Voilà donnant des deux canons
Premier cours du trimestre, bien préparer l’entrée en piste, donner le rythme, le ton et, l’air de rien, que ça bosse tout de suite.
Un test en quatre questions pour vérifier les acquis du premier semestre (en principe). Résultat… Décevant. Pas de miracle. Les vacances, dans leurs cerveaux, c’est la danse des mots…
Au bureau, je revois Lady Oscar (Demy, 1979) en me demandant comment canaliser l’attrait des étudiants pour un film français tiré d’un manga japonais sur les prémices de la Révolution française vers une réflexion sur la parodie de genre et la vérité historique… La réputation calamiteuse du film permettra également de réfléchir sur ce qui fait qu’un film est raté.
Sophie au téléphone, juste quand elle arrive à Narita — d’où ? elle nous le dira un autre jour. Benoît maintenant à Besançon. Andreas toujours plongé dans sa thèse, là-bas, au bout de mon couloir. David passe discuter un moment, on est sur un texte pour revendiquer un accès internet non bridé dans les bureaux (sous prétexte de sécurité, on ne pourrait plus utiliser de streaming…). Et même plus le temps d’aller au sport, l’heure est passée, l’envie aussi.
Pour me relever un niveau intérieur qui flanchait déjà, rien de mieux qu’une relance dans l’actu littéraire, et pourquoi pas en associant au Chazelas le Tugny. Me voilà donnant des deux canons — chargés — dans la création langagière, loin des histoires à ligne claire.
« Biche de Biche, souveraine, fit de tout ce monde une boule et la lança du regard très loin en répondant : « oui, absolument, Biche de Biche, qui vous sert et dit boujour. La compagnie ».» (Emmanuel Tugny, Mademoiselle de Biche, Paris : Léo Scheer, 2008, coll. Laureli, p. 81)
« Biche s’assit un moment et rit lorsqu’elle vit le Cardinal Vélasquez, sobrement insuffisamment déguisé, tirer lui aussi, parmi les dames, sur un plus petit oiseau qu’il soumettait, fiévreux, hors de lui, aux plus redoutables avanies.
Vous aussi, Vévé, chanta Biche en s’aidant des mains.
Moi aussi, Biche, chuchota le Cardinal qui, avec un sourire, tira dans sa direction trois coups qui sifflaient « Viens ».
Biche le rejoignit derrière le remblai et lui serra les mains. Elle ne put s’empêcher, non elle ne put pas, de remarquer qu’il avait l’air on ne saurait plus parti. Son œil regardait vers l’intérieur du crâne les songes qui s’y tramaient. Il fumait une manière de boue solide dont les filaments pendouillaient pathétiques sur le menton piqueté. Il offrit un fusil à Biche, qui tira distraitement dans la pâte turquoise des ciels.» (Id., p. 26-27 — et encore merci à Laure pour l’envoi gracieux.)
Mûr pour un rangement de placard, moi, ce soir. Déballage d’un carton de photos des années 90, la moitié à jeter. Ne garder que ce qui fait sens et mémoire. Alléger sa vie. D’ailleurs c’est quoi, ces tonnes de sécrétions en tous genres qu’on porte avec soi de déménagement en déménagement sans jamais s’interroger sur le bien fondé de leur conservation (habits, livres, disques, photos, bibelots, courriers, meubles, câbles, cadres, boîtes vides), écartant toute discussion d’un c’est à moi aussi grandiloquent que pathétique ? (Tant il ressemble à un c’est moi dont la partie vivante ne serait plus que le centième du tout.) Et puis si T. l’a courageusement fait en juillet-août, je ne vois pas ce qui m’en empêcherait…
Entrons fiers et légers dans notre dernier tiers de vie, et préparons-nous à en sortir aussi nus que nous y sommes entrés.
- Réédition de Rennes : La Part commune, 2000. [↩]
Tags : Chazelas Christophe, Demy Jacques, Limongi Laure, Tugny Emmanuel
Publié dans le JLR
aussi nu… chiche ! mais il y a toujours des choses pour lesquelles la main stoppe – et puis, plus tard, celles que l’on cherche en vain et que l’on remplace
Quand je pense que jusqu’à trente ans, à part un coffre et les frusques je n’ai rien gardé..