Des couleurs et l’aplomb
Suite au mélange vin rouge, bière et saké aggravé du trop peu de nourriture, je me réveille à quatre heures du matin avec un casque de vingt kilos greffé du haut du crâne à la nuque. Inutile de rester au lit dans ces conditions ; le thé au jasmin s’impose. Et moins d’une heure plus tard, même si la tête tourne encore un peu, le casque se desserre… Assez pour surfer une heure ou deux avant le petit déjeuner.
Pour detox, comme on dit ici, T. prépare un nabé simple avec des morceaux de poulet, du poireau et du chou. Pas gras, à peine salé, parfumé au yuzu, un agrume de saison. Pendant ce temps, j’ai repris des couleurs et l’aplomb. Je peux fignoler par téléphone et par courriel la conjonction de ce soir.
Et je ne remercierai jamais assez Laurent de l’idée qu’il a eu pour honorer l’éphémère présence de Jean-Philippe Toussaint. Nous étions en effet passés de jour il y a quelques années dans ce jardin de Chinzanso, le long de la rivière Kanda, près d’Edogawabashi, mais j’ignorais que la maison traditionnelle, en bas du jardin, fût un restaurant raffiné et très discret, le Mucha-an, où l’on pouvait déguster tempuras et sobas en admirant, au doux glou-glou d’un bambou, la composition végétale escarpée.
Ce soir, Toussaint revient d’un exposé à l’université Gaigo, où Sonia l’a accueilli en début d’après-midi, Christine a accepté d’être ma cavalière (T. étant à la piscine), et deux autres amis de province, L. et A., recrutés du matin, ferment ce septet que j’appelle une conjonction, donc, et qui, de par son aspect improbable et privé, n’en a que plus de saveur.
Je ne prends qu’une bière que je ne finis pas, de belles photos et peu la parole. On continue par la visite du jardin, les feuillages, la pagode et la cascade à éclairage variable, jusqu’à déboucher dans l’hôtel Four Seasons où le luxe un peu ridicule décontenance. Après, c’est fatalement la redescente, les escaliers du métro et la séparation, comme toujours, triste et nécessaire.
C’est Christine que je quitte la dernière, devant la gare d’Iidabashi. Si je suis certain de revoir chacune de ces personnes en diverses occasions, il m’apparaît avec certitude, tandis qu’un coup de vent m’incite à fermer mon manteau de cuir, que jamais cet improbable groupement-là n’adviendra plus. Mais ne donnons pas prise à la mélancolie, cette chienne.
Tags : Toussaint Jean-Philippe
Publié dans le JLR
j’aime tant me retrouver à Tokyo et y faire tant de rencontres