Du génie des auteurs (quand il est là)
Je reviens.
De loin.
De Kyoto, mais aussi de beaucoup plus loin…
Il m’a fallu près de trois mois pour relire une bonne partie des œuvres de Claude Simon et d’Antoine Volodine.
Et en faire quelque chose. Dont je ne sais pas ce que ça vaut.
Au moins, en suis-je débarrassé ! Ça s’appelle : « Formes littéraires et politiques de la sédition chez Claude Simon et Antoine Volodine » (en audio ici, avec les citations).
Comment la fiction fait histoire, excellent colloque, au demeurant. Trois jours dont on m’a fait faire la clôture parce que je traitais des auteurs les plus contemporains, dont un encore vivant…
Dans le train de retour à Tokyo, j’écoute des émissions de France Culture. J’en ai stocké depuis des semaines – ma veille à minima – et pas moyen de les écouter. Je travaillais en circuit fermé ; maintenant, c’est ouvert.
Et pour me remettre dans le bain promptement, quoi de mieux que le débat Finkielkraut, Bon, Beigbeder du 12 ? (Pensé-je…)
Mais finalement, c’est décevant. Par la faute de Finkielkraut. Ce type se prétend philosophe, ou penseur. En fait, il est à la fois borné et incohérent. Et malhonnête parce qu’il utilise son émission et la notoriété de ses invités comme caisse de résonance à ses délires réactionnaires.
De plus, après trois jours à écouter des personnes qui ont produit un long effort pour s’exprimer d’une façon claire et pédagogique, le débat de trois personnes dont les propos vont un peu dans tous les sens paraît d’une grande pauvreté (surtout quand le meneur ne fait pas son boulot, donc).
Quant à moi, je maintiens la position exprimée depuis plus de dix ans.
À savoir que ce qui importe, c’est le texte, et non le livre.
Qu’en effet, le support a une influence sur le texte, autant pour la production littéraire que pour la lecture, mais que c’est un effet de transition (faut-il rappeler tous ces débats sur l’écriture à la plume, au stylo ou à la machine à écrire tout au long du 20e siècle ?…)
Que la question du support est négligeable en regard de celle du génie des auteurs (quand il est là).1
Que le livre de papier passera d’ici deux générations au rang de produit superflu ; la même superfluité que celle des bougies, des chapeliers ou des chars à bœufs – à savoir : que cela existe encore, qu’il y a des usagers mais qu’ils sont ultra-minoritaires et se savent (se revendiquent ?) dans une catégories d’intempestivité, d’originalité ou de festivité. Ou d’indigence.2
Que la littérature et la poésie resteront le fait d’une fraction non majoritaire de la société (même quand tout le monde sait lire, tout le monde n’est pas sensible ni intéressé par ce qui s’appelle littérature ou poésie).
Que tous les livres précédemment produits, stockés dans les bibliothèques et les maisons peuvent y rester et trouver un excellent usage et d’excellents usagers – si des crétins ne les font pas détruire ; le problème principal, c’est la chaîne éditeur-librairie, dans laquelle l’hypocrisie et l’appât du gain règnent en maîtres ; chacun s’y drape dans ses oripeaux de noblesse (culturelle, intellectuelle, artistique) alors qu’il ausculte en permanence et avec les outils les plus modernes les chiffres de vente, ce pourquoi il produit essentiellement de la merde.3
Que les possibilités de diffusion, de disponibilité, de recherche et d’interactivité des nouveaux supports du texte n’empêchent absolument pas de s’isoler pour lire à tête reposée.4 Quelques intellectuels s’opposent à cette évolution parce qu’ils se savent (ou se croient) dépassés, parce qu’ils voient déjà avec horreur leur perte d’influence et parce qu’ils regrettent le temps où eux et leurs petits copains faisaient la pluie et le beau temps dans la pensée française et la littérature française ;5 alors ils prédisent que la disparition de leur parole, noyée dans la masse, sera la disparition de toute parole sensée.
Que si j’étais une femme dans un train et que mon voisin voulait me draguer après avoir lu le titre de mon livre, je lui mettrais une baffe et j’irais m’acheter une liseuse électronique ta mère.6
Allez, pour une reprise, ça suffira.
Notes ________________- Un écrivain qui a du génie, ou seulement du talent, saura le faire passer quel que soit le support ; le problème est de savoir s’il existera un modèle économique, médiatique et intellectuel pour que son texte soit repéré, diffusé et promu (pardon pour le chiasme), ou s’il sera écrasé par les machinations des éditeurs et des e-diteurs en pleine guerre de promotion de leur support favori. [↩]
- Je m’éclaire à l’électricité mais j’emploie volontiers des bougies pour célébrer un anniversaire ; si les milliers de chapeaux disponibles dans les grands magasins ne me plaisent pas, je suis libre d’en acheter un très cher chez un chapelier des beaux quartiers ; pour la fête annuelle d’un village, on creuse volontiers quelques sillons à l’ancienne… [↩]
- Entendu dans le premier épisode des Années d’Annie Ernaux en feuilleton cette semaine : « La paysanne qui lâche un gros pet dans un compartiment de train où se trouvent des Allemands et proclame à la cantonade : Si on peut pas leur dire, on va leur faire sentir ». [↩]
- De même que la vente du tabac ne m’empêche pas de ne pas fumer. Le trouble du déficit de l’attention signalé par Beigbeder concerne mille fois plus les accros du SMS que ceux qui lisent Claude Simon et François Bon ; ce problème ne concerne pas la littérature et vouloir le faire croire est malhonnête de la part de Beigbeder… [↩]
- En gros, leur Eden correspond aux temps et aux lieux des aventures éditoriales Hachette et Gallimard. [↩]
- Cette remarque suppose l’audition du débat Finkielkraut, Bon, Beigbeder cité ci-dessus. Vraiment, cet argument est le plus con que j’aie jamais entendu pour défendre le livre… [↩]
Tags : Beigbeder Frédéric, Bon François, Ernaux Annie, Finkielkraut Alain, Simon Claude, Volodine Antoine
Publié dans le JLR
Toujours à l’extrême pointe du combat féminin ! J’imagine que votre vertu s’offusquerait de voir une femme sourire de la curiosité de son voisin, et même s’en enchanter .
S’il y a réciprocité de l’attirance, rien ne s’oppose à la nuit…
Mais votre « toujours » laisse entendre une longue connaissance de ce journal et peut-être même une longue désapprobation de votre part. Je rends honneur à votre masochisme, qui vous fait tout de même repasser.
Il est possible aussi que vous fassiez partie (pardon si je me trompe) de cette crasse caste virile qui confond séduction et harcèlement, et qui croit (encore et toujours) que le viol est un accident né des besoins des mâles.
Dans tous les cas, je vous recommande l’audition de l’excellent reportage « Viol de nuit, terre des hommes » de la Fabrique de l’histoire du 31 octobre.
Et je maintiens que l’argument de Beigbeder était le plus con qui soit pour défendre le livre !