Sans espoir à proximité
J’ai quitté le Cambodge alangui sur mon canapé en plein après-midi de saison des pluies. Les dernières pages du livre ont comme un glaçon soudain fondu plus vite. Mon pire moment d’un livre aimé : quand son texte m’abandonne, passé le dernier point, au beau milieu d’une feuille blanche.
« Au travers des barreaux, ils voient descendre ces petites averses de la saison sèche qu’on appelle ici la Pluie des mangues. On est loin de Paris, loin de la rue Saint-André-des-Arts. On est en prison. Sans doute on se souvient d’avoir été ces jeunes amis qui rêvaient d’un futur radieux. On se revoit pendant des vacances en Bretagne, l’été à Pornic, sur les traces de Lénine. Des petits bateaux de pêche sur le port en bas du casino. Une vieille photographie en noir et blanc des années cinquante. Sur les rochers, après la baignade, les deux sœurs en maillot, elles rient, on flirte un peu, Khieu Ponnary deviendra la femme de Pol Pot et Khieu Thirit celle de Ieng Sary. Ces deux-là se marient à la mairie du quatorzième arrondissement de Paris.
On est devenu de vieux ennemis. » (Patrick Deville, Kampuchéa, p. 242, qui n’est pas la fin du livre…)
Bravant les éléments (d’un simple parapluie), je suis ensuite allé au sport où l’HHhH de Laurent Binet, a repris du service. Je l’avais entamé l’an dernier mais il faut croire que ce n’était pas le moment ; on avait d’autres préoccupations, plus terre à terre, si vous voyez ce que je veux dire. J’en lis les premières pages pour la seconde fois avec le même sentiment d’une promesse re-tenue. Et comme j’ai connu il y a peu, par Deville, la fin de Bill, il est assez drôle de remonter un peu aux prouesses de son père…
« À propos des représentations filmiques d’Heydrich, je viens de voir à la télé un vieux film de Douglas Sirk1 intitulé Hitler’s Madman. Il s’agit d’un film de propagande, américain, tourné en une semaine, sorti très peu de temps avant celui de Fritz Lang, Les bourreaux meurent aussi, en 1943. […] Le problème du film est qu’il réduit quelque peu l’organisation de l’attentat à une initiative locale, fondée sur une suite de hasards et de coïncidences (Heydrich traverse par hasard le village de Lidice, qui abrite par hasard un parachutiste, et c’est encore par hasard que l’on apprend l’heure de passage de la voiture du protecteur, etc.). […]
En revanche, l’acteur qui incarne Heydrich dans le film de Douglas Sirk est excellent. D’abord, il lui ressemble physiquement. Ensuite, il parvient à restituer la brutalité du personnage sans l’affubler de tics trop outrés, facilité à laquelle Lang avait cédé sous prétexte de souligner son âme dégénérée. Or, Heydrich était un porc maléfique et sans pitié, mais ce n’était pas Richard III. L’acteur en question, c’est John Carradine, le père de David Carradine, alias Bill chez Tarantino. » (Laurent Binet, HHhH,2 Livre de poche n° 32178, p. 26-27.)
Ce soir à 21 heures, la centrale nucléaire de Ohi (ou Oï, comme on veut) a redémarré. Quelques centaines de protestataires ont manifesté sans espoir à proximité du lieu. L’inquiétude, au-delà d’une toute supposée maîtrise des processus de la fission, c’est que le taux d’accidents a toujours été important au moment des démarrages et redémarrages…
Toutefois, j’ajoute qu’à l’heure où j’écris, le Japon existe encore.
T., vers minuit, pour nous bercer, nous relit une histoire de bébés-pélicans…
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Publié dans le JLR