Jeudi 1er
mars 2007. D'où qu'on aille... Une journée à Kyoto. Grand soleil. Enfin un peu de temps pour découvrir la gare. D'habitude, on la traverse du sud au nord pour aller vers le centre-ville. Or, tout change en tournant de 90 ° pour prendre les 200 mètres d'escalators en ligne... vers la plateforme d'hélicoptère. Et redescendre par une royale enfilade d'escalators à l'intérieur d'un grand magasin Isetan. Bus 17. J'ai potassé dans le shinkansen : le seul qui mène directement à l'Institut franco-japonais du Kansai, au nord-est de la ville. Photos de derrière le chauffeur où je me suis perché. Midi dix, j'y suis, Alain et Éric descendent l'escalier (avec Alain, la dernière fois, c'était sur le trottoir près de Censier...). Ça faisait plusieurs années que je n'étais pas entré dans le bâtiment. Belle restitution de la façade, épure du jardin et ample modernisation de l'intérieur. Midi trente, nous sommes dans les bois, à l'assaut d'une colline, pour déjeuner au restaurant Mo An — Bravo, Éric ! Un excellent choix ! Et introuvable si on n'est pas initié. Grosse chaleur, surtout à force de marcher avec laine polaire et parka. On a laissé Alain reprendre sa tâche de direction des cours, j'accompagne Éric à son bureau, quelque part dans l'université de Kyoto, de l'autre côté de la rue (nouveaux bâtiments, je ne reconnais rien). Puis, un petit kilomètre à pied sous un quasi-cagnard, pour atteindre le Kyoto Handicraft Center où il concentre ses achats de cadeaux (il part en France demain). Je l'attends au coin livres, pour me refroidir aussi, après avoir trouvé un très beau livre sur la porcelaine japonaise à l'ère d'Edo (Imari), en français et en anglais, avec lequel j'apprends ce qu'est la couverte, ou les pernettes (le genre de choses qui me font espérer la retraite et la déconnexion totale...). Longeons le Heian pour aller au salon de thé Au Temps perdu (en fait, derrière le musée où T. et moi sommes venus voir l'expo Fujita l'été dernier), thé moyen mais excellent baba à la crème et au rhum (je n'ai pas goûté le pudding au thé d'Éric, mais ça avait l'air bon). Le soleil baisse, la fraîcheur saisit, je referme la laine polaire pendant que nous revenons vers la rivière Kamo, en face de l'hôtel Okura. Berge où nous nous quittons (il a à faire ses bagages et le poignet foulé de dimanche l'handicape un peu). Je m'engage vers le centre, par les ruelles de Pontocho, tout est déjà allumé, paré pour la nuit et les dépenses somptuaires qui ont cours par ici. Quelques courses dans l'Isetan de la gare (où tout le monde se presse, à Kyoto comme ailleurs, il est bientôt 19 heures). D'où qu'on aille, petits cadeaux à ramener pour les siens. Aux lecteurs, cette composition florale à l'entrée du restaurant Mo An. Retour à Nagoya par le shinkansen de 19h09, bondé. Pages de Chevillard dans trains et métros, j'en reviens avec plaisir à Démolir Nisard, lâchement abandonné il y a quelques mois... « L'ivoire des crânes les plus durs est le beurre de ses tartines.» (p. 56) Commentaires1. Le jeudi 1 mars 2007 à 21:44, par Manu : Alain et Eric, mais je les connais (un peu) tous les deux ! 2. Le jeudi 1 mars 2007 à 22:14, par caroline : Comment abandonner "démolir Nisard" ? Je n'ai pas pu m'en décoller dès que je l'ai acheté. 3. Le vendredi 2 mars 2007 à 00:16, par brigetoun : je ne connais rien ni personne, mais j'ai aimé les photos, la ballade même si vraiment très rapide et savoir que pour une fois je connaissais quelque chose que vous ignoriez (la couverte) 4. Le vendredi 2 mars 2007 à 02:48, par Yasmine : Quel beauté le restaurant Mo An (cela veut-il dire quelque chose?) ... lui aussi qui fait rêver de déconnexion ! (Cela dit lorsqu'on a un enfant, on se dit que la connexion perdurera malgré soi !). J'avais vu déjà des photos de Kyoto, magnifique, depuis un lien chez vous Colour Lounge. En tous cas, la nourriture a la part belle dans vos notes, et donne souvent l'eau à la bouche ! Et ces trois petites fleurs toutes simples sont toutes belles dans ce beau pot en pierre. Décidément, tout semble prétexte à voyager dans vos journées et dans les posts de vos journées. On lit à propos des pernettes (qui rappelle une poète !) et on se retrouve en Italie et à Majorque quelques siècles en arrière. Du voyage dans le voyage dans le voyage ... c'est chouette. 5. Le vendredi 2 mars 2007 à 03:56, par Berlol : "An"
c'est une cabane et "mo" c'est des herbes qui poussent. Donc, peut-être
"cabane au milieu des herbes", voire "cabane d'herbes"... S'il y a des
spécialistes... 6. Le vendredi 2 mars 2007 à 06:36, par Dom : An,
c'est plus qu'une cabane, c'est un terme quasi technique pour désigner
les ermitages bouddhistes ou les retraites des lettrés. Mo, ce n'est
pas simplement les herbes qui poussent, la connotation est à proprement
dire celle de luxuriance, foisonnant, richesse, magnificence, etc.,
plutôt au sens propre pour le feuillage que pour les herbes. 7. Le vendredi 2 mars 2007 à 08:19, par Yasmine : Dieu que c'est riche ... merci pour les précisions, cela fait rêver en vérité. 8. Le samedi 3 mars 2007 à 03:49, par eric : Depuis
Paris, où j'ai été cueilli par une pluie torrentielle, j'abonde dans le
souvenir déjà nostalgique de cette belle journée de jeudi. Et merci à
Dom pour cette notule érudite qui, la prochaine fois, donnera encore
plus de prix à la jouissance de ce locus amoenus. 9. Le samedi 3 mars 2007 à 05:41, par Manuzik : Avec plaisir ! 10. Le samedi 3 mars 2007 à 05:47, par Berlol : D'ailleurs, y'a des chances, Éric, que tu connaisses aussi Dom... |
Vendredi 2 mars 2007. Soleil,
nuages, pluie, au mépris. Je regarde alternativement la fenêtre de notes à l'écran et le livre La Télévision (pour préparer le cours de demain). En fait, là, je regarde la couverture du livre, dans la collection Double de Minuit, avec une photo d'un écran neigeux qui éclaire deux pieds nus et croisés. Sans doute des pieds d'homme. Je me disais que Toussaint (Jean-Philippe) pouvait encore écrire dans les années 90 qu'on regardait la télévision, dans le sens direct, défini, le plus dénotatif qui soit, et sans entourloupe. Ce matin par exemple, je ne regardais pas la télévision. Je regardais un écran de télévision avec une chaîne japonaise, dans le seul but de voir les prévisions météo. Et d'un autre côté de la pièce, je regardais l'écran d'un ordinateur dans lequel une fenêtre accueillait le journal de 20 heures de France 2, à ma demande de 8h15 heure japonaise soit 0h15 heure française. Plus souvent sur le programme français, pour voir les personnalités et les sujets traités, mes yeux ne faisaient que de brèves incartades vers le téléviseur, surtout pour les petits logos soleil, nuages, pluie, au mépris des émissions people et cuisine du matin. Quinze ans après Toussaint, il vaut donc mieux que je dise que je regarde de la télévision. Qu'y a-t-il dans ce passage du défini au partitif ? C'est toute une histoire, me disais-je pendant la réunion matinale de la faculté... Préfixe et radical, télé et vision, nomment d'abord un phénomène (on le sait mais on l'oublie), celui de voir ce qui est loin, ce qui n'est pas devant mes yeux, dans mon champ de vision naturelle, avant d'être le nom d'une technologie ou d'un objet. Téléviseur : viseur de ce qui est loin... D'ailleurs étonnant, ce fait de viser (d'où les mires, peut-être), et que ce ne soit pas visionneur, ou visionneuse... Imaginez-vous disant : j'ai acheté une télévisionneuse... L'abréviation en télé tout court fait l'économie lexicale de la vision puisqu'elle est là, de toute façon. Mais alors, il y a télévision quand je découvre cet historique de JCB — multivision, même, et lui avouer que je n'avais pas fait cette rétrovision de son site, qu'il fait bien de la proposer. Et télévision quand je parcours quotidiennement des yeux les blogs de mon choix, découvrant par exemple les versions rénovées de ceux d'Emmanuelle Pagano (flambant neuf) et de Chloé Delaume (bien retapé, sans plus). Et télévision quand vous lisez ceci : ceci est en ce moment votre télévision ! (Dingue, non ?) Et il y a télévision aussi dans ma tête quand, dans le shinkansen remontant la côte vers Tokyo, j'écoute en enfilade plusieurs épisodes du feuilleton Dylan, ou le remarquable Surpris par la nuit récemment consacré à la Samaritaine. Bref, si l'objet apparu dans les années 60 du siècle dernier perd sa place centrale dans la communication nationale, au profit (?) d'une multiplicité d'écrans techniquement sans frontières (réception satellite, câble, réseau, etc.), il est normal que le mot télévision perde lui aussi son aspect défini pour passer dans le domaine du fractionnable, du multiple, de l'imprécis — et du partageable. L'attention qui s'est focalisée sur cet objet pendant quarante ans d'une lente dégradation vers le profit et l'abêtissement des masses peut sans problème (?) se reporter sur une infinité de propositions en réseau. Ce qui n'empêche pas la surprise. C'est ainsi qu'en dînant à la maison d'un superbe plat de takenokos (c'est la saison), après être allé boire un verre de vin avec T. et deux autres amis au Saint-Martin, je me passionne à revoir un film américain qui décortique un (mortel) jeu psychologique entre cadres de l'espionnage qui ne quittent pas leur QG, la jubilation provenant de l'écran opérationnel que l'un d'eux arrive à construire dans la tête des autres (qui ne sont pas les premiers venus) tandis qu'il téléguide en secret et sur sa prime de retraite une opération de sauvetage dans une prison chinoise... (Dernièrement, le cinéma américain d'espionnage et de guerre n'était pas très jubilatoire... Ce Spy-Game (T. Scott, 2001) d'avant la série 24 Heures Chrono — qui ne brille guère par son humour — fait exception.) |
Samedi 3 mars 2007.
Impossibilité de l'espérance en
littérature. Des pages 183-197 de La Télévision, on retiendra surtout que Jean-Philippe Toussaint aime à balader le lecteur — cette fois, dans un musée de Dahlem pour voir des Dürer et Charles Quint. Il veille bien à nous faire croire que son narrateur connaît son musée par cœur. Ce qui aurait le don d'énerver les (mauvais) lecteurs (surtout ceux qui ont déjà un a priori contre Toussaint) est en fait une nécessité structurelle de l'œuvre littéraire : lisant le narrateur, il faut qu'on croie à son aisance dans les lieux pour qu'allant aux lieux d'aisance il se ridiculise égaré dans la chaufferie. Quantitativement, il y a bien plus de considérations de sandwich au gouda (186), tuyaux (194), écrans (195), et autres détails du monde vulgaire, que de propos sur les tableaux vus au musée... De même que le chercheur accouche plus facilement d'idées sur les idées que d'idées sur sa recherche. On rapprochera aisément cette technique de suspense déceptif de celle du mot qui fait tache. Le mot qui fait tache, ça consiste à disposer, dans un volume textuel d'une certaine tenue et d'un certain ton, un mot et un seul qui soit d'un tout autre registre, de sorte qu'il surprenne et déçoive le lecteur qui se croirait en terrain connu et comme en visite dans un monument culturel (Où qu'i s'croit, ç'ui-là ?). Ainsi du mot « caleçons » (191), quand il est question de notations dans des carnets. Ainsi du mot « enculer » (193), anodinement glissé dans un jeu de petits chiens. « Je regardais les tableaux et diverses pensées commencèrent à me venir à l'esprit, qui se faisaient et se défaisaient lentement dans mon cerveau comme l'eau se combine dans la mer pour faire naître les courants, et, de toutes ces pulsations irrégulières qui me parcouraient les neurones, de ce désordre, de ce chaos interne, naissait un sentiment de plénitude et l'apparence d'une cohérence.» (Jean-Philippe Toussaint, La Télévision, p. 188) Après le déjeuner au Saint-Martin, je rentre pour lire. Et enregistrer des émissions de radio, activité en retard cette semaine. À noter, une belle envolée de Régis Jauffret, à la fin de la deuxième partie du Tout arrive de jeudi, sur l'impossibilité de l'espérance en littérature... (Ce qui fonde paradoxalement l'espérance en la littérature.) Céline Minard y est très bien aussi, parlant du Dernier Monde. J'espère pouvoir trouver le temps de lire les deux. Recoupant certaines de mes réflexions actuelles (et notoirement inabouties), le Surpris par la nuit intitulé « Contrôle d'identité(s) », avec Hélène Cixous, Olivier Cadiot (et al.), va, j'espère, m'aider à progresser sur ce sujet (malgré quelques problèmes dans la qualité sonore). Pendant ce temps, fin du billet d'hier, lecture de blogs et réfection partielle des liens dans ma colonne de droite. J'enlève des inactifs, j'ajoute quelques affinités littéraires — toujours peu : les portails, les moteurs et les agrégateurs ont rendu obsolètes les longues listes de favoris en ligne (c'est mon opinion). La Quinzaine littéraire fait une offre très intéressante aux étudiants. À saisir ! |
Dimanche 4 mars 2007. On essaie
toutes les chaises. Matinée de lecture. Parmi les nouveautés de Gallica, Le Figaro depuis 1826. On peut lire cela pour toutes sortes de raisons. « Porte-plumes incaustifères* à réservoir d'encre continu Ces porte-plumes sont de la forme et de la grosseur d'un crayon ordinaire ; toutes les plumes métalliques s'y adaptent, et ils contiennent la quantité d'encre nécessaire pour écrire pendant dix-huit heures. On les porte dans la poche ou dans un portefeuille, sans crainte que l'encre vienne à s'échapper. Les hommes de loi, les médecins, négocians, agens de change, voyageurs, les élèves des écoles, et toutes les personnes qui ont souvent à prendre des notes et à écrire hors de leur domicile, apprécieront l'avantage d'une invention qui rend l'écritoire inutile. Prix : 2 francs.» (Le Figaro, 4 mars 1838, p.3 — l'orthographe est d'origine) Malheureusement, quand le journal passe à des colonnes plus serrées, la version Gallica est quasiment illisible, parfois floue. Tout est à refaire, je le crains. Idem pour L'Humanité (de 1904 à 1937, à ce jour). On aurait par exemple aimé lire l'article intitulé Exploitation éhontée de la femme du 4 mars 1907, mais plus on zoome plus on perçoit les pixels — et moins on y lit de lettres. Si quelqu'un voit une autre solution... Il y a aussi La Croix (1883-1924), Le Supplément littéraire du Figaro (1876-1926), Le Temps (1861-1935). Tous illisibles. En revanche, la thèse de François Picavet sur Les Idéologues (1891) est parfaitement lisible. Six cent vingt-huit pages, tout de même... Qu'on se rassure, je ne l'ai pas lue ce matin. Juste parcouru quelques pages. Assez pour voir que c'est plutôt intéressant, et que les mots idéologue et idéologie n'avaient pas encore la connotation négative d'aujourd'hui. Le XXe siècle les aura usés... Et puis on a finalisé nos feuilles d'impôts, déjeuné de restes d'hier et de jambon de Parme, avant d'aller marcher au hasard. Pâle soleil un peu dans l'après-midi et pleine lune le soir. Occasion pour moi d'apprendre à me servir de mon enregistreur Edirol (réglages, bruits à ne pas faire juste à côté, etc.). Finalement, de Jimbocho à Ochanomizu, puis encore, on est arrivé à Akihabara. Et comme on envisage d'acheter des chaises, on a visité le magasin Onoden, assez pas de gamme, et juste à côté Livina, plus chic et largement plus cher. On essaie toutes les chaises. On achète un porte-rouleau de scotch, un peu lourd pour que ça ne bouge pas quand on en tire et détache un morceau. Dîner dans un restaurant italien du nouveau bâtiment Akiba, Alioli, simple et bon. Un dimanche de mars, quoi. * Le mot incaustifère ne figure ni dans le TLF ni dans le Littré (ni dans Google [sauf bientôt, pour pointer ici]), et je n'ai pas le Grand Larousse du XIXe siècle à portée de main. Si quelqu'un en trouve la définition... (Peut-être du latin causticus, « qui brûle, qui corrode », avec suffixe -fère ; peut donc signifier qui est inusable, increvable, inextinguible...) On peut se demander si ce n'était pas une publicité mensongère parce que près de cinquante ans plus tard, Flaubert s'exclame, pour Bouvard et Pécuchet : « Continuellement le grattoir et la sandaraque, le même encrier, les mêmes plumes et les mêmes compagnons ! » Commentaires1. Le dimanche 4 mars 2007 à 17:34, par Manu : "pas de gamme" ou "bas de gamme" ? 2. Le dimanche 4 mars 2007 à 17:48, par Berlol : Ouais, merci ! J'ai corrigé ! Mais c'était presque ça, Onoden, vraiment pas terrible... 3. Le dimanche 4 mars 2007 à 23:54, par Dom : ubst.:
en-caustum (encaut- ), i., n., = enkauston, the purple-red ink of the
later Roman emperors, Cod. Th. 7, 20, 1; August. contra Faust. 3, 18;
Cod. Just. 1, 23, 6 al. 4. Le lundi 5 mars 2007 à 16:58, par Berlol : Intéressant. Mais je ne vois pas le sens que ça ferait... 5. Le lundi 5 mars 2007 à 23:19, par Dom : Porte-encre,
comme aquifère, calorifère ? Je ne pense pas que le préfixe in- soit
privatif, il me semble faire partie de la racine du mot suffixé. 6. Le lundi 5 mars 2007 à 23:26, par Dom : Hum hum, en fait c'est aussi l'étymologie du mot francais "encre"... 7. Le mardi 6 mars 2007 à 00:48, par Berlol : Merci, c'est un peu plus convaincant. Donc, ça veut dire "porte-plumes... à encre" ! Une forme pédantesque qui irait bien dans le sens de l'arnaque. Ceci dit, il a bien fallu que les stylos à réservoir d'encre apparaissent à un moment donné... Ici on donne 1884 et Waterman, mais on signale un brevet de 1827 qui pourrait bien être en rapport avec notre réclame du Figaro 1826 — qui était sans doute un "mauvais instrument" ! |
Lundi 5 mars 2007. Entre les
lourds nuages. Par hasard, comme souvent, je tombe sur le blog de Michel Onfray, ouvert en février, chez le Nouvel Obs. Je lis les derniers billets, parcours rapidement les précédents ainsi que quelques commentaires parmi les centaines de chaque billet. C'est sidérant. Il a littéralement détruit son image en cinq semaines (à mes yeux, au moins, mais j'ai l'impression de ne pas être le seul). Fatuité et suffisance. Tout le travail accumulé, celui d'un professeur de philosophie qui n'est pas lui-même philosophe, disparu derrière l'image d'un cyber-fat. Comment cela est-il possible ? Principalement par l'incompréhension ou le dénigrement de ce qu'est un blog. On est libre évidemment d'accepter ou pas les commentaires. Il en a déjà été débattu ici. On est libre également d'ouvrir les commentaires de son blog ET de ne jamais y intervenir soi-même. Mais dans ce cas, la liberté a un sens très précis : le mépris des autres par réintroduction d'une hiérarchie arbitraire dans un mode de communication réputé pour son égalitarisme. Ce qui tourne au fun total quand on connaît le côté verbalement libertaire d'Onfray. Ce mépris est d'ailleurs clairement dévoilé — après que des centaines de personnes l'ont exhorté à leur répondre — dans son dernier billet (en date) : « Habituellement je ne regarde pas les émissions télévisées enregistrées dans lesquelles je me trouve. Pas plus [que] je ne lis les articles, bons ou mauvais, qui me sont consacrés dans la presse nationale ou internationale. De même, je ne regarde pas les commentaires lâchés au pied de ce blog que vous lisez, ou je ne réponds aux lettres d’insultes, aux messages internet, ou aux lettres PTT qui exigent de moi une réponse parce que j’aurais dit, ici ou là, telle ou telle chose.» Où on lit bien (c'est moi qui souligne) que les commentaires — tous, donc — sont assimilés à des insultes. Je me suis bien gardé d'en lâcher. J'avais de l'estime pour Michel Onfray. C'est fini. Quant au contenu de ses billets, c'est juste une participation de plus dans la cacophonie de la campagne présidentielle. Ce n'est ni original ni bien écrit. En fait, si l'auteur n'était pas connu par ailleurs, ce blog passerait totalement inaperçu. On en revient au magnétisme de la notoriété et aux deux tropismes qui en résultent habituellement, les pros et les antis, les caudataires et les querelleurs, les uns prolongeant la pensée du maître dans tous les sens, les autres allant même jusqu'à faire un (ou des) contre-blog(s). Dieu que tous ces gens ont du temps à perdre ! Je retrouve T. pour le déjeuner. Elle prépare des tempuras très légères d'asperges, de tara no me et d'udo (独活). Un pur régal. Après avoir corrigé la typo d'un article pour un collègue de T., c'est l'heure d'aller au cinéma à l'Institut. Entre les lourds nuages et les forts vents tournants qui me rappellent ma première arrivée au Japon, en 1992, nous allons vers Le Concile de Pierre (G. Nicloux, 2006) sans rien savoir du film. Sommes plutôt agréablement surpris d'une bonne distraction, avec ce qu'il faut de pensée magique et de recyclage de religiosité (dont le monde a tant besoin, paraît-il). Les expériences sur le psychisme prétendument menées par des groupes marginaux dans les années 70 semblent d'ailleurs devenir un cliché, ces derniers temps. On trouve également cela à la base des constructions enterrées sur l'île du feuilleton Lost dont nous nous enfilons quatre épisodes (9-12 de la saison 2) jusqu'à pas d'heure, après avoir dîné d'un étonnant... cassoulet, au Saint-Martin — T. voulait essayer ça depuis des semaines, alors malgré la pluie battante... Commentaires1. Le mardi 6 mars 2007 à 01:18, par patapon : C’est vrai, ce blog d’Onfray est d’une désolante médiocrité. Se réclamer de la tradition grecque “hédoniste” (ou du moins non-platonicienne) pour en arriver à donner dans ce poujadisme d’aujourd’hui qu’est le josébovisme, quelle pitié… 2. Le mardi 6 mars 2007 à 01:52, par tef : "réintroduction d'une hiérarchie
arbitraire dans un mode de communication réputé pour son
égalitarisme". 3. Le mardi 6 mars 2007 à 02:12, par Berlol : Tef,
le mot important est "arbitraire". Il y a en effet une hiérarchie dans
le blog mais elle est "structurelle". C'est celle d'accepter, fermer,
modérer, supprimer, etc., les commentaires dans un espace différent de
celui des billets. C'est entendu. Dans la mesure où j'ai de la
considération pour les personnes qui prennent la peine de me commenter
et de rester courtois, que je leur réponds autant que possible (comme
maintenant), je propose "arbitrairement" une forme d'égalité, je crois.
