Tourisme en
Mérimée
I. CORPUS des textes
disponibles
Ouvrages au format texte
(Bib. Lisieux et al.) :
- Une
femme est un diable (in Théâtre
de Clara Gazul, vers 1823-1825)
- Le Ciel et l'enfer (in Théâtre de
Clara Gazul, vers 1823-1825)
- Le Carrosse du Saint-Sacrement (in
Théâtre
de Clara Gazul, in Revue
de Paris, 14 juin 1829)
- Mateo
Falcone (in Revue
de Paris, 3 mai 1829)
- L'Enlèvement de la redoute
(in Revue
française, XI, septembre 1829)
- Tamango
(in Revue de Paris,
VII, 4 octobre 1829)
- Le
Vase étrusque (in Revue de Paris, 14
février 1830)
- La Partie de tric-trac (in Revue de Paris, 13
juin 1830)
- Les Âmes du purgatoire
(in Revue des Deux
Mondes, 15 août 1834, année de
nomination insp. gén. mon. hist.)
- La
Vénus d'Ille (in Revue des Deux Mondes,
15 mai 1837)
- Colomba
(in Revue des Deux
Mondes, 1er juillet 1840)
- Édifices
de Rome (in Revue
des deux Mondes, Tome 27, 1841)
- Discours de réception
à l'Académie française (1845)
- Carmen
(in Revue des Deux
Mondes, 1er octobre 1845)
- Il Vicolo di Madama Lucrezia
(manuscrit offert en 1846, publié en 1873)
- H.B.
(1850)
- Lokis
(in Revue des Deux
Mondes, 15 septembre 1869)
- Contes
français (dont, de Mérimée,
L'Enlèvement
de la redoute
et Le
Coup de pistolet,
autres contes de Maupassant, Daudet, Erckmann-Chatrian,
Coppée,
Gautier, Balzac et Musset, édités par Douglas
Labaree
Buffum, Princeton University, EBook 14949, Project Gutenberg)
Ouvrages en images
(Gallica) :
— De
Mérimée :
- 1825 : Théâtre de
Clara Gazul, comédie espagnole ; suivi
de La Jacquerie [1828],
scènes féodales, et de La Famille Carvajal,
Paris : Charpentier, 1842.
- 1829, 1832 : Chronique
du règne de Charles IX, Paris :
Calmann-Lévy, 1890.
- Notes
d'un voyage dans le Midi de la France, Paris :
Fournier, 1835.
- Notes
d'un voyage en Auvergne et dans le Limousin, Paris :
H. Fournier, 1838.
- Notes
d'un voyage en Corse, Paris : Fournier Jeune, 1840
[1839].
- Fumée, par J. Tourguéneff,
traduit et préfacé par Prosper
Mérimée, Paris : J. Hetzel et
Cie, [1867?].
- Mélanges
historiques et littéraires, Paris :
Michel Lévy Frères, 1868.
- Lettres
à une inconnue,
précédées d'une étude sur
Mérimée par H. Taine, Tome premier,
Paris : Calmann-Lévy, [1874].
- Lettres
à une inconnue,
précédées d'une étude sur
Mérimée par H. Taine, Tome deuxième,
Paris: Calmann-Lévy, [1874].
- Lettres
à une inconnue,
précédées d'une étude sur
Mérimée par H. Taine, Tome troisième,
Paris: Calmann-Lévy, [?].
- Lettres
à une autre inconnue, [Lise Perdzieska,
devenue marquise de Noailles], Paris: Calmann-Lévy, 1894
[1ère éd. 1875].
- Lettres
à M. Panizzi, 1850-1870, Tome premier,
Paris : Calmann-Lévy, 1881.
- Lettres
à M. Panizzi, 1850-1870, Tome second,
Paris : Calmann-Lévy, 1881.
- Mémoires
historiques (Inédits), in Œuvres
complètes de Prosper Mérimée,
Paris : François Bernouard, 1927 (659/1660 en
Vergé Navarre).
— Sur
Mérimée :
- Mérimée,
par Eugène de Mirecourt, Paris : Gustave Havard,
1859.
- Prosper
Mérimée. Sa bibliographie par Maurice
Tourneux, Paris : J. Baur, 1876.
- Plume
et Pinceau (Études
de littérature et d'art, par Jules Troubat,
Paris : Isidore Lisieux, 1878. « Quelques
Notes sur Mérimée »,
14 déc. 1873, p. 39-46 du pdf, p. 28-35 du livre).
- Prosper
Mérimée, ses portraits et ses dessins, sa
bibliothèque. Étude par Maurice
Tourneux, Paris : Charavay Frères, 1879.
- L'Âge
du Romantisme (par Ph. Burty, Célestin Nanteuil,
graveur et peintre, Paris : Monnier, 1887. Sur Mérimée,
p. 69-83 du pdf).
- La
Passion d'un auteur. Réponse à Prosper
Mérimée (Lettres d'une inconnue),
Paris : Paul Ollendorff, 1889.
- Mérimée
et ses amis,
par Augustin Filon, avec une bibliographie des œuvres
complètes de Mérimée par le Vicomte de
Spoelberch
de Lovenjoul, Paris : Hachette, 1894.
- Les
Inspiratrices de Balzac, Stendhal, Mérimée,
par Hugues Rebell, Paris : Dujaric & Cie, [1902]. Sur
Mérimée, p. 156-255.
II. Tourisme en
Mérimée (intervention au colloque de
Cerisy, septembre 2007)
1. Introduction (retour de Corse ;
méthodologie ; quel tourisme ?)
