bip, biP, bIP, BIP – les coriums furtifs
Au sauna du centre de sport, on a la télé, derrière une vitre, isolée de la pièce chaude, et le son nous parvient, à nous, nus et transpirants, avides de connaître la météo de demain (fortes pluies), les résultats de base-ball (toujours rien compris à ce jeu), l’histoire d’un contrôle de police nocturne qui a mal tourné (plans fixes répétitifs sur une clôture et un trottoir), etc. Et puis il y avait la délégation olympique japonaise qui arrivait à Lausanne pour défendre la candidature de Tokyo en 2020 : des technocrates raides (pléonasme), un ministre d’un vulgaire inégalé et une jeune femme peut-être franco-japonaise qui doit être la seule à parler la langue de Molière – elle m’a rappelé ce jeune garçon dans une séquence de restaurant français dans Tampopo, le seul d’un groupe de salaryman à connaître la cuisine et à choisir avec pertinence dans le menu, scandalisant ses collègues auxquels il est censé être inférieur…
Mais qu’en sera-t-il du Japon en 2020 ? Est-il raisonnable de faire venir des milliers d’athlètes, journalistes, amateurs sportifs, etc., dans un pays totalement incapable de gérer sa crise nucléaire ? Non seulement le gouvernement ne parvient pas à régler la situation, et pour cause – qui le pourrait ? – mais il est également incapable de porter assistance à sa population irradiée, traitée avec mépris, privée d’aide publique et en phase de criminalisation, incapable de mettre en place une chaîne du travail digne de ce nom, sous-traitant à des mafias qui recrutent des SDF toujours disponibles et irradiables sans trop de conséquences – sauf leur incompétence totale qui aggrave les dangers -, incapable de localiser – bip, biP, bIP, BIP – les coriums furtifs, ou de boucher les nombreuses fuites d’eau contaminée, incapable de s’opposer au lobby nucléaire qui ne veut que redémarrer des centrales, continuer l’expérience, fourguer son MOX dans l’archipoubelle nippone, obsédée par ses performances économiques. Entre la peste et le choléra… On aura peut-être les deux.
Le saviez-vous ? La seule piscine de combustibles du réacteur 4 de Fukushima, prête à s’effondrer à tout moment, contient 14000 fois la quantité de césium 137 d’Hiroshima !
Alors, coureurs du 100m ? Vous êtes prêts pour un sprint vers l’aéroport ?
Perchistes, vous allez sauter derrière le mont Fuji ?
Haltérophiles, vous lancerez des ballons d’eau dans les éboulis ?
Cameramans, vous aurez votre matériel pour immortaliser le marathon de 30 millions de personnes ?
Grand jeu : trouvez une blague de cet acabit pour chaque discipline… Places gratuites à gagner !
Colère rentrée tous les jours. Au boulot, bruits de réforme et complots de couloir, ça ne va guère mieux. Hypocrisie généralisée. Criminalité au minimum passive partout. Recherche de soupapes : la musique (ça, en ce moment), les films, les séries, surtout ; les livres aussi, un peu.
C’est dans cette ambiance que j’ai ouvert il y a quelques jours le livre d’Akira Mizubayashi, Une langue venue d’ailleurs (Gallimard, folio 5520). J’avais eu un peu d’appréhension en voyant le succès qu’il avait, à sa sortie. Je craignais la condescendance des critiques français flattés qu’un étranger écrive dans leur langue ; plus simplement encore, je craignais d’être déçu par quelqu’un que j’ai un peu connu, il y a quelques années.
Le texte, le ton, le rythme ont vite balayé ces craintes stupides. J’ai pensé à la présence de Sartre dans les premières pages des Mots. Ce genre de liberté autobiographique. Sans rapport de contenu, mais une présence. Ce n’est pas si courant…
(Citations à venir, un autre jour.)
Tags : Fukushima, Itami Juzo, Mizubayashi Akira, Sartre Jean-Paul
Publié dans le JLR