Hic et nunc – le boulet quotidien

mardi 26 juin 2012, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Vendredi, j’écrivais un peu vite qu’être pour ou contre Mazarin n’a maintenant plus de sens. J’aurais aussi bien pu dire pour ou contre César, ou Staline… Collabo ou résistant… À l’évidence, Monsieur de La Palice, s’il s’agit de choisir un camp pour en être, agir et peser sur le cours de l’histoire en train de se faire, c’est trop tard – autant s’engager dans le contemporain, il y a de quoi faire. En revanche, si l’on veut reconsidérer les faits… Il faut y consacrer une vie d’étude pour, peut-être, un jour, trancher. « Tout pesé… », dit l’homme à barbe blanche. Ou une vie littéraire.
Et entre ces positions minoritaires, tous les partis-pris inconsidérés, les nationalismes sportifs, les brèves de comptoir, les copier-coller d’étudiants pressés, les Frédéric aux idées reçues…

Pour ceux qui sont entrés dans la voie de l’étude, la nature du temps n’est plus la même. À l’instar du personnage de Matrix, on se déplace dans la temporalité et la spatialité des événements – et non dans le temps et l’espace – pour en comprendre la structure intime et le mécanisme, voire comprendre ceux qui se sont crus maîtres des destins en leur propre temps, Mazarin, César, Staline, peut-être : ce fantasme dévoilé à la fin du Rivage des Syrtes. Et pendant que l’on fait cela, intellectuellement, on est bêtement soumis comme tout un chacun à son propre hic et nunc – le boulet quotidien, le rhume attrapé dans un courant d’air, mais où sont mes lunettes ?… L’humaine condition ne lâche jamais son homme.

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Les voyages textuels de Patrick Deville sont de ceux, rares, qui rendent sensibles à la fois la temporalité et la spatialité des événements évoqués grâce à des mouvements internes à ces dimensions, et l’ici et maintenant de la voix – et du corps de cette voix – pris dans ce travail éminemment littéraire. L’entrelacs de la voix et de l’évocation, de l’érudition et de l’ironie, de l’engagement et de la distanciation, propose au lecteur une participation à la fois désinvolte et enthousiaste, pédagogique et amusante.

« Pavie reprend la mer pour Saigon, raccompagne à Phnom Penh des étudiants qui viennent d’achever leur première année parisienne. L’un d’eux, Ngin, petit-fils de magistrat, intègre la mission et secondera l’explorateur pendant dix ans. La petite équipe de neuf personnes qu’il constitue est toute cambodgienne. Pavie se rend à Bangkok pour y présenter sa lettre de mission, constate que les Siamois lui mettront les bâtons dans les roues, achète des éléphants. Six mois après son départ, il découvre « le délicat paysage qui enveloppe la petite cité lao », et confie au papier son cri de victoire : « Je suis à Luang Prabang ! » […] Et aussitôt après son arrivée, c’est la guerre au paradis.
La colonne siamoise partie guerroyer au nord contre les bandes chinoises des Pavillons jaunes redescend en catastrophe vers Luang Prabang avec les trente otages qu’elle vient de capturer. Talonnée par ses poursuivants, elle abandonne la ville pour gagner Bangkok. Les Chinois ont pris le carrefour de Muong Theng que les Vietnamiens appellent Diên Biên Phu, et plus rien ne s’oppose à leur déferlement. » (Patrick Deville, Kampuchéa, p. 173-174)

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Publié dans le JLR

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