On a coutume souvent
d’opposer la cérébralité et l’instrumentalité.
Il y aurait ainsi d’un côté le logos, la connaissance,
la pensée, image idéalisée par Rodin d’un homme nu
qui réfléchit, par exemple, et à laquelle les littéraires
s’identifieraient, consciemment ou non, et de l’autre côté
la technique, la prothèse instrumentale qui supplée à
l’incapacité avant de devenir parfois une forme d’esclavagisme,
représentée, par exemple, par Chaplin dans Les Temps modernes.
Ce système d’opposition, tout caricatural qu’il paraisse, sous-tend
la plupart des réflexions que j’ai pu entendre de la part de professeurs
de littérature, en France comme au Japon, lorsqu’ils refusent de
s’intéresser à l’ordinateur.
Ce qu’ils oublient, c’est
qu’ils sont eux-mêmes instrumentalisés à outrance.
Leurs bureaux débordent de dictionnaires, de lexiques, de notices,
d’articles et de fiches en carton classées dans des boîtes
à chaussure. Leurs cours ou leurs notes sont remplis de références
bibliographiques, ou de renvois croisés aux travaux de leurs maîtres
et de leurs collègues.
Or ces flèches et ces numéros de pages sur le
papier, ces renvois, ne sont rien d’autre que de l’hypertexte à
son stade manuscrit. Le lien entre deux éléments est mis
en marche par l’énergie des neurones qui vont se souvenir de l’emplacement
où le livre est rangé et l’énergie des muscles qui
vont le prendre et tourner les pages.
L’opposition entre cérébralité et instrumentalité
n’existe tout simplement pas. La cérébralité, la pensée
étant de toute façon nécessaire, il n’y a d’opposition
qu’entre une instrumentalité traditionnelle et une instrumentalité
nouvelle, dont la particularité est d’être électrique
depuis quelques décennies, et électronique depuis une quinzaine
d’années.
Le premier effet d’une instrumentation
électronique est d’accéder plus rapidement à des sources
d’information et de les manipuler plus facilement. Ainsi des deux définitions
de mots distribuées, tirées du cédérom du Petit
Robert.
La zone de texte désirée peut en effet
être insérée automatiquement dans un document, puis
remise en page dans ce document (ici sans couleur et dans une autre police
de caractères).
Le second effet des outils électroniques est la
possibilité de diffusion pour la pédagogie ou l’auto-apprentissage.
Ainsi du poème de Rimbaud, annoté
et diffusé sur le web.
Le troisième effet, et qui est de loin le plus
intéressant, est l’effet de prolongement, ou effet heuristique :
lorsque l’utilisation d’un outil apporte un supplément imprévu
et utile qui lance la recherche dans d’autres directions. Par exemple,
lorsque en suivant des liens de notes du poème, le lecteur se retrouve
dans des citations de Balzac qui l’invitent à découvrir beaucoup
plus largement la notion de « bourgeois ». Dans ce
cas, l’hypertexte débouche sur l’intertextualité littéraire.
Je me limiterais aujourd’hui à ces exemples. En conclusion, j’invite les chercheurs et les professeurs à développer l’hypertexte en tous sens et à diffuser leurs travaux, car si c’est bien par des instruments que nous pouvons effectuer ces opérations, c’est surtout notre esprit et nos connaissances qui peuvent être découverts par ceux qui en ont besoin ou envie.