Idéaux montés en neige sous vos applaudissements
Des mois d’e-tranquillité
vois-tu
à ne rien dire ou si peu
contrepoids
« Je ne dirais pas non à un petit steak haché, moi…
– Saignant, tout de même…
– Dis-moi franchement : tu sens de la cruauté en toi ?
– Je ne sais pas. C’est peut-être, dans leur langue, le nom de notre innocence.
– Tu crois que ça existe les steaks hachés de gnou ?
– Tu dis steak haché de gnou, toi ?
– Quoi d’autre ?
– Je dirais plutôt steak de gnou haché.
– Cela signifierait que le gnou est haché entier et qu’alors on en fait des steaks. Tandis que dans « steak haché de gnou », on découpe d’abord le steak et ensuite seulement on le hache. On hache celui-ci, on hache le steak, on ne hache que lui.
– Mais je veux bien tout le gnou haché, moi ! Un steak fait de tout le gnou !
– Il y a en effet de la cruauté en toi !… »
(Éric Chevillard, « Crocodiles » dans Zoologiques, [émission] Samedi noir / France Culture, diffusé le 22 avril 2018)
Il y avait le vieux couple de Oh les beaux jours (Beckett), il y avait l’éléphant Wong de Nos animaux préférés (Volodine), maintenant, pour moi et tant que je vivrai, il y aura les crocodiles d’Éric Chevillard.
Après une grosse journée de pluie, une quinzaine de roses s’ouvrent d’un seul coup. Je ne les avais pas vues ; elles se préparaient. C’était trop tôt ; c’est trop tôt. Depuis des semaines j’arrosais, je désherbais sans prêter attention aux petits boutons. Samedi, il faudra déjà que j’en coupe et que j’en donne.
L’une d’elles a les jambes croisées, l’autre les a écartées en V, inverse de celui des manches de pelle, entre lesquelles s’élève la Maison Blanche. Une photo de folie, qui ressemble à une chorégraphie absurde et que l’on retrouvera dans les livres d’histoire…
Au lendemain du discours à la Maison Blanche, comment ne pas voir la schizophrénie gouvernementale française ? Le grand écart entre les idéaux montés en neige sous vos applaudissements et l’épuisement citoyen à encaisser les coups bas. Et pourtant les macronniers, ces dossiers répétitifs et saisonniers que la presse aime produire – pondre -, se suivent dans l’indifférence générale. Même plus la peine de s’exercer aux macronades. Les caricaturistes s’amusent ; ils font partie du spectacle. D’ailleurs, faire sourire et récolter la connivence n’a jamais fait tomber un gouvernement. Qui serait remplacé par quoi ? L’idéalisme a bien montré sa capacité à produire de la catastrophe, du meurtre, sans vraiment changer la nature humaine.
Et notre schizophrénie, alors ! Quand est-ce qu’on en parle ? Je m’élève intérieurement contre la situation économique… et puis je vais faire des courses avec l’espoir que la crème caramel que je préfère soit encore en rayon. Je fulmine contre le mauvais accueil fait aux migrants… mais je n’ouvre ma porte à personne parce que j’ai passé l’aspirateur hier. J’admire celles et ceux qui s’engagent, pétitionnent, défilent, font face aux CRS, prennent la parole en AG… alors que je n’aime rien mieux que marcher dans la forêt ou regarder une bonne série policière. Pfff…
Suis passé au supermarché,
il n’y avait plus de crèmes caramel…
Tags : Beckett Samuel, Chevillard Éric, Volodine Antoine
Publié dans le JLR