Un antimoteur à deux temps
Journée toute centrée sur deux œuvres qui occuperont longtemps l’esprit. D’une part le film Sans Toit ni loi (Agnès Varda, 1985) à l’Institut, d’autre part et en deux temps la fin de Courir, au bain le matin et au lit le soir. À quoi vient s’adjoindre le premier épisode de Lagardère (H. Helman, 2003, sur TV5, un des derniers rôles de Ticky Holgado).
Sans Toit ni loi, c’est, avec Cléo de 5 à 7, le film de Varda que je préfère. J’ai dû le voir à sa sortie ou au maximum en 86, en tout cas tout près de l’époque de ma maîtrise puisque je me souvenais qu’il était dédié à Nathalie Sarraute (ma maîtrise portait à la fois sur Sarraute et Gracq, alors vivants tous les deux et peu considérés comme comparables…). En revanche, j’avais totalement oublié, et je trouve que c’est grave de ma part, que la jeune fille est montrée morte dans un fossé dès le début, et que tout le film n’est que la reconstruction des dernières semaines, par témoignages de celles et ceux qui l’ont croisée et imagination de l’enquêtrice sur le plausible — en creux donc, ce qui est précisément la méthode de Modiano dans Dora Bruder.
Le film est sans concession, le pathos réglé au minimum et tout le monde est pris en faute. Mona, bien sûr, qui refuse suicidairement d’envisager une quelconque prévision ou construction (ne voulant rien devant elle, les lois de la nature la conduisent à la mort), mais aussi toutes celles et ceux (bourgeois, scientifique, philosophe, ouvrier, paysan, commerçant, etc.) qui, pour des raisons chaque fois spécifiques, l’aident ou la repoussent, parfois l’autre après l’un. Et même Varda est fautive, ajouterai-je, puisqu’elle ne nous donne pas les clés de ce comportement : les déceptions, ruptures et traumatismes qui ont amené cette bachelière à partir sur les routes (mais c’est le parti-pris du film, Varda ne le sait pas). Le thème était nouveau dans les années 80, il reste mal cerné plus de vingt ans après, surtout si l’on considère qu’indigence et déréliction ne sont pas la même chose mais qu’elles constituent le principe d’un antimoteur à deux temps — que l’on se demande bien comment arrêter. Comme dit le philosophe-fromager : ce n’est pas l’errance, c’est l’erreur.
Échenozatopekons ! Échenozatopekons ! Échenozatopekons ! Vous avez essayé ? Dites-le trois fois, ça fait locomotive. Dites-le dix fois, ça déraille. D’ailleurs, le livre finit dans les conséquences du printemps de Prague…
« Au point que son patronyme devient aux yeux du monde l’incarnation de la puissance et de la rapidité, ce nom s’est engagé dans la petite armée des synonymes de la vitesse. Ce nom de Zatopek qui n’était rien, qui n’était rien qu’un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d’huile Émile est fournie avec le moteur Zatopek.» (Jean Échenoz, Courir, p. 93)
Et puis nous avons reçu de notre agent immobilier à Nagoya une nouvelle annonce de maison à vendre, cette fois dans nos prix. Quelques recherches supplémentaires par le réseau pour vérifier l’âge et la solidité des matériaux, si la zone est inondable et où sont les supermarchés, etc. C’est plutôt satisfaisant. Je n’ai plus qu’à prendre mon vélo mercredi pour aller voir ça de plus près.
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Publié dans le JLR