Je reviens de Corse, où je suis allé pour la
première fois.
Voici le Pietranera de Colomba
[photo 1], voici le maquis où Orso della Rebbia se
réfugie [photo 2] après avoir involontairement
vengé son père... Et sans doute y aurait-il ainsi
tout un
tourisme en
Mérimée,
pour lequel
« Mérimée »
serait le
nom donné à cette collection
géographique des
lieux exploités par les ouvrages, et dans lesquels nous
pourrions
retourner pour voir, par exemple, si Mérimée y
est
encore...
Mais ce n'est pas le sens que je donne à mon titre : tourisme en
Mérimée. En effet, le
« territoire » qui m'a semblé plus
pertinent, c'est celui des textes, des œuvres de
Mérimée assemblées en corpus et
considérées comme un volume ou, au sens large, un
espace
textuel.
La plupart d'entre vous connaît déjà
bien ce territoire textuel
qui, s'il n'a pas les proportions en quelque sorte continentales d'un
Hugo ou d'un
Balzac, offre tout de même des paysages variés,
des
climats contrastés, et plusieurs langues
étalées
sur une quarantaine d'années du XIXe siècle.
Parenthèse méthodologique.
Lorsque je me
suis enquis de
l'existence d'un corpus
numérisé des œuvres de
Mérimée, il a
bien fallu admettre qu'il n'en existait point. Quelques textes sont ici
et là disponibles dans l'internet (ABU, Lisieux, etc.), mais
leur
fidélité à l'original est souvent fautive... Je
veux dire que
ces textes sont
pleins de coquilles, manquent d'italiques et proposent des
alinéas aléatoires, comme du brut de scanner passé
à l'OCR et édité
sans relecture.
Bien
sûr, il y a aussi ce gros
massif d'images de livres de Mérimée dans
Gallica, la banque textuelle de la BnF, soit une
dizaine d'œuvres. Mais ces œuvres disponibles
à la lecture humain sont difficilement exploitables parce qu'on ne
peut rien y chercher de façon automatique. La
BnF, faute de moyens, n'est pas en mesure de transformer
elle-même
en documents textuels les ouvrages dont elle fabrique les images. Par ailleurs, le site
internet
Mérimée qu'a produit le Ministère de la Culture pour les célébrations de
2003 n'a pas proposé et ne propose toujours pas de
textes en
ligne — ce qui est tout de même un comble pour la célébration d'un
écrivain ! À moins que
l'objectif du Ministère n'ait pas
été
de mettre en valeur l'écrivain. Le site est toujours en
ligne et ces quatre années n'ont pas permis que
même des liens vers
les œuvres disponibles aient été ajoutés. (Si quelqu'un ici en sait
plus, on pourrait en reparler ultérieurement...)
Selon
la méthode de l'équipe de recherche de Paris 3
dont je suis membre
depuis sa fondation en 1989, Hubert de Phalèse (ayant les
études
littéraires assistées par ordinateur pour
spécialité et auteur, chez
Nizet, de la collection Cap'Agreg), j'ai donc bricolé
moi-même mon
propre corpus en rassemblant les œuvres disponibles sous
forme de
texte, d'une part, et en transformant les documents images de Gallica
en textes grâce au logiciel FineReader permettant l'OCR des
PDF,
c'est-à-dire la numérisation textuelle des
documents images fournis par
la BnF. Ce qui me donne le corpus mériméen (voir
liste) dans lequel je
peux faire des recherches lexicales. Le temps passé
à établir ce
corpus, ces derniers mois, n'a pas pu être utilisé
à effectuer des
recherches lexicométriques comme cela aurait
été possible si le corpus
avait déjà existé. Mais on peut tout
à fait se
limiter à des requêtes lexicales, sans
l'assistance du calcul
statistique, au moins dans un premier temps...
2. Détour par le narrateur
(sa
récurrence, ses constantes, sa personnalité)
L'infinité des possibles et des goûts littéraires
provient sans doute de l'équilibre toujours différent
qu'un lecteur perçoit de ce qu'un texte contient. Un texte
contient toujours, dans des quantités variables et changeantes,
des personnages,
des idées, des aventures, des anecdotes, des paroles, des
descriptions, mais aussi des
rythmes, des sonorités, des harmonies et leurs contraires. Or,
chacune de ces
composantes du texte littéraire est à considérer
avec précaution, pour peu que l'on puisse les séparer, au
moins le temps d'une étude. C'est pour cela qu'il y a
déjà
derrière nous des siècles de débats
littéraires, que nous continuons et que rien n'est jamais
réglé.
Ce qu'on a coutume d'appeler « la voix » en
littérature concerne autant le style, le ton ou le rythme que
le type d'instance qui propose le texte, qui l'organise et le met en
scène, sans oublier le lecteur qui reçoit cette
« voix » selon ses moyens. Le choix que fait
un auteur de proposer un narrateur intra ou
extra-diégétique, qui rapporte une histoire dont il a
été personnage ou pas, tout comme le choix de la
première ou de la troisième personne sont
déterminants dans la relation que lecteur établit avec le
texte. Pour prendre des exemples contraires, le
narrateur absent ou invisible abandonne le texte au lecteur qui n'est
pas toujours content de ne pas savoir d'où cela lui tombe,
tandis que le narrateur omniprésent qui raconte, commente et
juge avec autorité à la place des personnages comme
à la place du lecteur ne nous est pas toujours sympathique.