Ce n'est visiblement pas le choix d'Onfray. 4. Le mardi 6 mars 2007 à 03:39, par christine : dans
toute communication entre personnes il y a de l'arbitraire, des
hiérarchies, plus ou moins d'écoute et de courtoisie ... mais à
l'égalité je ne crois pas trop 5. Le mardi 6 mars 2007 à 03:41, par tef : Ok, je suis. 6. Le mardi 6 mars 2007 à 03:44, par Berlol : Bien dit, Tef. Tout à fait d'accord. 7. Le mardi 6 mars 2007 à 09:03, par brigetoun : pour
Onfray je ne sais pas (ou si) mais votre blog était pour moi d'une
timidité de violette et je ne pouvais y accéder. (sans doute par la
faute de ma machine) 8. Le mardi 6 mars 2007 à 09:06, par brigetoun : votre commentaire a été envoyé. Il sera en ligne bientôt. Bien mais puisque vous êtes tolérant j'en lache un autre. Nous manquons de religiosité parait-il ? à mon humble avis nous allons périr engloutis dessous 9. Le mardi 6 mars 2007 à 15:33, par Berlol : Hélas, je le crains aussi. C'est bien pour ça que j'écrivais "paraît-il", je ne suis pas du tout solidaire de cette doxa. 10. Le mardi 6 mars 2007 à 18:32, par Manu : J'adhère également. C'est d'"éducation" dont le monde a tant besoin. |
Mardi 6 mars 2007. Sa
tragédie, elle non. Tiédeur et éclaircies quand nous sortons et montons nos vélos pliables. Pour la première fois de l'année, peut-être bien... Des courses à faire à Ichigaya et Akihabara (soit 2 km à l'ouest puis 5 à l'est). La différence avec le dimanche est évidente : des voitures et des camions partout, rapidité et agressivité des piétons. Il faut choisir des rues, des avenues plus dégagées, des trottoirs plus larges, aucun problème via Suidobashi. Au retour, arrêt pour visite du grand temple de Kanda (Kanda Miyoujin, 神 田明神), très décoré et superbement entretenu. Retour par Korakuen, sans s'arrêter parce qu'on a faim. Déjeuner — c'est mon tour — d'une salade tomates, mozarella et basilic, et de deux tournedos, saisis à la graisse de foie gras (conservée du pot offert par ma sœur fin décembre). Je laisse T. à des courriers familiaux et je vais à l'Institut voir Truands (Frédéric Schöendoerffer, 2006). Pas de surprise sur l'intrigue, c'est de la classique peinture de mœurs, celles du grand banditisme. Mais pas d'enjolivement ni d'hagiographie. Ils sont vulgaires, incultes, violents, machistes, sexistes, xénophobes, ne respectent pas leur parole, n'ont pour toute morale que l'argent. Un tueur solitaire, qui ne marche qu'au contrat, essaie d'échapper à l'enrôlement, ne veut pas ajouter la compromission du goût à celle du crime. À noter, au milieu du film : un personnage regarde un film sur un poste de télévision, c'est une scène de la 317e Section (1964, de Pierre Schöendoerffer, père de Frédéric), quand Bruno Cremer met une grenade dégoupillée sous un mort, pour que ceux qui viendront après se fassent sauter en déplaçant le corps ; je croyais que ça servirait de mise en abyme et j'attendais le piège : quand les cousins viennent dans l'appartement du solitaire, à la fin, j'étais persuadé que tout allait péter, mais non... Évitement spéculaire comme une volonté de ne pas rendre la pareille, de ne pas entrer dans le cercle infernal de la vengeance personnelle. Puis T. me laisse pour aller à une réunion universitaire. Je dîne en regardant Match Point (W. Allen, 2005). Propos en soi guère plus innovant que le précédent. C'est un conte macabre de l'adultère ordinaire. Mais avec la très chic société londonienne, l'accent, la classe. La finesse de la mise en scène et des dialogues n'évite pas un peu d'ennui vers le centre mou du film, peut-être nécessaire d'ailleurs pour faire fonctionner la mise en abyme, effective cette fois, du premier quart du film : le jeune instructeur de tennis et amateur d'opéra offre à sa future fiancée un disque d'enregistrements rares dont il vante les accents tragiques, à quoi la jeune femme est peu sensible... Il vivra sa tragédie, elle non. Et puis des choses dites sur le hasard, dans une conversation badine entre amis de fraîche date, trouveront leur illustration dans la surprenante ironie finale du destin. Donc, ni machiavélisme filmique ni téléologie comportementale. S'il n'y a ni libre arbitre ni prédestination, qu'y a-t-il ? L'errance, l'hésitation, le remord, le sursis. Commentaires1. Le mercredi 7 mars 2007 à 01:56, par brigetoun : pour la dernière phrase les gens nés juste avant moi (la génération des 20 ans en 40) auraient dit "le monde contemporain" |
Mercredi 7 mars 2007. Pensent
écrivain pensent livre. « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées », Churchill. Beau rappel de Serge Portelli dont le chapitre de son livre Ruptures sur les Faux bilans de Nicolas Sarkozy est plus qu'instructif. Quelques lignes après Churchill : « Dans toute statistique, l’inexactitude du nombre est compensée par la précision des décimales » (Alfred Sauvy). Superbe ! Sur le site de l'Institut franco-japonais de Tokyo, l'annonce de la Journée de la Francophonie, le 21 mars : « A la rencontre des pays de la Francophonie : Belgique, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Canada, République Démocratique du Congo, Côte d'ivoire, Djibouti, France, Gabon, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Québec, Suisse...» C'est un grand progrès de voir qu'une institution française accepte cette formulation déhiérarchisée, pour laquelle j'ai lutté (je n'étais pas seul de cet avis) quand je participais au conseil d'administration d'une association de pédagogie. Pas mal de boulot pour préparer (imaginer, scénariser) les cours de la rentrée. Nous apprenons la mort de Jean Baudrillard, aux infos de France 2 puis dans le journal japonais. Cela m'attriste parce qu'il savait comme personne faire danser les concepts et que ça faisait du bien quand on voulait penser contre ceux qui veulent que ça marche au pas. Je lui dédie ces quelques nuages. Sortons pour déjeuner au Saint-Martin, régler la facture à l'agence de voyage (pour un départ dans deux bonnes semaines, si mon visa est renouvelé d'ici là...). Depuis ce matin, je trouve que la lumière de l'écran m'agresse. J'essaie des distances de lecture et des tailles de caractères pour voir si ça vient de ma vision mais il semble plutôt que ça vienne de la lumière elle-même. D'ailleurs j'ai dû déjeuner en partie avec les lunettes de soleil. Et hier, je me rappelle que mes yeux larmoyaient un peu sans raison dans l'après-midi, c'est-à-dire après la sortie en vélo. Et que ce matin, j'avais un peu de névralgie au réveil... Il se pourrait bien que ce soit une forme de sensibilité au pollen, ou à la poussière, ou aux deux, combinés. À suivre de près, puisqu'il y a toujours prévision de lunettes (je ne suis pas contre, d'ailleurs, mais il faut que ce soit le bon moment). De lourds nuages
s'amoncellent
toujours délicieusement, dirais-je C'est après que... mais pas aujourd'hui camélias en sursis Après une sieste, yeux bien reposés, la douleur passe. Je prépare un chou-fleur à la vapeur, entier (ceux du Japon ne sont pas si gros que ceux qu'on trouve en France). Puis une sauce Mornay citronnée — au moins quinze ans que je n'avais pas fait ça. Enfin dans un plat, chou-fleur coupé en deux, bardé de jambon et nappé de sauce Mornay, j'enfourne 14 minutes à 200 °C. Quand je l'appelle à table, étonnement de T. qui était plongée dans le peaufinement d'un courrier congressionnel. Et c'est comestible, finalement. je suis
écrivain
je ne suis pas écrivain pour que je sois écrivain il faudrait qu'on me publie pour qu'on me publie il faudrait que je sois écrivain j'ai toujours su que j'étais écrivain et jamais souhaité qu'on me publie ni même demandé à on parce que on je ne sais pas qui c'est ni moi ni mes manuscrits ne sont soumis ni statut d'auteur ni statue d'hauteur maintenant je me publie moi-même tous les jours je me publie pour me souvenir et pas pour me subvenir je me publie je me donne je ne me vends pas je ne suis ni à vendre ni à acheter je suis à lire comme d'autres sont à lire je les suis quand je suis en train de les lire je sais s'ils sont écrivains en livre ou en ligne ils sont ou ne sont pas écrivains je plains ceux qui ne se sentent écrivains qu'étant publiés être étant publié devient un des tant publiés et qu'à tant publier il n'y a plus d'écrivains et tant de papier pour si peu d'écriture ici tant d'écriture pour si peu de papier personne ne peut nier que je suis écrivain tout le monde sait que je ne suis pas écrivain actuellement ceux qui pensent écrivain pensent livre presque personne ne peut penser écrivain sans livre je suis un écrivain qui a foison de textes néant de livres évidences en 2035 ou 2080 mais là d'un jour à l'autre personne ne peut dire si je suis écrivain ou pas pourtant ça chaque jour s'écrit qui ne peut être que de moi si on sait ce qu'est un écrivain parce que c'est un livre qu'on tient alors on ne sait rien le sait-on que l'horizon 2010 il est déjà derrière et qu'alors comme aujourd'hui je ne serai jamais écrivain parce que je l'ai toujours été Commentaires1. Le mercredi 7 mars 2007 à 10:37, par Yasmine : Oh ... en tous cas, c'est beau. 2. Le mercredi 7 mars 2007 à 11:09, par Bikun : superbe, magnifique...vraiment! Bravo Berlol! Je t'envoie tous mes bravos de Ménilmontant! 3. Le mercredi 7 mars 2007 à 12:00, par filaplomb : Je suis écrivain 4. Le mercredi 7 mars 2007 à 15:44, par christine : c'est
beau ... et ça touche forcément en un point très sensible tous les
écrivant(e)s / écrivain(e)s que nous sommes à des degrés divers 5. Le jeudi 8 mars 2007 à 01:03, par Manu : Sur un sujet se rapprochant: 6. Le jeudi 8 mars 2007 à 01:04, par Manu : Extrait: 7. Le jeudi 8 mars 2007 à 02:05, par Berlol : Intéressant, en effet. Merci, Manu ! 8. Le jeudi 8 mars 2007 à 11:08, par brigetoun : pas écrivain et datant je ne sais dire que : c'est épatant 9. Le jeudi 8 mars 2007 à 14:33, par atoyot : Est écrivain qui veut (ou) est écrivain qui peut? 10. Le samedi 10 mars 2007 à 01:33, par Berlol : Veut ? Peut ? Difficile de départager les deux. C'est souvent un effet de conscience. Les autres ne sont pas souvent d'accord... |
Jeudi 8 mars 2007. Porc qu'aucun
masque n'arrête. Un œuf n'est pas plus plein que ma journée — mais il sera peut-être meilleur. Lever au cri des corbeaux pour aller prendre un shinkansen dans lequel je me retrouve avec un gros poupin renifleur qui s'avale deux malodorants ekibens avant 10h30. Beurk ! Effluves de bouchée vapeur au porc qu'aucun masque n'arrête. Je me concentre sur la voix d'Agnès Desarthe... À 11h10, je suis au centre des impôts de Kanayama. C'est l'affluence des derniers jours. Vingt minutes de queue serpentine à l'entrée du préfabriqué, trente minutes de queue statique debout et encore quarante minutes de queue assise — par bonheur, j'ai mon I-River et, dans le train comme dans les queues, observant le paysage ou mes congénères, j'écoute parler de Mangez-moi chez Veinstein, puis un très réussi Affinités électives avec Pierre Alferi, j'entame même une des séances du colloque Butor de la BnF. Enfin, vient mon tour, expédié en quatre minutes de vérif, les calculs de T. se révélant corrects. Je ressors vers 12h45 avec presque rien à payer (précisons que j'ai déjà été prélevé à la source et qu'il ne s'agit aujourd'hui que d'un ajustement final...). Déjeuner de tonkatsu au centre commercial voisin, en lisant Laure Limongi. « [...] c'est le fameux esprit d'escalier. Où on se remémore la scène : "Ah oui, quand il m'a dit ça, voilà ce que j'aurais dû lui dire !" Et parfois dix ans après on se dit : "mais voilà ce que j'aurais dû faire...". Mais sauf que non, parce qu'on était jeune et idiot ou alors parce qu'on était distrait et saoul ou parce que, j'en sais rien, mais ça m'est toujours apparu comme une constante et qui me touche d'autant plus qu'elle mélange le burlesque et le tragique. Parce que ça peut avoir des conséquences tragiques mais c'est quand même très drôle d'être si inapproprié sans arrêt, on est tout le temps inapproprié, on n'a jamais la bonne taille, on n'a jamais l'esprit assez large ou assez rétréci [...] » (Agnès Desarthe, dans Du jour au lendemain, le 6 septembre 2006). « [...] Cingria, c'est un écrivain d'une très très grande liberté, et d'une liberté très particulière qui fait qu'il n'a presque pas de forme. Il écrit des textes très courts, qui sont souvent des dérives, des promenades, des choses vues, mêlées à toutes sortes de souvenirs, de réflexions, etc. Et il a une sorte d'agilité, de fantaisie vraiment unique, qui est dans sa phrase même, dans sa manière de promener sa phrase et... pour moi c'est une sorte d'idéal, je dois dire, de pratique de la syntaxe comme une forme, presque, de danse [...] » (Entre 95 et 97, à propos des deux numéros de la Revue de Littérature Générale créée avec Olivier Cadiot...) « Y'avait une sorte de dépression, je dirais, pas personnelle, mais de dépression ambiante, en tout cas c'est comme ça qu'on le percevait, dans le champ de la littérature et de ce qu'on pouvait penser dans la littérature, pas forcément au sens philosophique du terme mais on pouvait théoriser les prises de position esthétiques, etc., à l'époque en 94-95, le débat de ces questions était, pas impossible, mais considéré comme nul et non avenu, et ça manquait beaucoup, enfin ça nous manquait. [...] Et le désir d'une chose collective, il est venu et en même temps il est assez vite reparti parce qu'on a commencé à faire ça tous les deux, à susciter beaucoup de gens mais qui un par un travaillaient très bien avec nous mais qui ne formaient pas un collectif cohérent, du tout, et puis on s'est dit peut-être ça va émerger peut-être qu'on va rencontrer comme ça des jeunes écrivains avec des affinités entre eux et pourquoi pas avec nous et que ça continuera sous une forme plus collective parce qu'on n'aurait pas pu continuer tout seuls, on ne faisait que ça, pendant deux ans. Et ça n'a pas eu lieu.» (La prose n'est pas l'opposée de la poésie...) « Non, en effet, mais je n'ai pas d'idées générales là-dessus, c'est une question de rythme de vie, presque, c'est vraiment des rythmes différents. La poésie — enfin, dans ma pratique, pour moi, en tout cas — est toujours liée au présent présent, au présent immédiat. Elle s'écrit en une fois. Enfin, même si ça se retravaille beaucoup, c'est assez bref pour qu'on écrive un poème d'un coup. Et tout est déterminé par cette dimension modeste, cette précision, cette présence [...] » (Pierre Alferi, extrait des Affinités électives du 28 septembre 2006) « Dans le souvenir clos d'une personne, il y a tout un monde en horizon gris changeant. Conjonction de l'archétype à l'annuaire, des abscisses et des ordonnées très personnelles. Comment raconter une histoire ? » (Laure Limongi, Je ne sais rien d'un homme quand je sais qu'il s'appelle Jacques, p.25) Quand je reprends le métro à Kanayama, je tombe sur mon collègue du département germain, il revient juste d'un stage à Okinawa. Mises à jour respectives, pendant le trajet, sur la quinzaine qui vient de s'écouler. Deux courriers importants dans la boîte aux lettres : un talon de recommandé et une carte du bureau de l'immigration pour le renouvellement de visa. Pendant que des giboulées arrivent et que le froid retombe, je selle mon vélo et galope vers la poste centrale. Le recommandé, c'est la banque, de Paris, qui m'envoie un chéquier et une carte bleue. Direction, la fac, entre les gouttes. Là aussi, pas mal de courrier interne, mais routine déjà. Parmi les pages web que j'ouvre, celle de Ce soir ou jamais pour voir le thème. Du coup, je me rends compte que j'ai oublié de noter la reprise de l'émission, vue hier soir après rédaction du billet. Tous ces humoristes sur un plateau, ça n'a pas donné grand-chose, une heure vite passée, quelques piques amusantes, le clivage entre civisme et cynisme apparu parfois avec une violence dérisoire et déplacée et... Guy Bedos qui s'est barré aux deux tiers, excédé par les propos délirants, lui semblait-il, de Juliette Arnaud et de Romain Bouteille. Frédéric Taddeï en est estomaqué, il s'en tire en rappelant que ça arrive maintenant sur tous les plateaux, que des invités sortent sans rien dire, juste parce qu'ils en ont marre. Quant à l'émission d'hier soir, je n'aurai pas le temps de la voir ce soir. Dîner entre collègues au restaurant Saint-Marc où, en plus du menu, on distribue régulièrement des tout petits pains maison de différents parfums pendant que de jeunes pianistes massacrent des classiques, voire de la bossa. Commentaires1. Le samedi 10 mars 2007 à 01:00, par brigetoun : maintenant se barrer d'une émission qui part en vrille, si ce n'est pas courtois ni élégant, ce peut être la seule solution raisonnable, puisque pour notre malheur les opinions, même les plus futiles, sont de plus en plus tranchées et la "conversation" étant maintenant devenue impossible 2. Le samedi 10 mars 2007 à 04:35, par Berlol : Autrefois on aurait fait un esclandre, plus récemment on aurait poussé sa gueulante, pété un câble, maintenant on prend la tangeante et basta. J'avais déjà signalé que R. Bouteille était vraiment hors sujet à tout coup et je ne suis pas sûr que Taddeï fasse bien de le réinviter autant de fois. D'autant que ça laisse croire qu'il a parfois du mal à trouver des invités... 3. Le dimanche 11 mars 2007 à 15:36, par christine : ah non ! je ne suis pas d'accord du tout : j'aime beaucoup la présence totalement décalée de Romain Bouteille (qu'on ne voit plus que là et dont je suis fan depuis le Graphique de Boscop) chez Taddeï (qui a bien précisé qu'il aimait à inviter régulièrement certains invités) même et surtout quand il fait dans la provoc : ça change du politiquement correct télévisuel 4. Le dimanche 11 mars 2007 à 16:55, par Berlol : Il y a provoc' et provoc' ! Ce qu'il dit est une bouillie informe de pensée, de pulsions, de déconnades qui ne trouvent pas d'écho dans le débat. Réécoute les quelques minutes avant le départ de Bedos, tu verras que ça ne tient absolument pas debout. Dans certains cas, il y a du répondant et ça peut valoir son pesant de cacahuètes. Mais cette fois-là, ça descend dans les tréfonds de la connerie... 5. Le lundi 12 mars 2007 à 01:40, par christine : pas si sûr ! si je me souviens bien, ce qui a énervé Bedos (qui de toute façon n'avait pas l'air en forme et ne servait ce soir là lui-même que de la bouillie) c'est la question : est-ce que vraiment les choses seraient très différentes si Le Pen était président ? qui d'abord choque nos beaux esprits de gauche et puis en y réflechissant ... mérite peut-être réflexion |
