspiration expiration un point ça se dilate la masse doit savoir varier aux extrêmes expansion repli, les deux à la fois comme un asthmatique sous les eucalyptus (le texte doit parfois savoir se faire plus gros que le bœuf, alors qu'il va devoir passer par le chas d'une aiguille, il le sait pas, il ne sait rien) » (Id., p. 61) « Le papier est un pis-aller pour la poésie, non ? » (dans Ça rime ça quoi...) Retour à Tokyo en écoutant Philippe Katerine (Surpris par la nuit du 2 avril), étonnant personnage à peine caché derrière sa pop foutraque. Puis surtout réécoutant — et très attentivement, cette fois — la fiction du 12 avril tirée de Fonction Elvis de Laure Limongi (alors ? Cette Fête de l'Huma ?). Est-ce à cause de la qualité du texte et de la mise en scène sonore ? J'éprouve pour la première fois une sorte de sympathie pour le king, pour le personnage ainsi construit entre mes oreilles. commentaire
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Vendredi 19 septembre 2008. Disparaître entre deux coups de cymbales. Quelle bonne idée d'inviter Laurent Cantet et François Bégaudeau ! (Ce Soir ou Jamais de mercredi soir.) Après le livre et le monde quelque peu clos de Cannes, ils vont pouvoir suivre les réactions publiques à la sortie du film... Et qui sont déjà, paraît-il, diverses et variées. Beaucoup ne traitant déjà plus du film en tant qu'œuvre, s'ils l'ont jamais fait, mais de ses bases, conditions et implications, le considérant comme un documentaire sur l'école et chacun se prenant, comme il est dit avec humour, pour un ministre de l'éducation (rôle pourtant peu enviable quand on a vu la tête et l'action des derniers en date, sans parler des bâches qu'ils se prennent sans arrêt — un ministère pour masochiste, mais peut-être que prof aussi...). Daniel Pennac dans Télérama. Eugenio Renzi dans les Cahiers du cinéma. Olivier de Bruyn dans Rue 89. Par exemple... « Après chaque épandage de produit incapacitant, les organisations humanitaires de l'ennemi parachutaient ou déposaient sur zone des coffres débordant de victuailles lyophilisées et de farines indigestes, tout cela accompagné de feuillets qui expliquaient en diverses langues illisibles la meilleure attitude à adopter en présence de l'ennemi, ainsi que les raisons pour lesquelles l'ennemi haïssait nos croyances, nos idoles, nos chefs historiques, nos manières de vivre, et nous aimait. Dans chaque container on trouvait aussi des figurines en peluche destinées à gagner le coeur des enfants et à les accoutumer à la culture de l'ennemi, à ses préférences esthétiques et religieuses, à ses exigences alimentaires, à ses pratiques d'hygiène, à son humour. Dodi Badarimsha adorait les peluches de l'ennemi. Il se les attachait en guirlande autour du cou, ou il les disposait en cercle sur les sites que les incendies avaient goudronnés. Il les couchait dans le bitume toujours un peu tiède, les yeux grands ouverts en face du ciel, comme en attente d'une nouvelle pluie de feu, et il leur parlait. Parfois quelques-uns d'entre nous assistaient à son monologue et, saisis en profondeur par ce qui leur apparaissait comme un spectacle, ils essayaient d'intervenir, en murmurant des phrases ou en s'allongeant à leur tour à côté des peluches.» (Lutz Bassmann, « Mille neuf cent soixante-dix-sept ans avant la révolution mondiale », in TINA, n°1, août 2008, p. 15) Voilà un tout autre monde... Car passé l'édito, c'est notre Bassmann qui ouvre fièrement la revue. Chloé m'a gentiment proposé le pdf, peut-être par considération pour mon travail et mon éloignement. L'intention me touche beaucoup, merci ! Bien sûr, c'est aussi pour que j'en parle, c'est normal. A fortiori si ça me plaît. Je continuerai demain parce qu'on doit sortir, aller en visite préventive au temple (T. ne pouvant se rendre à une cérémonie dans les jours à venir) et faire des courses avant que le typhon soit sur nous. Il est prévu, on ne sait jamais jusqu'où ça peut aller. À Akasaka, vers 17 heures, la noirceur des nuages est impressionnante, rehaussée par les lumières des rues et des bâtiments. Faisons le tour des nouveaux restaurants du centre Sacas. Puis T. se souvient qu'une amie d'enfance doit avoir un izakaya un peu plus loin, dans une ruelle latérale. Après une brève déambulation dans le quartier, nous arrivons à Mugiya, c'est l'heure de dîner et la carte nous plaît beaucoup. Émouvantes retrouvailles (T. ne l'a pas vue depuis près de dix ans), pour moi découverte d'une femme étonnamment grande et souple (T. me dira qu'en effet Mme Y. a été championne de natation à l'école). Prenons du sashimi de cheval (excellent — vient avec du tategami, mets rare et blanc, autrement dit du gras de crinière — immangeable, paraît qu'il y a des amateurs), une salade d'avocat, de l'aubergine au miso, des poissons grillés, puis un nabe de canard (la bête est française) dans lequel on ajoutera des sobas. Ça semble faire beaucoup, dit comme ça, mais une heure plus tard, aucune lourdeur. Et puis on a dîné avant que les fumeurs n'arrivent (ce qui est quand même la plaie des izakayas). Synchronisée sur notre emploi du temps, la pluie commence quand nous sortons, douce d'abord jusqu'au métro, jusqu'à ce que nous soyons rentrés à la maison, forte ensuite une bonne partie de la nuit. Les États-Unis éprouvent une certaine satisfaction, une certaine fierté qui n'est pas que le soulagement après les risques courus (et qui courent encore, d'ailleurs). Encore une fois, ils sauvent le monde (ou font mine de) — après l'avoir mis sur la paille. Leurs dettes, leurs crédits tordus, leurs faillites colossales et enfin... roulements de tambours... leur solution sortie d'un chapeau les ont ramenés au centre de l'actualité mondiale — la Géorgie, l'Afghanistan, les Jeux olympiques, la fonte des pôles, tout cela est passé en petits caractères aux dernières pages. Le vrai centre de gravité du monde, que personne ne l'oublie, s'il vous plaît (et même s'il ne vous plaît pas) est l'économie américaine. La Russie surtout doit comprendre le message ; l'exercice de yoyo que vient de faire sa bourse est destiné à bien rappeler qui dirige la danse — et que des danseurs peuvent disparaître entre deux coups de cymbales. commentaire