Entre les deux, tout est possible.
C'est à partir de cette notion de « voix
littéraire » qui émane de l'instance
d'énonciation que j'ai envisagé mon exploration du
territoire textuel que j'appelle Mérimée. Je m'attacherai
tout d'abord au recensement des narrateurs dans les œuvres de mon
corpus, à leur typologie, à ce qu'ils veulent bien livrer
d'eux-mêmes. Nous verrons si les éventuelles
récurrences et constantes permettent de postuler une sorte de
méta-narrateur ou si la diversité et l'évolution
l'emportent.
Au-delà de la voix, ce sont les récurrences de guidage,
d'accompagnement, de visite, et par conséquent de tourisme mais
aussi d'archéologie, d'anthropologie et d'ethnologie qui
constitueront le cœur de mon exploration
mériméenne, ce que pourrait presque résumer cette
citation tirée du début de Colomba :
« L'admiration continue des
voyageurs enthousiastes a produit une réaction, et, pour se
singulariser, beaucoup de touristes aujourd'hui prennent pour devise le
nil admirari d'Horace. C'est à cette classe de voyageurs
mécontents qu'appartenait miss Lydia, fille unique du colonel.
La Transfiguration lui avait paru médiocre, le Vésuve en
éruption à peine supérieur aux cheminées
des usines de Birmingham. En somme, sa grande objection contre l'Italie
était que ce pays manquait de couleur locale, de
caractère. Explique qui pourra le sens de ces mots, que je
comprenais fort bien il y a quelques années, et que je n'entends
plus aujourd'hui.»
Soit les instances d'énonciation suivantes :
- Mateo Falcone : « on voit... on se trouve... Il faut savoir que... Si vous avez tué un homme... Quand j'étais en Corse... deux années après l'événement que je vais raconter...»
- L'Enlèvement de la redoute : « Un militaire de mes amis me conta... Je l'écrivis de mémoire...»
- Tamango : narrateur absent de l'incipit, mais au 4e paragraphe : « ces fers que l'on nomme, je ne sais pourquoi, barres de justice...», puis de temps en temps « la rivière de Joale (je crois) », « un prix, je ne sais lequel, pour les esclaves...», « Ce qu'il put dire, je l'ignore...» et vers la fin « Pourquoi fatiguerais-je
le lecteur par la description
dégoûtante des tortures de la faim ? »,
« Je ne sais combien de temps après...»
- Le Vase étrusque:
narraeur absent mais « ce qu'on appelle le
monde », puis à la fin de l'introduction :
« J'oubliais un point important...», puis
« Mon devoir d'historien m'oblige à déclarer
qu'une nuit...», « Comme je ne puis donner à
déjeuner à tous mes
lecteurs, je leur ferai grâce des pensées d'amour de
Saint-Clair.», « On venait de déboucher une
autre bouteille de vin de
Champagne ; je laisse au lecteur à en déterminer le
numéro.», « Je crois fermement que le diable
est aux écoutes invisible
auprès d'un malheureux qui se torture ainsi
lui-même.»
- La Partie de Trictrac : « On se connaît trop bien, hélas !... Quand vous voyez venir
le premier lieutenant, vous savez d'abord qu'il vous parlera de
Rio... Au bout
de quinze jours, vous connaissez jusqu'aux expressions qu'il
affectionne... il vous régalera de l'analyse du
dernier vaudeville...», au § suivant : « Comme il nous enchanta la première fois qu'il nous raconta
son évasion... Le souvenir de leurs
conversations me fait dresser les cheveux à la tête.», « À bord du vaisseau sur lequel j'étais embarqué... n'ayant point de poignard
à moi, je voulus emprunter celui du capitaine... Je devinai qu'une histoire allait suivre, je
ne me trompais pas.», et frustration finale : « Je ne pus savoir comment mourut le pauvre
lieutenant Roger.»
- Les Âmes du purgatoire : « Cicéron dit quelque part, c'est, je crois, dans son traité De la nature des dieux...», « J'ai tâché de faire à chaque don Juan la part
qui lui revient dans leur fond commun de méchancetés et
de crimes. Faute de meilleure méthode, je me suis
appliqué à ne conter de don Juan de Maraña, mon
héros, que des aventures qui n'appartinssent pas par droit de
prescription à don Juan Tenorio...», s'efface presque derière des « On sait que...», « si l'on peut s'exprimer ainsi...», « On
s'étonnera peut-être...» qui ressortissent plus
à la fonction phatique qu'au discours
extradiégétique...
- La Vénus d'Ille et son narrateur-voyageur-témoin : « Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil
fût déjà couché, je distinguais dans la
plaine les maisons de la petite ville d’Ille, vers laquelle je me
dirigeais. [...] je comptais sur lui [Peyrehorade] pour
visiter les environs d’Ille...», « [Il] m’avait
présenté à sa femme et à son fils comme un
archéologue illustre, qui devait tirer le Roussillon de
l’oubli où le laissait l’indifférence des
savants.», « en ma qualité de
Parisien...»
- Colomba : « Explique qui pourra le sens de ces mots, que je
comprenais fort bien il y a quelques années, et que je n'entends
plus aujourd'hui.»
L'humour du narrateur, permet la connivence avec son lecteur :
- « C’est
encore plus beau et mieux fini que le buste de Louis-Philippe, qui est
à la mairie, en plâtre peint.»
(à propos de la Vénus d'Ille au moment de sa
découverte... Louis-Philippe nommé roi des
Français depuis 1830... le récit de Mérimée
date de 1937.)