Vendredi 09 mars 2007. La
médiocrité. Un gros bout de Ce soir ou Jamais de mercredi au petit déjeuner. Très étonnant d'entendre des personnes capables de défendre sérieusement les bilans de Castro ou de Pinochet. On recommande le film La Vie des autres, que je ne connais pas encore. De belles interventions de Pierre Rigoulot, Miguel Benassayag et Jane Birkin. C'est Ismail Kadaré que je trouve le plus fin, prenant un vrai risque intellectuel... « C'est pas éthiquement correct de le dire, mais il y a une relation cachée entre une partie du peuple et la dictature. On peut pas avoir une dictature sans une partie de la population. C'est un tiers, la moitié, deux tiers ? On ne sait jamais. Mais il y a une complicité, une sorte de relation secrète entre les foules et le dictateur. Où est la clé du secret ? Où est la clé de ça ? Je pense que la clé, c'est la médiocrité. Un dictateur, c'est un être, en général, médiocre. Et les foules ne sont pas très élevées, elles aiment beaucoup la médiocrité. Parce qu'elles trouvent quelque chose qui leur ressemble. Elles ne se l'expliquent pas de façon claire, mais elles aiment les stars médiocres. Elles n'aiment pas, jam... En Allemagne, on ne peut pas imaginer que le peuple allemand serait fasciné par Beethoven, ou par Goethe, mais il est fasciné par un petit médiocre comme l'était Hitler. Et c'est comme ça dans tous les pays. Enfin, je crois, je ne suis pas sûr. Mais je crois que cette médiocrité fait la relation entre les deux. Et voilà pourquoi une partie de la population était en extase. Parce qu'ils s'identifient, c'est leur héros. Et surtout quand sa biographie, c'est orphelin, qu'il a souffert dans sa jeunesse, il a travaillé, il était pauvre, etc., etc., alors c'est formidable pour un dictateur, il va gagner.» (Ismail Kadaré, vers 42'42", avant un témoignage émouvant de Jane Birkin sur Aung San Suu Kyi) Dernière réunion de l'année universitaire 2006, avec les calendriers de réunions de 2007 et mon nom dans deux comités thématiques. Soit deux réunions de plus chaque mois. No comment. Ça mérite urgemment d'aller pédaler, suer et retrouver un personnage amical. J'ai nommé le commissaire Adamsberg. J'avais déjà lu les chapitres de démarrage après que Bikun me l'avait offert, mais là, ça y est, me voilà dedans... « Adamsberg développait une théorie inverse à celle du grignotage, posant que la somme d'incertitudes que peut porter un seul homme dans un même temps ne peut pas croître indéfiniment, atteignant un seuil maximum de trois à quatre incertitudes simultanées. Ce qui ne signifiait pas qu'il n'en existait pas d'autres, mais que seules trois ou quatre pouvaient être en état de marche dans un cerveau humain. Que donc la manie de Danglard de vouloir les éradiquer ne lui servait en rien, car sitôt qu'il en avait tué deux, la place se libérait aussitôt pour deux nouvelles questions inédites, qu'il n'aurait pas connues s'il avait eu la sagesse d'endurer les anciennes.» (Fred Vargas, Dans les Bois éternels, Éd. Viviane Hamy, 2006, p. 45) Pas le temps de déjeuner. Un jus de fruit en boîte et une sorte de chien-chaud froid suffiront. Le collègue qui a accepté d'être mon garant pour la demande de visa permanent me donne les documents prévus, je rassemble mes petites affaires — il est déjà presque 15 heures — et je file vers les bureaux de l'immigration. J'y arrive à 15h40, présente la convocation postale, contre un numéro d'appel et un autre formulaire à remplir pour le Re-Entry Permit (taxe donnant droit d'entrer et sortir du Japon durant le temps de validité du visa), vais acheter les timbres fiscaux (4000 yens pour le visa, 6000 pour le Re-Entry), les colle, reviens remplir mon formulaire. Mon numéro est appelé à 15h52, c'est donc l'heure de mon dernier renouvellement de visa (si ma demande de visa permanent est acceptée, ce qui viendra en avril ou mai). Je file au guichet voisin tirer un numéro d'appel pour la demande de Re-Entry, suis appelé à 15h57, alors que j'étais en train de compléter quelques lignes du formulaire, les achève sous la dictée de l'employé qui veut bien m'aider, prend les papiers et m'invite à attendre. Aucune sonnerie ne retentit. Il reste une quarantaine d'étrangers qui attendent pour différents guichets. Une employée, peut-être la chef, passe à chaque guichet, il y en a une dizaine, avec une baguette à crochet pour descendre des petits rideaux de toile qui indiquent la fermeture du bureau, y compris celui qui traite mon passeport. J'en déduis qu'on cesse de prendre de nouvelles demandes et qu'on finit celles en cours. L'employé relève un peu son rideau et m'appelle. Nous vérifions ensemble les dates des deux nouveaux documents collés sur mon passeport. Et c'est fini, il est 16h05. Je range mon passeport, j'ai presque rempli le sac acheté à Yokohama avec ma sœur, et je pars vers mon shinkansen, plein de reconnaissance pour ces employés courtois et efficaces (et pas qu'avec moi). Soirée. Dîner avec T. en regardant deux épisodes de Lost (quand Jack sollicite Ana-Lucia pour créer un entraînement militaire, puis quand Charlie met le feu pour enlever le bébé de Claire (quel con, ce Charlie !)). Mais bon, pour moi, depuis la mort de Shannon, rien n'est plus tout à fait comme avant... Pour ne pas me coucher trop tard, pas de blog mais lecture des pages de La Télévision, soyons sérieux, pour le cours de demain... Commentaires1. Le samedi 10 mars 2007 à 03:11, par christine : la solution définitive à tes problèmes de papiers serait de publier en japonais un pavé de 900 pages bien médiatisé et doté d'un prix ! 2. Le samedi 10 mars 2007 à 04:18, par Berlol : To do Littell, you mean ? 3. Le samedi 10 mars 2007 à 09:23, par christine : that's it ... just do it |
Samedi 10 mars 2007.
Réalité sans glace ni patins. Pour bien apprécier les pages 203-213 de La Télévision, il faut remonter où j'en étais resté la semaine dernière, c'est-à-dire au Musée de Dahlem, devant un moniteur de surveillance. Le narrateur y voit, mal, un portrait de Charles Quint par Dürer, dont l'image remémorée est bien meilleure. Mais quand il rouvre les yeux, c'est son propre reflet qu'il voit. Il y aurait ainsi, dans l'ensemble de l'œuvre de Toussaint, à s'occuper des superpositions, de leur aspect anecdotique (comique, souvent) et de leur profondeur (narrative ou ontologique, selon les cas). Ainsi devant la piscine fermée, vidée, quand le narrateur voit des gens en nettoyer le fond, brossant la mosaïque de carrelage qui représente Poséidon et, littéralement, « lui arrosaient la barbe » et « lui passaient la serpillère dans les yeux » (198). Ainsi quand nageant il observe des jeunes femmes entrant dans des cabines de bronzage dont elles ressortent, lui semble-t-il, « la peau du cou desséchée, le décolleté creusé et osseux » (201), à l'inverse du manège dont il se souvient dans La Fontaine de jouvence de Lucas Cranach. Ou dans le mouvement analogique qui lui fait concevoir le développement de la télévision comme un cancer de l'humanité (204-205). Ou dans le simple fait de jouer avec son fils, à la maison, quand celui-ci lui demande de faire « une partie de hockey sur glace en chaussettes » (209), quand il faut bien superposer les règles et les gestes d'un jeu à une réalité sans glace ni patins — et rester sur le mode ludique face à son fils qui aurait allumé la télévision « si, en catastrophe, patinant prestement en chaussettes jusqu'à lui, je n'avais arrêté sa main au dernier moment » (210). Et ainsi de suite... On s'amuse également beaucoup, dans le cours de ce matin, à décrire le renversement psychologique lors de la seconde rencontre avec le président de la Fondation (qui finance la bourse du narrateur). La condescendance qui amène celui-ci à confier ses soucis personnels au narrateur qui n'en souhaitait pas tant (202) incite ce dernier à se venger facilement après qu'il a été question d'un documentaire télé sur des banquiers de la Renaissance en demandant simplement à l'autre s'il regardait « beaucoup » la télévision (204). Manière aussi d'introduire le thème de l'enregistrement (sur magnétoscope) et de la déculpabilisation qu'il fonde en transformant les vulgaires programmes de télé, qui passent et disparaissent, en noble patrimoine, répertorié, inscrit sur un support et pieusement conservé. (Un peu comme ce que je fais avec France Culture, hi hi !) Déjeuner au Saint-Martin avec T., Laurent et Y., qui était déjà à cette même table à notre repas d'anniversaire. Le chef, Ichige, nous a confectionné, spécialement pour nous et par surprise, des chaussons aux pommes (parce que j'avais dit qu'en France, on les faisait toujours sans cannelle, il s'est dit qu'il allait essayer...). Laurent passe ensuite à la maison pour récupérer deux dévédés d'opéras de Wagner et ramasser des tuyaux sur les dernières technologies logicielles (que je maîtrise à peu près et lui pas encore), type Bloglines et Podemus, qui lui permettront d'accéder plus facilement à des contenus culturels audio de plus en plus nombreux (radios, bien sûr, mais aussi Canal Académie, le Collège de France, la Voix du savoir, etc.). Après une sieste bien méritée, j'écoute et enregistre, ému, les Vendredis de la philosophie sur Jean Baudrillard. Tout ce que j'y entends est très juste. Malgré les polémiques qui jalonnent sa carrière, c'est quelqu'un qui a su se faire apprécier de ses contradicteurs, voire aimer de ses ennemis. Sans doute parce qu'il écrivait très bien, mais aussi parce que ses excès conceptuels ou ses paradoxes provocants n'allaient jamais dans le sens du populisme ou de la démagogie. Le film que T. a loué pour ce soir ne me disait pas des masses, a priori. Un film de plus dans un avion, un film psychologique, dans le mauvais sens du texte. Mais Flight Plan (R. Schwentke, 2005) m'a bien étonné car on finit vraiment par croire que Kyle (Jodie Foster) est cinglée, choquée par le décès de son mari et qu'elle a cru avoir sa fille avec elle... Mais l'amour maternel est plus fort (cliché) que les méchants, qui ne pensent pas à tout (cliché). Bon, pas mal, mais sans plus... J'ai raté la Journée de la femme (mais j'étais en bonne compagnie, avec les voix d'Agnès Desarthe et de Laure Limongi, non ?). J'ai oublié de signaler que Manu allait changer de poste et d'entreprise (Félicitations ! Quand on sait le temps que ça prend et l'angoisse que ça génère, toutes ces incertitudes depuis des années...). Quoi d'autre ? Des centaines de fils rss s'emmêlent, entassés dans la colonne de droite... Demain, peut-être... Commentaires1. Le samedi 10 mars 2007 à 17:08, par Manu : Merci ! Je te raconterai les détails à la prochaine occasion. |
Dimanche 11 mars 2007. Ce soir
face à l'original. Journée tranquille. Lecture de Fred Vargas au bain. Déjeuner à la maison. Promenade avec T. sous de grands mouvements de nuages sombres. J'emporte un parapluie qui ne servira pas, le ciel se décidant au dégagement total vers 15h30. Passons d'abord au vidéo club dans la Kagurazaka pour rendre Lost et louer le premier dévédé des 4400, dont ma sœur nous avait parlé. Descendons sur Iidabashi, bifurquons vers Ichigaya par le chemin arboré qui surplombe les voies de JR. Puis allons plein sud dans des petites rues qui rappellent à T. celles de son enfance dans un quartier où il y a à la fois des habitations et d'importantes quantités de bureaux d'entreprises, d'immeubles administratifs, d'ambassades. Débouchons devant le restaurant Ajanta de Kojimachi, actuellement en travaux. Je le reconnais car j'y avais dîné avec Étienne et Lionel, juste après les avoir rencontrés (était-ce à l'Ambassade de France ?, était-ce le 14 juillet ?, était-ce en 93 ou 94 ?). Ce qui me rappelle, dis-je à T., que j'ai vu Étienne hier et qu'il m'a prévenu d'une fête de ses vingt ans au Japon le 15 avril. On en sera, bien sûr ! (Moi qui vais bientôt en fêter 15 ; T., n'en parlons même pas...) On passe à l'Office Depot d'Ichigaya pour du matériel de bureau et on revient dans de sublimes lumières, rasantes et blanches. Accueillons ce premier épisode des 4400 avec un intérêt mitigé. C'est la concurrence des sites web qui m'étonne plutôt... Tout à l'heure, comme pour les rentrées scolaires de mon enfance, j'ai acheté des stylos de couleurs, prévoyant d'avoir à follement m'en servir. Dans ma tête, en effet, c'est aujourd'hui que je commence... Le 12 mars 2004, je finissais sur un « destin bovarique » (qui serait épargné à la Lydia de Colomba). Me voilà ce soir face à l'original. À l'originale, devrais-je dire. Car cela fait bien des années que je n'ai pas ouvert Madame Bovary. Et qu'il le faut pour préparer le cours qui commencera en avril à l'Institut... De plus, on aura recours au manuscrit, aux transcriptions diplomatiques et aux commentaires, à tout ce matériel fantastique qui se trouve à l'université de Rouen, grâce aux transcripteurs et aux responsables du projet (que je salue en passant). Rajout du lendemain... 1. Bonne initiative de La Quinzaine qui met en ligne un article de Jean Baudrillard sur Georges Bataille en juin 1976. On y lira (ou relira, selon les personnes) par exemple que chez Bataille « l'idée centrale est que l’économie qui gouverne nos sociétés résulte d’une malversation du principe humain fondamental [...] ». 2. J'ai écouté l'allocution pur miel de Chirac de la planète Mars. Le terme de malversation, appliqué à la réalité de ces douze dernières années, ne sera pas de trop, je crois. De plus, je ne veux pas de sa déclaration d'amour. Je ne l'aime pas et je ne veux pas qu'il m'aime. Commentaires1. Le lundi 12 mars 2007 à 00:26, par brigetoun : quelle chance de relire Madame Bovary ! il faudrait que je le fasse. Pour Chirac j'avais décidé de l'écouter mais en fait de miel c'est pendant qu'il parlait que je découvrais la lettre du sucre, et cela m'a davantage intéressée 2. Le lundi 12 mars 2007 à 01:51, par christine : en effet ! relire Madame Bovary pourrait être un antidote en ces temps de campagne présidentielle toute grise et très "comice agricole" ! |
Lundi 12 mars
2007. Avec « fièvre »
