Jeunes paysans hagards en caleçon long
Enfin Courir en pédalant !
D’abord, cours de lecture sur les nombres, cette fois pour exprimer les surfaces, les volumes et quelques calculs attenants. Soit un local de 20 mètres sur 8 de large et 7 de haut à repeindre, combien je dois acheter de pots de peinture vendus pour 40 m² chacun ? Ensuite, si on remplit d’eau le même local et que le robinet débite 15 litres à la minute, ça va prendre combien de temps ? Autant de petits problèmes (j’en aurai des plus balèzes pour la semaine prochaine) qui ramènent les étudiants au bon temps du collège — je vois des visages absolument ahuris de voir ça comme contenu du cours — mais qui constituent d’excellentes matrices d’expression et d’organisation logique. Au passage : aucun étudiant japonais ne pratique le calcul mental.
C’est donc après ça que je suis allé illico au sport, sur mon vélo statique où j’ai ouvert mon Échenoz à la page 7 pour découvrir que les Allemands sont entrés en Moravie — un excellent début, franc du collier, certes un peu dur pour les Allemands d’aujourd’hui, mais bon, les plus intelligents comprendront.
Plus tard, comme je m’ennuyais un peu dans une réunion après avoir concocté trois problèmes de calcul (savoir ce que rapportera un immeuble vendu à la découpe, évaluer le nombre de réfugiés que pourra accueillir un complexe sportif après un tremblement de terre, compter ce que rapportera à un best-seller chaque page écrite de sa main en fonction du temps qu’il y a passé), j’ai redonné de la voix aux insectes, un livre plus petit, plus discret. Et là, entre les motions à voter à bras levé, la fourmi nouvelle-née a refusé le destin d’accordéoniste que lui traçait sa mère impotente pour se chrysalider et avoir une vie de mouche, la salope — c’est la mère qui parle. Pelevine m’a fait trouver le temps court.
« Entretenue par des organisations de jeunesse aussitôt créées, la propagande s’exerce également fort dans les écoles et dans les universités. L’une des premières initiatives de l’occupant est de monter pour les jeunes gens des manifestations sportives, athlétisme et jeux collectifs, et là encore c’est assez obligatoire.
La première course à laquelle participe Émile est donc un cross-country de neuf kilomètres mis au point par la Wehrmacht à Brno et qui va opposer une sélection allemande athlétique, élancée, arrogante, impeccablement équipée, tous pareils dans le genre übermensch, à une bande de Tchèques faméliques et dépenaillés, jeunes paysans hagards en caleçon long ou vagues footballeurs amateurs mal rasés. Émile ne participe pas de gaieté de cœur mais c’est un garçon consciencieux, il s’y met, il donne ce qu’il peut.» (Jean Échenoz, Courir, Paris : Minuit, 2008, p. 16)
Tags : Échenoz Jean, Pelevine Viktor
Publié dans le JLR
et nous sommes deux à comprendre le plaisir de suivre Emile à travers ces mots, sans adhérer au pédalage