Et ce qui doit bien venir des convictions de l'auteur :
« Quelle odieuse
chose, me disais-je, qu’un mariage de convenance ! Un maire
revêt une écharpe tricolore, un curé une
étole, et voilà la plus honnête fille du monde
livrée au Minotaure ! Deux êtres qui ne
s’aiment pas, que peuvent-ils se dire dans un pareil moment, que
deux amants achèteraient au prix de leur existence ? Une
femme peut-elle jamais aimer un homme qu’elle aura vu grossier
une fois ? » (Vénus d'Ille)
Soit une citation d'un jeune littérateur de 26
ans :
« Je
n'aime dans l'histoire
que les anecdotes, et parmi les anecdotes je
préfère
celles où j'imagine trouver une peinture vraie des
mœurs
et des caractères à une époque
donnée. Ce
goût n'est pas très noble ; mais, je
l'avoue à
ma honte, je donnerais volontiers Thucydide pour des
mémoires
authentiques d'Aspasie ou d'un esclave de
Périclès ;
car les mémoires, qui sont des causeries
familières de
l'auteur avec son lecteur, fournissent seuls ces portraits de l'homme qui m'amusent
et qui m'intéressent.» (Chronique du
règne de Charles IX, préface de 1829, p.
4 du pdf)
Disant qu'il
n'aime
« dans l'histoire que les
anecdotes » et que ce
goût n'est « pas très
noble », il
pose ce qui doit correspondre à une doxa,
aujourd'hui encore, qu'il y a dans l'histoire, comme connaissance ou
comme discipline, des parties basses, honteuses, qui sont les
anecdotes, petits faits ou événements intimes,
familiaux,
qui n'ont guère d'importance dans la marche de
l'humanité, et, implicitement, des parties hautes, des
grands
faits, des hauts faits, des faits historiques, comme les gouvernements,
les familles royales et impériales, les guerres, les
révolutions, les traités, les plans de
développement, tout ce qui concerne des
sociétés
entières.
Avouant ce goût, dont il n'a de honte que
rhétorique, en
vérité, il essaie de le défendre et
même de
lui donner une forme paradoxale de noblesse puisque les anecdotes
rassemblées en mémoires donnent accès
à
l'homme, écrit en italiques, peut-être pour en
évoquer la vérité intime et ultime ou
la dimension
ontologique. Proche alors de ces nouveaux scientifiques de
l'époque que sont les archéologues,
anthropologues et
ethnologues (l'exploration napoléonienne de
l'Égypte et
les campagnes scientifiques au Moyen-Orient ont
déjà
ouvert la voie), il considère l'anecdote non plus comme un
déchet à négliger dans une
hiérarchie
établie a
priori, mais
comme un indice qui pourrait, après étude, avoir
une
valeur métonymique et offrir une possibilité de
reconstruction d'une partie d'un monde disparu, de
réappropriation d'un instant d'une existence humaine.
Ce renversement intellectuel dont il est question dans cette citation,
cette pensée en quelque sorte révolutionnaire qui
anime
une partie de la société du début du
XIXe
siècle, sous-tend les premières œuvres
de
Mérimée et s'exprimera pleinement à la
fois dans
ses œuvres de maturité et dans son travail aux
monuments
historiques.
Le
questionnement est alors celui-ci : comment s'exprime littérairement
ce goût pour l'anecdote et cette aspiration à
atteindre l'homme ?
Mérimée nous met sur la piste au ajoutant, au
sujet de
Brantôme, d'Aubigné, etc., que le
« style de
ces auteurs contemporains en apprend autant que leurs
récits.»
3. Récurrences de motifs liés à la visite ou au tourisme
Des personnages qui jouent les guides touristiques :
- dans Les Âmes du purgatoire : « Vous ne connaissez point encore Salamanque, poursuivit don Garcia ;
si vous voulez bien m'accepter pour votre guide, je serai charmé
de vous faire tout voir, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope,
dans le pays où vous allez vivre.»
- dans La Vénus d'Ille : « Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil
fût déjà couché, je distinguais dans la
plaine les maisons de la petite ville d’Ille, vers laquelle je me
dirigeais. "Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide
depuis la veille, vous savez sans doute où demeure M. de
Peyrehorade ?" [...] un
antiquaire fort instruit et d’une complaisance à toute
épreuve. Il se ferait un plaisir de me montrer toutes les ruines
à dix lieues à la ronde. Or je comptais sur lui pour
visiter les environs d’Ille, que je savais riches en monuments
antiques et du Moyen Âge. Ce mariage, dont on me parlait alors
pour la première fois, dérangeait tous mes plans.»
On y voit comment les tournées de l'inspecteur
Mérimée se trouvent recyclées en
littérature. À chaque étape, il devait y avoir
moisson d'anecdotes, et pas toujours des plus intéressantes...
Et puis des sollicitations récurrentes, comme l'antiquaire de
province qui se pique d'écrire :
« Parbleu ! vous ne pouviez arriver plus
à propos ! Il y a des inscriptions que moi, pauvre
ignorant, j’explique à ma manière… mais un
savant de Paris !… Vous vous moquerez peut-être de
mon interprétation… car j’ai fait un
mémoire… moi qui vous parle… vieil antiquaire de
province, je me suis lancé… Je veux faire gémir la
presse … Si vous vouliez bien me lire et me corriger, je
pourrais espérer… Par exemple, je suis bien curieux de
savoir comment vous traduirez cette inscription...» (Vénus d'Ille),
d'où cette réaction pleine de sagesse et sans doute de
vérité : « M’étant fait une
loi de ne jamais contredire à
outrance les antiquaires entêtés, je baissai la tête
d’un air convaincu...» (Ibid.)
