En langage sifflé
Rien à dire sur le train, les cours, la lecture. Suis toujours focalisé sur l’objectif en vue dans dix jours. Ayant longtemps médité, le moine-soldat tire lentement l’épée du fourreau. Là-haut, la vigie braille terre. C’est l’heure où les idées vont boire et ne savent pas encore dans quel ordre elles vont se ranger pour former discours.
En dînant, j’écoute l’excellent débat sur histoire et mémoire dans Ce soir ou jamais d’hier. Il y est aussi question, quoique marginalement, des manuels scolaires japonais qui ne disent (plus) rien des crimes de guerre dont le Japon a pourtant été clairement reconnu coupable. Pour le reste, c’est un débat ouvert et… qui le restera. Si je trouve inacceptable que l’État écrive une histoire officielle et criminalise toute dissidence1, il lui faut tout de même encadrer les commémorations, arbitrer les conflits mémoriels et interdire le négationnisme — dont la frontière avec le révisionnisme méthodologique des historiens est parfois si poreuse…
Je découvre tardivement — d’un coup — l’aporie auditive de la semaine dernière. Savoir si Fadela Amara avait, avec aisance, dit Destop, image de marque que l’on estime être dans son vocabulaire de ménagère quelque peu limitée, guidée en cela il est vrai par le célèbre Karcher de son président, ou si elle avait dit d’estoc, métaphore puisée à un niveau de langue dont on pensait qu’il ne lui était pas spontanément accessible et que Sarkozy n’aurait pas pu lui souffler en douce. (Le on émane d’un collectif anonyme de blogueurs et de journalistes.)2
Mais à tourner sur soi-même comme l’eau de la chasse, on risque bel et bien de laisser l’étron sur le bord : le fait qu’elle a, comme un seul homme — gouverne mentale — défendu l’hymne national dans sa pureté inattaquable sans aucun recul pour voir arriver le mél dans sa boîte. Et dans lequel il est écrit, en langage sifflé, que le passif historique n’est ni oublié ni miraculeusement changé en bénédiction.
Chaque fois qu’un vent de fronde se lève, les politiques se drapent dans leur dignité et dégainent l’attirail répressif. (Au lieu de reconnaître la calamiteuse politique de la ville depuis quarante ans et de tenter d’y remédier — ce qui semblait pourtant être le poste de Mme Amara.) (Et cela le jour-même où Christine Boutin voit rejetée sa tentative d’exonérer les communes de l’ouest parisien de leur mission de logement public.)
Contre tous ces maux d’oiseaux, le 20-Heures de France 2 d’hier soir vous offre vingt minutes de Sœur Emmanuelle. L’art et la méthode de venir en aide aux pauvres sans rien changer aux structures politiques. La charité c’est bien, la révolution c’est mal.
- ça me rappelle Outrage à mygales, pièce radiophonique d’Antoine Volodine, Cf. JLR du 11 avril 2006 et Radio Bardo de Lionel Ruffel [↩]
- Incroyable ! Le terme DESTOP avait été récemment employé au sujet d’un Dossier sur les Enfants Susceptibles de Troubler l’Ordre Public, dans le sillage d’EDVIGE… [↩]
Tags : Amara Fadela, Boutin Christine, Emmanuelle (sœur), Ruffel Lionel, Sarkozy Nicolas, Volodine Antoine
Publié dans le JLR
cette manie qu’ils ont de choisir, comme si charité et révolution n’allaient pas fort bien ensemble
Mazette, jolie forme ! L’audacieuse (quoique d’allure classique) métaphore sanitaire m’a bien fait rire.
Merci à vous deux ! Je ne comprends pas pourquoi il y a une telle apathie en France sur cette histoire. C’était évident qu’après la Marseillaise sifflée, les politiques voulaient orienter très vite l’opinion publique. Ils sont tous montés au créneau, et en proposant n’importe quoi. Après tout, si on laissait les gens réfléchir par eux-mêmes deux jours, ils auraient peut-être pensé que ce n’était pas très grave, symboliquement parlant, et que c’était peut-être une sorte de message. Et lequel ?
Donc très vite, hérisser le poil national. Et ça a marché à fond, encore une fois. Et que même Fadela Amara s’y soit mise, là, j’en suis resté sur le cul.
D’ailleurs, la vidéo avec Destop / d’estoc, je ne suis même pas sûr qu’elle n’ait pas été retouchée. La qualité n’est pas suffisante pour entendre si ça finit par un « k » ou un « p »; en coupant un centième de seconde on rend facilement le son flou. En revanche, le début de l’expression ressemble plutôt à une consonne géminée (« coup de Destop », avec redoublement du « d ») et non à un « d » simple (coup d’estoc).
On va dire que je délire là-dessus mais le fait que tout le monde s’en fiche est aussi un symptôme.
Que Falbala parle d’estoc serait tout de même une surprise de taille. Destop est tellement plus vraisemblable. Et même qu’on s’interroge m’étonne. Je me rappelle l’avoir entendu en direct live et avoir aussitôt tiqué, et que cela n’avait pas fait le moindre doute dans mon esprit, elle parlait bien de Destop, et Elise Lucet (je crois bien que c’était elle, je confonds peut-être) qui ne bronchait pas, qui lui demandait même ensuite assez fiévreusement d’en rajouter (« alors, qu’avez-vous envie de dire à cette racaille, hein ? Dans le blanc des yeux ? »)…
Bref, la classe américaine, comme d’hab.
Pardon, je n’avais pas lu les liens (mais ma mémoire ne me trompait pas, c’était bien madame Lucet). Botter en touche en prétendant qu’elle a dit d’estoc est un rattrapage ingénieux (son staff a mérité une augmentation – ah, c’est déjà fait ?) mais délirant. Mon compagnon qui était devant le JT avec moi ce jour-là confirme, nous avions relevé l’expression, échangeant un bref regard consterné au-dessus de la salade…
En regardant les vidéos avec la plus grande attention, on comprend bien que tout ça, c’est un coup de comm
Dans un effort de rangement (oui, je sais de ma part) je fais un copié collé de mon commentaire chez François que j’aurais d’abord du faire ici (manque de respect de la chronologie, oui, je sais, de ma part):
Et sur le même sujet, puisqu’il est question de sifflements et qu’on parle de rugby, après c’est promis j’arrête, que dire du ministre du sport et de la jeunesse, ancien entraîneur de rugby, qui a déclaré que ce genre de match à risque (en gros, la France jouant contre une ancienne colonie) devrait se jouer en province devant un public « sain ». Peigne-culs.
En 2003, l’antichambre de l’actuel gouvernance d’extrême droite avait fait voter un texte punissant de 45000 euros d’amende tout outrage aux emblêmes nationaux (drapeau tricolore et « Marseillaise »), là aussi à la suite d’un match contre une ancienne colonie, l’Algérie, loi qui avait été votée favorablement par tous les députés socialistes.
Amicalement
Phil
juste mon impression: j’ entends nettement d’ estoc, même si cette expression m’ étonne dans ce contexte. Alors retouche ?
Je pense que Laporte va publier un rectificatif notifiant qu’il fallait entendre un public « saint », au sens de « gentil », et qu’il attaquera en justice tous ceux qui n’ont pas entendu le « t »…
Voilà, Florent, vous mettez bien le doigt sur ce que j’appelle une aporie auditive : même si on entend bien ce qu’elle dit avoir dit, ça étonne qu’elle ait pu le dire, et donc, quelque part, on n’y croit qu’à moitié et on ne voit pas à qui elle s’adresse en prenant des vocables rares…
Ceci dit, je maintiens mon audition de la géminée.