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Samedi 20 septembre 2008. L'écume de la coïncidence. Écoute de Christine Angot dans Du Jour au lendemain du 15. Quelques passages avec un peu d'émotion, où on touche vaguement quelque chose mais globalement entretien mou, sans trop d'engagement de part ou d'autre. Trop de complicité ou pas assez. Déjà, il faut plus de trois minutes pour qu'on entende la voix de l'interviewée. Musique, ouverture, remusique, long préambule de propositions, suppositions et questions rhétoriques d'Alain Veinstein. Christine Angot monosyllabe, nécessite encore trois minutes de chauffe, l'impression qu'il la démarre comme une vieille voiture, à la manivelle. Et puis c'est parti pour une demi-heure de brusques sautes de voix, le logiciel d'enregistrement sonore est formel, que des pics et des blancs. Spécialiste des blancs à la radio, Christine Angot, des fois, dans d'autres émissions, on se demandait s'il y avait panne ou quoi, mais non c'était quinze secondes de réflexion... Je ne suis pas contre, ça fait prendre des risques au système, au média, mais cette fois, pas de longs silences, des sautes sans cesse, fatigantes. Je le réécouterai dans quelques jours, notamment pour un passage d'interrogation sur ce que font de leur vie les gens qui n'écrivent pas. Mais pas aujourd'hui. À l'Institut franco-japonais, c'est d'abord Manu que j'aperçois. Comme souvent le samedi depuis qu'il est motorisé, il vient en famille pour emprunter des livres à la médiathèque (et comme d'habitude, on ne peut pas déjeuner ensemble). On se promet de redémarrer les déjeuners du lundi, à Akasaka justement, maintenant qu'il y travaille. J'y venais pour voir l'ambiance autour du programme Butor, premier jour de manifestation, mais suis peu motivé par les films présentés aujourd'hui (déjà vu pour l'un). Et je ne vois personne. Bien en vue dans un des fauteuils de la médiathèque, personne ne vient non plus me saluer pendant que je lis de bout en bout les Inrockuptibles (enfin lire... parcourir plutôt). Ai noté que j'ai raté un film nouveau sur Arte hier, New Wave (de Gaël Morel), qui avait l'air intéressant mais que je ne me souviens pas d'avoir vu dans la liste iWizz (il n'y aurait donc pas tout ?...). Toujours dans les Inrocks, bon article sur La Belle Personne... Et vrai que le sortir la même semaine qu'Entre les Murs prête un peu à comparaison et donc à confusion. N'est-ce pas fait exprès pour que de ces œuvres ne reste que le choc de l'une sur l'autre dans l'actu, l'écume de la coïncidence provoquée par les médias ? — et écarter le danger de leur propos intrinsèque. Sorte de grosse machine sociétale inconsciente qui partout met de l'huile dans les engrenages et de l'eau sur les étincelles (et pas l'inverse). La Chambre 315 me consacre un billet intitulé Berlolzmann. J'en suis très flatté. Mon pseudonyme ainsi chevillé à Lutz Bassmann, les deux à jamais enchaînés jusqu'à la fin des disques durs. Admirable ! — En revanche, je ne sais pas ce qu'en pensera Lutz... Moi aussi, je lis des tas de choses tous les jours, et souvent en me demandant pourquoi, parce que je n'ai pas les mêmes goûts ou les mêmes centres d'intérêt que mes voisins de galaxie. Et pourtant, là où je retourne tous les jours, y compris la Chambre 315 via les Flux Litor, c'est bien qu'il y a quelque chose qui me convient, et ça ne peut être que — littéraire — un amalgame entre le ton, le thème, la phraséologie, les références, un on-ne-sait-quoi que l'on essaie parfois de décortiquer, avec plus ou moins de succès. Ai découvert ce soir — décidément, c'est presque tous les jours — Bibliothèque Médicis, l'émission littéraire de la chaîne Public Sénat. Par la dernière de juillet, avec Alain Corbin, Pascal Ory, Monique Canto-Sperber, et al. — très sérieux et bien intéressant. On supporte bien Elkabbach, plutôt calme et retenu (faisons du passé table rase), comme empesé dans la solennité (salonnité) des lieux. Sa retenue est presque agréable en regard de la goguenardise provoc d'un Busnel. commentaires
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Dimanche 21 septembre 2008. Jusqu'à la fin des disques durs. Allez, c'est le grand jour ! Celui où on ressort les vélos (pliés sur le balcon depuis le début du déménagement). La météo annonce 50 % de risques de pluie pour l'après-midi. Ça nous va. Nous voici dans la rue à 10 heures et... la pluie commence, le ciel est gris... Que faire ? C'est qu'on doit tout de même aller à plusieurs kilomètres, nettoyer le tombeau familial au cimetière d'Aoyama... Descendons sur Ichigaya, ça semble s'aggraver, et même devoir durer... Je propose de revenir à l'Institut et de laisser les vélos dans le nouveau parking à vélo couvert. Et de prendre un taxi. En moins de dix minutes, le taxi est à Aoyama-itchome, tourne dans la rue du cimetière et là : bouchon à perte de vue. On abandonne lâchement le taxi (qui en a vu d'autres) et on continue à pied — car évidemment, il ne pleut plus. Je n'ai jamais vu autant de monde venir s'occuper des tombes et des concessions ! Nettoyage, ramassage des premières feuilles mortes (à la main et non à la pelle), installation de nouvelles fleurs, encens et coup de balai. Il est 11 heures et on rentre en métro. Revenus à l'Institut, reprenons nos vélos — et la pluie reprend — pour aller déjeuner à la Trattoria Toy (3e fois et 3e bonne surprise). Sur l'avenue Sotobori, depuis quelques temps, une galerie d'art accueille une fois par mois le petit marché de l'Atelier nomade, un producteur bio. En fait, je le connais ce Tatsuya, il travaillait à l'Institut il y a quelques années, il est maintenant marié, avec un enfant, et il a effectué un parcours extrêmement courageux. Comme le dit son dépliant : 2 ans de stage en ferme biologique en France, petits boulots agricoles au Japon, 1 an comme bucheron, 2 ans pour trouver le terrain avant de commencer sa ferme au printemps 2007. On prend quelques tomates, deux courgettes, une aubergine, des pommes de terre, de l'ail, le tout pour un prix très raisonnable (1500 yens) et on rentre à la maison où je prépare illico une ratatouille. La différence entre les légumes industriels et les légumes biologiques doit se voir tout de suite, la fermeté en main puis à la coupe, le parfum, et surtout, la tenue exceptionnelle lors de la cuisson. Sans parler du goût, preuve ultime, ce soir... Relisant mon billet d'hier, je pensais que jusqu'à la fin des disques durs aurait aussi pu constituer un très bon titre... À l'Institut vers 16 heures pour raccrocher aux premiers wagons du colloque Butor. Il a d'abord souhaité, pour le thème qui lui a été proposé par un Institut soucieux d'attirer un public plus large que les seuls amateurs de littérature, que nous voyions Intolérance de David W. Griffith (1916, hier, je n'y étais pas) et L'Aurore (aujourd'hui, j'y suis). Ce film muet de Freidrich W. Murnau (1927), j'en ai un très vague et vide souvenir, datant de la cinémathèque universitaire, mais ce soir vrai choc esthétique. La conférence de Michel Butor, devant une salle pleine, n'apportera rien de nouveau aux connaisseurs mais une présence très chaleureuse. À écouter ici avec les questions et réponses qui suivent. J'ai aussi retrouvé plusieurs collègues ainsi que le principal organisateur du colloque, Olivier Ammour-Mayeur, qui me dit que tout se passe à peu près bien, avec les aléas que tout colloque contient lorsqu'il y a des personnalités, mais que nous devrions avoir de bons exposés vendredi et samedi prochains, à l'université Rikkyo. Si vous passez par là... Sinon, restez en ligne, il n'y aura probablement encore que moi pour enregistrer et diffuser (hélas, déjà cinq ans après la banalisation des enregistreurs numériques). |
