Un boulevard de picolade
Essais puis mise en ligne du texte de ma communication de Fukuoka, Le Langage du rêve chez Antoine Volodine, également disponible ici en audio (apparaît également dans les onglets en haut du JLR2).
Trois cours dont deux bruyants et un écourté. Un bruyant parce qu’on apprend l’usage de l’impératif, avec les logiques degrés de voix et de mélodie entre ordre, recommandation et conseil ; intimidés, les étudiants n’osent pas parler haut, ça prend du temps, pour empêcher un enfant de se faire écraser par une voiture, on simule, ni pour faire reculer quelqu’un qui se penche trop à la fenêtre… L’autre cours bruyant, c’est à cause de la marche d’un mois du bataillon des Fédérés de Marseille, temps qu’il leur faut pour bien apprendre leur chant, récupéré de l’armée du Rhin, dans La Marseillaise (Jean Renoir, 1937-1938). C’est d’ailleurs là qu’il faut raccourcir, au moment où ils arrivent à Paris et où je dois partir pour Tokyo, toujours en compagnie de mon chasseur de lions…
Car s’il m’est impossible d’être à l’heure pour entendre Alexandre Gefen présenter la littérature contemporaine et ses études telles que proposées dans le site Fabula (sujet que je connais aussi un peu), il est en revanche très agréable d’arriver à l’université Gakushuin au moment du cocktail donné en son honneur, et animé par nos brillants collègues Thierry Maré et Laurent Hanson. Cependant, animé, Alexandre, lui, ne l’est plus beaucoup. Il a, en effet, à Kyoto, pris un coup de froid et n’a présentement plus qu’un douloureux filet de voix. Moins d’une heure plus tard, il s’efface dans un taxi et nous laisse un boulevard de picolade. Au restaurant, qui n’est d’ailleurs pas celui habituellement retenu pour ces agapes, une dizaine de survivants affrontent de peu ragoûtants aliments, de sorte qu’il vaut mieux boire et parler… Je ne vous dis pas dans quel état je rentre, mais j’y parviens et avant l’heure de me changer en citrouille. Et sans en arriver aux extrémités de Pertuiset en Terre de Feu…
« On commence à avoir faim, des vols d’oies sauvages se lèvent dans de grands tumultes d’air et de plumes et on n’a même plus de quoi les tirer. Alors on mange des coquillages qui pullulent sur les rochers. Au bout d’une seule journée de ce régime, Le Scouézic, Mironton et l’inventeur du dirigeable commencent à être dévastés par la chiasse. Le lendemain, ce sont tous les militaires, livides, suants, gémissants, qui sont constamment obligés de s’arrêter pour baisser pantalon. Le montreur d’ours, l’orthodontiste, le garçon de café, le photographe, le boulanger, le sergent de ville, enfin la moitié de la troupe est atteinte. Ce ne sont que pets foireux, courantes à répétition, tonitruants vidages de boyaux. Les misérables, dans leur hâte, se chient dessus, ils sont tout embrenés, leur odeur incommode les autres. Les autres, justement… Comment se fait-il qu’aucun des anciens communards ne soit atteint ? Ces gibiers de potence ? Ni Pertuiset ? Dans un des rares moments de lucidite que lui laisse la diarrhée, Le Scouézic formule nettement la question qui implique sa réponse : s’ils n’ont pas la drisse, tiens, c’est parce qu’ils se sont gardé toutes les sardines à l’huile ! » (Olivier Rolin, Un Chasseur de lions, p. 170)
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Publié dans le JLR
J’aime bien les boulevards de picolade… quoique je préfère sans doute les venelles… En tout cas, dommage pour Alexandre Gefen… qui était encore en grande forme samedi dernier, lors de la soirée arrosée après le colloque de Fukuoka, faisant même partie du clan restreint des derniers Mohicans, que j’ai dû quitter vers 3 heures du mat… clin d’oeil amical.