pour faire mousser. Très réussi, le Deligne d'hier ! Et porteur d'un point de vue auquel les penseurs âgés qui croient penser le monde nouveau feraient bien de s'intéresser dare-dare... Pas si loin d'ailleurs du dernier billet de Patrick Bazin dans Livres Hebdo (qui exprime posément un avis assez proche du mien, me semble-t-il, même si j'y vais en général un peu plus fort...). Encore une journée tranquille. Décidément. On va bientôt s'ennuyer ! Pendant que T. est au yoga, je vais en vélo à Korakuen, pour des courses au Seijo Ishii. Elle m'appelle juste quand je suis rentré pour qu'on se retrouve au Saint-Martin, histoire de ne pas faire la cuisine et qu'elle puisse retourner plus vite à sa traduction. Le sauté de porc est accompagné de riz, cuit à l'oignon et au thym — excellent. Or Yukie nous avait déclaré, il doit y avoir deux ans, qu'on ne verrait jamais de riz au SM — ce qu'on s'empresse de lui rappeler... Sourires. Après quelques heures de travail en toute tranquillité, je vais faire un tour à l'Institut. Café et far aux pruneaux à la cafétéria en finissant le livre de Luc Lang pour le rendre. Ce 11 Septembre mon amour m'a modérément intéressé, finalement. Question d'affinités littéraires ou de moment ? Je ne sais. Retour à la maison, visionnement du Ce soir ou Jamais de jeudi dernier (Michel Winock, oui, bien, mais rien de transcendant dans son entretien, le court-métrage sur les sans papiers, les enfants qui veulent rester, je suis d'accord, mais rien de nouveau pour peu qu'on soit déjà correctement informé, donc une émission qui a bien fait d'être courte). Puis lecture blog et presse avant le dîner. Dont ceci : « Corée-France: les manuscrits de la discorde. C'est une publicité en dernière page du Monde daté 7 mars. On y voit la couverture d'un livre manuscrit entouré d'une chaîne bouclée par un cadenas frappé d'un drapeau français. Au-dessous, un titre en rouge : "Incapable de trouver le sommeil en Corée." Le texte donne un début d'explication : "Tant que les archives Oe-Gyujanggak, pièce importante de notre patrimoine culturel, ne nous auront pas été restituées, nous, Coréens, ne trouverons pas le sommeil." Un autre texte explique que le manuscrit reproduit fait partie de 297 volumes arrachés à la Corée par la France et conservés à la Bibliothèque nationale de France (BNF). François Mitterrand, lit-on en légende, avait promis en 1993 de rendre ces archives en échange d'un contrat de construction d'un TGV sur le territoire coréen. Promesse non tenue. Cette publicité, qui ne porte aucune mention du commanditaire, a été envoyée directement à notre journal par Munhwa Broadcasting Corporation, chaîne de télévision privée coréenne à forte composante culturelle. En 1993, le président Mitterrand se rend effectivement en Corée, où il rencontre le président Kim Young-sam. Le plat de résistance de la visite est un TGV. La France aimerait que cette manifestation de la technologie française puisse se concrétiser au pays du Matin-Calme. Effectivement, les Coréens fabriquent sous licence un TGV baptisé KTX, qui depuis 2004 fonctionne entre Séoul et Pusan. A cette occasion, le président français a proposé à ses interlocuteurs coréens de leur "prêter" un des manuscrits coréens détenus par la BNF depuis le Second Empire. Le ministre de la culture, Jacques Toubon, reçoit une lettre signée du président de la République lui demandant d'autoriser la sortie de la pièce "pour un prêt croisé". Jacqueline Samson et Monique Cohen, conservatrices à la BNF, prennent l'avion pour apporter le manuscrit. Visiblement, les Coréens comprennent "restitution" et non prêt. La pièce reste à Séoul, sans contrepartie. Les 297 livres dont la Corée demande aujourd'hui la restitution sont effectivement le fruit d'un pillage. En 1866, à la suite de l'assassinat, en Corée, de neuf missionnaires français et de 8 000 de leurs ouailles, Paris envoie une expédition navale qui embarque manu militari 297 manuscrits, rituels de cérémonies religieuses ou royales — des copies pour la plupart —, reversés à la Bibliothèque nationale et oubliés. Une chercheuse coréenne les redécouvre en 1991. En 1999, une mission est confiée à Jacques Sallois, haut fonctionnaire à la Cour des comptes, pour régler le problème. Sans résultat. "Ces manuscrits sont inaliénables, comme toutes les collections publiques, explique Jean-Noël Jeanneney, président de la BNF. En revanche, en accord avec l'ambassade de Corée en France, nous avons décidé de numériser ces pièces — opération financée par la Corée et le Quai d'Orsay. Dans quelques semaines, ce travail sera achevé." Cette restitution virtuelle sera-t-elle suffisante pour calmer la fièvre nationaliste coréenne ? » Emmanuel de Roux, dans Le Monde du 11.03.07. Voilà ce que j'appelle un article bâclé. Que s'est-il réellement passé en 1866 ? Peut-on croire qu'un vol de manuscrits vengeait (équivalait ou quel autre mot ?) des massacres ? Mitterrand a-t-il réellement promis restitution des manuscrits ? Et demander restitution, est-ce spécialement faire preuve de nationalisme ? Surtout avec « fièvre » pour faire mousser comme dans un magazine people... Si on n'était pas le 12 mars, je croirais volontiers qu'on est le 1er avril ! On peut en effet regretter que M. de Roux n'ait pas (ou mal) lu les informations de Wikipédia, de l'association France-Corée, du Pr André Fabre sur le déroulement des opérations militaires, ou de la BnF (au bas de cette page) qui ne fait mention que de 31 volumes en cours de numérisation. Il ne semble pas non plus avoir pris connaissance du blog de sa consœur Élise Walter qui pose bien mieux le problème que lui. Sans pour autant qu'on puisse tout bien comprendre, tant du passé (1866) que des actuelles dispositions officielles de la France. En marge, on s'étonnera que notre ministère de la défense, dans une des ses pages officielles, ait passé ces manuscrits volés sous un quasi-silence... Commentaires1. Le mardi 13 mars 2007 à 05:36, par Dabichan : J'ignorais
complètement cet épisode des velléités colonisatrices de la France en
Extrême-Orient... Je savais que la France s'était fait gentiment
rembarrer de Taiwan, mais pas en Corée. Ah, les Coréens ! Un autre
peuple fier, bien que très mal en point en cette fin de XIXème siècle à
l'instar de l'Empire du Milieu. 2. Le mardi 13 mars 2007 à 05:55, par Berlol : En effet, tu as raison, la chose est évoquée. Mais de façon toute elliptique, sans détail du contenu de l'inventaire. Je vais transformer "silence" en "un quasi-silence". Un peu comme les nouvelles d'Orléans, d'ailleurs, hein !... |
Mardi 13 mars 2007. 99 %
de vide et d'eau s'acharnent au travail. C'est le 13 mars 1781 que Neptune a été découverte. Et le 13 mars 1930, c'était au tour de Pluton — dont le statut de planète de nos jours n'est plus acquis. Alors à qui reviendra l'électorat FN ? C'est la question que Sarkozy se pose en y répondant, et c'est toute la planète UMP qui risque de changer de trajectoire. Après l'astre Chirac épinglé radieux au centre du ciel par Pierre Péan, qui l'eût cru, c'est Bayrou qui commence à briller et faire de l'ombre à Ségolène. Bref, tout le petit théâtre de nos pas nets se joue à guichets fermés... (Je ne mets pas de liens tellement tout ça est éphémère.) Pendant ce temps, au Japon, je déjeuner le plus divinement du monde avec Manu au Champ de soleil, restaurant belge de Kanda. Il me livre tous les détails de son transfert mais je n'ai pas le droit de révéler la couleur de son futur maillot. Sauf qu'il s'occupera toujours d'informatique, d'ordinateurs et que ce sera comme maintenant à Tokyo. Il faudra juste qu'on trouve un autre restaurant... Du coup, il est moins question de blog, ce qui n'est pas plus mal. Après cette assiette de pâtes goûtues, je m'en vais somnolant vers Shibuya, sa faune, ses rythmes trop picaux — et mon centre de sport, d'ailleurs excentré. « Mon » est une façon de parler parce qu'il a des centaines de membres. Mais pas cet après-midi, non, ils ne sont pas tous venus, loin de là, je suis plutôt tranquille, que ce soit sur le vélo, les machines pour les abdos, les épaules, les cuisses, le dos, les pectoraux et j'en passe. Je feignasse près d'un quart d'heure dans le mist sauna, en me demandant ce que c'est que ce monde, cette planète, dont les habitants bien que composés à plus de 99 % de vide et d'eau s'acharnent au travail en trouvant que c'est normal. « À un moment ou à un autre, ses pensées désertaient la table et, de très loin — mais d'où ? —, il entendait venir à lui des fragments de phrases dénués de sens, concernant des domiciles, des interrogatoires, des filatures. Danglard surveillait la montée du taux de flou dans les yeux bruns du commissaire et lui serrait le bras quand celui-ci atteignait la cote d'alerte. Ce qu'il venait précisément de faire. Adamsberg comprenait le signal et revenait parmi les hommes, quittant ce que certains auraient nommé un état d'hébétude, et qui était pour lui une issue de secours vitale, où il perquisitionnait en solitaire en des directions innommées.» (Fred Vargas, Dans les Bois éternels, p. 75-76) Traiterai-je des quatre épisodes des 4400 que nous avons vus hier et ce soir ? Bof... Hier, on s'enlisait dans de la série américaine pur jus, avec crimes, policiers, enquêtes, aujourd'hui c'est nettement mieux, on apprend beaucoup de choses sur l'origine du phénomène et la mission de principe des enlevés-revenus, sauf qu'un méchant policier est venu diriger l'équipe qui habite apparemment le même bunker souterrain que dans la série 24 Heures... Subuperbe reportage photographique de Dominique Hasselmann, sur Remue.net, qui donne envie de revoir Laval — puisque pour Jarry, c'est trop tard. (Dominique, j'ai la même édition des Minutes !...). |
Mercredi 14 mars 2007. Cachalot
qui se pavanait. Au 20-Heures de France 2 d'hier, on voit le cachalot qui se pavanait près des côtes de Shikoku, puis qui s'énervait comme on venait le chatouiller, renversant deux barques à coups de queue. Interview d'un quidam, quelques secondes, sous-titré « pêcheur japonais » ; et T., son toast à la confiture d'abricot en main, qui a vu ça à la télé japonaise et dans le journal, me dit qu'il n'est pas du tout pêcheur, ce gars-là, c'est un fonctionnaire de la mairie, et celui qui est mort noyé dans la barque retournée n'était pas pêcheur non plus, mais éleveur de perles. On comprend ainsi que lorsque les journalistes français reçoivent des images étrangères dans une langue inconnue*, ils légendent comme ils peuvent, sans vérifier. Et quelle importance, hein ? En revanche, le Portrait de France : vivre avec le SMIC (au premier tiers du journal), avec une mère de famille taillée dans le granit de Bretagne, parfait ! Devrait être passé en boucle 24 heures durant à tous les ministres et à tous les ministrables... Agréable Ce soir ou Jamais de lundi soir, avec quatre pointures de la radio-télé d'antan (et encore en activité). Frédéric Taddeï rend ainsi hommage à ses prédécesseurs, humblement, sans trop chercher à faire valoir sa formule actuelle. Rien de transcendant, bien évidemment, dans les propos de Jacques Chancel, Pierre Bouteiller, Philippe Bouvard et José Artur, qui parlent de leur métier avec anecdotes et petites nuances de nostalgie, mais sans trop de c'était tellement mieux avant. On allait tout de même reprocher quelque chose... quand deux comédiennes ont été introduites pour parler lectures : Natacha Régnier et Lou Doillon. Cette dernière ayant évoqué les lettres que Napoléon écrivait d'Italie à cheval pendant que Joséphine le trompait (à pied, à cheval et en voiture), je ne résiste pas au plaisir de faire lire celle-ci. En toute simplicité. « Osterode, 14 mars 1807 Au Schah de Perse NAPOLÉON, Empereur des Français, Roi d'Italie, à Feth-Ali-Schah, Empereur des Persans, salut J'ai reçu ta lettre. Toutes les fois que je reçois des nouvelles de tes succès, mon cœur se remplit de joie. Jaubert, que je t'avais envoyé, est de retour. Il m'a informé du bon accueil que tu lui as fait et des désirs que tu formes, et qui sont les miens. Tu auras appris que je suis sur les frontières de la Russie. J'ai pris aux Russes, en deux batailles, soixante et quinze pièces de canon ; je leur ai fait tant de prisonniers et j'ai tellement porté l'alarme chez eux, qu'ils ont eu recours à une levée en masse pour défendre leur capitale. Ton ambassadeur est arrivé à Varsovie, et, me trouvant à l'avant-garde de mon armée, à quatre-vingts lieues en avant, je n'ai pu encore le voir. Devant retourner incessamment dans cette ville, je le rendrai l'organe de mes sentiments pour toi, et je l'enverrai de là dans ma capitale, afin qu'il te rapporte une véritable idée de ma puissance et de mes peuples. Une partie de l'armée russe, et surtout de la cavalerie qui était sur ta frontière, a été rappelée et s'est portée contre moi. Profite de ces circonstances. Je t'expédie cette lettre par toutes les voies : il faut que nous ayons des communications fréquentes, afin de lier la politique de nos empires, qui est la même, contre ennemis communs. Écrit en mon quartier impérial d'Osterode, le 14 mars de l'an 1807 et de mon règne le 3e.» De mon quartier général de Watcho**, an 14 de mon règne nippon ni mauvais (pas neuve, celle-là), je me suis assis sur le balcon pour la première fois de l'année, avec le livre de Fred Vargas. C'était après le bain matinal, en attendant le retour de T., puis notre déjeuner et la sortie à Ginza. Nous avons visité plusieurs magasins, toujours à la recherche sérendipe*** des chaises de nos rêves : on ramène un petit pull pour T., un petit portefeuille pour moi, et du pain. Nous sommes également passés à l'agence de voyage retirer nos feuilles de route pour Bali la semaine prochaine. J'enregistre et j'écoute, studieux, sans commentaires pour l'instant, la série d'émissions À voix nue avec Jean-Claude Chevalier au sujet des stratégies universitaires, principalement parisiennes, avant et après 68. Idem pour Du jour au lendemain, avec Olivier Cadiot. En revanche, après 4 épisodes, j'ai laissé tomber le feuilleton Les New Yorkaises d'après Edith Wharton — pas d'affinités suffisantes pour que mes oreilles acceptent de rester concentrées — elles attendent vendredi soir... * Et même dans leur langue puisqu'un peu plus tard dans le même journal Régine Deforges sera sous-titrée « Régine Desforges », erreur récurrente. ** Abréviation familière de Wakamiya-cho. *** J'ai vu la formation d'un adjectif sérendipiteux, dérivant de sérendipité, mais que je trouve moche (piteux) et inutilement long. Habituellement les mots en -ité dérivent d'un adjectif plus court (facile, facilité ; capable, capacité). J'ai donc pris la liberté de le ramener près de sa racine. J'ai ensuite pu constater que ça avait déjà été fait. Commentaires1. Le jeudi 15 mars 2007 à 01:14, par brigetoun : sérendipe, sérendipité, sérendipiteux je mesure la pauvreté de mon vocabulaire, pas si loin de celui des gosses des banlieues est. Alors j'en reste à celui de Napoléon et je savoure ce style qui aurait pu être, sans doute pas celui de Geoffroy de Bouillon, mais celui disons de François premier. Et cette ouverture, ce jeu d'alliances. |
Jeudi 15 mars 2007. Et de cette
jubilation le retour même. J'ai entendu qu'on voulait faire à l'école des leçons de mots, et décréter des listes annuelles de vocabulaire imposé. Ce n'était donc pas le cas ? Voilà qui m'étonnerait beaucoup. En français langue étrangère (FLE), domaine que je connais un peu mieux que le français première langue, c'est en tout cas une évidence de toujours. Il y a d'ailleurs des collections de livres se référant précisément à des quantités de vocabulaire, correspondant elles-mêmes à des nombres d'heures d'apprentissage, et les manuels contiennent en fin de volume les listes de mots à retenir en priorité et dans l'ordre des leçons. Ou bien est-ce encore un pré-électoral effet d'annonce ? Une de ces portes ouvertes dont on annonce encore le défoncement dès le lendemain du second tour ? Je ne sais... Encore une journée calme. Si ce n'était pas un jour de vacances je croirais même qu'on est... en vacances. Ah oui !... Alors c'est ça... La lecture au bain, le déjeuner au Saint-Martin (où j'ai pris du poisson, pour changer), l'après-midi studieuse puis la lecture, encore. Arrivé d'un seul coup Dans les bois éternels aux pages 200, je ressens la même jubilation qu'avec les autres livres de Fred Vargas, plus forte peut-être de sentir l'œuvre se développer dans quatre dimensions temporelles : celle de l'enquête, celle de la vie des personnages et celle de la préhistoire, inscrites dans ce livre-ci, mais aussi la temporalité intertextuelle de mes lectures précédentes (retour de personnages, de thèmes, références explicites en notes de bas de page, et de cette jubilation le retour même). Sans compter ce phénomène toujours amusant de l'accélération de la lecture, qui va me faire interrompre tout à l'heure ce billet pour y retourner... J'ai vu en plusieurs fois, ayant à faire, le Ce soir ou Jamais de mardi. Et chaque fois, j'ai trouvé ça bien (Calixthe Beyala en verve et en beauté, André Bercoff insupportable et drôle, Rachid Taha vague et inspiré, je ne cite pas tout le monde, juste Pierre Péchin un peu en retrait, comme son come back jamais vraiment confirmé). Il y avait pourtant des interventions déplacées, parfois des paroles déplaisantes, mais aussi d'excellentes déclarations, répliques, et un mouvement de soutien tournant et alterné. Mais l'impression, dans un océan de discours, semble tenir à autre chose qu'aux péripéties de la parole. Et je ne sais pas à quoi... (Je ne parle pas seulement de cette fois-ci, bien sûr.) Ce qui m'intéresse ici, encore, comme à chaque fois, en surcroît au sujet débattu et aux déclarations faites, ce sont les conditions qui amènent une discussion (à être) bonne, voire constructive (malgré tout) au travers des errances, imprévoyances et cahots naturels des paroles de chacun. Et essayer encore de savoir s'il y a des lois (essence, productibilité), ou des cadres (dispositifs, reproductibilité), ou seulement des conditions adjuvantes sans garantie (chaos, improductibilité, irreproductibilité, propitiation). Beaucoup d'entre nous ont déjà leur idée là-dessus, vont nous dire laquelle de ces trois thèses est la leur (ou si j'en ai oublié d'autres). Mais personne n'aura, je crois, de preuve irréfutable à apporter. Il s'agira de croyances, d'opinions, au mieux d'observations empiriques et personnelles, comme sentir les bonnes vibrations, dit-on, entre certaines personnes, ou disposer toujours individus et objets de certaines façons, leur faire boire ou manger quelque chose, etc. On voit tout ce que cela a de non scientifique... Des maîtresses de maisons réussissent à merveille les plans de table, malgré des risques entre invités, alors que certains plateaux télévisés ne produisent jamais d'agréables moments — et plus le dispositif est lourd et chicanier (procédurier), style Arlette Chabot, moins il y a de grâce dans les rencontres (ça paraît évident, une fois dit...). Tiens, tiens... Ça me rappelle quelque chose... « [...] ta vie c’est pas l’écriture, ta vie c’est l’édition, c’est l’auteur, l’auteur édité [...] », écrit Charles Pennequin dans une ritournelle colère et explicite dont il a le secret, au sujet de Mesrine et contre le monde de l'édition... Commentaires1. Le jeudi 15 mars 2007 à 14:02, par Menear : "J'ai
entendu qu'on voulait faire à l'école des leçons de mots, et décréter
des listes annuelles de vocabulaire imposé. Ce n'était donc pas le cas
?" 2. Le jeudi 15 mars 2007 à 18:05, par Manu : Belle netteté de l'ombre. 3. Le jeudi 15 mars 2007 à 18:13, par Berlol : Bien vu. À tout à l'heure ! |
Vendredi 16 mars 2007.