Lundi 22 septembre 2008. Gravés et jusque dans l'incertitude. Journée entièrement détournée de son objectif. Je devais faire une heure de veille pour les Flux Litor, prendre une ou deux heures de notes sur Volodine, passer à l'Institut dans l'après-midi pour lire quelques actualités littéraires, après ou avant le travail sur Modiano. Au lieu de cela, deux heures de la matinée ont été littéralement consumées à rechercher, installer et modifier une extension WordPress pour la prévisualisation des commentaires du JLR2. Pas inintéressant du tout, cet apprentissage de la bidouille php... ((Au passage, j'en ai trouvé une autre qui permet d'insérer automatiquement des notes de bas de page dans le blog, simplement avec des doubles parenthèses.)) Puis j'ai fini et posté le billet d'hier, après avoir préparé le document audio de la conférence de Michel Butor (qui, au vu (de l'absence) des réactions depuis hier, n'a pas l'air de déclencher un grand enthousiasme chez mes lecteurs). Après, T. ayant reçu des épreuves à réviser pour un article, nous nous sommes plongés dans des recherches de détails biographiques et bibliographiques. Et là, comme toujours, nous, ça a été le départ pour des aventures dans les gravures du XVIIe siècle, dans les catalogues de bibliothèque ou de ventes, dans le plein texte de Gallica 2, dans des sites commerciaux de reproductions de portraits gravés et jusque dans l'incertitude même des statuts d'imprimeur et de graveur... Jusqu'à découvrir par exemple les jeux de cartes publiés par Desmarets de Saint-Sorlin, qui contenaient toute l'idéologie d'une époque, tant dans le classement des pays et des reines que dans les descriptions qui en sont faits. N'ayant ni internet, ni télévision, ni cinéma, ni radio, comment se distrayait-on ou s'éduquait-on alors — quand on avait le privilège de pouvoir s'éduquer et se distraire ? (Voir Jean Desmarets de Saint-Sorlin, Les Jeux de cartes des roys de France, des reines renommées, de la géographie et des fables, 1662.) *
* * Médicis 1962 : la grosse colère d'Alain Robbe-Grillet, par Alain Beuve-Méry, dans Le Monde du 18 septembre 2008. « Décembre 1962. Déflagration littéraire à Saint-Germain-des-Prés. Alain Robbe-Grillet en est le responsable. A 40 ans, l'auteur des Gommes et de La Jalousie, le réalisateur de L'Année dernière à Marienbad est au zénith de sa carrière. Il incarne l'avant-garde littéraire et cinématographique. La raison de son coup de sang : l'attribution du prix Médicis à Derrière la baignoire, de Colette Audry, qui a été préféré sur le fil (par 6 voix contre 5) à L'Inquisitoire de Robert Pinget. Robbe-Grillet qualifie le roman distingué d'"honnête, bien écrit même", mais le trouve sans aucune exigence "quant au renouvellement de l'écriture romanesque". Il décide de rendre publique son immense déception. Cinq ans plus tôt, il a participé à la création de ce prix "pas comme les autres". Selon ses statuts, le Médicis est censé récompenser "un roman, un récit ou un recueil de nouvelles dont l'auteur débute ou n'a pas encore une notoriété correspondant à son talent". Les deux premiers lauréats ont comblé ses attentes : Claude Ollier, pour La Mise en scène, et Claude Mauriac, pour Le Dîner en ville. Il en va de même pour Le Parc, de Philippe Sollers, primé en 1961. En revanche, Robbe-Grillet considère déjà comme une faute grave, en 1960, le choix en faveur de John Perkins, d'Henri Thomas. Connu pour son côté trouble-fête et son goût de la provocation, le chef de file du Nouveau Roman se comporte en gardien vigilant du temple. Dans le jury, il dispose d'alliés fidèles : Gala Barbisan, mécène du prix, Denise Bourdet et aussi Nathalie Sarraute, qui n'est ni à l'aise ni heureuse dans le rôle de juré. En face, on trouve notamment le fondateur du prix, Jean-Pierre Giraudoux, Félicien Marceau, Claude Roy et... Marguerite Duras, qu'on imaginerait plutôt dans l'autre camp. Robbe-Grillet décide d'attaquer bille en tête. Dans une lettre ouverte, il dénonce parmi les jurés ceux dont "la hargne" ou "le manque de caractère" ont fait pencher la décision du mauvais côté. "Avoir, en cinq ans d'existence, laissé passer La Route des Flandres, de Claude Simon, puis cet Inquisitoire de Robert Pinget, c'est en effet un joli record pour un jury qui a été fondé - ô présomption ! - en vue de corriger le mauvais choix des autres !", assène-t-il à ses pairs. A 46 ans de distance, on peut noter la perspicacité littéraire du juré Robbe-Grillet, qui a commis un sans-faute depuis la création du prix. Mais, à l'époque, il ne fallait pas que le Médicis reste l'apanage des "nouveaux romans", tous publiés ou presque aux Editions de Minuit, dirigées par Jérôme Lindon. Pour la majorité des jurés, les livres "audacieux" devaient forcément alterner avec les livres "raisonnables". Visionnaire, Robbe-Grillet pointe aussi dans les fausses notes du palmarès deux des principaux reproches faits couramment aux autres jurys, "le couronnement à l'ancienneté et l'abandon aux bons sentiments faciles". Après ce coup d'éclat, le chef de file du Nouveau Roman menaça de claquer la porte, mais finalement resta, contrairement à Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et Claude Roy qui, lassés par les colères de leur collègue, démissionnèrent ensemble peu de temps après. Membre du jury Médicis pendant quarante-neuf ans, Alain Robbe-Grillet, par un de ces pieds de nez qu'il affectionnait tant, a tiré sa révérence en février 2008, huit mois avant la commémoration du cinquantième anniversaire. 1962 fut surtout une année maudite pour Robert Pinget. Pour comble de malchance, l'écrivain suisse rata aussi le Femina, qui, après seize tours de scrutin, fut finalement attribué à Yves Berger pour Le Sud. Moins ingrates que les jurés Médicis, les dames du Femina rattrapèrent leur bourde trois ans plus tard en couronnant Pinget pour Quelqu'un.» commentaires
