Un paquet de stéréotypes enveloppés dans une bonne conscience
Bientôt la fin du premier semestre et le cours de conversation commence enfin à produire quelque chose. Avec des étudiants à qui on n’a demandé, depuis des années, que de retenir des informations et de donner leur avis sous forme binaire et impulsive, c’est-à-dire sans capacité, dans leur propre langue, d’argumenter une opinion ou de détailler une sensation, le fait de sélectionner des chansons françaises sur des critères personnels peut servir de point de départ à une exploration intérieure qui doit qui peut être l’occasion d’un élargissement du vocabulaire… Voire d’une certaine émancipation, dans l’espace linguistique d’une langue étrangère…
Lecture du billet de Chloé Delaume. Édifiant ! Filippetti – et les autres – à l’épreuve du pouvoir. On rejoue Péguy !1
« Ça ne veut pas dire n’importe quoi. Il faut le prendre dans son contexte d’une possibilité de retour au pouvoir de la gauche et du fait que cette gauche, tout du moins ses représentants appelés à gouverner, son gouvernement, sera nécessairement sollicité, voire nécessairement corrompu par les milieux d’affaires et d’argent… À elle, la gauche, à lui, son gouvernement, de ne pas perdre ses objectifs. » (Ce que j’en disais le 4 mai dernier…)
Vu L’amour dure trois ans. Pas un bon film. Mais quand on connaît un tant soit peu Beigbeider, c’est normal. Ça fait quand même plaisir de voir Frédérique Bel et Christophe Bourseiller, même si leur rôle est assez marginal… Sous la critique sociale, la bluette morale : déjantés, fêtards, libertins, désinvoltes, etc., les trois copains trouvent finalement chacun chaussure à son pied et rentrent dans le rang par l’amour et le mariage. Tout ça pour ça. Fallait pas.
S’il y a un point commun à toutes les catégories artistiques, dans leur immense diversité, c’est peut-être qu’elles ne produisent pas d’œuvres qui réduisent la complexité du monde. Des qui n’en considèrent qu’une partie, oui. Des qui caricaturent, oui. Des qui prennent des perspectives cavalières, oui. Ce sont là des interprétations de la complexité.
Inversement, la prétention à exprimer la complexité du monde produit souvent des ouvrages grandiloquents.
Dans le domaine des livres, la réduction d’une société ou d’un individu à un paquet de stéréotypes enveloppés dans une bonne conscience permet parfois de bien vendre, mais ce n’est pas de la littérature.
Laurent Binet, par exemple, aurait pu tomber dans le piège du cabotin, parlant de soi et de son monde d’aujourd’hui,2 de ses atermoiements devant son sujet – sujet auquel son livre aurait pu ne rien ajouter qui soit digne d’intérêt. Le lecteur qui aurait déjà une petite connaissance de Heydrich et de ses crimes au sein d’un régime lui-même hautement criminel assisterait alors à un numéro de chien savant guère plus intéressant que L’amour dure trois ans…
Mais il n’en est rien. Je réservais encore mon opinion jusqu’à dépasser la première centaine de pages parce que la corde raide était visible. Mais ça tient la route et ses promesses.
Notes ________________« À quoi juge-t-on qu’un personnage est le personnage principal d’une histoire ? Au nombre de pages qui lui sont consacrées ? C’est, je l’espère, un peu plus compliqué.
Lorsque je parle du livre que je suis en train d’écrire, je dis : « mon bouquin sur Heydrich ». Pourtant, Heydrich n’est pas censé être le personnage principal de cette histoire. Depuis des années que je porte ce livre en moi, je n’ai jamais pensé à l’intituler autrement qu’Opération Anthropoïde (et si jamais ce n’est pas le titre que vous pouvez lire sur la couverture, vous saurez que j’ai cédé à l’éditeur qui ne l’aimait pas : trop SF, trop Robert Ludlum, parait-il…). Or, Heydrich est la cible, et non l’acteur de l’opération. Tout ce que je raconte sur lui revient à poser le décor, en quelque sorte. Mais il faut bien reconnaître que, d’un point de vue littéraire, Heydrich est un beau personnage. C’est comme si un docteur Frankenstein romancier avait accouché d’une créature terrifiante à partir des plus grands monstres de la littérature. Sauf qu’Heydrich n’est pas un monstre de papier.
Je sens bien que mes deux héros tardent à entrer en scène. Mais s’ils se font attendre, peut-être que ce n’est pas plus mal. Peut-être qu’ils n’en auront que plus de corps. […] » (Laurent Binet, HHhH, p. 137-138.)
- Allusion à Notre jeunesse, où Charles Péguy raconte comment les socialistes se sont fourvoyés dans le pouvoir… malgré la « mystique républicaine ». [↩]
- On verra bientôt ce qu’il publiera sur la campagne de François Hollande… [↩]
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Publié dans le JLR