Tas de bosons doit gagner sa croûte
Une commission d’enquête requise par le parlement japonais vient de rendre son rapport de plus 600 pages sur la catastrophe de Fukushima. Il établit, paraît-il, la responsabilité du gouvernement et de Tepco qui ont négligé au fil du temps certaines mesures et améliorations de sécurité. Sans doute – je ne sais pas si ce rapport le dit – au profit… du profit.
En quoi ces conclusions sont-elles nouvelles ? Ces négligences, qui n’en sont pas vraiment puisque ce sont des négligences calculées, donc, au vu du résultat, des crimes, ont déjà été dénoncées de toutes parts. La nouveauté, s’il y en a une, doit donc venir du caractère officiel de ces informations. Cela pourrait-il permettre une action en justice ? Un procès de dix ans qui se solderait par du responsable mais pas coupable ? Avec tous les frais de démantèlements, décontaminations, dédommagements et procédures judiciaires qui seraient à la charge du contribuable japonais pendant un siècle ? Mais une filière nucléaire qui continuerait son petit bonhomme de chemin, délétère ou pas. Un beau trompe-l’œil en perspective…
Mais tout cela est-il si grave ? Humains, rocs, insectes, foie gras et plutonium, tout n’est que tas de bosons ! Boue d’interactions entre une douzaine de particules qui font la java sans arrêt ! Alors amusons-nous, chantons aussi, crions – mais plutôt sous la pluie autour d’un solo de batterie devant les portes d’une centrale nucléaire que dans une vulgaire boîte de nuit !
Malheureusement, terre-à-terre, mon tas de bosons doit gagner sa croûte avec ses trois cours du jeudi, puisqu’on est jeudi. Encore qu’il n’en reste plus que deux (jeudis) avant les examens et les vacances… Au séminaire de cinéma, Le dernier métro vient de passer. Et revoyez-le, si vous le pouvez, par exemple pour apprécier les détails des scènes finales, d’après-guerre. Depardieu, résistant gravement blessé, plâtré, mine cave, est enfin retrouvé dans un hôpital par une Deneuve aimante. Par la fenêtre derrière eux, d’autres invalides sont aux fenêtres, bougent un peu en regardant par ci par là. Les champs et contrechamps serrent dramatiquement les visages du couple, incertain de son devenir. Et quand la caméra redonne de la profondeur de champ, on découvre que les figurants aux fenêtres sont… peints en trompe-l’œil. Un rideau rouge ferme le plateau de droite à gauche, c’était la scène finale d’une pièce – et non la vraie vie des deux personnages. Par le tournage et le montage de deux arrières-plans semblables mais différents, Truffaut a mitonné une transition presque invisible entre réalité et théâtre. Mais le rôle grand-guignolesque enfin tenu par Bernard Granger (Depardieu) a d’autant mieux produit son illusion de vérité qu’il venait juste après un résumé documentaire du devenir de quelques autres personnages après la victoire des alliés, dont celui du journaliste de Je suis partout qui avait pu s’enfuir et finir ses jours en exil dans les années 60. Autrement dit, la profondeur de champ visuel a eu besoin d’une profondeur de champ temporel pour produire complètement l’illusion. Échelles de temps, disais-je hier…
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Publié dans le JLR