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Mardi 23 septembre 2008. Toujours avec plaisir et dévotion. Jour férié au Japon, équinoxe d'automne. Tous les voisins se pavanent sur les terrasses, des enfants braillent, la Kagurazaka est fermée à la population automobile. Et le Saint-Martin rouvre, les poulets redorent et les frites retournent dans l'huile pour notre plus grand plaisir. Ça résume assez bien la matinée, sauf que j'ai aussi lu le compte rendu sur Sollers et Bergounioux chez Bourdais... C'est humain d'opposer des auteurs, je suis le premier à le faire, et en plus, là, c'est assez facile. Mais Jean-Claude reconnaît aussi des qualités à Sollers. Il lui resterait juste à trouver quelques défauts à Bergounioux. Ça qui va être difficile !... Avant de partir, valise prête dans l'entrée, je m'allonge un quart d'heure sur le lit à côté de T. qui lit Vingt Ans après à haute voix, le chapitre des déboires et récréations du duc de Beaufort emprisonné à Vincennes. Un pur moment de rock'n roll, même si je m'endors avant la mort du chien Pistache — que je retrouve ici ce soir... « Et maintenant, attention, reprit le duc en baissant la canne presque au niveau de terre, Pistache, mon ami, sautez pour l'illustrissimo facchino Mazarini di Piscina. Le chien tourna le derrière à la canne. - Eh bien ! qu'est-ce que cela ? dit M. de Beaufort en décrivant un demi-cercle de la queue à la tête de l'animal, et en lui présentant de nouveau la canne, sautez donc, monsieur Pistache. Mais Pistache, comme la première fois, fit un demi-tour sur lui-même et présenta le derrière à la canne. M. de Beaufort fit la même évolution et répéta la même phrase, mais cette fois la patience de Pistache était à bout ; il se jeta avec fureur sur la canne, l'arracha des mains du prince et la brisa entre ses dents. M. de Beaufort lui prit les deux morceaux de la gueule, et, avec un grand sérieux, les rendit à M. de Chavigny en lui faisant force excuses et en lui disant que la soirée était finie ; mais que s'il voulait bien dans trois mois assister à une autre séance, Pistache aurait appris de nouveaux tours. Trois jours après, Pistache était empoisonné.» Dehors, dans le doux soleil, je repense à la peau bellement bronzée de Yukie après sa dizaine de jours en Corse, au documentaire de Thalassa vu dimanche soir sur l'amiante toujours à l'air libre dans le Cap Corse, que j'aimerais bien y retourner moi aussi et qu'un cancer dans quarante ans ne me fait pas peur (il y a tellement de chances qu'autre chose m'emporte d'ici là). Puis dans le train, c'est Feu l'artifice, suite, en me souvenant que nous étions allés tous les trois, T., Christophe et moi, il doit y avoir dix ans, pique-niquer dans la forêt de Fontainebleau (qui intitule cette page) avant d'entrer par hasard, ayant vu le panneau sur la route, dans cette Poterie de la Genevraye où nous avions acheté trois magnifiques bols d'influence japonaise que j'utilise toujours avec plaisir et dévotion. « De plus en plus faiblement auréolés du souvenir des galaxies, et une fois dépassé l'écran ouaté des derniers nuages, on aperçoit tout d'abord la cime des plus grands arbres... on s'en approche ensuite jusqu'à pouvoir toucher du bout de l'ongle les feuilles les plus hautes... et l'on prend encore le loisir d'inventorier ce que l'on peut d'ores et déjà saisir de la terre ferme à travers le voile mouvant de la frondaison. Aperçu brièvement entre deux mouvements de branches qui s'étreignent sous l'action du vent, le toupet bondissant d'un jogger qui passe. En gros plan, la patte droite avant dressée d'un écureuil qui, vite, rebrousse chemin. Et, sous l'obstruction du vert poussif de la fin d'été, du brun terreux, le grisé d'un rocher deviné sous le roux, précoce, d'autres feuilles, d'une autre famille d'arbres, prématurément tombées.» (Christophe Chazelas, Feu l'artifice, p. 96) Écho(s) du débat sur Dazaï et la traduction que j'ai transporté, qu'on m'en pardonne, chez Didier da Silva. Vraie envie de pouvoir utiliser cette excellente phrase d'Éric Chevillard : « Son roman a fait grand bruit en dévalant le toboggan de mon vide-ordures.» Mais je lis si peu (lentement) et je trie si bien à l'avance, que c'est bien rare. Le dernier, je crois, duquel j'aurais pu dire ça, ça devait être un précédent livre de Jean-Paul Dubois, Une Vie française, pourtant chaudement recommandé partout, à l'époque... Ah, j'allais oublier. Ce soir ou jamais d'hier, c'était pas mal. Balasko, Baye, Berling, et al., sur la prostitution. C'est pas qu'on apprenne des choses sur la chose, mais c'est une causerie détendue, que(ue) même Jean-Marie Rouart n'arrive pas à m'énerver. commentaires
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Mercredi 24 septembre 2008. Voilà donnant des deux canons. Premier cours du trimestre, bien préparer l'entrée en piste, donner le rythme, le ton et, l'air de rien, que ça bosse tout de suite. Un test en quatre questions pour vérifier les acquis du premier semestre (en principe). Résultat... Décevant. Pas de miracle. Les vacances, dans leurs cerveaux, c'est la danse des mots... Au bureau, je revois Lady Oscar (Demy, 1979) en me demandant comment canaliser l'attrait des étudiants pour un film français tiré d'un manga japonais sur les prémices de la Révolution française vers une réflexion sur la parodie de genre et la vérité historique... La réputation calamiteuse du film permettra également de réfléchir sur ce qui fait qu'un film est raté. Sophie au téléphone, juste quand elle arrive à Narita — d'où ? elle nous le dira un autre jour. Benoît maintenant à Besançon. Andreas toujours plongé dans sa thèse, là-bas, au bout de mon couloir. David passe discuter un moment, on est sur un texte pour revendiquer un accès internet non bridé dans les bureaux (sous prétexte de sécurité, on ne pourrait plus utiliser de streaming...). Et même plus le temps d'aller au sport, l'heure est passée, l'envie aussi. Pour me relever un niveau intérieur qui flanchait déjà, rien de mieux qu'une relance dans l'actu littéraire, et pourquoi pas en associant au Chazelas le Tugny. Me voilà donnant des deux canons — chargés — dans la création langagière, loin des histoires à ligne claire. « Biche de Biche, souveraine, fit de tout ce monde une boule et la lança du regard très loin en répondant : « oui, absolument, Biche de Biche, qui vous sert et dit boujour. La compagnie ».» (Emmanuel Tugny, Mademoiselle de Biche, Paris : Léo Scheer, 2008, coll. Laureli, p. 8 [Réédition de Rennes : La Part commune, 2000.]) « Biche s'assit un moment et rit lorsqu'elle vit le Cardinal Vélasquez, sobrement insuffisamment déguisé, tirer lui aussi, parmi les dames, sur un plus petit oiseau qu'il soumettait, fiévreux, hors de lui, aux plus redoutables avanies. Vous aussi, Vévé, chanta Biche en s'aidant des mains. Moi aussi, Biche, chuchota