Moins les rouages de leur époque
Le rêve… et la réalité.
Les cours ont repris début avril et c’était plus facile que l’an dernier, quand il avait fallu revenir après une année sabbatique… Nouvelle méthode de français langue étrangère, Amical, claire et bien découpée, au moins pour le rythme soutenu que notre département a adopté ;1 ça nous change du boulet qu’était devenu Métro Saint-Michel. Séminaire de cinéma avec des quatrième-année ; les troisième-année ne sont pas encore rentrées de France. On peut commencer à approfondir une construction filmique, par exemple les écrans de mosaïques de L’auberge espagnole (Klapisch, 2002) qui mettent en abyme le thème de l’identité composite des étudiants Erasmus – ou de tout un chacun. Mais quelle cruelle déconvenue ! Au début des années 2000, ce film reflétait la popularité d’une Espagne accueillante et florissante ; dix ans après, il n’a plus le même sens quand elle excelle surtout dans le chômage et le surendettement…
À l’Institut français de Tokyo, le cours sur Meurtres pour mémoire (Didier Daeninckx, 1984) a bien démarré, avec une dizaine d’étudiants. Pendant l’année sabbatique d’un autre enseignant, j’ai aussi un cours de littérature classique, avec plus de quinze participants qui se passionnent pour Les trois mousquetaires (Alexandre Dumas, vers 1844). Deux œuvres que d’aucuns qualifient de sous-littérature, le polar et le roman de cape et d’épée, mais qui n’en décortiquent pas moins les rouages de leur époque respective.
Entre les deux livres, j’aperçois des liens tordus et insistants. Un éminent historien que j’écoutais le mois dernier à l’Abbaye d’Ardenne disait que d’Artagnan ne serait rien d’autre aujourd’hui… qu’un capitaine de CRS. J’ajouterai : doublé d’un agent de la DGSE. Et c’est bien ce qu’on retrouve dans l’univers daeninckxien. À quoi s’ajoute qu’un meurtre perpétré le 17 octobre 1961 pendant la sanglante répression sera résolu… vingt ans après.
Visionné ce soir : Mortel Transfert (Jean-Jacques Beineix, 2000). Cru vu mais non, totale surprise. Et excellente. T. et moi sommes restés scotchés deux heures à l’histoire improbable d’Anglade – mais pas plus improbable que celle du Grand sommeil ou de Vertigo… Ai vu après que les critiques avaient été mauvaises, que Beineix n’avait pas fait de film pendant huit ans, et plus d’autre après… Quel gâchis !
Cependant… je me dis que si je l’avais vu il y a dix ans, j’aurais peut-être moi aussi fait la moue. Sait-on comment on prenait les choses dix ans avant d’être celui qu’on est maintenant ?
Après avoir revu en mars – et encore aimé – Oh les beaux jours, avec Catherine Frot au Théâtre de l’Atelier, je suis sûr qu’être sûr d’être qui l’on est n’est qu’une illusion de l’impermanence. Et si quelqu’un vous dit du mal de cette mise en scène, c’est parce que les sièges de ce théâtre sont scandaleusement trop petits.
- Soutenu parce que nous incluons le subjonctif et les relatives simples dans le programme de 1ère année, ce qui est loin d’être le cas de tous les départements de français au Japon… [↩]
Tags : Anglade Jean-Hugues, Beckett Samuel, Beineix Jean-Jacques, Daeninckx Didier, Dumas Alexandre, Frot Catherine, Klapisch Cédric
Publié dans le JLR
« cru vu mais non » n’aurait pas été mal comme titre non plus. J’aime bien ton cru vu mais non.