En crabe dans la science
Rues désertes dans Kagurazaka, matinée calme et encore tiède avant la chaleur, Thomas du deuxième étage et moi descendons prendre un café à la terrasse du Starbucks d’Iidabashi. On ne s’était pas vus depuis plus de deux mois. C’est bien aussi, les rencontres en vrai et sans trop de but.
Ensuite, je rejoins T. pour déjeuner au Saint-Martin : brandade et poulet-frites. C’est notre dernière occasion de manger de bonnes frites avant la France, où elles sont le plus souvent… regrettables. Si quelqu’un en connaît de bonnes quelque part dans Paris, je suis preneur. Mais, s’il vous plaît, pas à l’américaine avec la peau de la patate coupée en six, ni rousses cramées de chez cramé, ni flasques sorties d’une huile tiède. Parce que ça, je connais déjà !
L’imprimante a besoin de cartouches, elle nous le dit, nous menace depuis des semaines. Et elle consent quand même à imprimer, ouf !, nos cartes d’embarquement – il est possible de les imprimer soi-même à moins de 24 heures du départ. Ça y est, on les a !
Et après ça, quand je veux nous imprimer quelques dizaines de cartes de visites (meishi), sur papier cartonné spécial, refus catégorique ! Niet, plus de noir. La cartouche s’est raclé les bords, elle est à sec, elle le dit. Elle veut être remplacée. Je n’ai plus qu’à sortir, c’est dimanche, hein !, prendre le métro jusqu’à Yurakucho pour aller au grand Bic Camera. L’aller-retour prend moins d’une heure, mais une suée et demie ! Après quoi, je remplace la cartouche, la machine se tortille et gicle beau notre pedigree sur les cartons prédécoupés. Il n’y a plus qu’à séparer les cartes et les ranger. Si T. ou moi vous en donnons une, à l’occasion, vous saurez d’où elle vient.
D’ici là, on va s’envoler et donc publication du JLR aléatoire pour les prochains jours…
Le roitelet chercheur est aux abonnés absents. C’est un autre des responsables du colloque en question qui m’écrit… de ne pas tenir compte de l’épisode… regrettable – oui, c’est le même mot que pour les frites de France – d’avant-hier, et que mon texte sera bien publié comme les autres et comme prévu dans les Actes. Tout penaud, je l’en remercie. Désolé pour les lecteurs qui attendaient du sang et des larmes – moi aussi, je suis un peu pris de court, j’avais du punch à revendre. Mais je n’ose imaginer la teneur des courriers que les trois ou quatre personnes aux commandes du truc s’échangent ces jours-ci…
Or, je crains que bon nombre d’équipes de recherche n’abritent leur(s) roitelet(s) chercheur(s), quelqu’un qui a un ascendant naturel sur les autres, qui les impressionne un temps, qu’on a laissé passer, entrer, mi-admiratif mi-effrayé, s’installer, prendre ses aises, donner des conseils, puis des ordres, puis saisir les rennes, puis le sceptre… Et tout ça parce qu’on a été, ne serait-ce qu’un jour, à une soutenance, dans une commission, trop laxiste, ou occupé à autre chose de plus urgent. Au point que dans certains champs d’étude, il existe parfois deux équipes, voire trois, en quelque sorte parallèles et concurrentes, l’une étant historiquement issue d’une dissidence de la première pour des raisons d’incompatibilité de caractère entre deux dirigeants. Et elles dépensent des énergies folles pour se différencier, se passer l’une devant l’autre dans les demandes de subventions, les projets de colloque, etc., elles avancent en crabe dans la science. Puis se font écraser entre deux réformes ministérielles. Et tout est à refaire.
Publié dans le JLR