Avènement génial et ignoble du lumpen-critique
La pluie revenue, des heures durant, a fait tomber un peu la température. J’ai quand même pu me ménager une heure de lecture sur le balcon. Sur le web, où j’ai vu qu’il y aura bientôt un nouveau Chevillard, L’auteur et moi. Et avec un livre, HHhH…
« Natacha lit le chapitre que je viens d’écrire. À la deuxième phrase, elle s’exclame : « Comment ça, « le sang lui monte aux joues » ? « Son cerveau gonfle dans sa boîte crânienne » ? Mais tu inventes! »
Ça fait déjà des années que je la fatigue avec mes théories sur le caractère puéril et ridicule de l’invention romanesque, héritage de mes lectures de jeunesse (« la Marquise sortit à cinq heures », etc.), et il est juste, je suppose, qu’elle ne laisse pas passer cette histoire de boîte crânienne. De mon côté, je me croyais bien décidé à éviter ce genre de mentions qui n’ont, a priori, d’autre intérêt que de donner au texte la couleur du roman, ce qui est assez laid. En plus, même si je dispose d’indices sur la réaction d’Himmler et son affolement, je ne peux pas être vraiment sûr des symptômes de cet affolement : peut-être est-il devenu tout rouge (c’est comme ça que je l’imagine), mais aussi bien est-il devenu tout blanc. Bref, l’affaire me semble assez grave. » (Laurent Binet, HHhH, p. 176-177.)
Le narrateur explique ensuite les modifications qu’il a infructueusement essayées, et cite Oscar Wilde :
« Toute la matinée, j’ai corrigé un texte, pour finalement ne supprimer qu’une virgule. L’après-midi, je l’ai rétablie. »
Je viens de lire avec effarement l’article de Virginie François, dans Marianne 2, La critique littéraire est-elle si « Net » ? Que dire de cela ? Et pourquoi effarement ? D’abord que l’on continue d’entretenir la confusion entre « critique littéraire » et « critique de livre ». Dans cet article et dans les sites qu’il cite, il n’est question que de critiques de livres, le but étant, pour des internautes lambda de singer ce qui se fait dans les journaux et les magazines : des chroniques de parution. Avec cet avènement génial et ignoble du lumpen-critique tel que Babelio l’a créé, site qui gagne de l’argent avec d’enthousiastes critiques qu’il gère mais ne rémunère pas, et la complicité de bibliothèques et d’éditeurs. Ce qui me rappelle les débuts de la télé-réalité, jusqu’à ce que les participants commencent à faire des procès pour obtenir un salaire…
Sébastien Lapaque précise : « Il y a toujours des amateurs passionnés qui s’expriment sur la Toile, mais le quadrillage marchand est quand même de plus en plus serré. » Et Virginie François de conclure : » l’avenir de la critique littéraire ne se joue pas dans le conflit entre médias traditionnels et Internet, mais bien dans l’éthique et l’exigence de ceux qui la pratiquent. »
Or l’éthique et l’exigence – c’est peut-être ce que l’auteur suggère, en tout cas c’est ce que j’entends par là – ne se trouvent pas dans le service rendu à des livres et à des auteurs, ni dans la limitation de la critique littéraire à la dimension du livre nouveau. De fait, le JLR n’ayant pas pour but de chroniquer des livres à l’unité ou de vouloir gagner de l’argent avec, je n’ai jamais été approché par des éditeurs, alors même qu’il est positivement référencé depuis bientôt dix ans.
Tags : Chevillard Éric, François Virginie, Lapaque Sébastien
Publié dans le JLR