Très dans le ton de mon futur. — Ça ne s'arrêtera donc jamais, l'écriture de cette date, en tête du billet ! — Si, justement. Mais ce jour-là, tu ne le sauras pas. — Sauf si j'arrête volontairement. — Mais tu ne peux plus, c'est devenu consubstantiel à toi maintenant. — Con et substantiel, surtout, diront certains... Ces jours-ci, T. numérise une partie de notre discothèque. Pour nourrir son i-pod et son appétit de rythme en travaillant. Du coup, je m'en vais lui exhumer les bonnes boucles de Super Discount — et je découvre ce matin Someone like you, très dans le ton de mon futur après-midi... Comme je le pressentais déjà en novembre dernier, le poids et la position du français dans le monde évoluent. Dans le bon sens. Et comme un manifeste est une chose trop sérieuse pour être cantonnée dans un seul journal, je fais une copie de celui-ci ici. (Nota Bene : dans la liste des signataires, on trouve un Dai Sitje (sic) qui doit sans doute être Dai Sijie, en attendant correction dans le journal). Si je fais mienne critique « cette vision d'une francophonie sur laquelle une France mère des arts, des armes et des lois continuait de dispenser ses lumières, en bienfaitrice universelle, soucieuse d'apporter la civilisation aux peuples vivant dans les ténèbres », je trouve en revanche déplacée, comme une vengeance malsaine des temps où l'auteur était « évacué » par le linguiste et l'exégète, croit-on, cette naïve croyance d'une libération de « l'ère du soupçon » — comme si la naissance de cette littérature-monde en français se faisait en toute hâte sur le cadavre du Nouveau Roman et du structuralisme (ou comme si le Tzvetan Todorov de la réaction ventriloquait une Nancy Huston dans l'action...). Pour une "littérature-monde" en français in Le Monde des livres du 15 mars, paru le 16. « Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de l'Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens, décernés le même automne à des écrivains d'outre-France. Simple hasard d'une rentrée éditoriale concentrant par exception les talents venus de la "périphérie", simple détour vagabond avant que le fleuve revienne dans son lit ? Nous pensons, au contraire : révolution copernicienne. Copernicienne, parce qu'elle révèle ce que le milieu littéraire savait déjà sans l'admettre : le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française, n'est plus le centre. Le centre jusqu'ici, même si de moins en moins, avait eu cette capacité d'absorption qui contraignait les auteurs venus d'ailleurs à se dépouiller de leurs bagages avant de se fondre dans le creuset de la langue et de son histoire nationale : le centre, nous disent les prix d'automne, est désormais partout, aux quatre coins du monde. Fin de la francophonie. Et naissance d'une littérature-monde en français. Le monde revient. Et c'est la meilleure des nouvelles. N'aura-t-il pas été longtemps le grand absent de la littérature française ? Le monde, le sujet, le sens, l'histoire, le "référent" : pendant des décennies, ils auront été mis "entre parenthèses" par les maîtres-penseurs, inventeurs d'une littérature sans autre objet qu'elle-même, faisant, comme il se disait alors, "sa propre critique dans le mouvement même de son énonciation". Le roman était une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls romanciers, coupables d'un "usage naïf de la langue", lesquels étaient priés doctement de se recycler en linguistique. Ces textes ne renvoyant plus dès lors qu'à d'autres textes dans un jeu de combinaisons sans fin, le temps pouvait venir où l'auteur lui-même se trouvait de fait, et avec lui l'idée même de création, évacué pour laisser toute la place aux commentateurs, aux exégètes. Plutôt que de se frotter au monde pour en capter le souffle, les énergies vitales, le roman, en somme, n'avait plus qu'à se regarder écrire. Que les écrivains aient pu survivre dans pareille atmosphère intellectuelle est de nature à nous rendre optimistes sur les capacités de résistance du roman à tout ce qui prétend le nier ou l'asservir... Ce désir nouveau de retrouver les voies du monde, ce retour aux puissances d'incandescence de la littérature, cette urgence ressentie d'une "littérature-monde", nous les pouvons dater : ils sont concomitants de l'effondrement des grandes idéologies sous les coups de boutoir, précisément... du sujet, du sens, de l'Histoire, faisant retour sur la scène du monde — entendez : de l'effervescence des mouvements antitotalitaires, à l'Ouest comme à l'Est, qui bientôt allaient effondrer le mur de Berlin. Un retour, il faut le reconnaître, par des voies de traverse, des sentiers vagabonds — et c'est dire du même coup de quel poids était l'interdit ! Comme si, les chaînes tombées, il fallait à chacun réapprendre à marcher. Avec d'abord l'envie de goûter à la poussière des routes, au frisson du dehors, au regard croisé d'inconnus. Les récits de ces étonnants voyageurs, apparus au milieu des années 1970, auront été les somptueux portails d'entrée du monde dans la fiction. D'autres, soucieux de dire le monde où ils vivaient, comme jadis Raymond Chandler ou Dashiell Hammett avaient dit la ville américaine, se tournaient, à la suite de Jean-Patrick Manchette, vers le roman noir. D'autres encore recouraient au pastiche du roman populaire, du roman policier, du roman d'aventures, manière habile ou prudente de retrouver le récit tout en rusant avec "l'interdit du roman". D'autres encore, raconteurs d'histoires, investissaient la bande dessinée, en compagnie d'Hugo Pratt, de Moebius et de quelques autres. Et les regards se tournaient de nouveau vers les littératures "francophones", particulièrement caribéennes, comme si, loin des modèles français sclérosés, s'affirmait là-bas, héritière de Saint-John Perse et de Césaire, une effervescence romanesque et poétique dont le secret, ailleurs, semblait avoir été perdu. Et ce, malgré les œillères d'un milieu littéraire qui affectait de n'en attendre que quelques piments nouveaux, mots anciens ou créoles, si pittoresques n'est-ce pas, propres à raviver un brouet devenu par trop fade. 1976-1977 : les voies détournées d'un retour à la fiction. Dans le même temps, un vent nouveau se levait outre-Manche, qui imposait l'évidence d'une littérature nouvelle en langue anglaise, singulièrement accordée au monde en train de naître. Dans une Angleterre rendue à sa troisième génération de romans woolfiens — c'est dire si l'air qui y circulait se faisait impalpable —, de jeunes trublions se tournaient vers le vaste monde, pour y respirer un peu plus large. Bruce Chatwin partait pour la Patagonie, et son récit prenait des allures de manifeste pour une génération de travel writers ("J'applique au réel les techniques de narration du roman, pour restituer la dimension romanesque du réel"). Puis s'affirmaient, en un impressionnant tohu-bohu, des romans bruyants, colorés, métissés, qui disaient, avec une force rare et des mots nouveaux, la rumeur de ces métropoles exponentielles où se heurtaient, se brassaient, se mêlaient les cultures de tous les continents. Au cœur de cette effervescence, Kazuo Ishiguro, Ben Okri, Hanif Kureishi, Michael Ondaatje — et Salman Rushdie, qui explorait avec acuité le surgissement de ce qu'il appelait les "hommes traduits" : ceux-là, nés en Angleterre, ne vivaient plus dans la nostalgie d'un pays d'origine à jamais perdu, mais, s'éprouvant entre deux mondes, entre deux chaises, tentaient vaille que vaille de faire de ce télescopage l'ébauche d'un monde nouveau. Et c'était bien la première fois qu'une génération d'écrivains issus de l'émigration, au lieu de se couler dans sa culture d'adoption, entendait faire œuvre à partir du constat de son identité plurielle, dans le territoire ambigu et mouvant de ce frottement. En cela, soulignait Carlos Fuentes, ils étaient moins les produits de la décolonisation que les annonciateurs du XXIe siècle. Combien d'écrivains de langue française, pris eux aussi entre deux ou plusieurs cultures, se sont interrogés alors sur cette étrange disparité qui les reléguait sur les marges, eux "francophones", variante exotique tout juste tolérée, tandis que les enfants de l'ex-empire britannique prenaient, en toute légitimité, possession des lettres anglaises ? Fallait-il tenir pour acquis quelque dégénérescence congénitale des héritiers de l'empire colonial français, en comparaison de ceux de l'empire britannique ? Ou bien reconnaître que le problème tenait au milieu littéraire lui-même, à son étrange art poétique tournant comme un derviche tourneur sur lui-même, et à cette vision d'une francophonie sur laquelle une France mère des arts, des armes et des lois continuait de dispenser ses lumières, en bienfaitrice universelle, soucieuse d'apporter la civilisation aux peuples vivant dans les ténèbres ? Les écrivains antillais, haïtiens, africains qui s'affirmaient alors n'avaient rien à envier à leurs homologues de langue anglaise. Le concept de "créolisation" qui alors les rassemblaient (sic), à travers lequel ils affirmaient leur singularité, il fallait décidément être sourd et aveugle, ne chercher en autrui qu'un écho à soi-même, pour ne pas comprendre qu'il s'agissait déjà rien de moins que d'une autonomisation de la langue. Soyons clairs : l'émergence d'une littérature-monde en langue française consciemment affirmée, ouverte sur le monde, transnationale, signe l'acte de décès de la francophonie. Personne ne parle le francophone, ni n'écrit en francophone. La francophonie est de la lumière d'étoile morte. Comment le monde pourrait-il se sentir concerné par la langue d'un pays virtuel ? Or c'est le monde qui s'est invité aux banquets des prix d'automne. A quoi nous comprenons que les temps sont prêts pour cette révolution. Elle aurait pu venir plus tôt. Comment a-t-on pu ignorer pendant des décennies un Nicolas Bouvier et son si bien nommé Usage du monde ? Parce que le monde, alors, se trouvait interdit de séjour. Comment a-t-on pu ne pas reconnaître en Réjean Ducharme un des plus grands auteurs contemporains, dont L'Hiver de force, dès 1970, porté par un extraordinaire souffle poétique, enfonçait tout ce qui a pu s'écrire depuis sur la société de consommation et les niaiseries libertaires ? Parce qu'on regardait alors de très haut la "Belle Province", qu'on n'attendait d'elle que son accent savoureux, ses mots gardés aux parfums de vieille France. Et l'on pourrait égrener les écrivains africains, ou antillais, tenus pareillement dans les marges : comment s'en étonner, quand le concept de créolisation se trouve réduit en son contraire, confondu avec un slogan de United Colors of Benetton ? Comment s'en étonner si l'on s'obstine à postuler un lien charnel exclusif entre la nation et la langue qui en exprimerait le génie singulier — puisqu'en toute rigueur l'idée de "francophonie" se donne alors comme le dernier avatar du colonialisme ? Ce qu'entérinent ces prix d'automne est le constat inverse : que le pacte colonial se trouve brisé, que la langue délivrée devient l'affaire de tous, et que, si l'on s'y tient fermement, c'en sera fini des temps du mépris et de la suffisance. Fin de la "francophonie", et naissance d'une littérature-monde en français : tel est l'enjeu, pour peu que les écrivains s'en emparent. Littérature-monde parce que, à l'évidence multiples, diverses, sont aujourd'hui les littératures de langue françaises de par le monde, formant un vaste ensemble dont les ramifications enlacent plusieurs continents. Mais littérature-monde, aussi, parce que partout celles-ci nous disent le monde qui devant nous émerge, et ce faisant retrouvent après des décennies d'"interdit de la fiction" ce qui depuis toujours a été le fait des artistes, des romanciers, des créateurs : la tâche de donner voix et visage à l'inconnu du monde — et à l'inconnu en nous. Enfin, si nous percevons partout cette effervescence créatrice, c'est que quelque chose en France même s'est remis en mouvement où la jeune génération, débarrassée de l'ère du soupçon, s'empare sans complexe des ingrédients de la fiction pour ouvrir de nouvelles voies romanesques. En sorte que le temps nous paraît venu d'une renaissance, d'un dialogue dans un vaste ensemble polyphonique, sans souci d'on ne sait quel combat pour ou contre la prééminence de telle ou telle langue ou d'un quelconque "impérialisme culturel". Le centre relégué au milieu d'autres centres, c'est à la formation d'une constellation que nous assistons, où la langue libérée de son pacte exclusif avec la nation, libre désormais de tout pouvoir autre que ceux de la poésie et de l'imaginaire, n'aura pour frontières que celles de l'esprit. Liste des signataires : Muriel Barbery, Tahar Ben Jelloun, Alain Borer, Roland Brival, Maryse Condé, Didier Daeninckx, Ananda Devi, Alain Dugrand, Edouard Glissant, Jacques Godbout, Nancy Huston, Koffi Kwahulé, Dany Laferrière, Gilles Lapouge, Jean-Marie Laclavetine, Michel Layaz, Michel Le Bris, JMG Le Clézio, Yvon Le Men, Amin Maalouf, Alain Mabanckou, Anna Moï, Wajdi Mouawad, Nimrod, Wilfried N'Sondé, Esther Orner, Erik Orsenna, Benoît Peeters, Patrick Rambaud, Gisèle Pineau, Jean-Claude Pirotte, Grégoire Polet, Patrick Raynal, Jean-Luc V. Raharimanana, Jean Rouaud, Boualem Sansal, Dai Sitje, Brina Svit, Lyonel Trouillot, Anne Vallaeys, Jean Vautrin, André Velter, Gary Victor, Abdourahman A. Waberi. Fin mai sera publié chez Gallimard : Pour une littérature-monde, un ouvrage collectif sous la direction de Jean Rouaud et Michel Le Bris.» Commentaires1. Le jeudi 15 mars 2007 à 22:31, par brigetoun ou brigitte célérier : zut il y a des gens que j'aime bien - et la nouvelle quelle est bien - mais n'y a-t-il pas eu toujours à la fois des écrivains amoureux des jeux de forme et des écrivains ouverts sur le monde dans la littérature française - et une littérature purement narrative et fondée sur le récit, le sens évident, ne serait elle pas un tantinet morte 2. Le vendredi 30 mars 2007 à 01:05, par jenbamin : Oui c'est exactement ça : c'est de l'ordre du "zut il y a des gens que j'aime bien" ; n'empêche que c'est bien réac' comme il faut... Dans libé ce matin, un "rebond" à ce sujet, lu en diagonale donc je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, et puis apparemment il n'est pas encore en ligne, sorry. 3. Le vendredi 30 mars 2007 à 01:09, par jenbamin : ah si pardon, le voilà, le rebond : 4. Le vendredi 30 mars 2007 à 02:03, par Berlol : Merci
du lien, je ne l'aurais peut-être pas vu... L'article étant
intéressant, pour faire suite au "manifeste", je le copie ci-dessous. |
Samedi 17 mars 2007. Crapauds dans
la vasque. J'ai arrêté de regarder La Télévision, le livre, et j'ai commencé le cours. C'était le dernier. Le dernier cours, le dernier samedi de la session. Tout le monde a pris la parole, à la fin, vers midi vingt, pour dire ses impressions, en quelques mots. Personne n'était déçu par le livre. Personne ne s'était attendu à y trouver tout ce qu'on y a trouvé... Les dernières pages, après le bain (p.212) en écoutant Beethoven (le mouvement lent de son dernier quatuor, intitulé la résolution difficilement prise), retracent la dernière journée du livre, sans dire que c'est la dernière, mais en insistant bien sur les marqueurs temporels, comme s'il fallait attendre un événement spécialement important. Or, il n'y a rien d'aventureux (emmener son fils à l'école, déambuler dans les rues, passer une soirée à la maison, sentir son enfant bouger dans le ventre de sa femme — choses dont on peut cependant se réjouir). Tout juste le compromis, qui est peut-être la résolution prise, celle d'accepter la télévision, même sans la regarder soi-même, d'accepter d'être dans son temps, et non dans celui de Charles Quint, et de continuer normalement à vivre avec sa famille qui va s'agrandir (comme le fils du Titien dans la nouvelle de Musset, après avoir peint son seul tableau). Au point d'acheter un téléviseur supplémentaire (p.217) — paradoxalement, pour quelqu'un qui disait avoir arrêté. Pourtant, ce ne sera pas sans maudire les nuisances polyphoniques d'une soirée qui donne le ton de celles de l'avenir : vidéo-cassette d'un dessin animé d'un côté, émission de politique locale de l'autre — impossible de se concentrer pour faire autre chose, surtout si c'est quelque chose comme de la recherche. Toussaint a ici très bien fait sentir ce qui est le quotidien d'un chercheur : l'intrication permanente du travail et de la vie personnelle, la quasi-impossibilité de déterminer fixement des horaires de travail et pire encore, peut-être, des heures de non-travail. Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire (et dites en cours) sur le suspense, l'ellipse, la polysémie, toutes choses qui participent d'un art de dérouter le lecteur pour l'amener, s'il le peut, sur un chemin de surprises pas évidentes... Au Saint-Martin et après, dans l'après-midi, je me rends compte combien cette dernière leçon m'a vidé, fatigué. Ni l'agneau-frites ni la bière, ni la marche ni le cimetière où j'accompagne T. pour le nettoyage mensuel n'ont pu empêcher le mal de tête de se lever vers 14 heures. Due au réveil très matinal, à la probable fatigue des yeux et à la dépense verbale, la céphalée se nourrit en outre du froid et du vent alors que je ne m'étais pas couvert assez pour sortir si longuement. Par instant, mes idées se brouillaient au ciel comme les œufs de crapauds dans la vasque de pierre.* Après avoir marché de Gaien à Aoyama, agréablement tout de même quand le soleil daignait montrer sa pâle figure, nous avons pris le métro à Omote-Sando pour, entre les foules électrisées d'une fin de samedi après-midi, rentrer. Et je suis allé directement me coucher une heure. Avant le dîner. Que T. fit sagement frugal. Accompagné et suivi de quatre épisodes de Lost (on arrive bientôt à la fin de la saison 2) qui me détendirent bien, le crâne aidé par de grandes rasades de thé au jasmin. Et guère plus à dire d'aujourd'hui, au moins ce soir. Je me souviens : j'ai été très content de croiser deux de mes collègues, ce matin. L'un à la pause, avec qui j'ai parlé de Cléo de 5 à 7 (A. Varda, 1962), film que nous adulons de concert. L'autre avec T., après le cours, qui nous confirmait la signature de son contrat dans une université. Et hier, aussi, d'avoir longuement parlé au téléphone avec David, de retour d'Orléans, où tout s'est finalement bien passé. Y compris l'embarquement à l'aéroport, sans problème de surpoids de bagages (il m'a dit avoir consulté la page de l'an dernier pour vérifier ce qui s'était passé). * Il faudrait peut-être que j'accompagne JCB à Podioliborelli. Nous aurions au moins une femme à partager, même morte... Commentaires1. Le mardi 20 mars 2007 à 13:10, par Philippe De Jonckheere : "Nous aurions au moins une femme à partager, même morte..." 2. Le mardi 20 mars 2007 à 17:05, par Berlol : Surtout si tu la répètes... |
Dimanche 18 mars 2007. Avec le
pare-brise sale, une nonchalance à perte de vue. Après un brunch tardif et la lecture de quelques courriels, c'était déjà midi. Un peu de soleil mais grand vent ; un temps de saison. Le même qu'il y a quinze ans, me dis-je depuis quelques jours... Il y a quinze ans, je m'apprêtais — nous étions deux — à partir pour le Japon. Dont je ne savais rien. Ou presque. Ma compagne d'alors avait étudié le japonais plusieurs années. Moi le chinois, deux ans, abandonnés — on ne peut pas tout faire — pour approfondir les recherches en littérature française. Ce pourquoi j'avais cette invitation japonaise pour deux ans. De ce 18 mars 1992, je ne me souviens pas du tout. Rien, aucune image, aucune émotion. C'est ma maladie, honteuse : l'oubli — moteur profond de ce journal. C'est pourtant le jour où nous avons fini nos bagages, fermé nos portes, gagné l'aéroport et décollé. Il a dû y avoir des effusions, des craintes familiales, des promesses de courrier et de téléphone dès l'arrivée à bon port. Nous décidons d'aller marcher une heure, T. et moi, vers Edogawabashi, pour voir où en sont les cerisiers le long de la rivière. Manu doit se souvenir de la balade, il a habité tout près. On a bien fait de se couvrir parce que le vent est glacial. J'ai pris l'enregistreur numérique pour faire des essais. La meilleure prise sera dans une boutique de gâteaux japonais, bourdonnante de formules de politesse et de froissements d'emballages. Les fleurs des cerisiers écloront d'ici trois jours, conclut T. — quant à celles des pêchers, c'est juste aujourd'hui, timidement... Bourgeons au garde-à-vous Pêchers, vous éclosez tout de suite Et défendez fièrement vos couleurs Cerisiers, vous éclorez mercredi Soyez braves sous les intempéries De retour, T. se remet à sa traduction. Je regarde The Brown Bunny (Vincent Gallo, 2003). J'y retrouve le plaisir de ce cinéma dépouillé, déroutant parce qu'on n'y sent pas les marqueurs habituels de la fiction cinématographique, les repères de l'histoire qu'on veut nous vendre. Au contraire, comme si on suivait ce garçon sans le connaître, comme si on pouvait l'épier sans qu'il nous voie, on regarde de tous nos yeux pour essayer de comprendre. Le sens se construit petit à petit. Motard, beau gars, des contacts faciles avec des femmes mais il laisse tomber, on se demande pourquoi. Un peu de musique mais pas trop, de longs plans de routes américaines avec le pare-brise sale, une nonchalance à perte de vue qui (me) rappelle inévitablement les premières minutes de Gerry (2002). Il cherche quelqu'un. Daisy, qu'il a perdue. On comprendra quand et comment vers la fin, après qu'elle sera venue lui rendre en visite en tendre succube de sa mémoire. Et dire que d'aucuns se sont choqués d'une fellation (hélas, floutée dans le dévédé japonais), au lieu d'en voir le sens, sa beauté (c'était leurs sens contre le sens). Comme prévu, j'ai enregistré le Surpris par la nuit de vendredi, sur la prise de son et l'audition. Puis Répliques, Concordance des temps et Jeux d'épreuves. Mais ce que j'écoutais, en allant faire des courses (dévédé à rendre, légumes pour une ratatouille), c'était une partie d'une Radio libre de 2001 sur Flaubert (Cf. L'Huma ou le Bulletin Flaubert, car FC n'a pas d'archives antérieures à 2002 !), avec Pierre-Marc de Biasi et Pierre Dumayet, puis Claudine Gothot-Mersch... Commentaires1. Le lundi 19 mars 2007 à 01:43, par brigetoun : je ne sais plus quelle était l'émission
