Que le Japon est irradié
Mercredi 16 mars, 11h30. On vient d’aller à trois au supermarché du quartier, à l’ouverture. Alex achète des produits de première nécessité pour les emporter demain vers Osaka puis Morioka. Nous aussi, sans excès. Il y a un peu d’affluence et chacun prend un peu plus que d’habitude, sans avoir l’air de céder à la panique. Une voisine de palier que nous rencontrons entre les rayons nous dit qu’elle a pris conscience hier soir d’une certaine urgence après le tremblement de terre à Shizuoka, nettement plus près d’ici que les précédents. On retire aussi un peu d’argent au distributeur, qui en a encore. Ensuite, T. et moi allons au drugstore voisin et constatons qu’il n’y a plus de papier toilette ; j’en ai acheté hier et avant-hier. Au Japon, c’est, avec les piles, un des produits qui disparaît en premier des rayons. Dans l’adversité, la dignité se mesure aux mètres de PQ restants.
De retour devant la télé, c’est la suite des mensonges d’état. On ne reconnaît la gravité d’une situation que lorsqu’on ne peut plus la cacher et qu’elle devient visible même aux caméras postées à plus de vingt kilomètres. Plus grave, les responsables de l’électricien nucléaire attendent systématiquement qu’un réacteur surchauffe pour commencer à s’en occuper. Dans tout cela, personne ne parle de l’aide américaine, qui est tout de même le concepteur et le vendeur de cette technologie et dont les bateaux militaires sont au large. Y a-t-il conflit entre l’électricien nippon qui croit pouvoir maîtriser la situation et le conseil américain qui ne peut s’ingérer ? Le premier ministre se met un peu en colère contre les mensonges, par omission ou non, d’une entreprise privée qui pourrit la nation par son impréparation…
C’est donc encore une fois par les Américains que le Japon est irradié (avec l’aide du lobby pro-nucléaire local et international).
J’essaie de me souvenir de samedi matin, quand la catastrophe n’était encore que naturelle, qu’après quelques mauvaises heures de sommeil, je découvrais à la télé les premières images du tsunami dans des villes et des villages où tout ce qui flotte est emporté, les maisons démembrées, pliées et déchiquetées, des bateaux et des autocars déposés sur des toits exangues… Quand j’appelais Alex qui venait de passer sa mauvaise nuit dans un sofa du Four Seasons Hotel de la gare de Tokyo, ce qui était déjà mieux que les couloirs du métro, pour lui dire d’aller se réfugier chez nous, d’où l’on pourra skyper dans quelques heures… Quand le bilan des victimes était de quelques dizaines…
À suivre.
Publié dans le JLR
dans la suite, une bonne nouvelle, vous mettez en ligne ceci
Alex est à Nagoya ! Bien : plein de bises à vous tous !
Tu ne crois pas que France Culture pourrait organiser un pont aérien pour Berlol et T ? Tu as archivé tellement de données dont ils pourraient avoir besoin, non ?
Bonjour,
Je suis journaliste pour le 19H45 de M6 et je suis à la recherche de témoignages d’expatriés français encore au japon pour le journal de ce soir.
Etes-vous disponible pour une conversation via skype ou par téléphone ?
D’avance merci,
Bien cordialement,
Merci, Alban, mais… je m’exprime assez comme cela et ce que je vois des médias utilisant des correspondants par skype ne m’intéresse pas outre mesure.
De plus, il n’y a pas assez de gravité de la situation à Nagoya pour qu’un média en parle, même de façon périphérique…
Morioka est accessible?? Il y a encore des trains qui vont là-bas?
Je me souviens qu’on y avait été dans les années 99 ou 2000 peut-être! Le Mont Iwate aussi!
Bon courage à tous.
Il est vrai qu’il y a responsabilité des Américains, qui vendent les centrales, mais aussi des Français, qui vendent le combustible, le MOX, et je te trouve bien gentil avec TEPCO, qui a caché et falsifié les rapports sur les défaillances, ou pire, a ignoré les signaux d’alerte.
Ils l’ont reconnu (et se sont apparemment empressés de continuer); voir ce document, au titre tragiquement ironique: « Lesson Learned from TEPCO Nuclear Power Scandal » (2004)
http://www.tepco.co.jp/en/news/presen/pdf-1/040325-s-e.pdf
C’est vrai, TEPCO est gravement coupable, comme on le disait sur Facebook, après lecture de l’article du Monde signalé…
Personnellement, je ne parviens pas à comprendre comment un état, si sourcilleux sur sa souveraineté dès qu’il y a un bout d’île à revendiquer aux Russes ou aux Coréens, peut laisser une entreprise privée diriger dans des conditions opaques la plus grosse partie de sa production d’énergie. Ou plutôt, je le comprends trop bien : c’est pour ne pas que ça lui coûte, c’est pour qu’un gouvernement puisse dire qu’il fait payer moins d’impôts à ses citoyens. Par conséquent, c’est d’abord un crime de l’état, crime qui précède voire suscite celui de l’entreprise.
oui, il y a crime
et on ne peut pas écarter l’hypothèse de la corruption
pardon, mais grosso modo polémiques et discussions plutôt vaines tt de suite – on sait très bien que où qu’on soit n’importe dans le monde, depuis toujours, « on nous cache tt on ns dit rien », peu ou prou…
Pour l’heure, il y a d’autres urgences… concernant le Japon : l’aide au demi-million de réfugiés en plein hiver encore dans le nord-est…
C’est vrai, Vinteix. Et c’est bien ce qui fait la différence entre les médias japonais, assez soucieux de tous ces gens déplacés, blessés, endeuillés, etc., et les médias français, uniquement focalisés sur le danger nucléaire. Quand on voit l’urgence avec laquelle les étrangers s’enfuient en abandonnant leurs amis et collègues d’hier, voire leur belle-famille, il y a de l’indécence. C’est le chacun-pour-soi, comme depuis toujours aussi. Les Japonais n’ont nul autre pays où aller… Certains, aisés, se déplacent temporairement vers le Sud mais la plupart doivent rester chez eux.
Chers amis,
votre fournisseur ne veut pas vous transmettre mes messages (vérifié par Orange). Et je ne peux pas vous joindre par téléphone (n° trop ancien?). J’attends un signe de vous
Avec mon affection
Régine
Chère Régine,
Je t’ai répondu par mail. Est-ce que tu l’as reçu ? Sinon, on va chercher une autre solution…
Un petit message de soutien de la part d’une ancienne de Paris 3, (amie de Martine) dont tu te souviens peut-être (déjeuners à Ivry, etc.)Je suis discrètement ton journal depuis des années et espère que tout va bien se passer pour vous en ces temps difficiles. Bien amicalement.
Oh, quel plaisir, Isabelle ! Merci de penser à nous par ces temps mouvementés ! Jusqu’ici tout va bien. Pour toi aussi, j’espère !