Mes petits-enfants chamarrés
Il y a quarante ans, le mariage était LE truc dont il fallait absolument sortir, l’institution à bannir. Ne jamais se marier précédait familles je vous hais et ni dieu ni maître au hit parade de la génération pré-punk. Quand je vois que le mariage pour tous est devenu le nouvel excès révolutionnaire dont les vraies familles (hétérosexuelles) veulent nous libérer en abrogeant une loi qui détruit le fondement de leur monde, je me demande ce qui est arrivé aux deux générations qui ont succédé à la mienne. Et quand je pense que j’aurais pu être le père dès 1981 de quelqu’un pour qui je me serais obligé à vivre tout autrement et qui aurait peut-être défilé dimanche dernier en narguant les CRS avec mes petits-enfants chamarrés de drapeaux bleu marine, j’en éprouve une surprise et un dégoût profonds. Je sens que j’ai évité le pire…
Clèves, disions-nous. Au-delà de la provocation post-Sarkozy, on se demande pourquoi Marie Darrieussecq est allée donner ce nom-là à un patelin basquoïde. Sans doute pas seulement pour le jeu de mots vaseux de la page 30 : « Il faisait toujours une plaisanterie sur Rose et elle, les princesses de Clèves, avec un air malin »… Mais pourquoi pas ! Y’a bien des bleds qui s’appellent La Rochefoucauld, Richelieu, et un paquet de Longueville !
Ce qui laisse tout de suite un parfum d’Opoponax, c’est l’ouverture du texte au milieu de gens qu’aucun narrateur, ni omniscient ni même conscient, ne présente au lecteur. Alors, comme ça, il y a des voisins, des parents, une kermesse, des gestes qui ont peut-être du sens mais on ne sait pas pour qui, des paroles et des détails comme tombés dans la page, apparemment sans liens ni hiérarchie. Avec une certaine rigueur de Wittig en moins : Darrieussecq fait dans le souple, le fondu enchaîné, le petit paragraphe qui ne la joue pas psychologique. On peut (on doit ?) imaginer un cerveau de jeune fille qui capte des éclats de la vie autour d’elle, et de sa propre vie, et qui ne sait pas encore comment les organiser, les penser, les mettre en récit avec ce téléologisme de la conscience adulte qui dégoûtait tant Roquentin. Moi, ça me convient plutôt ; il y a (encore !) un militantisme du texte atéléologique.
Vous dites ça et puis vous vous rendez compte qu’il y a des paragraphes au passé… Mais ton sur ton. Vous n’y auriez rien vu, n’était la musique un peu plus longue des imparfaits. Il y a donc quelqu’un qui se souvient. Qui y est, puis qui se souvient, puis qui y est de nouveau… Ça ne vous le fait pas quand vous pensez à vous-même ?
Notes ________________« Déjà qu’à l’école, ce n’est pas facile. Qu’elle est la seule à ne pas aller au caté. Raphaël Bidegarraï de CM2, les mains en coque sur sa braguette, lui demande de bénir sa bite. » (Marie Darrieussecq, Clèves, Paris : Gallimard, coll. folio 5563, p. 14)1
« Il l’autorisait à s’asseoir à l’avant de l’Alpine. Ils s’amusaient à pétarader dans la montée et à foncer dans la ligne droite sous les silos, vavavoum. Puis ils redescendaient vers la rivière et le bas-bourg, et ils s’arrêtaient prendre des gâteaux. À partir de là, deux options : la mer, à une heure, ou la base nautique, à cinq minutes. » (Id., p. 19)2
« Monsieur Bihotz et son père dans la même pièce, sous le même toit, c’est comme des animaux pas de la même espèce, on ne sait lequel mange l’autre, herbivore ou carnivore, un bœuf dans un château de termites, un chien nageant entre deux hérons – une catastrophe imminente. » (Id., p. 25)
« Après le café, ils descendaient au sous-sol égrener le maïs. À califourchon sur les bords de la cuve en métal, à racler les épis entre leurs cuisses. Il concassait les grains avec une masse, pour les canards. Elle rentrait avec des échardes et de la balle de maïs dans les cheveux. « Une vraie petite fermière », disait sa mère. » (Id., p. 28)
- Là, je vous renvoie à la première phrase de L’opoponax de Monique Wittig, Paris, Minuit, 1964… [↩]
- J’adore le vavavoum !… [↩]
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Publié dans le JLR