Plutôt exploser la jauge
Une connaissance m’a fait parvenir – téléchargé illégalement, je pense, mais bon… – le dernier numéro du magazine Lui. Parce qu’il contient un dossier de rentrée littéraire. Je dois bien le dire : jamais la jeune fille dénudée et lascive ne me donnera envie de lire l’un ou l’autre des livres qu’elle tient ; le concept même est un très mauvais service rendu à la littérature. Et je ne suis pas étonné de constater que cela vient sous la houlette de Frédéric Beigbeder – dont j’ignorais, jusqu’à lire l’éditorial self-branchouille, qu’il s’occupait de ce titre. On y parle également de Houellebecq et d’Emmanuel Carrère, deux des auteurs que je n’ai surtout pas envie de lire. Mauvaise pioche. Le fichier a pris la direction de la poubelle de l’ordinateur.
Pour relever le niveau.
Ou plutôt exploser la jauge. (Le problème, quand on fait exploser la jauge,c’est que les gens qui ont besoin de ce repère pour choisir leurs lectures et décider de leur avis sont dans le brouillard. Mais qu’y faire ?)
Donc, pour relever le niveau, reparlons d’Antoine Volodine. C’est au mythique Parc aux cerfs de la rue Vavin que j’ai reçu en cadeau de bienvenue en France son Terminus radieux (Éditions du Seuil). Selon ma balance, il pèse exactement 666 grammes. Un nombre qui ne laissera pas indifférent, comme 49, 343 ou 77777…
Mais parlons lettres :
« Deux mois plus tôt, elle marchait d’un pas souple dans les rues de la capitale, à l’Orbise, d’un pas dansant, et il n’était pas rare que quelqu’un se retourne sur son passage, car son aspect de jolie combattante égalitariste donnait chaud au cœur. La situation était mauvaise. Les hommes avaient besoin de contempler de tels visages, de frôler de telles silhouettes pleines de vie et de fraîcheur. Ils souriaient, et ensuite ils partaient en banlieue se faire tuer sur la ligne de front. » (p. 9-10)
La silhouette engageante rappelle Songes de Mevlido (2007) et quelques autres du paysage post-exotique depuis près de trente ans. Que va-t-il lui arriver ? On s’en doute car le fatalisme est inhérent au post-exotisme. Mais comment ? Un rapport avec ce « front », non plus à des centaines de kilomètres mais… en « banlieue » ? La chute du paragraphe nous prend de court. Nous souriions déjà à la belle héroïne, nous aussi, prêt à la suivre plus loin que la fille de Lui, quand l’actualité nous rattrape, la mort à notre porte.
Oui, vous l’aviez sans doute déjà compris, le post-exotisme n’est pas un humanisme. Pour cette raison, il est peu probable que le Nobel de littérature échoie un jour à Volodine. Pour le Goncourt, en revanche, il garde toutes ses chances, cette académie s’étant montrée très versatile, capable du pire comme du meilleur.
À suivre…
Tags : Beigbeder Frédéric, Carrère Emmanuel, Houellebecq Michel, Volodine Antoine
Publié dans le JLR
Peu importe qu’on le prime pourvu qu’on le prise. (Je sors tout juste de Terminus radieux. J’en brille encore.)