Montagne, laçons serré
Bain matinal, le dernier du séjour. L’hôtel étant destiné à accueillir des centaines de clients qui skient et boivent, les équipements de bains et sauna sont basiques et fonctionnels, juste un peu chic, comme en ville, comme au centre de sport. Plantureux petit déjeuner, ici aussi (sauf la prune (umeboshi) trop salée).
Après avoir réglé notre note, nous montons garer la voiture un peu plus haut dans la montagne, laçons serré nos chaussures de montagne et partons pour quelques kilomètres dans la forêt de mi-altitude, les chemins caillouteux puis le plateau où les marécages commencent à geler — 860 mètres d’altitude à ma montre. C’est l’extrême limite de la saison pour cette randonnée ; dans trois jours, dès demain peut-être, il faudra un autre matériel. Il fait 12 degrés quand nous commençons avec un soleil intermittent et 8 quand nous revenons à la voiture à midi.
Entretemps, nous n’avons rencontré personne. Aucun randonneur dans ces parages. C’en est même étrange.
Comme si nous nous étions égarés dans une zone contaminée. Pourtant, nous avons fait une rencontre. Et troublante. Nous avancions dans le sous-bois légèrement pentu quand soudain, à trente mètres de nous, entre deux arbres, un kamoshika (saro du Japon), lui-même fort étonné de nous voir, ne fuyant pas parce que nous ne faisions aucun geste ni déplacement dans sa direction. Après une bonne minute d’observation mutuelle, c’est nous qui sommes partis, sans mouvements brusques. Non sans l’immortaliser.
Déjeuner en haut du Hachimantai Royal Hotel, lui aussi presque totalement désert. Surprise d’y trouver de la cuisine française, avec des ingrédients bio et régionaux, en face d’un mont Iwate ensoleillé par larges instants, au point de laisser apercevoir, quelques minutes seulement, son sommet déjà blanc.
Dernières courses en bas de l’hôtel. On refait les bagages sur le parking, maintenant qu’on peut ranger les chaussures de marche. Retour tranquille à Morioka où nous rendons la voiture un peu avant 16 heures.
Dans le train du retour (trois heures), je lorgne de temps en temps sur ma voisine, plongée dans Vingt Ans après (la fin de Mordaunt, enfin). Et de mon côté, fin du Chasseur de lions. J’ai tout aimé dans ce livre, plus encore que dans Tigre en papier, mais j’aime moyennement la fin, ces dernières pages qu’on sent trop travaillés dans le sens de la clôture. Pour moi, le livre aurait dû s’arrêter ici :
« Puis c’est Charles Cros qui meurt […] Puis c’est Berthe qu’une pneumonie emporte […] Méry meurt au tournant du siècle, elle survivra en Odette de Crécy, Mallarmé l’a précédée de deux ans […] Et lui alors, l’insolite balourd, qui a croisé ces vies, fait l’éléphant dans un magasin de porcelaines, lui qui n’a pas connu ce qu’était l’art, mais eu assez de sensibilité tout de même pour l’admirer, de loin, comme qui contemple un beau paysage, comment a-t-il pris congé ? A-t-il fini sous la griffe d’un lion, ou bien assassiné par son boy, au bord d’un fleuve d’Afrique ? La cirrhose l’a-t-elle emporté, vieux poivrot qui amusait du récit de ses aventures les habitués des bistros de Montmartre ? Est-il mort à l’aube dans une minable chambre d’hôtel d’une petite ville où il s’apprêtait à faire une conférence sur le thème « La Terre de Feu, eldorado du futur » ? Ses voisins, lassés d’entendre ses rugissements, l’ont-ils fait interner dans un hôpital psychiatrique où les médicaments l’ont endormi pour toujours ? A-t-il succombé à une apoplexie à la fin d’un repas de chasseurs, face embourbée dans le sorbet, serviette nouée autour du cou ? S’est-il fait sauter la gueule avec sa « poudrière de campagne » ? Ou bien est-il retourné en Patagonie et y a-t-il disparu dans la montagne […] » (Olivier Rolin, Un Chasseur de lions, p. 230-231)
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Publié dans le JLR