que j'écoutais en faisant du ménage sur le livre et
internet, décevante 2. Le lundi 19 mars 2007 à 04:16, par Berlol : Apparemment non, parce qu'il ne gèle pas, tout de même. Mais il y aura sans doute une bonne semaine d'avance. |
Lundi 19 mars 2007. C'est la puce
qui fait le pigeon voyageur. Depuis hier, on peut utiliser une carte unique, PASMO, pour prendre métro, JR (équivalent du RER) et bus dans la zone métropolitaine de Tokyo. S'il s'agit du dernier progrès en matière de transports urbains, il ne faut pas croire qu'on accède ainsi, même avec trente ans de retard, au coup de génie — j'en ai déjà parlé, je crois — que fut pour le jeune parisien que j'étais alors la carte orange sur Paris (1975). Car cette nouvelle carte n'est pas un forfait hebdomadaire ou mensuel, mais une carte à débit, rechargeable. Le prix de chaque passage sera donc exactement le même ; le seul avantage étant de n'avoir qu'une carte au lieu de deux ou trois. Comme le permettait déjà la carte SUICA, valable pour le JR, il est également possible de se servir du PASMO comme d'un porte-monnaie électronique dans un certain nombre de commerces. Et pour peu qu'on achète et recharge son PASMO avec une carte de crédit, on devient entièrement traçable, commercialement ciblable. C'est la puce qui fait le pigeon voyageur. Évidemment, rien de tout cela n'existait en 1992. Durant mes premières semaines au Japon, je découvris ce que je pouvais appeler des avances et des retards de cette société par rapport à celle que je venais de quitter. On a d'abord besoin de comparer pour se construire de nouveaux repères. Et même un nouveau repaire... Il fallut plusieurs années — et la rencontre de T. — pour que je comprenne que c'était seulement des différences. La situation du paiement dans les transports en commun était tout de même réellement en retard : plusieurs compagnies, chacune avec ses lignes, obligeant les voyageurs à acheter un billet à chaque voyage et à chaque changement. Des abonnements, mais seulement d'un point à un autre (du domicile au lieu de travail, évidemment). Des carnets de tickets, aussi, mais pas de cartes et encore moins de forfaits. Nous venions de trouver trois places au Saint-Martin pour déjeuner, T., sa copine Miyuki et moi, quand un premier véhicule de pompiers passa dans la rue. Pendant la commande de notre déjeuner, deux autres sirènes retentissaient dans la rue. Un ou deux autres camions passèrent, rugissant. Tout le monde commençait à regarder dehors. On voyait les badauds ébahis qui s'orientaient tous dans une même direction. En attendant mon plat, je suis sorti dans la rue déjà barrée des deux côtés, les camions de pompiers ayant sorti des tuyaux pour les brancher sur des arrivées d'eau. À moins de cent mètres, en direction d'Iidabashi, une foule était massée mais je ne voyais rien de ce que les gens regardaient. Ce n'était pas dans la rue même, mais dans le pâté de maison, c'est-à-dire dans le réseau d'anciennes ruelles qui sépare la Kagurazaka de la parallèle où je me trouvais. Je pouvais voir également deux personnes sur un balcon, qui avaient l'air de photographier ou de filmer, ce qui voulait dire qu'il n'y avait pas de danger mais que le sinistre était visible. Cela m'indiquait à peu près son emplacement. Je suis rentré dans le restaurant pour donner ces quelques informations à Yukie et à T. qui traduisit pour Miyuki. Une minute après, c'était le patron du Clos Montmartre, un autre restaurant français du quartier, qui passait boire un coup et dire qu'au moins cinq maisons brûlaient, dont un célèbre restaurant d'onigiris. Nous avons déjeuné mi-discutant mi-regardant dehors les mouvements de personnes et de véhicules. Après être sortis du restaurant, nous avons essayé d'en savoir plus mais toutes les ruelles étaient barrées. Par certaines d'entre elles, on voyait de la fumée... Il a fallu attendre de voir la télévision pour connaître l'ampleur de la catastrophe : sans doute une douzaine de maisons traditionnelles, parmi les dernières du quartier — des restaurants traditionnels, pour la plupart — ont brûlé, le feu s'étant propagé de l'une à l'autre du fait de leur contiguïté. Étonnante coïncidence : un épisode des 4400, hier soir, et un épisode de Lost, ce soir, présentent le même procédé de déstabilisation psychologique, avec, à chaque fois, un personnage persuadé d'avoir vécu en rêve ce que le spectateur prenait pour sa vraie vie. On n'y croit pas, mais le vertige produit quand même son petit effet. Enfin, marche forcée Dans les bois éternels. Jusqu'à l'oméga, vers une heure du matin. Il y avait d'abord une coupable évidente. Puis deux coupables possibles. Choisir passait par la façon de comprendre deux vers de Corneille. Au XXIe siècle ! Faut du culot, tout de même ! « Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !» (Pierre Corneille, Horace, acte IV, scène V) Fallait-il y voir une analogie ou fallait-il les lire littéralement ? Faire dans le symbole ou dans le détail ? Assurément, une très belle figure de discours proposée par Fred Vargas ! Commentaires1. Le lundi 19 mars 2007 à 19:36, par Manu : L'autre jour, tout près de chez moi, un salon de coiffure a entièrement brûlé. Le temps serait-il propice aux incendies (sec et venteux, mais pas chaud pourtant !) ? S'il ne les déclenche pas, sans doute les attise-t-il et les rend-il plus difficile à maîtriser. 2. Le lundi 19 mars 2007 à 19:50, par Berlol : As-tu vu l'incendie de Kagurazaka à la télé ? Il y a eu plusieurs reportages, y compris des images prises d'un hélicoptère... À jeudi ! |
Mardi 20 mars
2007. Les ruelles de la zone. Oui, je peux maintenant recommander chaudement l'écoute de Jean-Claude Chevalier dans la série À Voix nue de la semaine dernière. Ce qu'il révèle de l'histoire de l'université française de ces quarante dernières années va du conceptuel au croustillant, et souvent dans l'inédit. Certaines anecdotes individuelles aideront à comprendre des disputes prétendument conceptuelles, et que même si les théories étaient valables, il y avait bien des haines inutiles... Ça, je le savais : « Les guerres de nos théoriciens s’originent toujours dans la mesquinerie d’une pause-café ou d’une porte mal tenue, trente ans avant.» (Cf. Je rentre à la meschon... Je me répète. Pardon pour celles et ceux qui l'ont déjà lu. Je suis content, tout de même, d'avoir confirmation. Sans l'avoir demandé.) Canal Académie consacre une semaine à la langue française. Nombreuses émissions alléchantes, dont cette Académie des blogs, d'Élodie Courtejoie et David Abiker (ce dernier sévissant aussi dans Arrêt sur Image), qui traitait jeudi dernier des Zakouski du jeudi, blog de terminologie contemporaine (prestation très moyenne). J'ai écouté aussi avec beaucoup d'intérêt l'entretien avec Alexandre Grandazzi sur le fonctionnement de la Commission de terminologie et de néologie. Des mois et des mois qu'on voulait retourner au French Dining, chez Peter. Et justement aujourd'hui T. me proposait de déjeuner à trois, avec Tai-chan, un ami du centre de sport. Alors, pourquoi pas, allons au French Dining !... Et c'est fermé ! Fer-mé ! Il y a un panneau indiquant que ça ferme le lundi et le 3e mardi chaque mois ! On est tombé dessus ! Dépités, tels le prisonnier évadé qu'un gros ballon ramène dans l'île des retraités, nous parcourons les deux rues qui nous séparent du Saint-Martin... On n'en est pas fier mais on n'a pas envie de tourner en rond plus longtemps, il est déjà une heure passée. En revanche, je suis très content du portrait de T. en reflet. Quand il est question de travail, j'en viens à parler de Manu, que j'aimerais bien faire rencontrer à Tai-chan vu qu'ils vont sans doute avoir très bientôt la même activité. On verra. Après le déjeuner, on parcourt les ruelles de la zone incendiée hier mais on n'arrive pas à approcher du sinistre. Ce n'est que plus loin, par un escalier d'immeuble, qu'il sera possible d'apercevoir à peu près l'ampleur des dégâts. Cinq ou six maisons, tout au plus. On voit bien que la construction d'immeubles de cinq ou six étages tout autour de ces vieilles maisons s'est faite sans ménager d'accès suffisant à d'éventuels secours. D'où lenteur et difficulté d'accès pour ceux d'hier, malgré leur nombre et leur vitesse d'intervention. Après-midi à préparer mon ordinateur portable, pas utilisé depuis près d'un mois. Documents à télécharger pour travailler un minimum (sur Madame Bovary). Logiciels de communication à jour si possibilité de connexion balinaise. À propos de Madame Bovary, vu que je m'y remets ces jours-ci — un peu comme si j'arrivais de la Lune —, quelqu'un saurait-il si on a résolu la question du « nous » dans le premier chapitre ? Commentaires1. Le mercredi 21 mars 2007 à 02:24, par brigetoun ou brigitte célérier : simple facilité pour introduire le récit et installer le regard extérieur, qui bien sur ne pourra plus; par la suite, être ce nous de la classe - mais le lecteur n'en aura plus conscience puisque Charles et les autres à la suite se seront installés ? 2. Le mercredi 21 mars 2007 à 02:49, par christine : peut-être que Charles (ou Gustave) souffre également d'un problème d'articulation du je / nous ... |
Mercredi 21
mars 2007. Dans les interstices de vent et de soleil. Petite aventure intercontinentale, entre ce matin et ce soir. Je parcourais des pages du site Canal Académie, point encore repu des programmes recommandés hier, quand je suis tombé sur une de la journaliste Élodie Courtejoie intitulée Ravel, roman, pour une excellente émission avec Jean Échenoz de près de 38 minutes, page qui donnait en bas une adresse d'un « site personnel de Jean Echenoz ». La mention m'a intrigué parce que je ne voyais pas du tout Jean Échenoz faire son site personnel. Et puis on en aurait entendu parler. Le lien m'a mené vers une page assez fournie, fort intéressante, déjà référencée notamment sur Remue.net et que l'on doit à Amancio Tenaguillo y Cortázar. Quelle ne fut pas ma surprise, avançant dans son site, de découvrir qu'il avait fait des études à Paris 3 et qu'il était né deux jours après moi... Mais bon, là n'est pas l'aventure ! J'ai repéré l'adresse de contact de Canal Académie et me suis fendu d'un gentil courrier pour prévenir qu'il y avait risque de méprise, surtout en ces temps où des écrivains se mêlent en effet d'avoir leur propre page web, voire leur propre blog. Pendant que j'y étais, j'ai aussi prévenu M. Tenaguillo y Cortázar de mon initiative. Et puis l'eau de la journée a coulé sous des ponts de vent et de soleil. Ce soir, de retour à la maison, j'ai trouvé un courrier d'Élodie Courtejoie qui avait modifié en conséquence la page échenozienne, et un courrier d'Amancio Tenaguillo y Cortázar, surpris — parce qu'il n'avait rien demandé. Je leur ai répondu. On ne sait où iront ces contacts. S'ils seront oubliés demain ou s'ils ouvriront des lectures croisées, plus si affinités. L'avenir nous le dira ; ne le précipitons pas. Mais il me plaît de croire que même à ce stade, ce n'est pas inutile. Que chaque petit fil de travers ou coupé que nous avons l'occasion de remettre en place contribue. Emploi absolu. Pas besoin de dire à quoi. Ça contribue, c'est tout. Idéalisme naïf, dira-t-on peut-être. Peu m'importe car à la base, pour moi, rien ne sert à rien, le monde n'a pas de sens et je n'ai ni raison de vivre ni mission. Ça contribue, c'est mon plaisir. L'eau de la journée, ce fut d'abord un déjeuner de piperade, pour finir la ratatouille. Puis rejoindre T. en fin d'après-midi près du cimetière d'Aoyama, après une cérémonie annuelle à la mémoire des morts à laquelle je n'assistais pas. Puis de me promener avec elle dans des rues qui nous menèrent au magasin BoConcept — magasin qui existe aussi en France et où nous avons trouvé tout de suite (alors qu'on cherche depuis des semaines) les chaises que nous voulions, avec choix du bois et du tissu, à un prix plus qu'intéressant. Après cette bonne surprise, nous avons dîné dans un petit restaurant chinois, près du carrefour d'Omote-Sando, avant de nous rendre en métro au grand magasin Seibu de Shibuya où T. voulait acheter des crèmes solaires. Ce qui fut fait. Et de retour à la maison, deux épisodes très moyens, très sitcom, de 4400... Avant que je me mette au courrier et à ce billet du jour. Un peu partout, dans les interstices de vent et de soleil, je lisais Madame Bovary en prenant des notes serrées dans la marge. Sans relire aucune critique, comme d'habitude, dans une confrontation directe avec le texte. Sauf que ce matin, j'ai un peu décortiqué l'avis de Baudelaire. Qui, il y a 150 ans, ne s'y était pas trompé. Extrait : « "Quel est le terrain de sottise, le milieu le plus stupide, le plus productif en absurdités, le plus abondant en imbéciles intolérants ? "La province. "Quels y sont les acteurs les plus insupportables ? "Les petites gens qui s'agitent dans de petites fonctions dont l'exercice fausse leurs idées. "Quelle est la donnée la plus usée, la plus prostituée, l'orgue de Barbarie le plus éreinté ? "L'Adultère. "Je n'ai pas besoin, s'est dit le poète, que mon héroïne soit une héroïne. Pourvu qu'elle soit suffisamment jolie, qu'elle ait des nerfs, de l'ambition, une aspiration irréfrénable vers un monde supérieur, elle sera intéressante. Le tour de force, d'ailleurs, sera plus noble, et notre pécheresse aura au moins ce mérite, — comparativement fort rare, — de se distinguer des fastueuses bavardes de l'époque qui nous a précédés. "Je n'ai pas besoin de me préoccuper du style, de l'arrangement pittoresque, de la description des milieux ; je possède toutes ces qualités à une puissance surabondante ; je marcherai appuyé sur l'analyse et la logique, et je prouverai ainsi que tous les sujets sont indifféremment bons ou mauvais, selon la manière dont ils sont traités, et que les plus vulgaires peuvent devenir les meilleurs". Dès lors, Madame Bovary — une gageure, une vraie gageure, un pari, comme toutes les œuvres d'art — était créée.» (Charles Baudelaire, « Madame Bovary par Gustave Flaubert », in L'Artiste, 18 octobre 1857.) Commentaires1. Le mercredi 21 mars 2007 à 12:48, par choupinette :
« Ce François Bon, qui plume en main ne l'est pas tant que ça, est en
passe d'être le plus grand rapace de notre littérature, lançant des O.
P. A. sur tout ce qui traîne la patte : chômeurs, S. D. F., illettrés,
prisonniers, sans-papiers. Ses livres sont de vrais voitures-balais,
avec, comme chauffeur, un fonctionnaire de la récupération. 2. Le mercredi 21 mars 2007 à 16:26, par Berlol : La
dernière (et seule) fois que j'ai lu ça, c'était chez Cynthia... Mais
il y a un bail, déjà ! On se demande ce que ça vient faire ici,
aujourd'hui. Il faut croire que Choupinette, pressée, ne pouvait plus
attendre pour déposer son étron quelque part... 3. Le jeudi 22 mars 2007 à 05:14, par christine : "ça contribue, c'est mon plaisir." : je souscris ! ... et sans se laisser déprimer par les choupinettes ! 4. Le jeudi 22 mars 2007 à 07:56, par Berlol : Merci de ton aide précieuse, chère Christine. Je vais assurément utiliser ces avis sur le style (Baudelaire, Proust, etc.) pour préparer mon cours (n'ayant pas l'intention de faire de la psychologie ni de l'anthropologie des mœurs du XIXe siècle, ce qui serait un contresens, je crois). |
Jeudi 22
mars 2007. Entrer de force dans l'entonnoir de l'édition. Et un prix de plus ! Aux critères d'ailleurs très discutables, dans le genre formatage et Cie. Il n'est pas sûr du tout, en s'y prenant comme ça, que la blogosphère accouche d'œuvres novatrices et libératrices... C'est la liberté littéréticulaire qu'on veut faire entrer de force dans l'entonnoir de l'édition. Autant dire : la bâillonner. Je subodore d'ailleurs que les promoteurs de prix littéraires ont plus à y gagner que les récipiendaires... Après tout, les promoteurs restent aux premières loges, tirent les ficelles et profitent en permanence des prébendes du milieu, alors que l'heureux élu ne vient qu'une fois, recevoir la manne et faire sa révérence. Préparation de valise. Message de David, qui est à Tokyo, à deux pas d'ici, en train de participer à un stage pédagogique. Que ne m'en a-t-il prévenu plus tôt ! Enfin, pas grave, on se verra tout à l'heure. En attendant, je vais déjeuner, peut-être pour la dernière fois, avec Manu au Champ de soleil. La prochaine fois, ce devrait être dans un autre quartier. J'aime bien le quai du JR, à Kanda, qui donne directement sur les maisons, la rue et les immenses panneaux publicitaires. Il y a un côté foutoir et cosy qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Avant le déjeuner, en vitesse dans une solderie, j'achète un petit couteau Victorinox, à six ou sept fonctions, gris métallisé et très plat. On parle pas mal de blogs, du JLR, mais aussi de virus, et d'antivirus, qui reviennent un peu à la même chose, fabriqués plus ou moins par les mêmes personnes. Après l'avoir raccompagné à son bâtiment, je marche jusqu'à la gare de Tokyo et passe à la librairie Maruzen, histoire de voir les guides et cartes sur Bali. Mais rien ne me tente, trop lourd, trop volumineux, alors qu'on n'aspire quasi qu'à rester sur place. Et puis à l'hôtel, on nous donnera sûrement des plans, des prospectus divers. On fera avec. À la maison pour du courrier en attendant l'appel de David. Nous nous retrouvons vers 18 heures et allons discuter un bon moment avec Franck Michelin qui gère le bureau d'EduFrance qui devient CampusFrance... De plus en plus de programmes, mais de moins en moins de moyens, et de moins en moins de motivation d'étudiants... Pour que des étudiants scientifiques aillent suivre des cursus en France, il faudrait que la France commence par soigner son image. En effet, la plupart des étudiants ici ignorent quelles sont les technologies de pointe françaises. Pire, ils connaissent par exemple le nom d'Airbus mais ne savent pas que c'est en grande partie français — quoique... en ce moment, ça vaut peut-être mieux qu'ils l'ignorent. Après, on retrouve T. pour aller dîner au French Dining à trois. David semble très content de découvrir un second restaurant français dans le quartier (il est retourné ce midi au Saint-Martin). Retour et préparation d'ordinateur, de sauvegardes, de bagages (suite). Dès demain et pendant une semaine, il n'est pas sûr que le Journal LittéRéticulaire puisse être délivré. Cela dépendra des possibilités — et des tarifs — de connexion à Bali, à l'hôtel... Je ne me suis pas foulé pour le savoir à l'avance. Au pire, mise à jour progressive à partir du 31. Demain matin, avant de partir, je fermerai les commentaires, en même temps que le gaz et les lumières. D'ailleurs, plus pour éviter le spam qu'autre chose. Commentaires1. Le jeudi 22 mars 2007 à 14:12, par christine : Bali fait rêver alors que le froid est revenu sur Paris ... très bonnes vacances à vous deux ... cela fait du bien de débrancher parfois complètement l'écran à mots et images 2. Le mercredi 28 mars 2007 à 20:36, par Manu : "virus, et d'antivirus, qui reviennent un peu à
la même chose, fabriqués plus ou moins par les mêmes
personnes." 3. Le mercredi 28 mars 2007 à 23:13, par Berlol : Ça fait peur ! Tu m'imagines, un jour, dire : "mon ordinateur est à la casse, y avait rien à faire, il avait attrapé une maladie rare..." (Ou s'il y a un lieu pour le don d'organes informatiques...) 4. Le jeudi 29 mars 2007 à 00:46, par Manu : Je ne sais pas si j'ai été tout à fait clair, mais le sens de mon commentaire était surtout qu'on peut imaginer que dans le monde biologique aussi, les mêmes créent les virus et leurs antidotes. 5. Le jeudi 29 mars 2007 à 02:04, par christine : sans vouloir la jouer X files, je suis certaine que cela se pratique déjà ! es-tu certain de n'avoir rapporté de bali qu'un banal "rhume" berlol ? 6. Le jeudi 29 mars 2007 à 02:19, par Berlol : Attends, tu me fous les jetons !... 7. Le jeudi 29 mars 2007 à 06:01, par Philippe De Jonckheere : Comme
je trouve admirables le formulaire et les formalités à remplir de ce
concours, parce qu'ils renseignent assez utilement, d'une part sur la
méconnaissance complète des us du monde connecté, qui remplit encore un
formulaire et le poste?, à qui viendrait l'idée d'imprimer son blog? et
d'autre part donc sur l'imposition de leur manière de fonctionner à
eux. Sans compter finalement qu'ils n'ont pas l'air de se rendre compte
qu'ils iraient sûrement plus vite, et plus efficacement, à aller
chercher cette matière, qui leur fait envie, à la source. C'est
consternant de bêtise. 8. Le jeudi 29 mars 2007 à 06:47, par Berlol : Cher
Philippe, profitant de ton passage et d'une semaine de recul (mais même
le recul lasse), je suis retourné sur la page des Blogauteurs,
auto-proclamés s'il en est, et me suis esclaffé de voir les piles de
commentaires qu'ils ont à gérer... Mais comme ils veulent gérer des
trucs, ça ou autre chose, hein... 9. Le jeudi 29 mars 2007 à 09:49, par Philippe De Jonckheere : Merdre, tu as raison. |
Vendredi 23 mars 2007.