le Cardinal qui, avec un sourire, tira dans sa direction trois coups qui sifflaient « Viens ». Biche le rejoignit derrière le remblai et lui serra les mains. Elle ne put s'empêcher, non elle ne put pas, de remarquer qu'il avait l'air on ne saurait plus parti. Son œil regardait vers l'intérieur du crâne les songes qui s'y tramaient. Il fumait une manière de boue solide dont les filaments pendouillaient pathétiques sur le menton piqueté. Il offrit un fusil à Biche, qui tira distraitement dans la pâte turquoise des ciels.» (Id., p. 26-27 — et encore merci à Laure pour l'envoi gracieux.) Mûr pour un rangement de placard, moi, ce soir. Déballage d'un carton de photos des années 90, la moitié à jeter. Ne garder que ce qui fait sens et mémoire. Alléger sa vie. D'ailleurs c'est quoi, ces tonnes de sécrétions en tous genres qu'on porte avec soi de déménagement en déménagement sans jamais s'interroger sur le bien fondé de leur conservation (habits, livres, disques, photos, bibelots, courriers, meubles, câbles, cadres, boîtes vides), écartant toute discussion d'un c'est à moi aussi grandiloquent que pathétique ? (Tant il ressemble à un c'est moi dont la partie vivante ne serait plus que le centième du tout.) Et puis si T. l'a courageusement fait en juillet-août, je ne vois pas ce qui m'en empêcherait... Entrons fiers et légers dans notre dernier tiers de vie, et préparons-nous à en sortir aussi nus que nous y sommes entrés. commentaire
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Jeudi 25 septembre 2008. Les profs ne vivent pas vieux. Un jeudi à trois cours, comme ça, presque à froid, ça peut secouer. J'ai quand même eu le temps d'anticiper, de me préparer un repartir de zéro avec mon nouveau groupe du matin, et puis ça s'est passé beaucoup mieux que prévu. Je remercie le collègue qui les a eus au premier semestre, il a bien travaillé : groupe réactif, prononciation correcte, mémoire pas complètement évaporée. Le déjeuner à la cantine des profs, dégueulasse comme d'habitude. C'est incroyable. T. me dit que la fac souhaite peut-être que les profs ne vivent pas vieux. Moi, je crois surtout qu'on ne souhaite pas que les profs y viennent trop souvent, qu'en servant lentement des mauvais plats, on va les dissuader de revenir... Même le plaisir de retrouver les collègues et de parler cinéma ou programme des cours s'en trouve affecté, évidemment. Au séminaire de cinéma, première partie de Lady Oscar, en expliquant bien d'où vient le film. Effarement des étudiants : quoi ! un réalisateur comme Demy ! faire un film d'après un manga, avec des capitaux japonais, en 78-79 alors que les mangas ne sont même pas encore populaires en France ! et en plus en anglais !... Eh oui, c'était ça le problème. Le principal problème, à mon avis. Pas tant que le film soit mauvais (quoique...) mais surtout qu'il ait été conçu dans des conditions qui excluent ses publics potentiels. Enfin, une des choses que je voulais faire depuis des semaines et que je commence dans le train : la lecture du Volodine post-exotique de Lionel Ruffel. Tout de suite, j'ai l'impression de lire ma propre pensée, en mieux, en plus large, en mieux documenté. Moi qui suis entré en Volodinie depuis deux ou trois ans, qui commençais à comprendre un peu la géographie en arpentant les chemins, je viens de mettre la main sur la chambre des cartes... « La violence des fils de l'Europe blessée sur laquelle cette œuvre [Lisbonne dernière marge & le roman fantasmé par le personnage] se construit provient principalement de la dissimulation de la vérité historique. Le terrorisme peut alors se doubler légitimement d'un enjeu littéraire. Le Troisième Reich est présenté en Allemagne « comme une variante à peu près confidentielle d'un conte apocryphe des frères Grimm.» Les éléments historiques sont ramenés à leur littérarité.» (Lionel Ruffel, Volodine post-exotique, Nantes : Éditions Cécile Defaut, 2007, p. 24) « Le jeu sur le topos du mensonge romanesque se double d'une réalité historique qui implique d'avancer masqué. C'est-à-dire d'avancer littérairement. [...] Or les deux référents, le terroriste et le dissident, se croisent grâce à des points communs très précis : le souci de l'histoire et la nécessité d'avancer masqué, sous peine d'être abattus.» (Id., p. 26) Mes petits neurones éparpillés partout dans les livres post-exotiques depuis tout ce temps commencent à se rassembler. Ça va souffler. Avant-hier, justement, je commençais à me formuler clairement que l'écriture de Volodine réalisait d'abord, avant même d'y ajouter ce qui le propulse dans la création la plus contemporaine, la fusion inimaginable avant lui entre Claude Simon et Alain Robbe-Grillet. L'obsession de la vérité à reconstruire pour l'un, témoignée jusqu'à l'hallucination, le détachement ironique de l'autre derrière la facticité de tout, qui n'est qu'apparence, cliché et fantasme, les deux bien sûr déconstruisant les genres et branchés en permanence sur les catastrophes majeures du XXe siècle, avec un nihilisme d'où sourd un incompréhensible espoir, tenu en partie par l'humour — l'humour qu'il faut parfois chercher, chez Simon, et parfois surjoué, chez Robbe-Grillet. J'y reviendrai. Ceux qui ne s'attachent qu'aux noms de ces auteurs, à une ou deux œuvres lues dans la scolarité ou même pas vont sans doute commencer à me chicorer là-dessus. Mais je pense que ceux qui connaissent bien le travail de ces trois auteurs me comprendront. commentaire
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Vendredi 26 septembre 2008. Toupie or not toupie. Pfff... Là, c'est vraiment la galère. Franchement, je ne peux pas dire tout le fond de ma pensée mais je suis très très déçu par cette journée de colloque. J'y suis allé tout plein de bonne volonté, avec de bonnes références sur les participants, l'admiration pour le patriarche, etc., et me suis trouvé cueilli à froid par des interventions dont je ne voyais ni le sens ni l'intérêt. Étais-je, dans ma précipitation matinale, venu sans mon cerveau ? Des circonvolutions s'étaient-elles vidées pendant la nuit ? Intérieurement, je passais en quelques demi-heures par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, tristesse, étonnement, colère, mais ne retrouvais dans les propos entendus pas une once de mes souvenirs de lecture de Butor. J'hésite toujours à condamner mes congénères et me demande d'abord si le problème ne viendrait pas de moi — au moins jusqu'au déjeuner... Mais cela me semblait un gâchis monumental. Si cela avait pu servir, j'aurais rallumé la vieille guerre entre philologie et comparatisme. C'était inutile, cette sorte d'impressionnisme superficiel qui venait à mes oreilles