Il fallait la mettre à genoux
Ah ! ce François Busnel, un monsieur Prud’homme mâtinée d’Ardisson, flagorneur jovial et interrupteur vulgaire, qui a toutefois des amis à Melun et que le Figaro aime bien. Didier peut y aller, je serai toujours là pour en rajouter. Ceci dit, on peut se demander si Pierre Bergé n’était pas pire, ce soir-là, en has-been con et faussement décontract’. On a frôlé l’apoplexie. C’aurait été dommage, un si grand anthologiste de préfaces… L’émission se trouve ici, deux des meilleurs moments sont ici, pas besoin d’avoir la télé.Vive Luchini et Naulleau !
Le site du Collège de France s’est récemment enrichi d’une plateforme multimédia regroupant tous ses documents audio et vidéo. Il y a aussi un fil RSS. Il n’y manque — partout — que les dates ! Un gros oubli qui risque fort de compliquer la vie des chercheurs citeurs. (J’ai écrit au webmestre pour lui signaler la chose et mon point de vue.)
Fin de lecture de Didier da Silva. Les amateurs de propos et d’émotions tokyoïtes apprécieront aussi Le Goût de Tokyo (Paris : Mercure de France, 2008, coll. le Petit Mercure), petite anthologie concoctée par Michaël Ferrier. Et puis je commence Histoire d’O, au bain…1 J’enchaîne les trois sur l’idée des prémices.
« Un primate se met debout, il y a peut-être six millions d’années. Trente mille siècles s’écoulent sans qu’il ait rien fait de ses mains sinon cueillir des baies, étrangler un rival, gratter ses couilles. Puis il invente l’arme blanche, massacre quantité de bêtes, pris de remords les peint, ensevelit son père, entasse des cailloux au-dessus de son crâne pour se souvenir de lui. À peu près tous les dix mille ans, ce genre d’idées remarquables lui vient, c’est qu’entre manger et mourir il n’a guère le loisir de penser. C’est une chose que de s’aviser que le bois flotte, une autre de construire un navire, dans l’intervalle de satanés paquets de tremblements de terre ont le temps de faire surgir une île des eaux. Enfin on part à l’aventure, on tombe sous le charme de ce coin poissonneux, baleines et thons numérotent leurs abattis. L’épiderme des pêcheurs pâlit à l’imitation de leurs proies, leurs poils se raréfient, le Japonais est né. La domestication du riz est longtemps son principal souci. Il faut attendre 1590 pour que Tokugawa, seigneur, fasse bâtir dans le fief du Kantô un gros château, précisément dans cette localité à laquelle la famille Edo, en des temps reculés, avait laissé son nom, treize ans encore pour que, nommé shôgun, il y établisse le gouvernement. Plusieurs villes se succèdent, elles ont tendance à brûler facilement. Neuf ans avant qu’on y installe le téléphone, Edo devient Tôkyô, « capitale de l’Est », au moins sur le papier. Soixante-seize ans plus tard, c’est un champ de ruines. Soixante ans de plus et, à sept heures du soir, les fééries de l’électricité, où que l’œil se pose, démentent une nuit si longue.» (Didier da Silva, Hoffmann à Tokyo, p. 94-95)
« Quand il arrivait au niveau du réverbère, il était toujours pris de l’envie de se soulager. C’était un besoin irrépressible, naturel, ponctuel. Il urinait debout, face au canal, le visage tourné vers le ciel pour admirer la lune. […]
Ce soir-là, comme d’habitude, il s’arrêta, leva la tête en direction de la lune qui flottait dans les nuages, défit les boutons de sa braguette et se mit à uriner lentement en entonnant une marche militaire. […]
Comme il n’en connaissait pas toutes les paroles, il se contentait de répéter « en avant, en avant » quand, ayant posé un regard sur la surface noire de l’eau du canal, il poussa soudain un cri.
Un visage d’homme flottait dans l’eau sale.
Il sentit aussitôt ses testicules se contracter et le jet d’urine se bloquer. Un cadavre flottait dans le canal ! » (Nishimura Kyôtarô, Petits Crimes japonais, extrait cité dans Le Goût de Tokyo, op. cit., p. 68)
« Mais on avait remis à O un bandeau sur les yeux. Alors on la fit avancer, trébuchant un peu, et elle se sentit debout devant le grand feu, auprès duquel les quatre hommes étaient assis : elle sentait la chaleur, et entendait crépiter doucement les bûches dans le silence. Elle faisait face au feu. Deux mains soulevèrent sa cape, deux autres descendaient le long de ses reins après avoir vérifié l’attache de des bracelets : elles n’étaient pas gantées, et l’une la pénétra des deux parts à la fois, si brusquement qu’elle cria. Quelqu’un rit. Quelqu’un d’autre dit : « Retournez-la, qu’on voie les seins et le ventre.» On la fit tourner, et la chaleur du feu était contre ses reins. Une main lui prit un sein, une bouche saisit la pointe de l’autre. Mais, soudain elle perdit l’équilibre et bascula à la renverse, soutenue dans quels bras ? pendant qu’on lui ouvrait les jambes et qu’on lui écartait doucement les lèvres ; des cheveux effleurèrent l’intérieur de ses cuisses. Elle entendit qu’on disait qu’il fallait la mettre à genoux. Ce qu’on fit.» (Pauline Réage [pseud. de Dominique Aury], Histoire d’O, Paris : Le livre de poche, 1999 [rééd. de Paris : Pauvert, 1954], p. 31)
Après la pluie, nous sortons marcher, prendre du pain chez Kayser, découvrir une boutique de miel et de cire de Nouvelle-Zélande, là, tout près de chez nous, c’est dingue. Et puis on regarde avec un grand intérêt le dernier film que j’ai pu enregistrer avec Wizzgo avant que la justice ne passe par là, The Great Water (Ivo Trajkov, 2004, diffusé sur Arte en novembre), souvenir crépusculaire d’un mourant, son enfance martyre dans un orphelinat yougoslave à partir de 1945…
Notes ________________Tags : Ardisson Thierry, Aury Dominique, Bergé Pierre, Busnel François, da Silva Didier, Ferrier Michaël, Luchini Fabrice, Naulleau Éric, Nishimura Kyôtarô, Réage Pauline, Sagan Françoise, Trajkov Ivo
Publié dans le JLR