La phrase bilboquet qui est la sienne
Entre les cours, la recherche et les déplacements, j’arrive à choper des bribes de l’actualité française, et ça ne donne pas vraiment envie d’en savoir plus. Il y aurait bien quelques trucs drôles, s’il ne s’agissait de l’avenir de la France…
Par exemple, le candidat Poisson qui se noie en direct dans le Grand Soir 3 de mercredi soir. Est-ce juste pour se faire remarquer, comme on l’a dit ? Ou parce qu’il a vraiment la haine du système médiatique qui le marginalise et le ridiculise ? Est-il agréable à un bœuf d’être toujours traité comme une grenouille ?
Ou Juppé le faux jeune, qui se dépeint en super pêche droite dans ses bottes, mais le fruit trop mûr coule dans les bottes qu’il porte depuis plus de vingt ans. Ou Macron répétant à l’envi l’engagement qui est le mien, le plaisir qui est le mien, l’action qui est la mienne, la candidature qui est la mienne, etc. Les autres orateurs emploient aussi cette tournure mais restent très loin de la fréquence macronienne. Avec l’intelligence qui est la vôtre, comment analyseriez-vous cela ?
Eh bien, avec l’audace qui est la mienne et dans la langue qui est la nôtre, je dirais que ce recours à la proposition relative permet une emphase de pseudo-éloquence basée sur deux opérations : d’une part, le détachement initial du substantif valorisé par l’article défini, par exemple « la candidature » ou « l’engagement », avancé ainsi dans la phrase comme un objet pur, éternel, indépendant, et d’autre part, le remplacement de l’adjectif possessif (ma, mon) par un groupe pronominal consécutif, plus long, que la proposition relative rend théâtralement emphatique, avec modulation de la voix.
Pour l’aspect sémantique, on remarque que chez Macron, c’est toujours pour ramener quelque chose à lui, et non pas aux autres : un orateur pourrait parler de ce pays qui est le nôtre, de ces problèmes sociaux qui sont les vôtres, et pour toi qui est dans la merde qui est la tienne et le chômage qui est le tien, ou critiquer les dérives de la démocratie qui est la nôtre. Mais non, l’imbu Macron a la phrase bilboquet qui est la sienne : sa parole – non pardon ! – la parole qui est la sienne proclame qu’il ne voit et ne dit que ce qui est à lui ou pour lui, car tout tourne et se rapporte à lui-même et à son boulot de dans six mois, le but qui est le sien étant de devenir président de la république… de sa république, d’une république qui est (déjà) la sienne.
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Publié dans le JLR