est parfois le produit des meilleurs spécialistes, qui croient nous livrer ainsi la substantifique rosée de leurs milliers de nuits d'étude... alors qu'ils sont revenus sans s'en rendre compte aux enfilades de clichés et de platitudes. J'ai tout enregistré. Je vérifierai. Mais je ne peux pas mettre ça en ligne... Ni citer des noms, je ne fais pas de procès. Ah si ! il y avait un exposé bien, celui du traducteur, Shimizu Toru (avec traduction simultanée), qui a clairement retracé l'histoire de la traduction de Butor au Japon depuis les années 50, avec des éléments littéraires très précis sur l'évolution des œuvres, des points difficiles à l'époque et sur la nécessité pour lui de retraduire récemment La Modification. Parenthèse déjeuner dans un restaurant indien d'Ikebukuro avec quatre connaissances de longue date, retrouvées en sortant de la salle, toutes plus déçues que moi — ce qui m'a étonné et rassuré à la fois. D'ailleurs, après le déjeuner, il n'y a qu'une personne qui est retournée avec moi dans la salle du colloque, et qui a soupiré comme moi les deux heures que je suis encore resté... La racine de mon malaise, c'est la quasi-absence des textes, dont on parle comme s'ils étaient à dix mille mètres de nous et que nous les connaissions tous par cœur. Est-ce un mal de sortir un bouquin pour analyser un bout de texte, pour appuyer son propos sur des références un peu précises, sur des relevés de quoi que ce soit ? S'arrêter sur un titre, comme Où, et gloser dix minutes sur le ù barré, cela ne saurait suffire à mes faims de textes. Je me souviens soudain avec gourmandise de ces dizaines d'heures d'émissions butoriennes sur France Culture ! Quand quelqu'un a parlé de toupie, j'ai écrit sur ma feuille : « toupie or not toupie.» Et je suis allé aux toilettes. Et puis un haïku, pour commémorer ce pathétique. Michel Butor passe
sous les nuages d'automne nous restons bouche bée Encore un espoir pour demain. C'est ça, mon problème : l'espoir. L'entêtement dans l'espoir. Un camarade me dit qu'il y a renoncé, que c'est l'âge. Qu'il ferait mieux d'aller lire Butor en bibliothèque... Moi, je reviendrai quand même demain. commentaires
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Samedi 27 septembre 2008. Des butors, il nous en faudrait des nuées. L'espoir paie. Les amis d'hier qui ont renoncé à venir aujourd'hui auront raté le meilleur. Le pessimisme est aussi une forme de bêtise... Et puis le temps s'annonçait beau, les oiseaux fastes dans le ciel, les feux au vert dans les rues. J'arrive dans la salle de l'Université Rikkyo à 10h40, trouve déjà excellente l'intervention d'Akane Kawakami, « Désir liminal : M. Butor autour du Japon », puis me raisonne pour la suite, pour ne pas être partial parce que je connais la personne. Mais rien n'y fait, dès la deuxième minute, c'est un raz-de-marée chez moi et dans la salle, l'évidence de l'excellence conjointe du propos et du ton, cet amalgame miraculeux qui subjugue et passionne sans retenue possible. L'intervention de Michaël Ferrier, « Ruser avec la clôture : portrait de Butor en volatile japonais », que l'on pourrait sous-titrer « Le héron du Japon », restera dans les mémoires — et mérite largement de voyager dans les tuyaux électroniques. Sur ce point d'orgue, je rejoins T. au Saint-Martin où une excellente carbonade de bœuf m'attend. Dans l'après-midi, pendant que T. continue son étude épistémologique des corpus littéraires dans l'internet, je vais lire à la médiathèque de l'Institut et y retrouve par hasard un livre de photographies que j'avais feuilleté il y a quelques années et dont j'avais un vague souvenir... « Adieu museaux, truffes, groins, encolures, muscs, haleines et babines. Où sont les butors tachetés, Les couroucous, les touracos, Le siffleur et le commandeur. Les attitudes et les empreintes ? » (Les Naufragés de l'Arche / photographies de Pierre Bérenger, texte de Michel Butor, Paris : La Différence, 1994 [rééd. augmentée de 1982], p. 18) « Disparus... Les perroquets et les perruches Cacatoès aras loris Amazones et papegais Les couroucous les touracos Tous les yeux toutes les oreilles Se gavaient d'échos et reflets Étincelles de délivrances Parmi les grondements des faims Le petit butor de Cayenne Le butor jaune du Brésil Le butor de la baie d'Hudson Le pouacre ou butor tacheté L'enfant Butor qui les aimait Ne se lassait de leurs plumages Qui pour lui étaient un ramage L'enfant butor devenu singe » (Id., p. 97) « Le vieux butor a rajeuni, voici qu'il devient moins frileux. Les portes se rouvrent. Il entre maintenant dans une salle dont il n'avait pas encore rêvé, salue l'oncle Milne-Edwards qui se réveille, et tous les enfants qui recueillent des bouquets de pépites neuves dans les regards de verre liquide. [...] Nous comprendrons alors que ces bâtiments devront ressembler à une aérogare. Salut hall des guépards et des buses, salle des lynx et milans perdus ! Ce sera l'heure des symbioses.» (Id., p. 125) Mais je doute de l'efficacité politique de l'œuvre de Michel Butor. Ils l'ont répété hier et aujourd'hui, qu'elle l'était, politique. Et je vois bien ce qu'ils veulent dire. C'est vrai. Et c'est beau. Mais c'est d'une façon beaucoup trop délicate et discrète pour toucher jamais ni les larges populations de plus en plus aculturées, formatées pour être intellectuellement stériles et obéissantes, ni les élites gouvernantes et possédantes qui se nourrissent de littérature de violence, de compétition, de nationalisme — de vulgarité, pour le dire en un mot. Et qui n'ouvriront, les unes comme les autres, jamais un livre de Michel Butor. Aujourd'hui même, un ministre japonais, nommé il y a trois jours, vient d'être démissionné pour avoir affirmé que les syndicats étaient un cancer qu'il allait éliminer du monde du travail. C'est le même qui affirmait en 2005 et 2006, quand il était dans le gouvernement Koizumi, l'homogénéité de la race japonaise, l'engagement volontaire des femmes de réconfort et l'inexistence du massacre de Nankin. Et qui venait d'être repris il y a trois jours par le nationaliste Taro Aso. Contre ça, partout dans le monde, des butors, il nous en faudrait des nuées. Marqué à l'entrée des Éditions de la Différence, cette phrase de Jacques Lacan : « C'est à son anti-intellectualisme, assurément, qu'on reconnaît une crapule.» commentaires
