Pitance dans les mailles
« Les 676 romans de la rentrée ne doivent pas faire illusion, l’exil de la littérature n’est pas une menace en l’air. On le constate tous les jours, la littérature, enfin ce que nous appelons ainsi vous et moi, est purement et simplement marginalisée par la marchandisation du livre qui a désormais le plus souvent le dernier mot. Avalez deux Lexomil et allez voir ce qui se vend dans le relais le plus proche, vous m’en direz des nouvelles.» (Alain Veinstein, en introduction à l’excellente émission Surpris par la nuit avec Hélène Cixous hier soir)
Je donne raison à Alain Veinstein, sur le principe. Sauf que… j’ai l’impression qu’il n’a toujours pas appris à aller chercher sa pitance dans les mailles du (litté)réticule — (dans les allées d’un Salon du livre, il y a quelques années, il m’avait confié, pour se débarrasser de moi, qu’il n’était pas très intéressé par l’internet). Si je ne le connaissais pas, je penserais, l’écoutant dire cela, qu’il lui manque une case, qu’il est handicapé du réseau. Parce que franchement…
Déjeuner à la Trattoria Toï, mes spaghettis parfaitement al dente et à la tomate.
En revenant, longue séance d’observation du déversoir. Dans la partie haute, repérons ce qui se révèle être une tête de tortue, mais énorme et se tenant presque verticalement et immobile dans l’eau saumâtre. Ne sortant que le nez et n’expirant que bulles éparses, toutes les trois minutes. Très étrange. Au vu de la tête et de ce qu’on aperçoit vaguement du haut du corps, elle doit faire au moins soixante à soixante-dix centimètres de long. C’est-à-dire peser au moins trente kilos. Ça doit être la tortue-en-chef de l’escouade.
En tout cas, elles ont encore du boulot pour les lendemains qui chantent, parce que des tortues esclaves, ça n’est pas ce qui manque, même lorsqu’elles sont comme des coqs en pâte.
À la médiathèque de l’Institut dans l’après-midi pour emprunter des Volodine (je les ai au bureau mais c’est à 350 km…). À propos, il vient de recevoir une bourse d’écriture dont il est cette année le seul récipiendaire, les autres dossiers n’étant apparemment pas à la hauteur… Merci à Christine pour l’image du Livres Hebdo n°744, 5 septembre, p. 62 — preuve supplémentaire, s’il en fallait, que ce qui est dans le magazine n’est pas intégralement repris sur le site web.
C’est une autre Christine, bien présente à Tokyo quoique revenant du Canada hier, qui me surprend un Technikart en main (je vous rassure, je n’avais pas encore eu le temps de lire l’article sur le film de Houellebecq…).
Allons prendre un café (elle) puis finalement elle vient voir notre petit nid.
Après son départ, sortons pour une course de cinq minutes. Et revenons une heure et demie après, ayant poussé la marche jusqu’à Korakuen pour faire provision d’umeboshi au supermarché Seijo Ishii.
Pendant que T. bulle sur le lit, je regarde Un Week-end sur deux, le premier film de Nicole Garcia (1990), d’une grande maîtrise pour un sujet casse-gueule. Ça me fait repenser qu’il y a en ce moment une rétrospective Doillon à l’Institut et que je n’ai absolument pas envie d’y aller…
Tags : Cixous Hélène, Doillon Jacques, Garcia Nicole, Houellebecq Michel, Veinstein Alain, Volodine Antoine
Publié dans le JLR
Dans un autre genre, mais sur le livre aussi et aussi chez Veinstein, Quignard disait l’autre soir de fortes choses :
http://jamaisje.blogspot.com/2008/09/le-plomb-la-plume.html
Amicalement.
merci, Danièle. Je ne l’ai pas encore écouté mais je m’en réjouis déjà. J’ai du retard dans les « Du jour au lendemain »…
Il ne faut pas baisser les bras, en effet, devant la vulgarité et l’analphabétisme présidentiel. La carte postale avec « Casse toi pov’con » peut être une autre solution, financée par l’Elysée…
Même Phil le dit : avec Sarkozy, on risque même de regretter Giscard. C’est dire !