Les constats de vandalisme devaient être nombreux, chacun
s'arrogeant la propriété ou la disposition de restes
antiques sur sa propriété... Et comment punir mieux
qu'une Vénus de bronze renvoyant la pierre qui lui était
jetée : «"Encore un Vandale puni par
Vénus ! Puissent
tous les destructeurs de nos vieux monuments avoir ainsi la tête
cassée !" Sur ce souhait charitable, je
m’endormis.» (Vénus d'Ille)
NB : en France, le propriétaire du sol est également propriétaire du
sous-sol et de tout ce qu'il contient, sauf exception prévue par la loi
(art. 552 du Code civil, depuis 1804...).
Le catalogage des mœurs comme il faudrait les savoir...
« On sait que de tout temps
les étudiants de Salamanque et des autres universités
d'Espagne ont mis une espèce de point d'honneur à
paraître déguenillés, voulant probablement montrer
par là que le véritable mérite sait se passer des
ornements empruntés à la fortune.» (Âmes du purg...)
« L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un
anneau tout simple, ordinairement composé de deux métaux
différents, comme de l’or et du platine. Tenez, cette
autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort convenable.» || « je remarquai
qu’elle couvrit ses beaux cheveux d’un bonnet et d’un
chapeau à plumes, car les femmes n’ont rien de plus
pressé que de prendre, aussitôt qu’elles le peuvent,
les parures que l’usage leur défend de porter quand elles
sont encore demoiselles.» || « Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un enfant
de onze ans, qui s’était glissé sous la table,
montrait aux assistants un joli ruban blanc et rose qu’il venait
de détacher de la cheville de la mariée. On appelle cela
sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par
morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en ornèrent
leur boutonnière, suivant un antique usage qui se conserve
encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour la
mariée une occasion de rougir jusqu’au blanc des
yeux…» (Vénus d'Ille)
Effet muséal, description de tableaux :
«Il y avait dans l'oratoire de la comtesse de Maraña un
tableau dans le style dur et sec de Moralès, qui
représentait les tourments du purgatoire. Tous les genres de
supplices dont le peintre avait pu s'aviser s'y trouvaient
représentés avec tant d'exactitude, que le tortionnaire
de l'Inquisition n'y aurait rien trouvé à reprendre. Les
âmes en purgatoire étaient dans une espèce de
grande caverne au haut de laquelle on voyait un soupirail. Placé
sur le bord de cette ouverture, un ange tendait la main à une
âme qui sortait du séjour de douleurs, tandis qu'à
côté de lui un homme âgé, tenant un chapelet
dans ses mains jointes, paraissait prier avec beaucoup de ferveur. Cet
homme, c'était le donataire du tableau, qui l'avait fait faire
pour une église de Huesca. Dans leur révolte, les
Morisques mirent le feu à la ville; l'église fut
détruite; mais, par miracle, le tableau fut conservé. Le
comte de Maraña l'avait rapporté et en avait
décoré l'oratoire de sa femme.» (Âmes du purg...)
Observations des mœurs :
A chercher, pour le courage ostensible
des héros : calme, amour-propre, danger, froid, froidement,
intrépide VS superstition,
superstitieux (occ. dans Chro.,
Enl., Tamango...)
Dans Tamango : "beau fusil
à deux coups, de fabrique anglaise", comme dans Colomba...
Superstition du vendredi (départ du bateau dans Tamango, « Un certain vendredi, jour de mauvais augure », La Partie..., « vous faites un mariage
un vendredi ! [...] pourquoi tout le monde a-t-il peur du vendredi ? », Vénus d'Ille, )
La couleur locale :
Propos sur
l'Égypte, Mérimée tourne en
dérision la mode orientaliste et la couleur locale...
À la fin du Vase..., duel et
mort du héros, Saint-Clair, par l'emploi d'un pistolet
Manton (comme le fusil dans Colomba).
Mais surtout une chute étonnante de la nouvelle,
basée sur la mort du héros et
articulée autour du bris de deux objets : le
précieux vase étrusque cassé par la
maîtresse de Saint-Clair pour prouver son amour et le
pistolet Manton jeté de dépit et dont le chien se
brise. Si le vase symbolise sexuellement la femme et le pistolet
l'homme, le bris des attributs sexuels ne peut que signifier la
stérilité du rapport des sexes. Or c'est la
jalousie et l'amour-propre du héros qui sont seuls
responsables de sa mort et du malheur de sa maîtresse avant
le mariage (sa fiancée, aurait-on dit quelques
décennies auparavant...). La jalousie
n'étant qu'une production de l'amour-propre, la nouvelle de
Mérimée oppose symboliquement l'amour de l'autre
et l'amour de soi, et tente de prouver que trop de l'un rend
stérile pour l'autre, la mort étant la preuve et
la conséquence de cette stérilité (pas
d'enfant).
(bris d'objets symboliques,
à moins que ce ne soit le bris symbolique d'objets.)
Littré,
à local, pour "couleur locale" :
"Fig. En littérature, couleur locale, observation exacte des
moeurs, des usages, des temps et des lieux ; c'est ce qu'on nommait
autrefois les moeurs, le costume. Je pouvais à
présent
corriger mes tableaux, et donner à ma peinture de ces lieux
célèbres les couleurs locales, CHATEAUBR. Itin
1re part.