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Dimanche 28 septembre 2008. Promo de miel d'acacia. Assurément, Dada n'aurait pas voté pour la conservation du Cabaret Voltaire. D'ailleurs, Dada n'aurait pas voté. Dada aurait certainement ri aux éclats de voir que Gallimard proposait ses livres au format numérique au même prix que les livres en papier. Moi, je n'ai pas ri mais j'ai envoyé un courrier : « Bonjour, Si je ne fais pas erreur, je vois que le livre au format numérique est au même prix que le livre papier. Alors que le format numérique ne coûte rien, ni en papier, ni en transport, ni en stockage, et pour le peu qu'il a coûté en maquette puisque c'est à peu près celle du livre papier. C'est tout à fait scandaleux ! J'espère que vous réviserez bien vite cette position commerciale et... éthique. Un lecteur du Japon.» Le genre de truc qui ne sert à rien. — Un peu comme Dada, alors ! Mais Dada aurait dévoré l'entretien d'Article 11 avec Éric Chevillard. J'en extrais ce cliché des clichés des auteurs qui s'y croivent quand ils sont invités dans Un Livre Un Jour... « [...] Dans Préhistoire, par exemple, la situation de départ est devenue la scène sur quoi se referme le livre, parce que le personnage a tout bonnement refusé de prendre ses fonctions de gardien de la grotte ornée où il se trouvait affecté ainsi que celles de héros de mon roman et qu’il m’a fallu tout au long de ce livre le convaincre, l’amadouer, insidieusement le conduire à entrer dans son rôle. Je me moquais un peu là des écrivains qui prétendent que leurs personnages leur échappent et dictent leur loi, ce qui m’a toujours paru être une affirmation de très mauvaise foi et d’une affectation ridicule.» Et Dada aurait cru Federman, qui imagine Palin envahissant la russie... Sinon, ici, c'est beaucoup plus calme que les jours précédents. La recherche reprend ses droits, quand je ne suis pas en train de répondre à Vinteix... À la pause thé, T. m'a lu le chapitre où Beaufort enfin s'échappe. Superbe mise en scène de la performativité du langage : il expose un de ses « quarante moyens d'évasion », puisqu'on lui a posé la question, et, joignant le geste à la parole, il sort du pâté en croûte les poignards, la corde et la poire d'angoisse qui vont servir à l'évasion. Dans la diégèse, parole et action sont bien deux choses différentes, juste synchrones, mais à la lecture, c'est bien la parole écrite qui produit les instruments et l'évasion... Suis sorti tout de même en vélo, malgré la grisaille qui menaçait mitraille. J'ai fait près de 10 kilomètres et il n'y a guère qu'au retour qu'il commençait vaguement à bruiner. Au Seijo Ishii de Korakuen, promo de miel d'acacia et de confitures Saint-Dalfour. Et, par intermitence, enregistrement de la série des Nouveaux Chemins de la connaissance sur la toupie l'utopie. Faut que j'écoute ça rapidement. commentaires
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Lundi 29 septembre 2008. La petite laine en question. Jour de pluie et température d'automne. Redécouverte des petites laines. Dingue. J'ai réussi à récupérer une émission ratée en juillet ! L'anniversaire des dix ans de Mauvais Genres avec une heure et demie d'extraits d'œuvres littéraires japonaises ! Je ne sais pas comment ça a pu m'échapper. Qu'est-ce que je faisais le 6 juillet, lendemain de la diffusion ? En tout cas, si quelqu'un veut encore écouter ces belles lectures tant qu'elles sont en ligne, c'est par ici. La longue série — c'est rare — de commentaires avec Vinteix s'est prolongée par une bonne surprise : qu'il serait du colloque où je dois aussi me rendre fin octobre à Fukuoka. J'y avais pensé puisque je sais qu'il y habite mais n'ayant pas encore la liste des participants, je ne m'étais pas avancé... Du coup, je lui laisse un message téléphonique et il me rappelle juste comme je m'installe dans la médiathèque de l'Institut. On tombe d'accord sur le danger des échanges par courriel ou commentaires, déjà signalé, et que même avec de vieux amis, le ton n'est pas toujours perceptible ou pas toujours perçu et qu'il arrive parfois que le malentendu se développe pour rien. Ça me rappelle des tirades sur la connivence — qui s'en souvient ? — il y a trois ou quatre ans, résumées finalement en juin 2006 en [vouloir & croire] × [produire & transmettre] >> de la nuance. Pour faire une équation complète, il faudrait intégrer les paramètres médiologiques et faire une boucle. Soit A et B : A = ([1 VS combien ?] = [moi VS qui ?]) + ([vouloir & croire] × [produire & transmettre de la nuance]) et B = ([combien ? VS 1] = [qui ? VS moi]) + ([vouloir & croire] × [produire & transmettre de la nuance]). Si A > 0 => B > 0, alors A'. Si A' > 0 => B' > 0, alors A''. Si A'' > 0 => B'' > 0, alors A''', etc. Si ce n'est pas clair, je reprends en langage normal... A est donc un message produit et envoyé. B est la réponse d'un quidam ou plusieurs réponses d'un quidam ou de plusieurs quidams. La réponse de B entraîne une réponse possible sous la forme A', et ainsi de suite. Or les conditions de production de A, B, A', B', etc., n'étant jamais les mêmes et aucun contact direct (visuel ou auditif) ne permettant de relier hors-texte A et B pour les rendre homogènes ou raccords, la nuance, matière fragile et volatile s'il en est, ne sera transmise que dans un faible nombre de cas, et dans tous les autres cas provoquera schématisme, simplification, frustration, malentendu, et autres oiseaux de malheur. Ceci dit, même avec visu... Nos voisins d'en face, à neuf ou dix mètres en contrebas d'un demi-étage, famille d'expatriés dans 200 mètres-carrés (à vue de nez) (avec trois enfants), ont inventé un nouveau truc, ce soir : deux phares disposés au sol sur leur balcon pour jouir de la vue de leurs plantes brillantes d'humidité. Belle idée pour une mentalité pavillonnaire avec jardin privatif. Sauf que ces phares de piste aérienne nous éclairent la façade autant qu'érables et yucas. Comment n'y ont-ils pas pensé ? À moins qu'ils ne voient nos fenêtres, et notre présence vivante de temps en temps, que comme un décor type fond d'écran. Quand madame était au téléphone, j'ai donc sorti la lampe torche de secours et l'ai éclairée en retour. Réaction instantanée, le fauteuil tourne, elle ne peut pas me rater puisque ses phares m'éclairent. Surprise et gêne. Mais. Tout de suite cachée. Réfugiée dans la cuisine. On ne va pas ouvrir la fenêtre et communiquer avec un fond d'écran, même quand il vous affiche un message d'alerte. J'imagine quand même qu'elle a compris et je rentre avec ma lampe éteinte. Mais deux minutes après, je la retrouve dans son fauteuil en train de tapoter sur un portable wifi, les projos extérieurs toujours sur nous. Je ressors derechef et rallume sur elle et autour d'elle, dans son grand salon, histoire que le faisceau produise bien des variations de lumière inratables. Ça ne passe pas inaperçu mais elle fait celle qui ne voit rien, ou qui s'en fout. Je rentre mettre la petite laine en question et quand