Dès l'ouverture du sas, parfum tropical et
chaleur humide. Fin de paquetage et arrosage des plantes. Dernières lectures en ligne. Bémol dans ma joie pré-balinaise : ne pas être au colloque François Bon [Note du 29 : merci à ceux qui y sont allés, dont Menear, de faire des comptes-rendus aussi personnels que possible]. J'en ai appris tard l'organisation, je n'ai pas fait de proposition d'intervention, je n'ai pas dialogué sur ce sujet avec l'intéressé (aurais-je eu quelque chose à apporter, d'ailleurs ? — il faut lutter contre la tentation de se croire indispensable...). Or, T. et moi avions déjà décidé de faire l'impasse sur la France pour ce printemps... Choix stratégique lié à son anniversaire et au peu de vacances de ce type que nous avions jamais eues. De midi à une heure, dans le Narita Express, quelques papiers à consulter, ou à remplir pour les contrôles d'identité. Arrivés à l'aéroport, un premier comptoir pour retirer nos billets d'avion en tant que membres d'un groupe — virtuel —, un second comptoir pour l'enregistrement des bagages, une seule grosse valise, de laquelle T. a retiré un briquet en plastique qu'elle jettera finalement. Passage au scanner pour l'accès en zone voyageurs, guichet de douane (je me suis aperçu tout à l'heure que si j'ai en effet le visa renouvelé et le permis de retour, je n'ai pas fait reporter la nouvelle date du visa sur ma carte de séjour, chose que l'on pourrait me reprocher). Comme il n'y a presque personne, tout se passe très vite, on ne me reproche rien et il nous reste plus d'une heure pour déambuler — dangereusement — dans les boutiques détaxées. On sera raisonnable, on se limitera à quelques cosmétiques et eaux de toilette. Et puis c'est l'embarquement pour Denpasar. Décollage à l'heure dans un 747, à l'étage. Repas quelconque (on n'est pas là pour ça). Pas de vidéo individuelle, un seul film (mais pas mal du tout, Stranger than fiction, M. Forster, 2006). À remplir, une carte en deux volets pour obtenir le visa de tourisme à l'arrivée (avec un volet à conserver impérativement jusqu'au retour). Un voisin, de Jakarta, sympathique étudiant de l'université d'Hawaï qui vient à Bali pour une étude sociale (il manie ordinateur et téléphone portables sans s'en servir vraiment et avec une ostentation dont il ne se rend pas compte qu'elle le classe socialement tout en manifestant une sorte de malaise — à être soi sans artifice). On ne poursuit pas la conversation. Un peu de lecture. Un peu d'écoute d'un programme de France Culture de 2001 sur Flaubert. Comme on est habitués aux vols de 11 ou 12 heures, ces six heures et quelques nous paraissent courtes (et en effet, c'est la moitié, ajouté-je pour ceux qui ne savent pas compter). Atterrissage en douceur dans l'hémisphère Sud. Et dès l'ouverture du sas, parfum tropical et chaleur humide. Guichet où payer 10 dollars US, queue pour tampons, longue et sage (personne ne souhaite se faire rejeter), et sortie — soudain — dans la cohue des panneaux d'employés venant chercher des touristes ou des groupes, ce qui est notre cas. Notre logo avisé, un Holiday multicolore, un jeune garçon vérifie nos identités en japonais. Et il nous propose déjà un tour individuel en voiture à la place de celui en groupe prévu pour après demain... Les autres arrivent. Moins de dix personnes. Palabres avec chacun, départ en bus pour 20 minutes dans les rues mouillées, il a plu. On nous dépose sur un parvis large, marbré, espacé de bassins, de colonnades, de luminaires géants. Un souriant réceptionniste à turban nous prend en charge. Hôtelsomptueux, mais il est minuit. Pas le temps d'approfondir quoi que ce soit en dehors de la chambre. Juste prendre ces quelques notes. Déballons et rangeons dans des tas de tiroirs. À la télé, je trouve TV5 au 19e canal. On s'endort toutes fenêtres fermées et climatisation coupée, vers deux heures, bercés par... la pluie battante. Commentaires1. Le jeudi 29 mars 2007 à 09:19, par martine sonnet : pour info, je ne sais pas si vous avez vu, sur le forum de FB, des échos éclatés du colloque, dont les miens 2. Le jeudi 29 mars 2007 à 09:54, par Philippe De Jonckheere : Je
ne sais plus exactement, mais il me semble que dans "la chambre
obscure" de Guibert, il est question qu'il n'existe que deux façons de
prendre possession d'une chambre d'hôtel, y faire l'amour ou la
photographier. 3. Le jeudi 29 mars 2007 à 13:21, par Berlol : C'est parce qu'il n'avait pas de caméra vidéo. Nous, oui. Donc, troisième façon... 4. Le samedi 31 mars 2007 à 10:17, par Philippe De Jonckheere : Bah c'est du propre, en plus vous filmez! |
Samedi 24 mars 2007. Pages
maculées de crème solaire. Réveil vers 7 heures et demi, au rez-de-chaussée, plutôt bien situé (dans l'aile de bâtiment au niveau du n°30). Somptueux — ça risque d'être le mot de la semaine — buffet de petit déjeuner, à volonté, avec des dizaines de plats chauffés répartis en îlots thématiques, pain et viennoiseries, fruits et produits lactés, cuisine indonésienne, cuisine occidentale, les préparations à base de porc étant mises à part. Mince ! Il n'y a pas de mangues ! Pas la saison ! Plage. La pluie a cessé au petit matin. Ils doivent avoir une télécommande quelque part... On a 300 mètres de bord de plage devant l'hôtel, dans une baie de deux petits kilomètres. Cent cinquante ans après, elle n'est pas au bout de ses peines, Madame Bovary. La voici à Bali, traînée et ouverte sur la plage, gondolée par les éléments, des pages maculées de crème solaire, risquant l'insolation et la noyade. Je la cache quelque peu de Français en groupe que j'entends dans les transats alentour (apparemment un groupe d'entreprise) pérorer et négocier des tours en bateau, et qui, la voyant, pourraient vouloir reprendre les plaisanteries qu'elle évita de justesse à son mariage... (Pour de la critique littéraire, il faudra repasser dans quelques semaines.) Quand la plage est très belle, le sable fin et l'eau claire et tiède — et c'est le cas ici — je ne comprends pas pourquoi une majorité de gens préfèrent s'enfermer autour de la piscine. Bien sûr, il y a des vendeurs (fausses montres, jetski, etc.) et des vendeuses (sarongs, colifichets, etc.) mais en vertu d'un probable accord, ils n'approchent pas trop les touristes tant que ceux-ci restent dans leurs lignes de transats. Allers-retours dans l'eau et en longueurs de plage à pied, alternativement, T. et moi. Quand elle me prête son I-pod, je tombe sur un morceau très lent de l'album Mambo Siñuendo de Ry Cooder. Avec ce que je vois, accord magique. Statut de la liberté. Dernière baignade, sur le dos, j'arrive à faire la planche en respirant normalement. Une petite révolution pour moi qui ai toujours haleté dans l'eau du fait de l'imminence du danger (l'eau n'est pas mon élément). Déjeuner tardif au Chess (qui prend son nom d'un échiquier à grandeur humaine), en plein air entre piscine et plage, très animé par les écureuils, espiègles et peu farouches. Quand on leur donne une frite, ils la prennent avec les pattes avant, se la mettent en travers de la bouche et remontent dans l'arbre ou sur le dessus du parasol pour l'aller manger tranquillement. On suit le chemin de plage vers le sud, jusqu'à la limite policière des hôtels, après quoi il n'y a plus de sécurité assurée pour les touristes. Nous passons pour continuer le front de mer (sans problèmes avec les habitants). Je n'ai pas souvenir d'une telle présence policière il y a douze ans (mais j'étais à Sanur et non à Nusa Dua, ce qui faisait déjà une différence à l'époque). Après quelques minutes de marche, on découvre un centre commercial entièrement artificiel, Bali Collection, implanté dans un endroit où il n'y avait sans doute rien que de la verdure il y a encore deux ou trois ans. Avec tout de même un bon rayon d'artisanat indonésien (on y trouvera des sets de table tissés). Retour à pied le long de la route, chaque minute klaxonné par des propositions de taxi. On a tout juste eu le temps de négocier une pièce de batik (très belle, si si) dans la galerie commerciale de notre hôtel qu'il se met à tomber une puissante ondée — comme si c'était nous qui avions la télécommande, maintenant. Bonne occasion de visiter le site hôtelier, grand comme la moitié du Louvre. T. réserve pour un programme de massage demain. Puis dînons indonésien — on voulait quelque chose de naïvement tomyamkunesque, mais le résultat n'est pas si éloigné que cela. Par TV5 et l'arrestation d'un grand-père chinois qui venait chercher ses petit-enfants à la sortie de l'école, nous sommes effarés du lent effondrement de la France dans le fascisme banalisé. Le petit homme, qui n'a pas les dents limées, réaffirme l'indépendance des magistrats. Il est fort habile. Trop pour des populations qui vont l'élire — et souffrir. 22h30, nous sommes morts de fatigue, je ne dérangerai même pas Emma B., ce soir. Commentaires1. Le lundi 2 avril 2007 à 12:10, par ck : Pendant
que tu te dorais la pilule entre les pages d'Emma, le quartier est en
ébullition. L'école de la rue Rampal, on connaît. D y a fait un stage,
à celle d'à côté aussi. La directrice loge au-dessus de l'école
maternelle des mômes. Son copain est prof au collège. D l'a rencontrée,
après sa garde à vue, a loué son courage: "C'est la moindre des
choses... C'est normal de faire ce que j'ai fait." Oui, c'est normal.
N'empêche. |
Dimanche 25 mars 2007. Scier les
barreaux
horaires de l'agenda. Pendant que T. dort encore, je vais dans le contre-jour à marée basse. Il est six heures et quart. Deux ou trois personnes peignent le sable au rateau ou replacent des transats. Les volcans du nord de l'île sont clairement visibles. Ils paraissent tout près alors que dans la journée, les brumes de chaleur les cachent complètement, ou n'en laissent qu'une silhouette. Les pieds dans l'eau, là où je nageais et marchais hier, j'aperçois sous quelques centimètres d'eau calme, des oursins noirs à longues épines qui échangent des signaux avec de minuscules poissons rayés de bleu. Des étoiles de mer se déplacent reptilement des bras, m'offrant l'occasion d'un autoportrait translucide, voire extra-lucide... Sûr que je ne vais plus poser les pieds ! Mais où ai-je donc mis mes lunettes de piscine ? Ah, les voilà. Dans un bonnet de bain ! (Le masque de plongée est resté à Nagoya...) Page plage. Lecture. Après la baignade, T. va au massage, gommage, tout au bout du complexe hôtelier, près des tennis (il y en a pour 90 minutes !). Moi, j'avais envisagé d'aller au Fitness center pour pédaler, suer, althérer, etc., mais j'y ai renoncé. Beaucoup trop fatigant. Donc lecture sur la plage. Involontairement, je suis les conversations des voisins. Et je mate les belles touristes... Emma B. perd de ses charmes, forcément. Je rejoins T. et découvre une autre piscine, dans l'environnement très odorant — frangipanier — des soins esthétiques (le mot aromathérapie n'apparaît nulle part mais les narines le lisent partout). J'essaie le sauna, pas assez chaud. En revanche, extraordinaire bain de vapeur, tellement dense que je ne vois pas à un mètre. Puis on profite d'une invitation gratuite au Palace Lounge pour se gaver de petits sandwiches, gâteaux et scones en milieu d'après-midi. De sorte qu'on sautera le dîner. En fait, c'est à la notion même d'emploi du temps que nous sommes en train d'échapper. Scier les barreaux horaires de l'agenda nous libère de nos rythmes sociaux. À quoi s'ajoute le changement d'horaire de la France... Retournons à la plage. Je montre à T. les oursins et les volcans. Elle me conseille de photographier deux russes qui sont allés s'asseoir dans le pavillon de massage admirer le paysage. Quand je pense qu'en ce moment même des milliers de personnes arpentent les allées du Salon du livre de Paris ! Je ne regrette pas de ne pas y être. Tellement déçu les dernières fois que j'y suis allé que je ne crois plus guère possible pour moi d'y régénérer le plaisir de lire. Tellement déçu d'y avoir vu des écrivains cul et chemise avec leurs éditeurs alors qu'ils méprisaient visiblement les lecteurs, ces badauds. Si j'y retourne, à l'avenir, ce sera que l'espoir d'autre chose m'aura repris. Je tiens fermement Emma B., au moins une heure. C'est elle, la littérature, concentrée dans le feuilleté d'un parallélépipède rectangle conçu il y a plus de 150 ans. Elle m'éblouit. Ou c'est le soleil qui me tape sur la tête. Déjà qu'il m'a flashé de partout — sans doute quand j'étais dans l'eau, l'effet loupe quand on fait la planche... Commentaires1. Le vendredi 30 mars 2007 à 14:21, par Bikun : Vraiment excellentes les photos sur ce billet Patrick!! 2. Le vendredi 30 mars 2007 à 14:55, par Berlol : Merci, Bikun ! Venant d'un photographe, ça me touche ! 3. Le vendredi 30 mars 2007 à 21:41, par Manu : Ce jour-là, à Tokyo, c'était le déluge. Une pluie battante avec des vents très forts. Impossible d'aérer, cela aurait inondé le parquet. Pendant ce temps-là, le virus de la grippe profitait de la situation... |
Lundi 26 mars 2007. Au
gré des bains, des faims, des sommes. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire d'une telle journée de plage ? De celles dont on rêve tout l'hiver et que l'on n'obtient généralement pas, en tout cas pas avant juillet août. (Un peu comme le lundi au soleil...) Que l'hôtel s'est quelque peu vidé depuis hier soir et que c'est maintenant la basse saison. D'où les meilleurs transats, pas d'attente aux douches ni aux cocktails de fruits... Nous nous sommes levés à six heures pour aller voir le lever du soleil. T. est allée jusqu'au pavillon du bout de la digue pour faire du yoga sous les premiers rayons. La journée s'est encore étirée sans horaires, au gré des bains, des faims, des sommes. Le matin, j'ai lu quelques pages d'un Atlas de l'histoire de France IXe-XVe siècle. Je ne sais quasiment rien de ces époques (je ne dois pas être le seul). De temps en temps des écureuils viennent jouer avec nos voisins russes, arrivés d'hier. J'ai fait un aller-retour de plus de six cents mètres pour profiter du bain de vapeur et du sauna. En même temps, respirer de la vapeur trop chaude... Je me suis demandé si c'était bien bon pour la santé... Et si l'eau vaporisée contenait des particules toxiques qui allaient se fixer sur les bronches !... Décidément, on ne comprend rien au corps. Déjeunons au Chess Bar. Plus tard, pendant que T. sieste entre deux serviettes pour éviter les coups de soleil (pas comme moi), j'accompagne (encore une fois) Emma B. au bal et suis témoin de ses émois faciles. Charles n'est vraiment pas à la hauteur, c'est le moins qu'on puisse dire. Je prends des notes. Et je comprends Emma. De toute façon, déjà très peu de temps après leur mariage, Emma savait qu'elle n'aimait pas Charles. Ni la campagne. Ni ses propres origines, finalement. Ni la famille de son mari. Je sais déjà qu'elle n'aura personne sur qui compter. Ni Charles, d'ailleurs. Le pourquoi de tout cela, c'est ce que Flaubert nous lègue... Dans L'Éducation sentimentale, il y aura des essais et des espoirs, de l'Histoire, de la politique, et au final plus de vie humaine pour Frédéric que pour Emma. À dire vrai, il n'y a guère que dans Bouvard et Pécuchet que Flaubert peut enfin écrire l'amitié. Amitié qui tient le tout des vies, la raison de vivre, indéfectible, malgré le catalogue des déboires — ou grâce à leur accumulation, comme une... aubaine des déboires. [Ajout du 30 : Aubaine, le mot me trottait dans la tête depuis des jours, étymologiquement : succession d'un étranger (défunt), profit inespéré...] Pas de pluie, finalement. Un vent assez fort nous avait fait craindre la tempête. Ce sera juste un mal de gorge. Dîner indonésien, là où se tient un buffet aux nombreuses spécialités, le même restaurant que celui du petit déjeuner, entouré de bassins de lotus. Pour nous, un plat à la carte, ça suffira. Et puis la promenade digestive ne sera pas longue... |
Mardi 27 mars
2007. Une grande couleur rouge passait sur elle... Malgré un départ pâlot, ce sera le jour le plus ensoleillé de notre séjour. On a nos marques, maintenant. On sait combien de serviettes de plage demander. On sait à quelle heure déjeuner. On sait où trouver des bouteilles d'eau à un prix acceptable (15.000 rupiahs, alors que celles de la chambre sont à 55.000). On a renoncé à sortir visiter quoi que ce soit (ce sera le sujet d'un autre séjour). On se tourne vers la mer et vers nos livres — une histoire de la peine de mort, pour T., et Emma B. pour moi. Comme cela m'est déjà arrivé trois ou quatre fois avec la combinaison mer / chaleur (Espagne, Mexique, Thaïlande, au moins, Cebu ou déjà Bali peut-être), mon mal de gorge se transforme en rhume de chaleur, un état complètement déplorable et stupide, avec éternuements, nez qui coule, déglutition difficile, maux de tête ou blocage de cou. T. en revanche est en pleine forme, un vrai petit pain d'épices, déjà. Comme d'autres, d'ailleurs. Ici, une Française, qui téléphone souvent en parlant assez fort, écrit des mails avec deux portables, et fume quatre cigarettes/heure. Mal dans sa peau ? Incapable de se débrancher ? En affaires très importantes ? Je n'essaie pas de savoir. Je ne juge pas. Mais je ne souhaite pas être dérangé. Pour aggraver mon cas (sans encore le savoir), je vais deux fois au bain de vapeur (à six cents mètres) et en inhale sans doute de la trop chaude, ce qui me crame les poumons... Faut que j'arrête les conneries. Je me tourne vers Emma B. pour qu'elle me calme. Mais elle a mieux à faire... « Emma descendit la première, puis Félicité, M. Lheureux, une nourrice, et l'on fut obligé de réveiller Charles dans son coin, où il s'était endormi complètement dès que la nuit était venue. Homais se présenta ; il offrit ses hommages à Madame, ses civilités à Monsieur, dit qu'il était charmé d'avoir pu leur rendre quelque service, et ajouta d'un air cordial qu'il avait osé s'inviter lui-même, sa femme d'ailleurs étant absente. Madame Bovary, quand elle fut dans la cuisine, s'approcha de la cheminée. Du bout de ses deux doigts, elle prit sa robe à la hauteur du genou, et, l'ayant ainsi remontée jusqu'aux chevilles, elle tendit à la flamme, par-dessus le gigot qui tournait, son pied chaussé d'une bottine noire. Le feu l'éclairait en entier, pénétrant d'une lumière crue la trame de sa robe, les pores égaux de sa peau blanche et même les paupières de ses yeux qu'elle clignait de temps à autre. Une grande couleur rouge passait sur elle, selon le souffle du vent qui venait par la porte entrouverte. De l'autre côté de la cheminée, un jeune homme à chevelure blonde la regardait silencieusement.» (Gustave Flaubert, Madame Bovary, II, 2) J'adore, le « par-dessus le gigot qui tournait ». Les détails de ce paragraphe révèlent superbement, déjà, la suite. Le Nusa Dua Beach Hotel, à la différence des autres hôtels du coin, est équipé, dans le jardin, d'un vrai théâtre indonésien. Nous nous sommes inscrits pour ce soir, avons sorti nos beaux habits, et assistons à un spectacle de danse Ramayana mimant, en 50 minutes, les aventures (donc tirées du Ramayana) d'un prince déchu, d'une princesse enlevée par un cerf divin (ici, on ne peut éviter de saluer au passage Dans les bois éternels de Fred Vargas !), etc. La gestuelle est d'une très grande précision, à ce qu'on voit. Pourtant le sens nous en échappe, par manque de culture. Reste le plaisir esthétique... des yeux et des oreilles. Le spectacle est précédé et suivi d'un buffet international. Malgré le nez et la gorge qui me font des leurs, malgré un voisin japonais qui fume sans discontinuer, j'arrive à en profiter pleinement. La nuit en revanche sera très pénible. Je ne fermerai pas l'oeil, tournerai dans tous les sens. Brièvement vers Emma B., mais elle n'aura rien à me dire. Je serai trop lourdement dans ce présent-ci pour qu'elle s'intéresse à moi — 150 ans et 10.000 kilomètres entre nous, sans compter qu'elle n'existe même pas. |
Mercredi 28
mars 2007. On organise le vol des pigeons. Ô comme il est long long long à venir le matin pour celui qui souffre et ne trouve point le sommeil — ayant conscience de la petitesse de son mal et du ridicule de sa situation... allongé dans une confortable chambre d'hôtel pendant que passent les grains de l'océan indien, tout près de celle qu'il a dans la peau, tel un maréchal des logis Pollack Henri à Bali... Et pourtant. J'ai cru vomir dix fois quand, m'assoupissant sur le dos, le fond de la gorge voulait régurgiter. Mais le dîner tenait la barre... Dix fois je me suis senti tomber du lit quand, calé assis pour respirer normalement, le sommeil m'emportait de côté. J'ai dû aller dix fois aux toilettes et boire de l'eau sucrée. Me moucher discrètement pour ne pas réveiller T. et éternuer dans un oreiller pour assourdir le vacarme... Vers 5 heures, je me suis confectionné un thé bien sucré. Une heure plus tard, le jour se levait, très gris. T. m'a accompagné marcher sur le bord de mer une demi-heure. Ça m'a fait du bien. En même temps, c'était déjà le début des adieux à Bali. Des bâtiments, la mer, le lointain que nous regardions pour la dernière fois. De ce voyage, en tout cas. Quand j'y repense, cette insomnie... Une sacrée blague !... Juste le jour du sommeil ! On a la chambre jusqu'à 18 heures parce que notre vol de retour est vers minuit. T. va à la plage, moi je reste dans l'ombre, entre TV5, Emma B., les oreillers, les mouchoirs, l'eau sucrée, etc. On déjeune au Chess, club sandwich pour moi, plat indonésien pimenté pour T., en admirant les sauts des écureuils. Elle repart à la plage jusqu'à 3 heures, finir son Histoire de la peine de mort. Moi, je commence la valise. Quand tout est prêt, on traîne dans les immenses couloirs de l'hôtel, dans les parcs, on fait des photos et des films, on va acheter des essences florales et végétales à la boutique du Spa, on règle des extras, on prend un thé au Santi Lounge en regardant un reportage de la NHK sur les carences des secours après le récent séisme au Japon. Vers 18 heures, une dame en robe de batik orange m'accoste pour me dire que le bus est là. Voilà, c'est parti. Le bus va ramasser d'autres touristes dans un hôtel voisin et... on va aller à l'aéroport. Mais la dame annonce que le vol (d'avion) étant encore loin et que l'aéroport n'ayant pas beaucoup de boutiques, il est prévu de passer au centre commercial duty free appelé Galleria et d'y rester une heure et demi (et qu'on n'a pas le choix), les achats étant à retirer ensuite à l'aéroport. L'endroit n'est guère mieux que celui découvert l'autre jour près de l'hôtel (Collection Bali), boutiques de luxe, cosmétiques, parfums, chocolats, etc., sauf qu'à l'étage il y a des restaurants carrément minables, le contraste entre les deux étant saisissant. Bref, en attendant le vol de l'avion, on organise le vol des pigeons... (Car il y a sans doute des commissions qui circulent après nos achats. On protestera de cela à l'agence de voyage.) Arrivés à l'aéroport, où tout se passe bien, et vite. On constate qu'il y a énormément de boutiques ! Dont celles de Galleria ! Du coup, je dois attendre à un comptoir pour retirer une malheureuse boîte de chocolats... Et puis on va en salle d'attente. C'est ce qui s'appelle monter un incident en épingle. Vous êtes candidat à la présidence et ancien ministre d'état, vous avez vos réseaux de contacts discrets dans tous les niveaux de la police, vous venez de laisser votre place à un homme de paille que vous pourrez griller en cas d'erreur. Vous attendez. L'occasion. Le signe du destin, direz-vous plus tard, quand vous écrirez vos mémoires. Vous y croyez. On vous tient au courant en permanence, à l'oreillette. Dans une grande gare de la capitale, aubaine, on vient d'arrêter un sans-papiers sans billet, c'est ce qu'on dit à la télé, et vous sentez que des attroupements peuvent vous servir. Pour peu qu'ils s'élargissent, s'amalgament de toutes sortes de voyageurs curieux. Au lieu de laisser faire la dispersion, donc, vous suggérez discrètement qu'on amasse, bien visibles et bien armés, des policiers. Et qu'ils ne fassent rien qu'être visibles, et armés, caparaçonnés, noirs symboles de la force publique. Et parfois gratuite. Le temps d'amasser des badauds en face, donc. Mais aussi celui que des casseurs arrivent et commencent leurs distractions favorites. En général par un magasin de sport, vêtements ou chaussures. Alors, quand c'est bien chaud, faites revenir, euh... pardon... faites intervenir vos agents en force, en masse, en vitesse et en sauveurs de l'ordre public tellement menacé que vous pourrez en parler dans les maisons de retraite jusqu'à la fin de votre campagne. Pertes : 2 à 3 % de jeunes dits défavorisés, et autant de citoyens ayant ici percé votre machiavélisme. Gains : 5 à 7 % de votants indécis tout de suite, plus 10 % à suivre si bonne exploitation par la presse (vous n'êtes pas seul dans le coup). |
Jeudi 29 mars 2007.