Vers l'an de grâce 1827 j'étais romantique....
nous
entendions par couleur locale ce qu'au XVIIe siècle on
appelait
les moeurs ; mais nous étions très fiers de notre
mot, et
nous pensions avoir imaginé le mot et la chose,
MÉRIMÉE, Avertissement de la Guzla, 1840."
4. Ce que le guide et le tourisme font
à la littérature
L'histoire, l'intrigue, l'anecdote se trouve ainsi au service d'une
visite, d'un enseignement, d'un apprentissage qui s'effectuent
auprès d'un accompagnateur, d'un facilitateur, d'un guide
touristique qui ne donne pas aux lieux et monuments
visités le clinquant des objets rapportés pour faire
couleur locale
mais leur redonne vie par leur transformation en cadre d'aventures
valorisant les données les plus fortes des vies humaines,
l'amour, l'orgueil, la jalousie, le défi de la mort.
Le début et la fin des Âmes du purgatoire sont en cela des plus emblématiques :
« On montre aux
étrangers la maison de don Juan Tenorio, et tout homme, ami des
arts, n'a pu passer à Séville sans visiter
l'église de la Charité. Il y aura vu le tombeau du
chevalier de Maraña avec cette inscription dictée par son
humilité, ou si l'on veut par son orgueil : Aqui yace el peor
hombre que fué en el mundo. Le moyen de douter après
cela ? Il est vrai qu'après vous avoir conduit à ces deux
monuments, votre cicerone vous racontera encore comment don Juan (on ne
sait lequel) fit des propositions étranges à la Giralda...»
« Sur son lit de mort, il [Don Juan]
demanda comme une grâce qu'on l'enterrât sous le seuil de
l'église, afin qu'en y entrant chacun le foulât aux pieds.
Il voulut encore que sur son tombeau on gravât cette inscription :
Ci-gît le pire homme qui fut au monde. Mais on ne jugea pas
à propos d'exécuter toutes les dispositions
dictées par son excessive humilité. Il fut enseveli
auprès du maître-autel de la chapelle qu'il avait
fondée. On consentit, il est vrai, à graver sur la pierre
qui couvre sa dépouille mortelle l'inscription qu'il avait
composée ; mais on y ajouta un récit et un éloge de
sa conversion. Son hôpital, et surtout la chapelle où il
est enterré, sont visités par tous les étrangers
qui passent à Séville. Murillo a décoré la
chapelle de plusieurs de ses chefs-d'œuvre. Le Retour de l'Enfant
prodigue et la Piscine de Jéricho, qu'on admire maintenant dans
la galerie de M. le maréchal Soult, ornaient autrefois les
murailles de l'hôpital de la Charité.»
Au début de Colomba,
Miss Nevil programme ainsi le possible séjour en Corse :
« Pendant que vous chasseriez, je dessinerais...»
On sait que ce sera l'occasion de rencontrer la culture corse,
l'aventure de la façon la plus dangereuse — et son futur
époux. Au dernier chapitre, le programme touristique se
répète dans les environs de Pise, « pour aller
visiter un hypogée
étrusque, nouvellement découvert, que tous les
étrangers allaient voir.» Aboutissement pour Lydia car
« Descendus dans l'intérieur du
monument, Orso et sa femme tirèrent des crayons et se mirent en
devoir d'en dessiner les peintures ». Pendant ce temps,
Colomba aura l'occasion de retrouver le père Barricini,
commanditaire du meurtre de son père, et d'achever sa vengeance
par des paroles cruelles.
Ainsi, le tourisme se présente comme un cadre souple, tant sur
le plan diégétique dans lequel les personnages vivent
leurs aventures que sur le plan énonciatif dans lequel le
narrateur s'autorise à mettre en scène et commenter.
C'est donc pour l'auteur, Mérimée, l'occasion d'un
dispositif par lequel il articule les plans diégétique et
énonciatif d'une façon assez originale pour que cela
constitue en quelque sorte sa signature littéraire.
Mais parvenir à cette sorte de signature n'est pas le but ultime
de tous les écrivains. Pour Mérimée, je pense que
l'effet sur le lecteur devait avoir plus d'importance. Or, quel peut
être l'effet, sur les contemporains, d'un récit où
l'accomplissement du projet touristique devient l'occasion d'autres
aventures, voire de trouver l'amour, ou la mort, c'est-à-dire
une aventure d'un ordre supérieur à ce qui peut se vivre
en restant chez soi ? Sans doute un effet d'incitation.
À la différence des voyages de Chateaubriand ou de
Stendhal, voyages très personnels que le lecteur ne saurait
désirer refaire, à prouver qu'ils fussent
réellement accomplis par leurs auteurs, ou des voyages en Orient
de Nerval ou de Flaubert, plus artistes et dont les guides paraissent
peu fiables, les voyages de Mérimée semblent accessibles
et ses indications fiables...
(Dans La Vénus d'Ille,
le narrateur commente ce qu'il a vécu en tant que personnage,
différenciant bien les sensations vécues sur le vif et
les explications ou jugements)
5. Conclusion
Ce qui change le plus, donc, grâce aux dispositifs narratifs de
Mérimée, c'est la relation entre les instances de
production et les instances de réception du texte. Par-dessus
personnages et anecdotes, se déploie une nouvelle forme
d'influence de l'un sur l'autre.l'auteur, le narrateur, le lecteur
inclus et le lecteur réel.
