83,524 millions d’euros pour Porthos
Proverbe chinois Yo : C’est fou comme tout le monde s’occupe de tout et de n’importe quoi sur Facebook (sur Twitter itou).
Belle perle d’examen (choisir un verbe à mettre au subjonctif) : « Pour prendre un bateau et aller en mer, il faut qu’il soit beau » ; au lieu de : il faut qu’il fasse beau…
Ce matin, festival de questions pour le dernier cours sur Les trois mousquetaires ; ça fait grand plaisir à un enseignant de voir une telle qualité d’écoute et de compréhension. Finalement Milady est bien le monstre repoussoir qui motive tout le roman, inversement Constance est trop naïve pour survivre ; Dumas concentre sur elles deux toute la misogynie de son temps pendant qu’une homophilie virile régit les relations entre hommes…
J’avais promis de faire le point sur l’argent et la valeur des choses vers 1727.1 Le roman possède un système monétaire interne : on peut comparer les sommes entre elles. Ainsi d’Artagnan reçoit 15 écus de son père (p. 26) tandis que le roi lui en donne 40 après ses premiers exploits (p. 128, des pistoles dont on dit qu’elles ont la valeur de l’écu) ; de son côté Milady donnera 100 louis, soit 100 écus, à deux malfaisants pour assassiner d’Artagnan (p. 646), tandis qu’Athos recevra de Mme de Chevreuse (?) 300 pistoles cousues dans le vêtement d’un grand d’Espagne déguisé en mendiant (p. 556).
Passons aux bijoux : les ferrets de la reine sont estimés par le joaillier de Buckingham à 1500 pistoles la pièce (p. 340) ; la bague que la reine a donnée à d’Artagnan estimée à 800 pistoles (p. 367) sera vendue 7000 livres, soit environ 2333 pistoles (p. 729), une bonne affaire, semble-t-il ! ; le saphir que Milady donne à d’Artagnan quand elle croit que c’est de Wardes qui est dans son lit valait 2000 écus (p. 600) selon le père d’Athos (genre, cinquante ans avant…) sera finalement revendue 500 pistoles (p. 606) – eh oui, quand on veut vendre vite…
Toutes ces sommes sont ponctuelles ; on ne connait pas le salaire des mousquetaires ou des gardes ; c’est dire le côté bohème de Dumas ! Le seul revenu régulier qui est évoqué est la rente du marchand Bonacieux, quasi-balzacien : 2000 à 3000 écus de rente (annuelle) – très très confortable, dirait-on. Mais attention au clou final (p. 988) : Porthos, l’homme au baudrier qui n’était pas entièrement d’or, épouse finalement la veuve d’un procureur et touche un pactole de 800.000 livres, soit 266.000 écus ! S’il les place, sa rente devra être bien supérieure à celle de Bonacieux ! Sacré Porthos !
La vraie question, c’est comment faire de ces sommes quelque chose de compréhensible pour nous, là, en 2013 ? Passer par le prix du pain ? Mais on ne le consomme pas du tout de la même façon qu’au 17e siècle… Le prix de quoi ?… J’ai ainsi erré de documents en dictionnaires, et de page web en page web jusqu’à trouver une information qui me paraissait avoir une valeur stable : en 1629, le prix du travail journalier d’un ouvrier, 7 à 8 sous.2 Ça vaut ce que ça vaut, et tout ce qui suit n’est donc que projections à partir d’une hypothèse, mais ça donne une vision claire de la valeur. Disons 8 sous, ou sols, par jour, et que 60 sols font 1 écu, et qu’il travaillait 26 jours par mois (sans congés payés…), alors l’ouvrier de 1629 avait un salaire mensuel d’environ 3,5 écus. Celui d’aujourd’hui, s’il est payé au SMIC, touche 1100 euros nets par mois. Postulons donc que 3,5 écus de 1629 équivalent 1100 euros de 2013, c’est-à-dire qu’un écu vaut 314 euros, ce qui nous donne :
- Le pécule initial de d’Artagnan, 15 écus = 4710 euros.
- Le remerciement du roi, 40 écus = 12560 euros.
- Le contrat sur d’Artagnan, 100 louis = 31400 euros.
- Pour l’équipement d’Aramis, 300 pistoles = 94200 euros !
- Un ferret, 1500 pistoles = 471.000 euros (très gros diamant !)
- La bague de la reine, 2333 pistoles = 732.560 euros !
- Le saphir de Milady, 500 pistoles = 157.000 euros.
- La rente de Bonacieux, 2000 à 3000 écus = 628.000 à 942.000 euros par an, soit une disponibilité mensuelle de 52.300 à 78.500 euros (il est encore loin des grands patrons).
- La dot de la procureuse, 266.000 écus = 83,524 millions d’euros pour Porthos.
Allez, je retourne parmi les miséreux pour la semaine prochaine : cours à préparer sur Le neveu de Rameau…
Notes ________________- Je n’ai pas eu le temps de chercher si un spécialiste dumassien avait déjà fait ces relevés et calculs, j’ai donc tout noté – pagination du folio classique, n° 3511… Le cas échéant, suis preneur de références sérieuses. [↩]
- L’information se trouve vers le bas de la page, malheureusement sans références. [↩]
Tags : Diderot Denis, Dumas Alexandre
Publié dans le JLR