La solidarité atavique entre les mâles
Vu ce soir On n’est pas couché du 30 septembre sur TV5Monde, donc avec quelques jours de décalage, ce qui n’est pas rien puisque je n’ai pas échappé à toute la polémique qui s’est développée sur les propos entre Sandrine Rousseau et Christine Angot, sa sortie coupée, etc. J’ai trouvé intéressant d’entendre toute l’émission plutôt que la seule montée en épingle médias et web sur le fait de « porter un discours », ou qu’il y ait des personnes « formées pour accueillir la parole », etc. Sur l’ensemble, il y avait aussi le problème de la définition du consentement (à la relation sexuelle) et la question du témoignage (sur laquelle je connaissais de longue date la position d’Angot – il y aurait des passages à retrouver dans les archives du JLR…). Le plateau télé, c’est, comme dans l’empire romain, l’arène des gladiateurs : il faut du combat, du sang, des morts (symboliques, aujourd’hui), c’est forcé et construit par le cadre de l’émision, alors qu’en fait si on n’obligeait pas ces personnes à venir se battre, elles pourraient tout à fait coexister dans la société, par exemple sans se rencontrer. Alors que Sandrine Rousseau veut Parler dans l’intention d’aider des femmes dans un combat contre le viol et l’agression sexuelle (ce que je soutiens inconditionnellement, qui me paraît respectable, raisonnable et dont elle a parfaitement le droit), Christine Angot voit et ressent, depuis une position éminemment littéraire qui n’a rien à faire à la télévision, l’impossibilité du témoignage en tant que tel (et qui est d’ailleurs ce dont elle a fait la matière même de son œuvre littéraire). Et Ruquier sait que, c’est la définition même de la tragédie, il ne peut rien ressortir de bon de leur confrontation. Pendant que le média et son cadre socio-économique provoquent la lutte – sororicide – entre deux femmes qui jusqu’ici s’étaient évitées mais dont le consentement au combat a été arraché ou évité (mettant en abyme un des sujets de S. Rousseau), pendant ce temps-là, donc, l’agresseur et le violeur sont tranquilles, c’est-à-dire que la majorité des agresseurs et des violeurs (qui sont en très grande majorité des hommes, on évitera donc l’hypocrisie consistant à dire qu’il y a aussi des femmes qui agressent ou violent des hommes ou d’autres femmes…), la majorité de ces criminels mâles, donc, profite aussi du fait que des (les ?) femmes ne soient pas d’accord entre elles – que ce soit pour choper leurs agresseurs et leurs violeurs et se faire justice elles-mêmes ou pour les faire arrêter et condamner légalement en justice. Et la cause de tout ce gâchis, c’est, depuis la préhistoire et encore aujourd’hui, la solidarité atavique entre les mâles qui fait que ceux qui ne sont pas des agresseurs ou des violeurs tolèrent les pratiques de ceux qui le sont, solidarité atavique qui impose aux femmes le silence et la résignation, pour celles qui survivent, ou qui oblige chaque femme qui s’y résout à s’exposer en tant que victime face à tous les hommes, ou à se mobiliser pour devenir un collectif de lutte uniquement féminin.
On voit peut-être où je veux en venir ? Le jour où la majorité des hommes ni agresseurs ni violeurs, et qui dans leur majorité désapprouvent ces crimes, se désolidariseront véritablement et visiblement des agresseurs-violeurs et ne laisseront pas seulement des (les ?) femmes se mobiliser, comme si c’était un problème de femmes, un problème que les (?) femmes auraient avec les (?) hommes, ce jour-là ce problème sera terminé.
Je sais bien que depuis plusieurs siècles et plus encore dans ces dernières décennies de plus en plus d’hommes participent à la lutte contre les agressions sexuelles et les viols, et qu’ils participent à l’élaboration des cadres juridiques qui visent à définir, punir et réduire ces crimes, mais même ceux-là, trop souvent, tolèrent et passent sous silence ces mêmes agressions sexuelles et ces mêmes viols lorsqu’ils sont commis par des personnes de leur entourage ou de leur famille, obligeant ainsi des femmes qu’ils connaissent aussi, le plus souvent, à ne pas pouvoir croire à la possibilité de faire punir les crimes dont elles ont été victimes.
Je défie quiconque de mettre ces paragraphes en écriture inclusive…
Parmi les autres invités, j’ai beaucoup apprécié François Cluzet et ce qui a été dit sur lui. Durant la revue des affiches de quelques-uns des films dans lesquels il a joué, à propos de Janis et John (2002-2003), il a dit (à 16:50), les dents soudain serrées, à propos de Marie Trintignant, qu’elle avait « été assassinée par cet enculé de Cantat ». Ce qui nous ramène à la question précédente, et au fait que des agresseurs et des violeurs peuvent aussi être des tueurs…
Je n’ai pas à approuver ou désapprouver les mots choisis, ce serait déplacé. Mais, peut-être, pour finir sur une autre note, recommander Laura Laune, qui prend la (même) parole, ici pour une girafe, façon fable de La Fontaine.
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Publié dans le JLR