Session de cours de 5 séances, les vendredis de 13h30 à 15h20,
du 4 juillet au 1er août 2014, à l’Institut français du Japon – Tokyo.
Le 4 juillet : chapitre 1.
- Ouverture sans contexte. Évocation de l’écriture / lecture musicale pour jouer un morceau, avec apprenant ; possibilité de mise en abyme du processus de lecture avec contrat participatif : le lecteur doit être comme l’enfant.
- Moderato cantabile, c’est une forme de didascalie (commentaire en marge des répliques théâtrales) : un sous-discours est mis en avant. Modération, piano (sens du mot en italien), exécution musicale répétitive, presque machinale.
- « Moderato » va s’opposer au « cri », surgissement unique de l’accidentel et du passionnel dans un cadre d’ennui et de répétition… créant une tension propre à l’œuvre et que Duras fera exprès de maintenir sans la résoudre.
- Dès le premier chapitre, il y a amalgame (et transformation) de deux éléments biographiques : l’apprentissage du piano par son fils « Outa » et la rencontre amoureuse de Gérard Jarlot, à qui le livre est dédicacé.
- Par ailleurs, schéma récurrent chez Duras : l’opposition entre un adulte qui représente l’autorité ou l’éducation (et qui exige, parfois jusqu’à l’absurde, ou, crescendo, la colère, p. 9-11) et un enfant obstiné, qui symbolise parfois l’obstination dans la désobéissance, l’insoumission, voire la résistance à l’oppresseur (aboutissement de cela, peut-être, avec le film Les enfants, 1985, adapté en partie de Ah! Ernesto, 1971, cf. 11′ à 14’30 » par exemple).
- L’enfant possède le talent (capricieux ?), l’obstination (incompréhensible ?), mais aussi la sensibilité, la naïveté : « se souvenir que le soir venait d’éclater. Il en frémit. » (p. 10), « la vedette lui passait dans le sang » (p. 11).
- Dans le texte sobre, comme mesuré, le lecteur rencontre des expressions ou des images qui surprennent, font saillie, et sont comme la marque d’un dérèglement souterrain ou à venir : « soir… éclater » (p. 10), une « pose d’objet » (p. 11), « passait dans le sang » (11), « aridité » (12), « si glorieuses… blondeur… modifiée » (13), ‘en allé ou ? » (13), « le silence… se fit entendre » (13-14).
- Les éléments du récit peuvent apparaître comme des instruments dans une pièce musicale :
- la dame, la mère, l’enfant, descriptions et paroles,
- la musique du piano (en « si bémol à la clef »), le bruit de la mer, celui de la vedette,
- le soir, le rose, le paysage,
- le cri, la plainte, les rumeurs des gens puis de la foule.
Le 11 juillet : micro-lecture du chapitre 1.
- Le « si bémol à la clef » peut être pris comme une mise en abyme à plusieurs niveaux :
- il convient de bémoliser les passions (pour survivre)
- la langue du texte est en bémol par rapport aux habitudes littéraires (dans le cadre des expériences proposées par des auteurs dits du Nouveau Roman).
Le 18 juillet : lecture thématique des chapitres 1 à 4.
- le thème de la ville, des conventions sociales qui la régissent
- le thème de l’enfant (son existence, le prétexte et la garantie qu’il représente)
- le thème de l’alcool (le vin)
- le thème de la nouveauté VS du recommencement
- le thème de la fascination pour le crime
- le thème de la passion amoureuse / l’amour impossible / la folie
Le 25 juillet : chapitres 5 et 6.
- Nouvelle leçon de piano (donne un cadre hebdomadaire à l’ensemble);
- l’enfant reste à la fois rebelle et adorable (au moins pour sa mère) – et quand il veut bien jouer, il joue bien ; Mlle Giraud suggère qu’une autre personne l’accompagne à sa leçon de piano (accusant la présence maternelle et cette « éducation » qu’elle donne à son enfant);
- la « mesure » musicale demandée à l’enfant vaut aussi pour la mère : passer la mesure, c’est ne pas respecter certaines conventions sociales, s’exposer à la réprobation ou au scandale…
- Nouveau passage au café : l’alcool devient dominant dans la relation, pour se désinhiber, d’abord, puis pour s’approcher à la fois du mystère du crime de la semaine passée et d’une possible aventure entre Anne et Chauvin ; il permet une forme de communion dans l’ivresse des deux personnages, mais sans consommation physique.
- mais le mystère de l’amour fou et du crime restent inaccessibles – cernables, approchables, mais inaccessibles tant que l’on ne décide pas d’entrer complètement dans cette sorte d’illégalité, de marginalité, d’immoralité, etc.
- en parlant du dîner officiel et mondain auquel elle prévoit d’arriver en retard, Anne annonce déjà le scandale. Elle est sur la corde raide : rentrer chez elle, c’est possiblement rentrer dans l’ordre (même si elle risque de se faire remarquer), rester plus longtemps, c’est possiblement partir dans l’inconnu (sorte de vertige où elle voit le fantasme ou l’illusion d’un amour absolu, désiré, etc.).
Le 1er août : chapitres 7 et 8.
Le dîner mondain (chapitre 7) impose des contraintes nombreuses : il est la quintessence de la mondanité (tradition aristocratique puis bourgeoise d’au moins trois siècles) et repose en grande partie sur la bienséance (p. 101) et l’art de recevoir de la maîtresse de maison, elle-même éduquée, dressée (« on les choisit belles et fortes », p. 109) pour mettre en valeur la maison et la famille dont elle est censée être le cœur, le joyau. Qu’elle manque à son devoir est donc déjà un scandale – auquel s’ajoute la cause immorale (et inexplicable, au moins aux invités) de son manquement. Le texte souligne d’abord ce cadre de tradition (« plat d’argent », p. 101), la qualité supérieure de cette société qui communie au Pommard (107)1 et par le « rituel » du service du « saumon » (101). Puis le texte signale les détails de bienséance auxquels Anne manque successivement : retard à l’accueil des convives (102-103), absence de conversation (104, 113), maintien instable, coiffure dérangée (103), ivresse visible et désagréable (110, 113), jusqu’au vomissement (114).
- On voit tout ce que cette communion bourgeoise, marquée par les rituels du saumon et du canard à l’orange, a de différent de celle permise par le vin mauvais du chapitre précédent… [↩]