Même si en effet, Veinstein a tort de ne pas profiter du net (a-t-il changé depuis ? je n’en suis pas sûr…), je crois que dans ses propos sur « l’exil de la littérature », il parle des oeuvres, des textes, et non d’un abandon de l’intérêt pour la chose littéraire…
or, dans les liens de ton « franchement » (les flux litor, pour ne pas les nommer), trouve-t-on véritablement la « pitance » littéraire en question évoquée par Veinstein ? alors que dans la majorité des cas (pas tous, mais presque), les auteurs mêmes de ces sites intitulent leurs textes « blogs », « notes », « bloc-notes », « billets », « remarques », etc….
ce qui, à mes yeux, peut-être aveugles (?), s’apparente plus à des carnets, des brouillons, des notes, qu’à des oeuvres ou textes « littéraires » tels qu’évoqués par Veinstein… même si là-dedans, il y a aussi, bien sûr, de la littérature… (un peu à la manière des « Papiers collés » de Perros)… et d’ailleurs, un très grand nombre de propos, voire des billets entiers, sur des livres publiés…
Alors, certes, dans ces billets, il y a beaucoup de littérature, on y parle beaucoup de littérature, mais à faire un tour d’horizon de ces liens, dans l’ensemble, sauf quelques exceptions, on peut les réunir sous le terme générique de « notes » (pas du tout méprisable, bien au contraire… mais force serait alors de constater que c’est le « genre » dominant de la littérature actuelle dans le net ?)
C’est un peu comme si on considérait sur le même plan les textes publiés et les carnets de notes d’un certain nombre d’écrivains, parfois publiés posthumes, car jugés d’un intérêt second par leurs propres auteurs… (même si certains de ces carnets ont en effet une « valeur littéraire » indéniable : Kafka, Cioran, etc.)
Propos lancés un peu comme un questionnement (pas vraiment nouveau…)… et qui me font dire au final qu’on aurait tort de nier le net, comme de l’opposer à l’édition traditionnelle, qu’on le juge négativement et débilement comme une « poubelle » ou au contraire dans un éloge comme « le salut »…
Au premier coup d’oeil sur la deuxième photo, j’avais cru à un dessert, genre mousse au chocolat avec un peu de garniture/déco !…
Manu, tu travailles trop… ou tu vois du chocolat partout ! Heureusement, on peut agrandir.
Cher Vinteix, je comprends ce que tu veux dire. Je continue à aimer les grosses œuvres bien mûries et bien bouclées mais c’est vrai que pour moi la définition de la littérature comme « écriture qui me fait quelque chose » passe de plus en plus par le fragment, l’oeuvre ouverte, et n’attend pas nécessairement les sceaux de la reconnaissance par une grande maison d’édition.
Par ailleurs, les pistes des Flux Litor (le site Netvibes dont la sélection qui apparaît ci-contre n’est qu’une très faible partie) mènent aussi à des livres en papier qu’il est possible d’acheter en librairie, mais ce ne sont pas souvent ceux que toute la presse vante.
Enfin, Veinstein réussit toujours à avoir autant d’excellents écrivains dans ses émissions, ce qui fait qu’on est en droit de se demander quelle pose il prend en évoquant un « exil » et une « menace »…
Tout à fait d’accord sur l' »oeuvre ouverte », ce qui est d’ailleurs pour moi une des définitions possibles d’une oeuvre qui me parle, fût-elle « bouclée », comme tu dis, je veux dire achevée / inachevée par l’auteur avec un point final qui la renvoie à la dépossession et aux autres…
Cela n’a bien sûr rien à voir avec les grandes maisons d’édition…
et d’ailleurs, depuis très longtemps maintenant, Veinstein n’est pas un représentant desdites maisons et défend des littératures « en marges » ou « mineures », à commencer par la poésie (« la p’tite » de l’édition), ou des auteurs de premiers livres, totalement inconnus (il en reçoit toujours régulièrement dans « Du jour au lendemain »)…
Ce n’est pas non plus tellement la question du fragment – je lis, moi aussi, beaucoup d’oeuvres « fragmentées » ou « fragmentaires » (à commencer par Nietzsche ou Blanchot…)
« L’exil » dont Veinstein parle est donc bien lié à la masse la plus visible du monde éditorial, de plus en plus soumis à la marchandisation…
Mais le fait est, bien sûr, qu’il y a aussi d’autres choses, dont il est bien conscient…