Ce goudron d’un type nouveau
Hier soir, T. lit à haute voix les premières pages du dernier Lutz Bassmann, Les aigles puent. Puis elle demande s’il ne parlerait pas un peu d’Hiroshima… Oui et non.
« Pour impressionner Gordon Koum et le faire revenir sur sa décision d’aller sur les ruines, les types de la défense passive lui avaient décrit ce qui l’attendait. Ils avaient affirmé à Gordon Koum que ses chaussures grilleraient au bout de quelques centaines de pas, puis qu’il sentirait les flammes lui dévorer les pieds, et qu’il serait alors trop tard pour faire demi-tour. Il ne pourrait plus se battre, il s’affaisserait sur le sol grésillant et il finirait carbonisé. Le moustachu à la carabine expliquait que les bombes qui avaient anéanti la ville étaient d’une nature sorcière. Elles se rattachaient à une génération d’armes nouvelles, qui causaient des dégâts en explosant mais continuaient ensuite à agir jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’humain sur des kilomètres à la ronde. Le moustachu avait une voix qui tremblait, d’indignation et de peur. Il soutenait que les bombes n’avaient pas terminé leur cycle et que, en approchant de leur point d’impact, Gordon Koum s’exposerait à des abominations résiduelles, à des rayonnements qui provoqueraient chez lui la démence ou la mort, ou les deux. » (« Cendre (I) », dans Lutz Bassmann, Les aigles puent, Paris, Lagrasse : Verdier, 2010, p.12-13.)
Mais T. n’est pas encore arrivée à cette page :
« Soudain il ne pouvait plus faire abstraction des odeurs. Soudain il ne pouvait plus ne pas comprendre ce qu’elles lui révélaient sur ce qui s’était passé pendant l’incendie étrange. Sa nausée augmenta, elle devint incoercible. Il essaya encore de se raisonner, de penser à autre chose, mais déjà c’était en vain. Sur ses muqueuses desséchées se cristallisaient une histoire affreuse, des images affreuses, à l’arrière de sa gorge et de son nez il recevait le spectre des matériaux de construction et des hominidés qui avaient été instantanément transformés en gaz, puis qui avaient retrouvé ensuite, neuf ou dix secondes plus tard et en se mélangeant à n’importe quoi, une structure vaguement liquide. L’odeur de ce goudron d’un type nouveau, qui évoquait à la fois la calamine, la graisse animale et l’espace noir dans lequel déambulent les morts. L’odeur que laissaient derrière elles les bombes de dernière génération. » (Ibid., p. 18-19)
Tags : Bassmann Lutz
Publié dans le JLR
Ce goudron colle jusqu’aux titres de nos billets.
Et mes 3e ont même eu droit à un extrait – goudronneux aussi.