L'épiderme déboussolé. Revenus de Bali. Vivants. Un peu cramés ; enrhumé, moi... Ratrappage... oups... rattrapage du JLR en préparation... Le soir. Nous étions dans l'avion quand la journée a commencé, quoique encore à terre, sur le tarmac de Denpasar. Mais tellement fatigués que dormant déjà avant le décollage. Puis T. continuant tout du long, même pas allée aux toilettes. Moi, les trois quarts, je dirai, et une fois aux toilettes, et marcher me dégourdir. Pas de film, excuse de la nuit. Un vague petit déjeuner. Arrivée à Narita, contrôle des passeports (où on ne me dit même pas d'aller faire inscrire mon nouveau visa sur ma carte de séjour — c'est dire à quel point le Japon est devenu un pays plus laxiste que la France sur certains sujets...), récupération de la valise, passage de la douane et train pour Tokyo. Les cerisiers ont l'air d'avoir encore des fleurs. Déjeuner au Saint-Martin pour... exhiber notre bronzage — et ne pas faire la cuisine. Courses et sieste. Rangements. Lessive. Dans mon premier tour de blog, très petit, j'ai déjà l'impression du retour à la banalité. J'aurais presque envie de proposer à mes meilleurs amis d'aller se déconnecter une petite semaine à Bali pour voir l'effet au retour (mais peur qu'ils ne m'envoient leur facture). Ainsi recommande-t-on en divers lieux l'article de Didier Jacob sur les 50 meilleurs sites littér@ires. Mais ne voit-on pas qu'il n'y a rien là que de très connu, d'institutionnel ou pire, d'auto-proclamé ? À-t-on besoin que ce monsieur nous recommande, et en priorité encore, l'enfilage de platitudes mal écrites qu'est le blog d'Assouline ? Vous savez, celui dont l'arrêt public délivre... (Depuis que je l'ai faite, celle-là, je ne m'en lasse pas. Désolé.) En revanche, je suis content de ce que je lis sur le colloque consacré à François Bon. Bien sûr, comme le disait FB lui-même, il est désolant que l'institution — et notre collègue Dominique Viart en tête — ne soient pas disposés favorablement au sujet de la diffusion réticulaire directe. Ce souci des carrières, c'est bien ce qui m'a quitté, ces dernières années. Ce soir, on a froid. La fatigue, l'épiderme déboussolé. D'être passés, dans le désordre, de l'hiver à l'été, puis de l'été au printemps. Une grande et simple soupe au dîner. On a besoin de réhydratation... D'une île l'autre. Heureusement, on a loué tout à l'heure le dévédé 12 de la 2e série de Lost, soit les épisodes 23 et 24, où l'on voit à quels débordements électro-magnétiques mène la détermination athée (sans en comprendre encore le fin fond, mais en subodorant que là aussi le vrai n'est qu'un moment du faux), où l'on mesure également l'ampleur atroce d'un amour paternel... Heureusement que quelqu'un est caché... (Dit comme ça, ça ressemble à du brut d'atelier de scénario. Et c'est sans doute comme ça que c'est construit, à la base.) Demain, la littérature reprendra ses droits sur ma vie. Commentaires1. Le mercredi 28 mars 2007 à 19:53, par F : t'avais qu'à venir ici dans le pays gris où on bosse au lieu d'aller en vacances t'aurais été ni cramé ni enrhumé et t'aurais rien à raTraPPer : tâche de pas nous rendre trop jaloux dans le compte rendu, ménage tes lecteurs ! salut aux vivants. 2. Le mercredi 28 mars 2007 à 20:41, par Manu : Déjà de retour ! 3. Le mercredi 28 mars 2007 à 21:39, par Dabichan : お帰りなさい!いかがでしたか。 4. Le mercredi 28 mars 2007 à 23:09, par Berlol : Merci, les réactifs ! Pas plus longtemps à Bali parce que 1. le budget et 2. le boulot à préparer. J'y reviendrai... 5. Le jeudi 29 mars 2007 à 02:01, par christine : ravie de retrouver mon rv quotidien avec le JLR ... et, comme le dis très bien F (qui lui bosse beaucoup ces derniers temps!), ménage tes pauvres lecteurs ! 6. Le jeudi 29 mars 2007 à 05:55, par Bikun : Une petite courte semaine à Bali?! On attend les rapports avec impatience! 7. Le jeudi 29 mars 2007 à 06:48, par Berlol : Salut, Bikun ! Ça va arriver au compte-goutte... et puis faut que je me tienne au courant de ce que font les autres... 8. Le jeudi 29 mars 2007 à 23:33, par Alex : Bouh ! 9. Le vendredi 30 mars 2007 à 00:07, par Berlol : Eh, t'exagères pas un peu ? Franchement, je ne révèle rien... Il y a d'ailleurs eu un jeu, entre T. et moi, qui était de voir des résumés d'épisodes et de faire bisquer celui des deux qui ne savait pas... En tout cas, si on compare avec les séries d'il y a dix ou vingt ans, la distribution internationale décalée et les sites web créent une toute nouvelle façon de "vivre" ces histoires. Ce serait un bon sujet pour des sociologues, je crois. 10. Le vendredi 30 mars 2007 à 01:14, par christine : sans
vouloir absolument défendre Didier Jacob (mais comme labyrinthe et son
auteur sont cités, forcément, j'ai un a priori favorable!) je te trouve
un peu dur : il n'est déjà pas si mal d'introduire un peu d'internet
dans les pages du NouvelObs 11. Le vendredi 30 mars 2007 à 01:22, par christine : ... et pour la semaine de déconnection à Bali je suis preneuse : comme je suis la première à accepter ta généreuse offre de mécenat je gagne ? 12. Le vendredi 30 mars 2007 à 01:43, par Berlol : Disons que si tu faisais ma promo chez DJ, je serais sans doute plus cool sur Bali... 13. Le vendredi 30 mars 2007 à 02:04, par F : disons que j'ai plus d'indifférence à ça, parce que sinon on tiendrait pas dans ce boulot - 14. Le vendredi 30 mars 2007 à 02:20, par Berlol : Bien d'accord avec toi sur l'évolution, l'absence de Chloé et Télérama radio. Ce qui me reste en travers, c'est "la prime au dominant", parce que c'est ce contre quoi on lutte, et donc difficile de ne pas être dépité. 15. Le vendredi 30 mars 2007 à 02:56, par F : mais
l'immense plaisir de la guérilla Internet c'est précisément, sur notre
terrain, qu'on peut s'en passer, de la référence au consensuel - et
qu'un non-dominant absolu comme PDJ puisse imposer un travail virtuel
qui n'entre dans aucun cadre 16. Le vendredi 30 mars 2007 à 06:03, par christine : je retiens ta proposition promo contre billet pour Bali, Berlol (belle allitération!) 17. Le vendredi 30 mars 2007 à 07:15, par Berlol : D'abord,
au sujet de l'articulation site-blog. C'est vrai qu'il ne se passe
actuellement rien sur le site Berlol et que l'essentiel de l'aventure
se concentre dans le JLR. C'est avant tout une question de temps. Déjà
le JLR est en dehors, théoriquement, de mes capacités. Je prends un peu
sur mon travail, un peu sur mon sommeil, et je me donne une image
d'homme libre de son temps qui est partiellement fausse. (Vous le
saviez, non ?) Disons que c'est mon autofiction... 18. Le vendredi 30 mars 2007 à 07:53, par F : questions de majuscules et minuscules, chère C, on ne va pas se battre ! 19. Le vendredi 30 mars 2007 à 08:29, par la_littérature : Je
suis d'accord sur le nom de mon blog : c'est nul ! Petit retour en
arrière : ce blog a été créé sans conviction en octobre 2005 et je
comptais ne surtout pas y parler de littérature, d'où le second degré
du nom. En fait, l'intitulé était surtout une stupide absence d'idée. 20. Le vendredi 30 mars 2007 à 09:07, par cromagnonne :
"(...) nous sommes effarés du lent effondrement de la France dans le
fascisme banalisé.(..) Le petit homme(...) est fort habile. Trop pour
des populations qui vont l'élire — et souffrir." 21. Le vendredi 30 mars 2007 à 10:31, par brigetoun : vive votre auto fiction, et longue vie à elle. 22. Le vendredi 30 mars 2007 à 14:16, par Berlol : C'est à peu près ça, oui, Cromagnonne. Mais "Sous-Commandante" suffira, merci. 23. Le vendredi 30 mars 2007 à 14:34, par christine : mais
non, F, absolument pas de "râteau dans le nez" de ma part (juste une
toute petite pointe d'ironie, mais on ne se refait pas) : je me
félicite sincèrement que vous ayez changé d'avis et je voulais
d'ailleurs vous l'écrire "off" mais j'ai perdu l'habitude du mail 24. Le samedi 31 mars 2007 à 14:07, par christine : la_littérature
(votre commentaire a du séjourner dans le filtre de berlol et je ne le
lis que maintenant), ne prenez pas mal mes remarques non plus : ce que
vous dites de ce titre me rendra sans doute moins critique à son égard,
et de toutes façons je vous lis régulièrement et avec plaisir : je vais
continuer même si vous ne changez pas de titre |
Vendredi 30 mars 2007.
Arrêt, pour un rythme, je change. Ce matin, en provenance de Russie, plusieurs dizaines de spams de cul en anglais, plutôt narratifs (les Russes parlent bien l'anglais du cul !), avec liens pornos à l'appui (si je puis dire...). Ça dure deux bonnes heures, et puis ça s'arrête. Quelques messages ont passé le filtre. J'ajoute des mots dans la liste du filtre, comme tight. Heureusement que j'avais coupé les commentaires pendant la semaine d'absence, sinon il y aurait bien deux ou trois dizaines de commentaires qui auraient été distribués par le fil rss... Je n'ai rien contre le cul ni le porno. C'est simplement que je n'accepte pas la publicité, quelle qu'elle soit. Cours à préparer. On reste presque tout le temps à la maison. Réparation du rhume de chaleur et traitement de la peau cramée... À peu près idem pour T. Pendant ce temps, je reprends méthodiquement le calendrier radio, j'enregistre Régis Jauffret, Georges Didi-Huberman, chez Veinstein la semaine dernière, et les Vendredis de la philo avec Henri Meschonnic. Oui, le rythme est partout. Et premier même quand on ne le sait pas. Sans arrêt, pour un rythme, je change des mots. Ce qui ne veut pas dire une régularité ; trop de gens passent leur vie à confondre rythmique et métronome. En revanche, je ne conserve pas la Masse critique avec Teresa Cremisi. Son hypocrisie audible et sa langue de bois pour en dire le moins possible n'ont aucun intérêt pour l'avenir. Si les blogs m'ont un peu déçu, au retour (sauf mes préférés, bien sûr), j'ai en revanche beaucoup apprécié le Tract n°3 de Marc-Édouard Nabe, intitulé Et Littell niqua Angot. Même si j'aime bien les livres de Christine Angot, pour des raisons déjà exposées, je reconnais qu'elle joue, disons, après L'Inceste et sa notoriété, dans l'arène germanopratine, une partie qui n'est pas de mon goût (et encore moins depuis que je sais qu'elle soutient Sarko). Elle aurait peut-être vraiment dû partir au Brésil quelques temps... Et puis le succès de Littell, c'est un symptôme grave, non ? Je regrette tout de même qu'on articule encore Angot sur Littell pour une quasi unique raison de calendrier et je ne peux pas suivre Nabe dans tous ses recoins allusifs, mais l'énergie pamphlétaire et comique est salutaire. Qu'on s'interroge ! Fin de la saison 2 des 4400 dans un devédé de trois épisodes qui forment une série haletante. Si l'énorme succès de cette série a été une surprise, il peut tout de même être compris au travers des inquiétudes maintenant mondialisées sur l'identité et l'avenir des êtres humains. Et parce que c'est aussi une belle parabole de politique à la Bush, par exemple, consistant à stigmatiser, au sens propre, ceux qui deviendront des ennemis... pour qu'ils le deviennent. Et ça marche. Il suffit pour cela de susciter une communauté victimaire... (Il y a d'ailleurs un petit politicien français, candidat à l'élection présidentielle, qui essaie de répéter le truc... qui a déjà obtenu de bons résultats pendant ses activités ministérielles et qui arrivera à ses fins s'il est élu... Et c'est nous qui avons, dans l'isoloir, la télécommande...) |
Samedi 31 mars 2007. Dans un angle mort de la pédagogie. Fin de mon rhume. C'est pour T. que ça devient pénible... Donc on reste à la maison et il y en aura peu à dire. Heureusement que nous avons encore quelques jours avant la reprise des cours ! Je m'occupe des programmes, d'ailleurs. J'étends et généralise le blog des cours démarré et expérimenté l'an dernier sur une partie des étudiants. Comme il y a une éthique à respecter (en tout cas, c'est mon opinion, et ma décision) concernant les données personnelles des étudiants, je ne peux en donner l'adresse. On verra quand ça sera officialisé et réglementé... Dans dix ans, peut-être... On est là dans un angle mort de la pédagogie. Ou une aporie : les autorités veulent développer des gros projets coûteux et peu efficaces avec des directions incompétentes, et dans le même temps elles refusent de prêter l'oreille, d'autoriser ou de mettre la main au porte-monnaie lorsque des initiatives individuelles ont besoin d'une phase de recheche et développement avant éventuel gros projet. Je parle ici de ce que nous vivons dans une université japonaise, mais je pense bien sûr que cela peut-être le cas ailleurs... Pendant ce temps, je continue à courir derrière le calendrier radio : Répliquesdu 24, où Finkielkraut trouve, avec François Bégaudeau et Chakib Lahssaini, du répondant comme rarement. Comme rarement, je souligne. C'est mémorable ! Je voulais en citer des extraits, mais je n'ai pas le temps de transcrire. Notamment les deux ou trois fois où Bégaudeau pointe, en action, la fallacieuse démarche intellectuelle de Finkielkraut — à laquelle la plupart des invités se laissent prendre, moins habitués qu'ils sont que leur hôte à l'instantanéité pensée / radio. Concordance des temps qui faisait suite, sur la fraternité en 1848 (à mettre en relation, pour moi, avec ce que j'écrivais le 26 au sujet de l'amitié dans la progression littéraire de Flaubert). Puis la semaine des Chemins de la Connaissance sur l'art d'écrire, avec des hauts et des bas (Cadiot parmi les hauts, et malgré les parasites dans l'enregistrement). À signaler, une belle recension de web-design dans le récent blog de notre ami de Color Lounge. Mon regret d'aujourd'hui, là, tout de suite, est de ne pas aller à la rétrospective Jacques Demy qui est pourtant à deux minutes de chez moi. Demain, peut-être ?... Commentaires1. Le samedi 31 mars 2007 à 21:28, par caroline : Quelle chance, une rétrospective Demy ! J'ai bien quelques DVD mais pas tous ces trésors. 2. Le samedi 31 mars 2007 à 22:27, par Manu : Bon anniversaire à T. tout de même, malgré son rhume persistant ! 3. Le samedi 31 mars 2007 à 22:28, par Manu : Tu voudrais bien changer l'heure de mon commentaire pour qu'il apparaisse à la bonne date ;-). Aux US, c'est pas encore son anniv ! 4. Le dimanche 1 avril 2007 à 00:18, par Berlol : Eh
oui, Caroline, on a de la chance. Mais comme j'ai du retard de boulot,
je n'ai pas pu y aller ce week-end. Je vais essayer de trouver le temps
en fin de semaine, pour la suite... |