Des mangas récupérés dans les poubelles
Pour T. et moi, c’est aujourd’hui le 13e anniversaire de notre rencontre. On ne fait rien de spécial. Demain, peut-être. Ça faisait des mois qu’on rêvait de ces tranquilles journées de recherches. On les a, on les tient. C’est déjà ça, notre cadeau.
Hier soir, nous avons enfin compris pourquoi il y avait des tortues dans le déversoir d’Iidabashi, entre les anciennes douves et la rivière Kanda. Je ne l’ai pas dit ici, mais nous y allons voir un peu tous les jours. Aujourd’hui encore, vers 17h30, nous y avions rendez-vous pour compter les tortues visibles. Les compter, les observer, noter leurs relations avec une aigrette, avec une ou deux carpes qui font semblant de manger des feuilles, sans doute des transmissions air-mer. Tout cela a été bien utile pour l’effort de conceptualisation que nous avons dû fournir hier soir. T. a fermé Vingt ans après qu’elle est en train de relire, moi Jorian Murgrave. Un des nounours à la tête du lit nous a demandé une histoire de sorcière et j’ai commencé à dire — je venais de le comprendre — que la vieille femme qui habitait notre immeuble il y a encore cinq ans et que nous avions revue pendant deux ou trois ans installée dans la pente de la gare à vendre des mangas récupérés dans les poubelles était en réalité la coordinatrice d’une vaste opération de cartographie souterraine de Tokyo. En fait, une re-cartographie, car les pouvoirs en place ont subtilement retiré de la circulation les anciennes cartes des égouts, canaux, canalisations et autres conduites et les ont remplacées par de vulgaires schématisations devenues inexploitables pour les services de la voirie, a fortiori pour un groupe subversif projetant des actions éclair sur des objectifs stratégiques. Équipées d’émetteurs et de minuscules caméras infra-rouge, les tortues ont mission, sous prétexte de pondre des œufs ou je ne sais quoi, de parcourir toutes les voies souterraines, d’en indiquer la largeur en se déplaçant latéralement à l’entrée de chaque nouvel orifice, d’y rester assez longtemps pour identifier la nature et la fréquence des flux qui transitent (eau, air, gaz, merde, etc.). En cas de rencontre fortuite, le mot de passe est dao ke dao fei chang dao, toutes le savent par cœur… Elles reviennent ensuite à la base anodine du déversoir, tout près des humains robotisés drogués stressés et aveugles, et rendent compte à la vieille clocharde qui peut ainsi rencarder les commandos en glissant les cartes ou les coordonnées géographiques des objectifs dans les mangas. Par exemple : un type en cravate passe, pointe un vieux Doraemon à cinquante yens et la vieille lui transmet ainsi la mise à jour des canalisations d’eau du nouveau sous-sol de Marunouchi…
On s’est endormi avant d’aborder la question de l’absence de la vieille depuis plus de deux ans. Mais c’est peut-être pour ça que les tortues sont devenues plus visibles et que des biffins comme nous les avons repérées. Ou alors elles font diversion en surface au nord du Palais impérial pendant que la vieille sape les canalisations du côté de Roppongi.
Sinon, il y avait de très beaux textes de Dominique Quélen sur Remue.net.
Tags : Dumas Alexandre, Quélen Dominique, Volodine Antoine
Publié dans le JLR
une explication d’une exactitude évidente
Et bien je vois qu’on s’amuse bien pour le 13ème anniversaire ! Ça me rappelle que dans un mois, ce sera mes 10 ans au Japon. Dire que j’en revenais pas quand tu m’en avais annoncé 7 alors que je venais à peine d’arriver.
Un Doraemon, c’est… un texte humoristique sur la persécution, la torture ou je ne sais quoi ?
très bel essai de « littérature des poubelles » en hommage au maître !
Eh oui, Manu ! le temps passe, on s’installe, etc.
Pour Doraemon, j’ai cherché une image limite, en l’occurrence en chinois. Sinon, c’est un gentil personnage qui sort n’importe quoi de sa poche ventrale pour aider…
Voir ici :
http://dora-world.com/index.html
http://fr.youtube.com/watch?v=hVzDk3X2W7c
Merci pour votre aimable petite remarque finale ! (Travail en cours dans lequel j’avance moi aussi comme une tortue – qui, bien souvent, ne bougerait même pas…)
De mon côté, je lis régulièrement et depuis pas mal de temps votre blog (qu’il me semble bien avoir découvert grâce à Alain Sevestre), même si je n’y interviens pas, et outre que j’y apprends des tonnes de choses, j’y lis des réflexions de haute volée – ce qui est toujours bon à prendre – et aussi l’agrément de la curiosité quotidienne. (Ceci sans que ce soit « passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné »…).
Et puisque vous évoquez remue.net, on y trouvait, un peu avant, un texte fort de Martine Drai – qui devrait devenir un livre m’a-t-elle dit.
Cordialement.