Ton temps rétréci, c’est une vue de l’esprit

samedi 30 octobre 2010, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Troisième session du cours sur Les Mots, de Sartre, ce matin. Pour régler son compte au père, j’avais la voix en fin d’extinction, celle des lendemains de rhume. Ayant oublié mon enregistreur numérique, c’est le téléphone portable que j’ai branché, sans même savoir si ça tiendrait 2h15. Ce qui me donne ce soir l’impression d’écouter le cours de quelqu’un d’autre.

On rallonge de vingt-cinq minutes pendant quatre semaines pour récupérer le cours que je n’ai pas pu donner samedi 16, étant au congrès. Avec une pause vers 11h20, pour boire de mon thermos de thé chaud et sucré. Et tout le temps, il pleut. C’est un typhon, qui sera sur Tokyo en fin d’après-midi. On déjeune donc au Saint-Martin, T. et moi, un peu plus tard. Et, sans doute à cause de la pluie et du vent, il n’y a presque personne. Bavette-frites et gigot d’agneau-frites que l’on s’échange à mi-parcours. On mange de moins en moins de viande à la maison ; le restaurant devient une occasion de s’en faire une ventrée.
Vers quatre heures et demie, quand je vais de l’autre côté de la gare d’Iidabashi, à la boutique Bristol, pour récupérer les vêtements achetés la semaine dernière et laissés pour les ourlets des pantalons, le vent a nettement forci et de nombreux parapluies retournés et tordus jonchent les trottoirs. Après, on ne sort plus et je commence à planifier en détail notre prochaine mission : Paris, Bordeaux et peut-être Périgueux, en toute fin d’année.

Relisant des phrases comme : « Eût-il vécu, mon père se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé. » (Les Mots, p. 18), je ne peux m’empêcher de penser au roi Balbutiar, complètement bouldebrayé sur son rocher et secrétant son fils après l’avoir génétiquement modifié pour que celui-ci le libère et qu’il puisse l’occire (Cf. Volodine, Nos animaux préférés).

— Qui a rétréci le temps ?
— …
— Nan mais c’est une vraie question, attends !
— Mais, tu ferais mieux d’aller te coucher…
— Ça ! t’as raison, j’ai un sacré retard et en plus j’ai chopé la crève. Mais ça ne répond pas à ma question : qui a rétréci le temps ?
— Rétréci… rétréci… Qu’est-ce que tu vas chercher ? Y passe pareil, tu le sais bien.
— Ouais… Évidemment… N’empêche ! Regarde-moi ça, j’ai même pas le temps de faire un billet de JLR par semaine, ça fait au moins deux semaines que j’ai pas enregistré une émissions de France-Cu et encore plus longtemps que j’ai pas lu autre chose que Volodine ou Sartre pour des articles ou pour des cours !
— Et tu penses que je vais te plaindre ?
— Ouais, bah, plains-moi en japonais, pasque de ce côté-là aussi, j’suis pas à jour…
— Quand même, j’ai vu que t’avais pas mal acquis de vocabulaire administratif, ces temps-ci.
— Oui, oh, quelques expressions comme ça, mitsumori, kan setsu keihi, ou kenkyu daihyousha, tu vois le genre… C’est surtout T., qui doit se taper toutes les procédures, et les formulaires, je te dis pas.
— Oui, je sais, les demandes de voyages, les devis, les formulaires d’achat de matériel et même des gros contrats avec la France et la Suisse. Qu’il fallait traduire, j’imagine.
— Et même avec le Vatican !
— Le Vatican ? Nan !
— Si, si ! Mais je t’en dis pas plus. Secret défense ! D’ailleurs, c’est drôle, si tu vas sur le site de la Bibliothèque vaticane, y’a une rubrique Archives secrètes !
— Et y’a des archives secrètes ?
— Bah, vas-y voir ! Moi, je retourne à mes mazarinades. Tiens, si tu veux, j’ai mis en ligne les exposés de l’atelier qu’on a proposé au congrès des profs, il y a deux semaines.
— Ah, oui, avec Michel Bernard.
— Oui, il est venu nous parler des balises pour l’encodage XML. Les dix-septiémistes étaient un peu déboussolés… La veille, il avait fait une super conférence sur le wiki Lautréamont d’Hubert de Phalèse.
— Et on peut l’écouter ?
— Non, ça ne dépend pas de moi de le mettre en ligne. Au moins pour l’instant. Tu sais avec les problèmes de droits, maintenant, on voit du grand n’importe quoi. Et pas toujours du côté qu’on croit. Par exemple, des bibliothèques qui ont des documents dormants depuis quatre siècles ou plus, que personne ne consulte, dont les images sont déjà numérisées par des chercheurs et dont les cadres se demandent s’ils vont autoriser ou pas leur mise en ligne, s’ils ne vont pas y mettre telle ou telle condition…
— Mais… en vertu de quoi ? de quel droit ? C’est du service public !
— Mais d’un droit de propriété, mon vieux ! Alors ces cadres qu’on a vu la semaine dernière n’étaient pas très sûrs d’eux sur ce point, et pas très sûrs que ça ne leur retomberait pas sur le dos d’une autre façon, par exemple en terme d’image, ou par le ministère, si on ébruitait l’affaire.
— Ouais, en fait, si t’es pas dans un projet piloté à la base par un état ou une grande institution, t’es pris pour un emmerdeur ou une taupe de Google… Au fait, t’as vu le superbe site de Quijote qui vient de sortir : BNE, gouvernement et ministère de la culture, rien que ça !
— Oui, superbe ! C’est dire aussi l’importance de ces projets pour les institutions. Mais pardon, heu… c’est pas tout ça… soro soro… comme on dit.
— Oui, nan, c’est moi, pardon, je t’ai encore rétréci ton temps…
— Non, pas du tout, au contraire, tu m’as aidé à penser, réorganiser des idées, je te remercie.
— Oui, pis de toute façon, ton temps rétréci, c’est une vue de l’esprit…

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