L’opportunité de l’abattage plutôt que de l’arrestation
Depuis quand doit-on se féliciter d’avoir abattu un criminel qui se dirigeait de lui-même vers les forces de l’ordre ? (si j’ai bien compris) #Marseille
J’entends qu’il a tué au couteau, une jeune femme attrapée par derrière. Une fois, et qu’il commence à fuir. Puis, renonçant à fuir, revenant sur ses pas, recommençant sur une autre. Que les cris de la victime ont alerté des militaires de l’Opération sentinelle. Qu’il se serait dirigé vers eux…
Avec ou sans son couteau ? N’a-t-il vraiment « pas prêté attention » aux sommations (CNews) ? Et qu’est-ce que ça aurait coûté auxdits militaires (en principe entraînés et formés au tir) de lui mettre une balle dans la jambe ? Était-ce un surhomme qui aurait pu les tuer au couteau alors qu’ils sont plusieurs avec des fusils mitrailleurs ? Ont-ils fait preuve de « sang-froid » (Macron) en l’abattant direct ? Doivent-ils être « félicités » (Collomb) ? Je ne nie pas qu’ils pouvaient le tuer pendant l’opération ou dans la confusion, comprenez-moi bien, c’est tout à fait humain : j’observe le langage des acteurs de l’information et les effets de sens pour l’auditeur…
« Abattre », c’est-à-dire tuer, est-ce la même chose que « neutraliser » ? Ne se dirigeait-il pas vers eux pour être abattu ? Ne serait-ce pas alors sa victoire ? Devenir un martyr de sa cause et échapper à la justice d’une démocratie, n’est-ce pas en nier précisément la démocratie ? L’abattre sans essayer de l’interpeller, n’est-ce pas obéir à la volonté du terroriste, faire son jeu ? Constater que les médias ne discutent même pas de l’opportunité de l’abattage plutôt que de l’arrestation pourrait être le signe de quoi ? L’usage de la force létale sans autre option, n’est-ce pas un des signes d’une idéologie ou d’un régime terroriste ? Ou d’une démocratie « low cost », dans la mesure où elle s’adapte à un terrorisme « low cost » (Moniquet, consultant CNews) ?
Dès lors, la réduction des coûts dans tous les domaines deviendrait la preuve que le libéralisme économique, décomplexé et décloisonné, est devenu globalement politique et social. Et que son pouvoir cosmétique, via les médias, rhabille le langage pour nous faire accepter tout ce qui est anti-démocratique.
J’entends aussi : « La menace terroriste qui est la nôtre. » (journaliste de CNews)
Pourquoi « qui est la nôtre » au lieu de « (qui est celle) que nous connaissons » ? Dans cette expression, qui est une amphibologie sans doute involontaire, entend-on que « nous » sommes menacés ou que « nous » menaçons ? Nul doute que chaque auditeur l’entendra à sa façon.
Cette expression emphatique de l’appartenance, sous la forme « X ou Y qui est le mien / qui sont les nôtres » plutôt que « mon X » ou « nos Y » est devenue très médiatique depuis un an environ via Emmanuel Macron, reprise depuis (consciemment ?) comme un tic de langage par beaucoup de politiques et de journalistes… Car c’est lui, dès le début de sa campagne, qui a commencé à en faire un usage exagéré pour polir son langage, avoir des expressions phrastiques posées, plus longues et qui semblent apporter de la précision grâce à une proposition relative, le pronom possessif se trouvant souligné à chaque fois par l’accent tonique de la fin de phrase. Ce tour oratoire existait bien sûr depuis longtemps dans la langue ; c’est son usage généralisé et involontaire qui fait nouveauté. Et qui donne de nouveaux sens aux expressions, comme cette « menace terroriste qui est la nôtre »…
Publié dans le JLR