La possibilité même de cette influence provient de
changement de statut des récepteurs possibles, des lecteurs
contemporains de Mérimée. Implicitement,
Mérimée intègre le fait que ses lecteurs sont
mobiles ou en ont la possibilité.
Auparavant, la mobilité était le fait d'une
minorité d'individus, pour des raisons de famille, d'affaire, de
politique, de religion ou de science. Au XIXe siècle, avec
l'essor des transports en commun mais aussi sous l'influence d'une
nouvelle conception du territoire peut-être héritée
des conquêtes napoléoniennes, puis dans le cadre de
l'expansion capitaliste elle-même productrice du colonialisme,
cette mobilité des individus devient une réalité
vécue beaucoup plus largement par la population, au moins en
idée sinon en fait. La littérature ne montre
peut-être pas plus ou moins de contrées lointaines, de
paysages inconnus ou de mœurs étranges, mais elle propose
au lecteur d'y prendre part, d'y être transporté,
accomplissant plus efficacement le travail de métaphore en quoi
réside étymologiquement la littérature. Balzac
recense une forme d'expansion des mœurs bourgeoises dans une
France de plus en plus sillonnée, voire réticulée,
à l'instar de l'Illustre Gaudissart qui voyage pour vendre
des assurances, nouveau produit à l'époque et qui sera un
des éléments du capitalisme naissant. Nerval en 1842-43,
puis Flaubert en 1849-1851 voyagent en Orient, pour ne citer que les
plus célèbres.
Aujourd'hui, quand vous regardez la télévision, vous
pouvez connaître la météo sur tous les continents,
avec un survol cartographique animé comme si vous étiez
dans une navette spatiale... Seule une minorité d'entre nous a
effectivement besoin de l'une ou l'autre de ces informations, pourtant
ces programmes plaisent et sont l'enjeu de concurrence entre les
chaînes. C'est que derrière cette vision d'une petite
planète dont on fait le tour en trente secondes, il y a la
nécessaire idéologie de la mondialisation dont nous
sommes tous tributaires, en bien ou en mal.
Le joli survol météo est ainsi le corollaire des
délocalisations, des flux boursiers et des
épidémies.
Toutes proportions gardées, on constate chez Mérimée...
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Citations et notes disponibles :
Chro. Charles IX
commence par la description d'un « grand
bâtiment
carré, avec des fenêtres en ogive,
ornées de
quelques sculptures grossières » puis la
brève
histoire d'une statue de vierge (p. 16 du pdf),
soit, déjà, un fort intérêt
monumental et
patrimonial, et donc la présence — ici, non dite
—
d'un narrateur savant. Le narr. invisible s'intéresse
ensuite
aux inscriptions sur les murs qu'il traite comme des informations
historiques précieuses (de 1572), à lire comme un
manuscrit
chargé de corrections et contenant des indices
révélateurs
des sentiments populaires (dans un cabaret), à
déchiffrer en vue de comprendre la
Saint-Barthélemy
(Champollion se fait connaître par ses ouvrages de
déchiffrement des hiéroglyphes entre 1822 et
1826).
Narrateur invisible mais
guide,
prêt à contextualiser quand
nécessaire :
« Il entra dans un cabinet que son frère
appelait son
oratoire,
le mot de boudoir n'étant pas encore
inventé.» (Chro.
Charles IX, p. 66 = p. 81 du pdf)
[mot en effet attesté dans la 4e éd. du Dict.
de l'Académie, 1762, et pas avant,
alors qu'oratoire
est déjà dans le Nicot, 1606 et dans la
1ère
éd. de l'Acad., 1694.] Dans la même page, il
intervient
d'ailleurs au sujet du duel « sous le
règne de Henri
III et sous celui de Henri IV » (après
celui de
Charles IX), puis des habitudes de maison :
« Un petit
laquais apporta des confitures, des dragées et du vin
blanc : le thé et le café
n'étaient pas
encore en usage, et le vin remplaçait toutes ces boissons
élégantes pour nos simples
aïeux.» [cette
dernière expression, « nos simples
aïeux », illustrant parfaitement le
rôle de guide
attentionné que se donne le narrateur].
Mergy recommande
à son frère la lecture de Gargantua, paru en
1535, soit 35 ans avant l'action... (Chro. Charles IX,
p. 90 du pdf)
« Car
les rues de Paris,
après huit heures du soir, étaient alors plus
dangereuses
que la route de Séville à Grenade ne l'est encore
aujourd'hui.» (Chro.
Charles IX, p. 107 du pdf)
Mais le guide
attentionné n'en
est pas moins déterminé à ne pas
refaire (de)
l'Histoire de France. Il en débat dans un bref chapitre
intitulé « Dialogue entre le lecteur et
l'auteur » (Chro.
Charles IX,
VIII) dans lequel on lui demande de faire des portraits, de montrer la
Cour (de Charles IX), ce qu'il refuse parce que ces gens
« ne doivent point jouer de rôle dans
[son]
roman », comme il refuse « la
grande route pour
tout faiseur de romans » (p. 124-128 du pdf), ce qui
fait
dire au lecteur : « Ah ! je
m'aperçois que
je ne trouverai pas dans votre roman ce que j'y cherchais.»
C'est sans doute l'écho de discussions de
Mérimée
avec lui-même et avec ses amis au sujet des moyens et des
objectifs d'un renouveau dans le roman...