je reviens, je la vois tout au fond de son salon par terre avec son portable, près du canapé où vaguement quelqu'un d'autre est allongé. Son mari. Ça cause. — Oui quand même on ne peut même pas faire ce qu'on veut chez soi. — Ouais m'enfin tu vois bien que ça les dérange. Mets-toi à leur place. — Ah c'était pas comme ça à La Châtre. Quelle idée aussi j'ai eue de te suivre au Japon. Ne me demandez pas pourquoi La Châtre. J'imagine... J'aurai pu dire Issoudun ou Cambo-les-Bains. Mais je ne vais pas rester ma torche à la main. Je vais bricoler une installation bien focalisée, un faisceau chirurgical. Je la pose donc avec une petite cale de façon à ce qu'elle éclaire précisément, entre mes barreaux de balcon, l'angle où ils se sont réfugiés. Et je rentre préparer du thé. Trois minutes après, T. qui passse par là me dit qu'ils ont éteint les phares, tiré les rideaux et les doubles rideaux. Elle dit un grand merci dans le noir. On éteint la torche, on range la cale. Fin des communications. commentaires
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Mardi 30 septembre 2008. Avant d'être balancé par-dessus bord. Débordé ! J'ai dormi cinq heures et T. pas du tout. Elle avait son article à finir pour aujourd'hui. Je l'ai soutenue moralement (elle n'en avait pas du tout besoin) jusqu'à deux heures du matin. En lisant des blogs... Elle pensait boucler et se coucher, et puis... quand mon réveil a sonné, elle était toujours en train de taper. Mais bizarrement sans fatigue apparente. Peut-être parce qu'on a des sièges bien ergonomiques. Après je suis parti pour Nagoya, sous légère bruine, et j'ai redormi une bonne partie du shinkansen — comme si c'était moi qui avais passé une nuit blanche. Puis j'ai repris mon Ruffel, toujours aussi pertinent. « L'archive, faut-il le rappeler, est devenu le lieu fondamental de la nouvelle histoire et même d'une nouvelle éthique historique, qui a profondément influencé les romanciers : l'archive, lieu où les monuments se transforment en documents et vice-versa ; lieu de la vraisemblance historique, garante d'un certain rapport au réel, où le potentiel d'adéquation entre espace symbolique et espace référentiel est le plus fort. Or, celle de Volodine, non seulement est totalement délirante, mais en plus elle attribue à des personnages les livres de l'auteur lui-même, exhibant ainsi son effet-fiction dans un lieu consacré habituellement à l'effet de réel. Cet exemple possède une signification profonde, tant il touche, et d'une certaine manière parodie, un trait d'époque.» (Lionel Ruffel, Volodine post-exotique, p. 55) Puis deux cours, une réunion, deux discussions avec des collègues, quelques courriers urgents et c'est déjà 19 heures ! Je réussis à rentrer avant que la pluie ne forcisse, me change pour aller au supermarché en vélo avec imper à capuche et pantalon imperméable. Ça tombe dru maintenant et, pédalant, j'ai de l'eau jusque dans les yeux. Il faut attendre d'être garé devant le supermarché... pour m'apercevoir qu'il est fermé. Jour d'inventaire. L'autre supermarché est à un kilomètre. Impossible sous cette pluie. Pour ne pas entamer mon capital santé — qui ne fait pas crédit — je me contenterai de ce que j'ai dans le frigo : pain, yaourts, et des petites saucisses que je vais préparer au pesto et avec des tomates séchées.... ... en regardant Ce soir ou jamais du jeudi 25qui me plaît beaucoup. D'abord, la discussion avec Bertrand Blier, très franc, tant sur ses films que sur l'époque. Puis la discussion sur le climat et le comportement. D'un côté, Michel Serres et Jean-Louis Étienne, en défenseurs d'une planète menacée et qui essaient d'élever le débat au-dessus de l'alarmisme médiatique, en soulignant le temps long, les changements démographiques et les excès stupides du consumérisme, de l'autre Jean-Marc Fédida et Serge Galam qui, bien que venant de sphères différentes, refusent de concert d'accepter la responsabilité humaine du réchauffement climatique au nom de la liberté, d'une part, et des incertitudes scientifiques, d'autre part. Ces deux derniers suent la mauvaise foi et ils ne s'en rendent même pas compte. Ils représentent une forme de justificationnisme décomplexé, très étonnante, mais finalement équivalente, toutes proportions gardées, à ce que sont les traders dans les marchés financiers : des gens prêts à parier le capital des autres, quand bien même ils peuvent savoir que ces autres n'en ont plus. Plus tard, j'entends Jean-Claude Trichet dire des choses du genre : « Nous sommes là pour inspirer confiance.» Désolé. Ce n'est plus possible. Si ça l'a jamais été avec moi. Il ferait mieux de nous demander d'inspirer avant d'être balancé par-dessus bord. Agissez d'abord. Abattez la financiarisation outrancière ! Condamnez les coupables ! Interdisez les paradis fiscaux et les évasions de capitaux ! Cessez de jouer comme des enfants sur des variations de variations d'indices ! Quand ce sera fait, alors, peut-être, revenez et demandez la confiance ! Nous verrons. Au lieu de cela, on va commencer par faire payer les contribuables, punir trois lampistes et relancer les moteurs. Dans six mois, les financiers sauront qu'ils ont encore des réserves à cramer : ils pourront aussi compter sur l'argent gratuit des gouvernements et des banques centrales... À moins que les rachats soient vraiment des nationalisations et des renationalisations. Mais dans ce cas, on ne parle plus de capitalisme ! (Et c'est bien ça qui fait tituber le Congrès américain — parce que Bush, lui, il n'a plus rien à perdre, dans trois mois il se tire et il leur (et nous) laisse toute sa merde). commentaires
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Jeudi 4 septembre 2008 à 0:37
on peut déjà se délecter - oui, merci, et voilà qui me réveille un peu
Jeudi 4 septembre 2008 à 2:43
Oh, oui, attendre de Courir en octobre.
J’avais, ces temps-ci, beaucoup de difficultés à venir lire ce que tu écrivais. Beaucoup de ruptures, de pannes. Peut-on changer son signet dans les favoris ? La couleur également — est-on casanier ! — des environs de ton “journal” contrariait parfois.
Jeudi 4 septembre 2008 à 10:07
Oui, je pense qu’on peut fixer le signet (j’espère !). Je voulais attaquer les couleurs des marges mais j’ai été rattrapé par les problèmes de base de données. Sans parler du rangement / déménagement…
Je vais m’y mettre. je verrais bien une sorte de pastel ton sur ton…
Jeudi 4 septembre 2008 à 16:06
Attendre octobre pour courir, ça va être long.
Jeudi 4 septembre 2008 à 16:51
On peut toujours courir en attendant, on sera déjà dans le rythme !
Vendredi 5 septembre 2008 à 4:27
Echenoz ! Vite ! Ouaaais !
J’attendais. J’attendais.