Parataxe de ruades et de succions virtuoses
Suzuki et Subaru se retirent de la compétition. Darcos recule dans l’hésitation nationale. Télévision déjà muselée : même sans la loi, de Carolis obéit au doigt et à l’œil. Madoff derrière les barreaux, on ignore à qui les riches pourront faire confiance. Sur la course en solitaire, la mer casse des mâts. Derrick décide de ne plus nous ennuyer. Au Parlement européen, on applaudit le départ de Sarkozy. Extension de la crise, les terroristes du Printemps manquent peut-être de détonateurs. Et la neige, la neige, toujours recommencée…
Est-ce là tout ce que je retiendrai de cette journée ?
Ou bien, que j’ai quitté T. par grand soleil et 10 degrés ce matin pour aller dormir dans un shinkansen. Que j’ai fait de rapides courses pour deux jours au Seijo Ishii de la gare de Nagoya. Que les étudiants m’ont paru s’habituer au subjonctif, à son aspect irréel, à sa subordination. Qu’un cours ayant sauté, je suis allé vers Le Goût de la vie (en anglais No Reservations, Scott Hicks, 2007), film tout de même bien fade, et qui m’a plutôt paru être sur la famille recomposée que sur la cuisine à proprement parler. Que David est venu papoter une petite demi-heure. Que j’ai regardé un Ce soir ou Jamais moyen (malgré le bref passage inaugural de Bernard Stiegler) en dînant d’une salade de carottes et d’un steak haché avec un œuf à cheval. Qu’enfin j’ai zoné un bon moment chez le diabolique Facebook avant de me dire qu’il serait temps d’aller au lit…
« Tout ne lui serait pas infligé à la fois, elle aurait le loisir de crier, de se débattre et de pleurer. On la laisserait respirer, mais quand elle aurait repris haleine, on recommencerait, jugeant du résultat non par ses cris ou ses larmes, mais par les traces plus ou moins vives ou durables, que les fouets laisseraient sur sa peau. On lui fit observer que cette manière de juger de l’efficacité du fouet, outre qu’elle était juste, et qu’elle rendait inutiles les tentatives que faisaient les victimes, en exagérant leurs gémissements, pour éveiller la pitié, permettait en outre de l’appliquer en dehors des murs du château, en plein air dans le parc, comme il arrivait souvent, ou dans n’importe quel appartement ordinaire ou n’importe quelle chambre d’hôtel, à condition d’utiliser un bâillon bien compris (comme on lui en montra un aussitôt) qui ne laisse de liberté qu’aux larmes, étouffe tous les cris, et permet à peine quelques gémissements.» (Pauline Réage, Histoire d’O, p. 33-34)
Plus de cinquante ans après sa parution, ce qui m’émeut dans ce texte, pour les pages déjà lues, ce n’est pas l’activité sexuelle (le langage, le cinéma, la publicité, l’internet aujourd’hui, en montrent beaucoup plus) mais bien la paradoxale douceur que l’on met à détailler la privation des libertés. Si la violence est exercée pour le plaisir, à donner ou à recevoir, il faut cependant que l’aménité, le cérémonial et les explications préservent la dignité — chose aujourd’hui presque disparue de la littérature dite érotique, qui n’est plus que parataxe de ruades et de succions virtuoses. Ici, aucune prétention au réalisme, au témoignage, ou à la compétition, on est dans le pur fantasme. Et si quelque chose traduit l’origine féminine de l’œuvre, c’est bien la douceur de la syntaxe.
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Publié dans le JLR
votre dernière phrase me laisse plus que perplexe, je ne suis pas sûre du tout que la syntaxe douce soit un attribut féminin (mais alors pas du tout sûre…)
Vous voulez dire que c’est un fantasme masculin ? C’est ça ? Et que ça s’appuie sur des clichés éculés, du type : femme = douceur ? Voire même, en tirant un peur sur la corde — Aïe! : parataxe VS syntaxe = violence VS douceur ?…
Et vous aurez peut-être raison.
Mais ça reste à prouver…
un cliché oui, c’est bien ça
En ce qui concerne la littérature dite érotique, je me demande en effet si on peut vraiment poser de telles équation… en tout cas, repensant tout de suite à quelques éminents exemples du XXe siècle d’oeuvres qui entrent dans ce « registre » et écrites par des femmes, comme Unica Zürn, Joyce Mansour, Virginie des Rieux, Françoise Lefèvre… ou une « experte en la matière » comme Annie Le Brun, cela me semble assez éloignée d’une syntaxe douce…
Salut, Vinteix ! En l’occurrence, il ne s’agit pas de dire que telle ou telle syntaxe est douce ou pas, mais que la syntaxe est une souplesse de la langue que j’appelle ici douceur, par opposition à la parataxe qui est une forme de violence textuelle.
S’il y a cliché, que j’assume en tant qu’homme ayant un minimum de fantasmes, merci, c’est femme = douceur, quand bien même je sais que ce n’est pas vrai et que « des » femmes (et « des » hommes) ne seront pas d’accord quant à ce qu’elles savent ou croient être.
je crains fort, en tant que femme et en tant que lectrice, d’être tout à fait d’accord avec ms : pur cliché ! (et ta défense par les fantasmes est un peu faible)
la « douceur » de la syntaxe de Pauline Réage, que tu attribues à sa féminité, est davantage un effet d’époque que de sexe
les syntaxes de Despentes, Millet, Angot, ou Jelinek, ou encore celle, filmique de Catherine Breillat, sont nettement moins « douces »
J’assume. C’est dur mais j’assume… Les syntaxes que tu me cites contiennent beaucoup de parataxe, conviens-en ! (sauf Millet, peut-être, qui n’est pas si loin de la narration réagienne…)
de toute façon en tout la douceur féminine m’a toujours parue une belle fumisterie (si on veut à tout prix trouver une différence ce serait plutôt le sens pratique, quitte à voiler provisoirement les principes).
Frivole ce qui m’a retenue parce que ça m’a permis un rire bref c’est la crise privant les terroristes de détonateur
Sauf érythème eczémateux, les femmes sont plus douces que les hommes au toucher, en tout cas (j’essaye de vous défendre, Berlol)…
Merci, Didier !
Quant au sens pratique, je ne vois pas du tout ce que c’est…