Au début de L'Enlèvement
de la redoute, même approche d'un haut
personnage facilité par une lettre de recommandation que
dans la Chro. du
règne de Charles IX... (bien que ce soit
censé venir d'un ami ; c'était donc une chose
bien courante...)
"quand on battit la diane", pour la cloche du réveil, je
suppose (Enl.,
§.11)
Dans Tamango : "beau fusil
à deux coups, de fabrique anglaise", comme dans Colomba...
Superbe ironie lapidaire :
"Le capitaine, pour ratifier le traité, frappa dans la main
du
Noir plus qu'à moitié ivre, et aussitôt
les
esclaves furent remis aux matelots français, qui se
hâtèrent de leur ôter leurs fourches de
bois pour
leur donner des carcans et des menottes en fer ; ce qui montre
bien la supériorité de la civilisation
européenne." (Tamango)
Un homme humain
: "L'interprète était un homme humain. Il donna
une
tabatière de carton à Tamango, et lui demanda les
six
esclaves restants. Il les délivra de leurs fourches, et leur
permit de s'en aller où bon leur semblerait." (Tamango)
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Les premiers paragraphes du
Vase étrusque
semblent bien être autobiographiques :
« il se fit une étude de cacher tous les
dehors de ce qu'il regardait comme une faiblesse
déshonorante.
Il atteignit son but ; mais sa victoire lui coûta
cher. Il
put celer aux autres les émotions de son âme trop
tendre ;
mais, en les renfermant en lui-même, il se les rendit cent
fois
plus cruelles. Dans le monde, il obtint la triste réputation
d'insensible et d'insouciant et, dans la solitude, son imagination
inquiète lui créait des tourments d'autant plus
affreux
qu'il n'aurait voulu en confier le secret à
personne.»
Or, il est notoire que Mérimée passait pour un insensible, manquant
de passion, d'expansion, reproches que l'on fait aussi, souvent,
à son écriture.
« Mon devoir d'historien m'oblige
à déclarer qu'une nuit
du mois de juillet [...] » (Vase..., p. 513,
éd. Pléiade)
« "Elle m'a
choisi entre
tous. Elle avait pour admirateurs l'élite de la
société. Ce colonel de hussards si beau, si
brave, — et pas
trop fat ; — ce
jeune auteur qui fait de si jolies aquarelles et
qui joue si bien les proverbes [...] » (Vase,
Pléiade, p. 514) — n'est-ce pas une autre
projection de l'auteur, que l'on sait aussi aquarelliste ?
« Comme je ne
puis donner à déjeuner à tous mes
lecteurs, je leur ferai grâce des pensées d'amour
de Saint-Clair.» (Vase,
Pl. 515) — avec la condescendance de l'homme
installé ou
reconnu, le narrateur installe un cadre "réel" de
conversation, assimile le lecteur à son
hôte et ami,
lecteur qui peut se trouver flatté de cette "relation
directe",
le contenu de la narration étant à sa
discrétion,
mais garanti par sa position...
Plus loin, le narr. engage
la discussion
avec un éventuel "critique", lui demandant s'il a
déjà été amoureux... (Vase, Pl. 519)
Dans Europe :
« Vous m'avez appris une chose, lui écrivait
Mérimée ; c'est que vous étiez
très gai, et
que vous aviez la bosse de l'observation comique. Après
votre
ouvrage sur les Races humaines, et même vos Trois ans en
Asie, je
vous croyais un grand philosophe et un politique. Maintenant vous me
paraissez un humoriste charmant... Permettez-moi de vous
féliciter du courage qu'en ce temps d'hypocrisie vous avez
eu de
dire que ni la superstition, ni l'athéisme, ni
l'immoralité ne tuent les sociétés.
Les gens bien
pensants se proposent, dès que l'Inquisition sera
rétablie, de vous brûler à petit feu,
en expiation
de plusieurs énormités, et
singulièrement pour vos
prédictions sinistres... Vous savez le français,
langue
un peu négligée en ce temps-ci. »
(Cité par
GASTON DESCHAMPS « Gobineau, », Temps,
9 septembre 1905) (Europe, 1er octobre 1923, n°
spécial Gobineau, p. 145)
impassibilité de Mérimée devenue
proverbiale
puisqu'elle sert en 1947 à Claude Roy pour qualifier Henri
Calet
: "l'impassibilité d'un Mérimée de
quartiers
pauvres et de loges de concierges minables" (Europe, octobre 1947)
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Les
« naturels de
l’île »
(Corses d’avant les Romains, Notes d'un voyage en Corse,, 1840, p. 2)
Une
« race, peut-être
aborigène », une
« race barbare »
(NVC, 5)
Des
« peuplades corses »,
différentes des « naturels de
l’île »
(NVC, 5)
Les
« naturels de
l’intérieur », pas soumis
à l’empire
romain (NVC, 7)
Des
« battues dans les
montagnes, pour se procurer des esclaves » (NVC, 7-8)
La
« tradition »
de « vengeance » (NVC, 9)
Le
« langage des annalistes
nationaux » (NVC, 9)
« polir
les mœurs
sauvages » (NVC, 10)
« détachement
ironique », « Certains lecteurs,
habitués aux solides trames romanesques, restent
décontenancés devant ces sortes de promenades
guidées — qui répondent pourtant au
principe même des Chroniques.»,
« Mérimée figure parmi les
intellectuels intéressés par le renouveau
historiographique » (Xavier Darcos à
l'Académie des Sciences morales et politiques)