Mémoire, toute en lambeaux qu’elle soit
Prenant le café, après le déjeuner, j’écoute T. animer les paroles d’Athos, après la défaite et l’arrestation de Charles 1er, quand les quatre amis se demandent s’ils doivent rester en Angleterre ou rentrer en France :
« Tout est pauvre et mesquin en France en ce moment. Nous avons un roi de dix ans qui ne sait pas encore ce qu’il veut ; nous avons une reine qu’une passion tardive rend aveugle ; nous avons un ministre qui régit la France comme il ferait d’une vaste ferme, c’est-à-dire ne se préoccupant que de ce qu’il peut y pousser d’or en la labourant avec l’intrigue et l’astuce italiennes ; nous avons des princes qui font de l’opposition personnelle et égoïste, qui n’arriveront à rien qu’à tirer des mains de Mazarin quelques lingots d’or, quelques bribes de puissance. Je les ai servis, non par enthousiasme, Dieu sait que je les estime à ce qu’ils valent, et qu’ils ne sont pas bien haut dans mon estime, mais par principe. Aujourd’hui c’est autre chose ; aujourd’hui je rencontre sur ma route une haute infortune, une infortune royale, une infortune européenne, je m’y attache. Si nous parvenons à sauver le roi, ce sera beau : si nous mourons pour lui, ce sera grand ! » (Alexandre Dumas, Vingt Ans après, 1845, chapitre 63)
On comparera — sujet à traiter en deux heures — avec cet extrait tout frais d’Éric Chevillard (attention aux contresens) :
« Je modelai le corps de mon ennemi dans la cire. Puis je plantai sauvagement dans cette figurine mille aiguilles acérées. Le lendemain, ce pignouf contrefait et loqueteux défilait pour un grand couturier.» (in L’Autofictif, n°367)
Autre chose, sur Jean Échenoz. Mais on ne s’en lasse pas… Cette fois, c’était aux Mardis littéraires.
Le reste du temps, T. l’a passé à boucler sa partie dans un manuel de français tandis que je me suis efforcé d’y voir clair dans les types de langage qui entourent les acceptions du rêve… Et c’est pas gagné ! Je ne sors qu’un court moment pour marcher un peu et acheter du pain. C’est gris comme un automne à Paris. Et puis c’est la nuit. Je recherche aussi un dépliant d’agence de voyage sur Hong-Kong et Macao mais n’en trouve pas.
À minuit et demi, sur TV5 Japon, un film que je ne regrette pas d’avoir attendu jusqu’à cette heure : Cortex (Nicolas Boukhrief, 2006), film littéralement porté par André Dussolier. Après trente minutes, je me demande si ça restera cette sorte de documentaire jusqu’à la fin, mais voilà que la progression de l’Alzheimer est concurrencée par l’instinct d’enquête de l’ancien flic. Qui a encore besoin de sa mémoire, toute en lambeaux qu’elle soit. Une liberté de ton avec la maladie, qui libère la créativité et la composition, rappellant immanquablement le très enthousiasmant livre d’Olivia Rosenthal, On n’est pas là pour disparaître.
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Publié dans le JLR
Peu aimé Cortex vu récemment, de multiples imprécisions dans le scénario et la mise en scène de l’ histoire, c’ est dommage car l’ idée de départ est très bonne. Et Dussolier convaincant.
pour Echenoz même le masque et la plume bruissait d’hommages unanimes
Moi qui ne l’écoute jamais, allez !, je vais me fendre…
Merci pour Echenoz. Mieux, beaucoup mieux qu’à la télévision. Sa voix, ses commentaires suscités par des commentaires amicaux et fins.
…et me voilà du coup – ayant écouté le Masque – parti dans une série de lectures echenoziennes (je comble mes lacunes : Les Grandes blondes, Je m’en vais, etc.), et par voie de conséquence aussi dans Manchette, qui est grand. (Cela dit, les hommages du Masque…)
Accessoirement : bonjour Alain !