Doigt désinvolte et sourire mitigé
Vous voyez ce petit bout de chapitre de Sido, vers la fin des « Sauvages », quand les deux frères cherchent des occurrences de mignonne dans tous les livres qui leur tombent entre les mains ?
Vous direz que ça n’a l’air de rien, ces gosses qui payent deux sous à chaque fois que le mot est employé.
Eh bien pourtant, c’est la quintessence de la littérature, selon Colette ! Livrés à une puissante attention aux mots, enfermés dans le secret de leur jeu gratuit et payant à la fois, complices jusqu’à la gémellité de crime lèse-auteurs, désinvoltes et juges impeccables de la littérarité, ils incarnent la posture de liberté radicale que tout lecteur devrait prendre pour ne pas se laisser empiler.
Mais au détail du compte des mots, et si on ne se laisse pas embrouiller entre les sous et les francs, Hugo se trouve crédité de trente occurrences de mignonne dans les Chansons des rues et des bois et un autre recueil, ce qui est en réalité tout à fait et excessivement impossible.
Ici la réalité rattrape la fiction et Colette dévoile involontairement une dent noire contre Hugo qu’elle voudrait poète à l’eau de rose ou poète de la drague, en tout cas pas poète politique, engagé, révolté, exaltant. Ce qui correspond pile poil à l’image que l’Action Française et la NRF des années 1920-30 voulaient donner de Hugo…
C’était le cours de ce matin.
Direction la Maison franco-japonaise où se tient un colloque sur les relations (?) entre le haïku et la poésie française contemporaine. Pour parer à toute éventualité d’ennui, je me suis muni d’un puissant talisman : les photocopies des Haï-Kaïs publiés par Paulhan en septembre 1920 dans la NRF où il vient d’arriver quelques mois auparavant. Parmi les auteurs recrutés pour donner dans le japonisme ou la japoniaiserie, c’est selon, Paul Eluard, et Paul-Louis Couchoud, le véritable présentateur du haiku en France.
A rééditer de toute urgence, ces haikus sont un camouflet aux niaiseries que l’édition française contemporaine publie sous le nom de haikus.
Allez, en voici un, celui que Jean-Philippe Toussaint, de passage à Tokyo et dans le public du colloque, a pointé de son doigt désinvolte et sourire mitigé :
« Crotte de papier par ci,
Crotte de papier par là,
Tiens ! mon mari est rentré. »
Jean Breton
Et un dernier pour la route, d’Eluard :
« Une plume donne au chapeau
Un air de légèreté.
La cheminée fume. »
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Publié dans le JLR