Je me fous totalement des roueries
Jeudi, c’est jour des trois cours. Et si le soleil revient, ça ne sert à rien.
Gestion parallèle d’étudiants de première, troisième et quatrième années. Avec parfois des interférences désagréables, comme de constater que tel étudiant de troisième année n’a en fait pas atteint le niveau de la première moitié de la première année. Avec juste un talent reptatif pour passer entre les mailles des examens, des examinateurs et des examinatrices, un coup parce que c’était trop facile (des profs évitent ainsi tout conflit ou troisième mi-temps), un coup de pouce quand les profs ont besoin d’un quota de passables, et encore un coup le jour de je ne sais quelle indisposition donnant droit à un examen perso où l’apitoiement vaut évaluation. Et on se retrouve devant Le dernier métro (Truffaut, 1980), avec des questions d’histoire, de politique, d’esthétique qui lui passent un Everest au-dessus de la tête.
Et quand je dis un Everest, je pense à tout le boulot que les autres ont accompli pour arriver là. Et que si j’étais à leur place, je l’aurais mauvaise de voir que le système laisse passer de telles brêles.
Ceci dit, la politique française offre parfois le même spectacle, par exemple Nadine Morano, bientôt membre du FN, je suppose, si elle n’y a pas déjà sa carte en secret.
Pour reprendre de la distance et ne pas porter le pet, comme dit mon collègue, je m’amuse dans le shinkansen d’un film téléchargé il y a quelques jours : Very bad Deal (P. Saghizadeh, 2010), avec Michael Madsen et David Carradine, ou quand des flics justiciers embauchent des tueurs à gages pour éliminer les gros bonnets de la drogue – et que ça tourne mal, bien sûr.
Eh bien, c’est parfait : arrivé à Tokyo, je me fous totalement des roueries estudiantines.
Ce rôle, parmi les derniers de David Carradine, ne laissera pas une impression forte. En sous Kill Bill pitoyable, il me rappelle le chapitre umeboshi1 lu avant-hier dans Kampuchéa.
Notes ________________« Un peu de lassitude aussi, une petite dérive. On est né à Hollywood et fils d’un acteur célèbre. On est à présent star du kung-fu de soixante-douze ans. On s’est marié cinq ou six fois, on a tourné avec Scorsese dans Boxcar Bertha, on y jouait un anarchiste crucifié sur la porte d’un wagon à bestiaux, et avec Altman, et avec Bergman dans L’Œuf du serpent, mais tout ça c’était dans les années soixante-dix. Ensuite il y avait eu la longue fête ou l’ennui très long, ce qui est un peu la même chose, à quoi ne remédient ni l’alcool ni la came ni les soirées sado-maso, encore moins les centaines de tournages de séries B. Oui, pas mal de lassitude.
L’homme élégant est tout de même assez déjanté, aussi, ce soir-là. Il a picolé toute la journée sur le tournage. Il a surtout envie qu’on le laisse en paix, plie ses vêtements, s’occupe de soi. Une cordelette autour du cou et une autre autour de la bite et les deux reliées et accrochées à la poignée de la penderie ça n’est pas très compliqué, un peu comme de se raser le matin, en même temps cela requiert un minimum d’attention, de précision, un peu de prudence, comme dans tous les métiers de précision le risque est la routine. On envoie la dépouille à l’hôpital Chulalongkorn.
Dans une pièce réfrigérée, l’experte légiste Porntip Rojanasunan – mais tous ces noms, pour qui n’est pas thaïlandais, paraissent des noms de cinéma -, une femme médecin légiste, donc, s’appelle Porntip, et se penche avec attention sur son cas. Elle en conclut que c’est après le nirvana qu’il est mort et c’est la seule bonne nouvelle de la journée, une mort qui ne doit rien à personne, et ne commet aucun dommage collatéral. Voici la vie des hommes, parfois. Voici notre monde, et nous n’en avons pas d’autre. » (Patrick Deville, Kampuchéa, p. 96)
- Umeboshi : Nom masc., empr. jap., désigne une prune macérée, couramment utilisée en accompagnement du riz dans la cuisine japonaise et dont le goût est à la fois sucré, salé, acide et fruité. Par analogie, adj. : qui présente une saveur complexe dans laquelle le sucré, le salé et l’acidité forment une osmose indescriptible. Métaph. : Sensation où se mêlent le comique et le drame, la moquerie et la louange, etc. Un chapitre umeboshi lu avant-hier… (Berlol, JLR2, 14/06/2012). [↩]
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Publié dans le JLR