Ça valait le coup de refourbir le vélo
Du jour au lendemain, j’avais arrêté le vélo. C’était avant tout pour pouvoir écouter des podcasts en toute sécurité, en marchant. J’en avais pourtant un bon, de course comme on disait, acheté au magasin Olympic d’Aoyama deux ans plus tôt, avec vingt et une vitesses, freins à disque avant et arrière, selle ergonomique. Pour T comme pour moi, l’histoire des vélos semblait devoir ne pas être très longue. On avait aussi eu des pliables parce que la copropriété interdisait de les laisser dehors ; on les pliait pour les monter et les ranger sur le balcon ; certains jours on n’avait juste pas envie de les descendre…
L’un a été volé sur l’avenue Sotobori, l’autre est resté plus de quatre ans sur le balcon, un beau Colibri rouge devenu tout blanc à cause du soleil. Ce fut un crève-cœur pour T de le faire enlever par les encombrants il y a quelques mois, remplacé par une armoire de balcon qu’elle adore maintenant.
En bas du nouvel appartement, le vélo de course est donc resté cinq ans au parking. Les pneus ont littéralement pourri. De temps en temps je passais le voir, caché au fond, derrière la moto d’un voisin ; j’avais honte de l’avoir abandonné, trahi. Au printemps de cette année, je me suis dit que j’allais le jeter, j’ai regardé les infos sur les encombrants, où acheter un ticket, le tarif, etc. La culpabilité a empiré. Du coup, je me suis demandé ce qu’il y avait de si pressé soudain à s’en débarrasser, comme d’un corps après un crime… Ou comme si, du fait de mon âge par exemple, j’en avais fini avec le vélo – à cause des podcasts à la base !
L’idée inverse a donc fait son chemin : le remettre sur pied et en refaire. Six mois ont passé à me demander où le faire réparer : deux magasins de vélo ont disparu l’an dernier, et pour celui qui reste, pas trop loin, il fallait que je prépare mes phrases en japonais, en fait de l’anglais – tire, brake, gear – prononcé avec des katakanas, pas la mer à boire. Quand j’y suis allé, il y a trois semaines, marchant à côté du vélo jusqu’à la station de métro suivante, je pensais qu’il y en aurait pour une semaine et que ça pouvait me coûter le prix d’un nouveau vélo… Et pas du tout ! Le réparateur m’a dit de revenir dans deux heures et qu’il y en aurait pour l’équivalent de cent euros, pièces et main-d’œuvre. En remontant dessus, j’avais l’impression de recevoir un cadeau de Noël. Du coup, je refais du vélo, mais pas pour aller à la fac et sans écouter de podcasts.
Ce matin, au lieu d’aller à pied à une boulangerie qui ne fait pas assez cuire son pain pour faire plus de marge, je suis allé en vélo cinq fois plus loin, de l’autre côté du parc zoologique, chercher du vrai bon pain au levain chez BlancPain. Même temps pour l’aller-retour. Rien que pour ça, ça valait le coup de refourbir le vélo.
Dans quelques temps, j’expliquerai pourquoi c’est aussi une parabole de l’évolution Twitter / BlueSky. Et pas que.
Publié dans le JLR