Suée à les empiler
Je reprends la valise, les trains, les couloirs, comme si cet été n’avait pas existé. Zones urbaines à perte de vue puis vastes paysages de montagnes et d’océan, tout humide et luisant jusqu’à Shizuoka, puis lumière poussant progressivement le vert dans le bleu et le sec pendant que j’écoute Jean-Pierre Richard, une émission d’il y a plusieurs mois. J’ai du retard… Ou bien ça redonne de l’avance.
« Est-ce que Mallarmé, Céline, ça se rejoint quelque part ?
— Écoutez, c’est assez paradoxal de tenter un lien entre deux auteurs de vocations si différentes, hein. Mallarmé étant fixé sur une sorte de recherche, disons, de l’abstraction sensuelle, selon moi, alors que la nausée de Céline, c’est un constat de la défection, de l’abandon, de la liquéfaction générale du monde. Exactement le contraire de tout ce que souhaitait faire Mallarmé, et qu’il a réalisé d’ailleurs dans beaucoup de ses poèmes.
— Mais votre propre balance, elle penche de quel côté ?
— C’est selon les époques. Si j’écris sur Mallarmé, je suis avec lui ; si j’écris sur Céline, je ne peux pas lui donner tort. Je suis du côté de l’écrivain dont je suis en train de parler.
— Un peu déchiré, quand même…
— Oui, mais c’est ce déchirement qui fait le plaisir de la lecture. Si on était toujours dans la même direction, la lecture ne serait qu’un long ennui. Là, y’a des secousses, y’a des virages, y’a des déchirures, même, oui. Et c’est cela qu’une longue vie, finalement, de critique m’a apporté, c’est cette aptitude à passer d’un monde à l’autre et à voir que le monde n’était pas un mais qu’il pouvait être très différent, que c’était ça la littérature, cette différence même.
— Ces secousses, vous les ressentez encore aujourd’hui aussi intensément ?
— Je les ressens… Je les cherche. Bah tiens ! Je les ressens lorsque je découvre un auteur que je ne connais pas encore, que je n’ai pas encore lu et exploré…
— Vous en découvrez ?
— Ça peut arriver, oui, j’en ai découvert, récemment. Mais assez peu, parce que évidemment mes capacités de lecture diminuent, aussi. Je lis moins. Mais enfin j’ai lu quand même un livre qui s’appelle La Souterraine de Christophe Pradeau, que j’aime beaucoup, et puis un petit traité, un Petit Éloge de la douceur qui m’a vraiment charmé, oui.
— D’Audeguy, oui…
— Oui. Oui, j’ai encore du plaisir à entr’ouvrir les livres, oui.» (Alain Veinstein et Jean-Pierre Richard, Du Jour au lendemain du 4 avril 2008)
Déjeuner de pâtes à la tomate fraîche avec David. Ambiance reprise de conflits stupides dans notre entourage professionnel. Ça leur passera…
Côté ambiance, d’ailleurs, fait pas bon être banquier, ces jours-ci, hein ! Hier soir, on voyait un voisin d’en face, appartement de 100 mètres carrés payé par sa boîte, planté debout en short devant un énorme écran de télévision qui diffusait des résultats boursiers. Avait l’air sidéré, le gars. Est resté plus de vingt minutes devant des tableaux de résultats. Que fait-il aujourd’hui ? Des affaires ou ses valises ?
J’ai écouté le panorama économique dans les Matins de France Culture cet après-midi. Franchement, c’est quand même très haché, comme tranche horaire.
Je récupère mes 34 cartons envoyés de Tokyo il y a deux semaines — suée à les empiler dans un coin du bureau où ils occupent maintenant un bon sixième de l’espace. Allez, ce n’est que pour quelques mois…
Un colis Amazon est arrivé aussi, et une enveloppe d’Emblée — merci, Christophe ! Bref, y’a de quoi faire pour ranger tout ça et remettre le bureau en ordre de marche pour la semaine prochaine.
Ce Soir ou Jamais. Tonique début de troisième année, hier soir, avec le trio Jaoui Bacri Debbouze, leur dernier film, leur carrière, leurs engagements. Pas des pros de la parole qui coule toute seule, d’or, style Maffesoli ici même, par exemple. Ces trois-là balbutiant souvent, se coupant l’un l’autre, s’exaspérant et se reprenant, jamais s’écoutant parler, toujours à la recherche d’une expression plus juste, soucieux d’éviter tout malentendu, ou de se laisser piéger par la parole institutionnelle, représentée ici par Taddeï. Le nom de Nathalie Sarraute a même été prononcé, figurez-vous. Évidence et clin d’œil quand quelqu’un dit d’une certaine façon : « C’est bien… ça! »
Le grand choc de ce soir : l’album de Christophe (le chanteur), Aimer ce que nous sommes. Une sorte d’élévation au carré des qualités déjà connues de Christophe, un bijou absolu. Et la preuve, s’il en était besoin, que l’intensité et la profondeur peuvent aussi s’atteindre en rythmes lents. C’est simple, je n’arrive même pas à me concentrer deux minutes pour écrire. Suis obligé d’attendre les fins de morceaux pour speeder sur le clavier.
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Publié dans le JLR